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Inducteurs des coûts de l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés

John Frecker
Legistec Inc.

2002


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1.5 Incidences des divers modes de prestation de l’aide juridique sur les coûts

Il existe de grandes différences entre les divers programmes d’aide juridique du Canada quant aux services fournis et à la proportion de ceux-ci qui sont assurés par des avocats salariés et par des avocats du secteur privé. Les taux de rémunération et les tarifs pratiqués pour les différents services varient aussi beaucoup entre les divers régimes d’aide juridique. Ces différences se traduisent par des coûts à l’unité différents aussi (coût par cas), lesquels influent sur l’ensemble des coûts des programmes.

Un certain nombre d’études, à commencer par une étude charnière portant sur les services d’aide juridique en matière criminelle à Burnaby (Brantingham, 1981), montrent une importante corrélation entre les coûts des programmes d’aide juridique et la manière dont les différents régimes d’aide juridique paient les avocats pour les services qu’ils offrent. Les conclusions de nombreuses études du genre sont résumées dans le document, Tendances en matière d’aide juridique, publié par le ministère de la Justice du Canada (1995). La méthodologie utilisée dans la plupart de ces études pour calculer le « coût unitaire » des cas financés par l’aide juridique a soulevé la controverse [Sloan, 1987; Association du Barreau canadien, 1987; Meredith, 1991; Meredith, 1994; Prince, 1991; Prince (Pristupa), 1994a; Prince (Pristupa), 1994b; Brantingham, Brantingham & Easton, 1993]. Toutefois, les données montrent qu’offrir des services d’aide juridique par l’entremise d’avocats salariés coûte en général moins cher que si l’on recourt à des avocats rémunérés à l’acte (Goriely, 1997b : 189; Currie, 1996 : 54-56).

La plupart des programmes d’aide juridique du Canada appliquent actuellement un modèle mixte de prestation de services : des services sont offerts par des avocats salariés employés directement par les organismes d’aide juridique de la province, et d’autres le sont par des avocats du secteur privé aux termes de diverses ententes de paiement. On estime que cette formule mixte est la meilleure façon de profiter des avantages des différents moyens de prestation des services dans diverses circonstances (Association du Barreau canadien, 1987; Cramsie, 1996: 25-26; Currie, 2000). Par exemple, il peut être avantageux de recourir à des avocats salariés pour offrir des services spécialisés relatifs à certains aspects du droit des pauvres, pour en faire des avocats de service et pour donner des conseils préliminaires, et de faire appel à des avocats du secteur privé rémunérés à l’acte pour fournir des services dans les régions éloignées n’étant pas assez peuplées pour justifier l’établissement de bureaux d’aide juridique (Currie, 2000).

1.5.1 Prestation de services d’aide juridique par des employés salariés

Le débat sur les coûts de l’aide juridique au Canada a été dominé par la controverse sur les avantages relatifs du modèle d’aide juridique (judicare), selon lequel des avocats du secteur privé sont payés pour des services rendus conformément à un tarif établi, d’une part, et, d’autre part, le modèle axé sur les employés salariés, suivant lequel les services sont fournis par des avocats salariés et des techniciens juridiques supervisés travaillant directement pour l’organisme d’aide juridique. Comme nous l’avons déjà mentionné, la majorité des données montrent que le modèle des employés salariés est généralement plus rentable.

Les données sur la rentabilité relative des deux modèles dans le domaine de l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés ne sont pas uniformes. L’Immigration and Refugee Law Clinic (IRLC), exploitée par la Legal Services Society de la Colombie-Britannique, est généralement perçue comme étant une entreprise rentable, mais sa rentabilité n’a fait l’objet d’aucune évaluation systématique (Macklin, 1997 : 1005; Social Policy and Research Council, 2002: 9). L’auteure Wong-Rieger (1996) a constaté que les avocats salariés du Refugee Law Office (RLO) à Toronto consacraient beaucoup plus de temps à chaque dossier que leurs collègues du secteur privé. Elle a établi que le coût moyen de chaque dossier traité par le RLO au cours des premières années de fonctionnement était d’environ 70 % plus élevé que celui des cas traités par des avocats du secteur privé. Cette conclusion semble corroborée par des données fournies par le Manitoba montrant qu’en 1998-1999, le coût moyen des dossiers traités par des avocats du secteur privé (591 $) était beaucoup moins grand que celui des dossiers traités par des avocats salariés (960 $)13. Dans le rapport final sur l’évaluation du RLO (Wong-Rieger, 1998; Wong-Rieger, 2000), Wong-Rieger a conclu que la différence entre le coût unitaire moyen du RLO et celui du secteur privé avait fortement diminué entre 1995-1996 et 1996-1997, mais que le coût du RLO était encore d’au moins 8 % plus élevé que celui du secteur privé. Dans un rapport complémentaire ultérieur sur la rentabilité du RLO, on a conclu que le coût unitaire plus élevé du RLO était dû au petit nombre de dossiers traités par l’organisme et au fait que les dossiers traités par lui étaient souvent plus complexes. En 1999-2000, année où la charge de travail du RLO a atteint à un niveau suffisant (280 cas), le coût moyen par dossier traité par le RLO était de 4 % moins élevé que celui des cas dont s’était chargé le secteur privé (MacDonald, 2001: 9).

Les comparaisons entre les coûts unitaires peuvent être trompeuses parce qu’elles ne tiennent pas entièrement compte des différences dans la complexité des affaires traitées par les avocats salariés et par les avocats du secteur privé. En outre, comme l’a souligné un représentant de l’IRLC à Vancouver, de telles comparaisons ne prennent pas en considération le temps que les avocats salariés mettent à fournir des services supplémentaires non prévus par le tarif (Social Policy and Research Council, 2002 : 9). Au bout du compte, il semble que le modèle fondé sur les avocats salariés est au moins aussi rentable que le modèle axé sur les avocats du secteur privé pour fournir des services d’aide juridique aux immigrants et aux revendicateurs du statut de réfugié, à condition qu’un nombre suffisant de cas soient confiés aux avocats salariés.

Un débat porte en outre sur la question de savoir quel modèle de prestation de services produit la meilleure qualité de représentation par avocat. Les données ne permettent pas de fournir une réponse définitive à la question. Il est extrêmement difficile de mesurer la qualité des services offerts par des avocats à des tiers clients, et les clients ne sont généralement pas en mesure de procéder eux-mêmes à une telle évaluation (McCamus, Brenner, et coll., 1997 : 129-130). Certaines études ont montré que les avocats salariés de l’aide juridique obtiennent des résultats équivalents, mais qu’ils consacrent moins de temps à chaque cas (Ministère de la Justice, Canada, 1995). Des critiques du modèle axé sur les avocats salariés en déduisent que ceux-ci sont moins résolus que leurs collègues du secteur privé à défendre les intérêts de leurs clients. Toutefois, le fait que les avocats salariés obtiennent des résultats équivalents ou supérieurs pour leurs clients porte à croire que cette critique n’est pas fondée.

M. Goriely (1997a: 2) fournit quelques éléments susceptibles d’expliquer pourquoi les avocats salariés consacrent moins de temps à chaque dossier. Ces avocats peuvent choisir des causes plus faciles, mais M. Goriely souligne que les faits n’appuient pas cette hypothèse. Les avocats salariés peuvent être davantage spécialisés. Les bureaux d’avocats salariés peuvent réaliser des économies d’échelle qui leur permettent de fournir de meilleurs services d’appoint. En outre, les avocats salariés ont tout intérêt à traiter leurs dossiers le plus rapidement possible, tandis que les avocats qui sont payés pour le temps passé sur chaque dossier ont avantage à maximiser le temps consacré à chacun.

Certaines de ces observations à propos des avocats salariés sont confirmées dans le contexte de l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés. Les services offerts par les avocats salariés de l’aide juridique dans des cliniques sur le droit des réfugiés sont généralement reconnus comme étant de haute qualité. Mme Wong-Rieger (1996, 1998) a constaté que les avocats du RLO consacrent plus de temps à chaque cas que leurs collègues du secteur privé. Cette constatation contredit la conclusion selon laquelle les avocats salariés de l’aide juridique en droit criminel ont tendance à consacrer moins de temps à chaque dossier que les avocats du secteur privé14. Selon elle, ce fait explique en partie la productivité plus faible des avocats du RLO par rapport à celle des avocats du secteur privé.

L’Immigration and Refugee Law Clinic (ILRC) de la Colombie-Britannique est aussi reconnue comme étant un organisme qui offre des services de haute qualité, mais elle n’a pas fait l’objet d’une évaluation de rentabilité semblable à celle qui a été faite par Mme Wong-Rieger en Ontario. L’ILRC et le RLO ont acquis une expertise considérable en droit des réfugiés et sur les conditions existant dans les pays d’où viennent les revendicateurs du statut de réfugié. Les avocats de ces cliniques sont également appuyés par des techniciens juridiques expérimentés qui jouent un important rôle de soutien auprès des avocats, tant au RLO qu’à l’IRLC. M. McCamus et ses collègues (1997: 210) soulignent que le RLO a délibérément recruté des avocats parmi les membres les plus respectés de secteur privé en matière d’immigration.

L’un des principaux éléments du débat sur la comparaison entre les avocats salariés et les avocats du secteur privé réside dans l’impression que la prestation de services juridiques par des employés limite le droit des clients de l’aide juridique à retenir les services de l’avocat de leur choix. On ne sait pas au juste si c’est là un facteur qui importe autant dans les affaires d’immigration et de réfugiés que dans d’autres domaines tels que le droit de la famille et le droit criminel. Les immigrants et les revendicateurs du statut de réfugié qui viennent d’arriver au Canada, surtout ces derniers, ne sont pas vraiment en mesure de choisir entre plusieurs avocats. La plupart d’entre eux se fient aux références d’amis ou de connaissances, ou d’interprètes qu’ils rencontrent peu de temps après leur arrivée au Canada (Macklin, 1997 : 1000, citant Mme Wong-Rieger, 1996). D’autres se fient à des références obtenues d’organismes de services communautaires. Très peu d’entre eux ont une idée de la personne qu’ils voudraient choisir pour les représenter quand ils présenteront leur revendication de statut de réfugié. D’autre part, étant donné les expériences qu’ils ont vécues, bon nombre de revendicateurs du statut de réfugié font très peu confiance aux étrangers, surtout à ceux qui ont des pouvoirs. Par conséquent, la capacité pour un revendicateur de choisir un représentant peut être importante pour établir une relation de confiance entre lui et celui ou celle qui le représentera15. Le fait qu’un représentant en particulier soit recommandé par un parent ou une connaissance de confiance peut être essentiel à l’établissement d’une relation de confiance entre le représentant et les clients immigrants ou réfugiés quand ils arrivent au Canada (Frecker, Duquette, et coll., 2002).

Des avocats ont établi des liens étroits avec certains groupes ethniques, et les immigrants qui arrivent dans ces collectivités sont souvent référés à eux16. Mais rien ne garantit que ces avocats soient les plus compétents pour représenter les personnes concernées. En fait, le Barreau et les ONG s’inquiètent de la qualité des services offerts par certains avocats spécialisés en immigration (Macklin, 1997 : 992; Legistec, 2002); c’est là une préoccupation que partage la CISR (Frecker, Duquette, et coll., 2002)17. On s’inquiète encore plus de la piètre qualité de la représentation offerte par certains conseillers en immigration non qualifiés qui sont libres de vendre leurs services sans être assujettis à quelque règlement que ce soit (Frecker, Duquette, et coll., 2002).

Les programmes offerts par des employés salariés permettent aux organismes d’aide juridique de mieux contenir les coûts. Dans une certaine mesure, les gestionnaires peuvent réagir aux augmentations de la charge de travail en exigeant une productivité plus élevée des avocats salariés. Toutefois, cette solution présente des limites au-delà desquelles la qualité du travail risque d’être compromise de façon inacceptable et le moral des employés, de s’effondrer.

Les bureaux d’aide juridique peuvent également faire effectuer une partie du travail par des techniciens juridiques supervisés, qui sont rémunérés à des taux inférieurs à ceux des avocats. Le RLO, l’ILRC et les cliniques d’aide juridique de quartier qui existent en Ontario ont tous eu recours à des techniciens juridiques supervisés (auxiliaires juridiques communautaires) pour fournir des services connexes, y compris interroger les clients dans leur propre langue et fournir des services de traduction de base dans de nombreuses langues étrangères. Les auxiliaires juridiques communautaires employés par les bureaux d’aide juridique aident également les clients à préparer leur audience concernant leur statut de réfugié et, notamment, à remplir leur formulaire de renseignements personnels (FRP), et ils représentent à l’occasion les revendicateurs aux audiences. En outre, ils aident les clients à régler diverses questions (par exemple, se trouver un logement et obtenir les prestations d’aide sociale) qui ne sont pas directement liées à leur revendication du statut de réfugié.

Les principaux risques relevés à l’égard des programmes d’aide juridique offerts par des employés salariés sont donc les suivants : le client n’est pas libre de choisir son avocat; la faible productivité due à l’absence d’incitatifs économiques les poussant à faire du travail supplémentaire; le fait que la qualité sera compromise si les gestionnaires augmentent la charge de travail des avocats salariés au-delà des limites raisonnables afin de contenir les coûts. On se préoccupe aussi des frais généraux administratifs qui ont tendance à augmenter dans les bureaux d’employés à l’abri des forces du marché; par ailleurs, les programmes d’aide juridique deviennent plus vulnérables aux arrêts de travail si les employés détiennent le monopole de la prestation des services.

1.5.2 Prestation de services d’aide juridique par des avocats du secteur privé

Dans cinq des six provinces où les immigrants et les réfugiés ont accès à l’aide juridique, les services sont offerts sous diverses formes18. Chaque client admissible à l’aide juridique reçoit un certificat émis par l’organisme d’aide juridique. Ce certificat permet au client de retenir les services d’un avocat du secteur privé. L’organisme d’aide juridique paie ensuite l’avocat pour les services rendus selon un tarif établi.

Il existe trois principales façons de payer les services offerts par des avocats du secteur privé pour les organismes d’aide juridique canadiens. Ce sont les suivantes :

  1. la rémunération à l’acte, selon un taux horaire;
  2. un taux fixe payé pour des services particuliers;
  3. l’appel d’offres pour les services demandés à l’égard d’un bloc de dossiers.

Une quatrième variante, soit la délivrance d’un permis ou d’une franchise à des avocats ou à des cabinets d’avocats dans certains secteurs du marché, ce qui leur donne le droit exclusif de représenter des clients de l’aide juridique dans ce marché à des conditions établies dans l’entente de franchisage, est utilisée en Angleterre et au pays de Galles, mais n’a pas encore été adoptée par les organismes d’aide juridique du Canada.

Les différentes tarifications produisent différents incitatifs économiques pour les avocats qui fournissent des services d’aide juridique. À supposer que les avocats soient des agents économiques rationnels, ils tenteront naturellement de maximiser le revenu qu’ils tirent des services qu’ils fournissent. Les efforts consacrés aux dossiers d’aide juridique varieront dans la mesure où les avocats ont des clients privés capables de payer. Ceux qui ne disposent d’aucune autre source de revenu vont essayer de maximiser les factures adressées à l’aide juridique, tandis que ceux qui ont un autre travail mieux rémunéré vont plutôt limiter le temps qu’ils réservent à leurs clients de l’aide juridique (Bevan, 1996; Stewart, 1997). Dans la partie 1.5.3 ci-dessous, nous examinons plus en détail comment les incitatifs économiques offerts aux avocats influent sur les coûts de l’aide juridique.

1.5.2.1 Rémunération à l’acte – Taux horaires et taux fixes

Le modèle le plus répandu d’aide juridique consiste à rémunérer des avocats du secteur privé pour des services fournis aux clients de l’aide juridique à des taux fixés dans un tarif établi. Les tarifs peuvent préciser les taux horaires qui seront payés et imposer des limites quant au nombre d’heures autorisées pour certains services (p. ex., pour la préparation d’une instance, la rédaction de demandes, ou la présence en cour pour des requêtes non contestées). Ils peuvent aussi prescrire des taux fixes pour certains services au lieu de restreindre le nombre d’heures permises. Les tarifs de l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta sont principalement basés sur des taux horaires et limitent le nombre d’heures à consacrer à certains services. Les tarifs du Manitoba et du Québec sont fondés sur des taux fixes pour divers services, les montants accordés au Québec étant beaucoup moins élevés que ceux des autres provinces. L’Ontario et la Colombie-Britannique paient le taux horaire prescrit pour le temps réellement consacré à la plupart des audiences, mais limitent le nombre d’heures autorisées pour le travail préparatoire. Le tarif de l’Alberta prescrit des limites de temps pour différents types de cas. Ces limites couvrent le temps total que l’avocat passe à préparer l’audience et à y assister.

Les économistes sont d’avis que les avocats travaillant à un taux horaire établi, sans que le nombre d’heures consacrées à une affaire soit limité, auront tendance à maximiser ce nombre à moins qu’ils aient des sources de revenus plus rémunératrices. Si le nombre d’heures pouvant être facturées à l’égard d’une tâche donnée est limité, on suppose que les avocats auront tendance à travailler jusqu’à ce qu’ils atteignent la limite et qu’ils établiront leur facture en conséquence. Lorsque les services sont rémunérés à partir d’un taux fixe, les avocats ont tendance à maximiser leurs revenus en augmentant le nombre d’occasions où ils exécutent les tâches les plus payantes et en réduisant au minimum le temps qu’ils passent à exécuter chaque tâche (Stewart, 1997 : 598). Ces incitatifs économiques exposent davantage les systèmes d’aide juridique fondés sur la rémunération à l’acte à ce que les économistes appellent la « demande due au fournisseur », c’est-à-dire la prestation de services amorcés par le fournisseur, au-delà de ce que la personne qui paie les services avait l’intention d’acheter. Cette question est abordée plus en détails dans la partie 1.5.3 ci-dessous.

1.5.2.2 Blocs de contrats

Au lieu de payer des avocats du secteur privé pour chaque cas qu’ils traitent selon un tarif établi, certains organismes d’aide juridique ont demandé à des cabinets d’avocats de présenter une offre concurrentielle à l’égard de blocs de cas, ou ils ont conclu des marchés avec des cabinets pour qu’ils se chargent d’un certain nombre de cas du même genre à un coût total préétabli. Ce type d’entente a pour effet de transférer le risque de dépassement des coûts aux cabinets d’avocats qui ont accepté de faire le travail. En étalant le risque sur un bloc de cas, les cabinets arrivent à compenser les pertes risquant de survenir dans les cas difficiles par les gains tirés de cas plus faciles.

À condition qu’il y ait une concurrence raisonnable entre les avocats qui désirent faire ce genre de travail, les blocs de contrats permettent aux organismes d’aide juridique d’obtenir des services juridiques à un prix raisonnable. Toutefois, dans le processus d’appel d’offres, il est possible que certains cabinets présentent d’abord une offre très basse pour obtenir les cas d’aide juridique et décourager la concurrence. Si d’autres cabinets constatent que le revenu qu’ils peuvent tirer des blocs de contrats est moins élevé que celui qu’ils peuvent gagner avec des clients réguliers en mesure de payer, ils ne présenteront plus d’offres pour obtenir des dossiers de l’aide juridique. La concurrence étant ainsi réduite, les organismes d’aide juridique risquent de devenir plus vulnérables à la surfacturation des services par quelques cabinets qui continuent de vouloir obtenir des contrats en bloc (Goriely, 1997 : 203, citant Houlden et Balkin, 1985, et Spangenberg, 1990). De plus, si la concurrence fait chuter les prix trop bas, la qualité des services en souffrira sans doute (Goriely, 1997 : 202-204).

Le Manitoba a su recourir aux contrats en bloc pour amener les avocats à fournir des services juridiques dans les collectivités où il n’y avait pas assez d’avocats prêts à représenter des clients de l’aide juridique. La Société d’aide juridique du Manitoba a par ailleurs utilisé les contrats en bloc afin de traiter des affaires relatives au droit de la famille et à la Loi sur les jeunes contrevenants. Selon le directeur administratif de la Société d’aide juridique du Manitoba, le recours aux contrats en bloc au Manitoba a donné de bons résultats. Non seulement cette méthode a permis d’améliorer la prestation des services, mais elle a aussi entraîné une réduction des coûts (Fineblit, 1997 : 78-80). M. Fineblit laisse entendre que des avocats peuvent être prêts à travailler sur des contrats en bloc à bas prix en raison des avantages à long terme que ce genre de travail offre quant à l’établissement d’une clientèle. Le désir de fidéliser leur clientèle incite les avocats à fournir des services de qualité supérieure.

D’autres auteurs qui se sont penchés sur les contrats en bloc ont souligné le besoin d’investir beaucoup dans le contrôle de la qualité afin d’empêcher l’érosion de la qualité des services quand les avocats font des offres à la baisse afin d’obtenir des clients au moyen des contrats en bloc (Stewart, 1997 : 603; Goriely, 1997 : 205). Les ouvrages existants sur les contrats en bloc ne montrent pas clairement si ce mode de paiement permet de réaliser des économies dignes de mention, une fois soustraits les frais généraux d’une surveillance suffisante visant à garantir que la qualité des services n’en souffre pas.

Au Canada, on a eu très peu recours aux contrats en bloc pour obtenir des services d’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés. Au cours de l’été 1999, quatre bateaux chargés de migrants illégaux ont été appréhendés au large des côtes de la Colombie-Britannique. Environ 600 personnes ont alors revendiqué le statut de réfugié. Les responsables des services d’immigration fédéraux ont décidé de détenir la majorité d’entre elles en attendant la détermination de leurs revendications parce qu’ils avaient des motifs de croire que bon nombre de ces personnes ne se présenteraient pas à l’audience concernant leur statut de réfugié ou pour être déportées du Canada en cas de rejet de leur revendication. La plupart des revendicateurs ont été détenus dans des établissements situés loin de Vancouver, dans des localités où il n’y avait aucun avocat expérimenté en matière d’immigration pour les représenter. Dans ces circonstances exceptionnelles, la Legal Services Society de la Colombie-Britannique a invité des avocats de toutes les parties de la province à offrir un montant fixe pour traiter des blocs de cas.

Un grand nombre d’avocats spécialisés en immigration en Colombie-Britannique ont publiquement critiqué le processus de soumission visant des blocs de cas, en faisant valoir que les contrats avaient été accordés à des avocats qui avaient présenté des offres ridiculement basses et qui avaient par la suite fourni une représentation de qualité médiocre puisqu’ils ne pouvaient se permettre de consacrer à chaque cas tout le temps nécessaire. À la suite de pressions exercées par ces avocats, le processus d’appel d’offres en bloc n’a plus été utilisé par la Legal Services Society de la Colombie-Britannique. Les circonstances entourant les affaires de réfugiés venus par bateau en 1999 étaient exceptionnelles. D’abord, les revendications se résumaient toutes à un nombre limité de scénarios de présumée persécution19. Les divers revendicateurs ont raconté des histoires très semblables, ce qui a rendu possible l’utilisation des mêmes documents de recherche dans la préparation d’un grand nombre de revendications similaires. Deuxièmement, pour un avocat qui devait se rendre dans des centres de détention éloignés afin d’assister aux audiences, il était plus économique de répartir les frais de déplacement entre un grand nombre de cas. Troisièmement, afin de traiter rapidement ces affaires, la CISR a affecté des ressources spéciales au projet et a, pour éviter les ajournements, organisé les audiences pour qu’elles soient entendues l’une à la suite de l’autre. La formule des blocs de contrats étaient toute indiquée pour ce genre de situation puisqu’un même avocat pouvait représenter les différents revendicateurs. Cette combinaison unique de facteurs favorisant les contrats en bloc ne s’est pas répétée.

Le recours aux contrats en bloc pour les affaires des arrivants par bateau a eu des résultats mixtes. Du point de vue de la CISR, la mise au rôle des audiences a été beaucoup plus efficace. Le personnel fixait des audiences pour un nombre limité d’avocats qui se rendaient dans les établissements de détention pour des périodes prolongées afin de traiter leur bloc de dossiers. En outre, une nouvelle audience pouvait commencer dès que la précédente était terminée, ou être avancée avec peu de préavis si une autre audience devait être ajournée (Richard Jackson, communication personnelle, 21 mars 2002). Nous ne disposons pas de données sur le coût par dossier des affaires traitées dans le cadre d’un contrat en bloc. Comme ces affaires ont entraîné des frais de déplacement inhabituels vers les établissements de détention, il serait de toute manière difficile d’en comparer les coûts avec d’autres affaires ayant concerné des immigrants et des réfugiés20.

Les contrats en bloc visant des affaires relatives à des immigrants et à des réfugiés semblent favoriser l’efficacité dans la gestion des dossiers. Étant donné que les contrats en bloc permettent aux avocats de se concentrer sur des affaires semblables et de réaliser ainsi de plus grandes économies en préparant les cas, ils peuvent aussi contribuer à réduire le coût total des services de représentation. Toutefois, il ne faut pas oublier le risque d’érosion de la qualité des services et le fait que les clients ont un choix limité en ce qui concerne l’avocat qui les représentera.

1.5.2.3 Le franchisage

Une autre variante du modèle d’aide juridique offerte par des avocats du secteur privé est celle suivant laquelle les organismes d’aide juridique accordent un permis ou une franchise à un nombre limité d’avocats ou de cabinets pour qu’ils se chargent de tous les cas d’aide juridique dans un marché précis. Pour pouvoir obtenir ce genre de travail, les avocats ou les cabinets doivent satisfaire à des normes de service et d’assurance de la qualité établies par l’organisme d’aide juridique. Les taux payés pour les services peuvent faire l’objet d’un tarif ou d’un appel d’offres, mais seuls les avocats et les cabinets qui détiennent un permis de l’organisme d’aide juridique sont autorisés à travailler sur les dossiers d’aide juridique21.

Dans des marchés où les services d’aide juridique constituent une proportion importante de la facture totale, il peut être très avantageux de recourir à des avocats et à des cabinets franchisés. L’organisme d’aide juridique peut utiliser ce type d’entente afin de limiter le nombre d’avocats qui offrent des services d’aide juridique dans un secteur, ce qui assure un revenu raisonnable garanti aux avocats tout en établissant la concurrence nécessaire pour maintenir le coût des services juridiques à un niveau acceptable. L’organisme d’aide juridique a le pouvoir de limiter le nombre d’avocats approuvés pour offrir des services d’aide juridique et de retirer une franchise si le travail n’est pas exécuté selon une norme acceptable. L’organisme d’aide juridique est donc davantage en mesure d’assurer la qualité que dans un système ouvert d’aide juridique dans lequel tout avocat qui le désire peut accepter du travail de clients de l’aide juridique. Les organismes d’aide juridique d’Angleterre et du pays de Galles ont grandement recours à cette formule (Legal Aid Board, 2000 : 35-37; Smith, 1997 : 171-175).

Les programmes de franchisage de l’Angleterre et du pays de Galles semblent être davantage axés sur l’assurance de la qualité que sur la limitation du nombre de fournisseurs autorisés par franchise à fournir des services juridiques. Le franchisage a d’abord eu pour objet de fournir des conseils juridiques, mais il a par la suite été étendu à la prestation de services de représentation (Smith, 1997 : 171). Des cabinets d’avocats et des organismes sans but lucratif, comme les cliniques juridiques communautaires, peuvent faire une demande de franchise dans des domaines précis. Ils doivent satisfaire à des normes établies dans la Legal Aid Franchise Quality Assurance Standard (Legal Aid Board, 2000 : 37). Cette norme porte principalement sur la gestion et la structure globales du cabinet ou de l’organisme qui désire obtenir une franchise (supervision, gestion des dossiers, formation, systèmes d’enregistrement, etc.). Les cabinets ou les organismes ayant demandé une franchise ou l’ayant obtenue peuvent faire l’objet de vérifications quant à la qualité du travail présenté au Legal Aid Board (demandes d’aide juridique, factures, etc.) et à celle du travail fait pour les clients.

Les prétendus avantages des ententes de franchisage ne se concrétiseront que si l’organisme d’aide juridique déploie les efforts nécessaires pour contrôler le travail exécuté et vérifier si les normes de service et de qualité établies sont observées. Le contrôle en question constitue un fardeau administratif considérable pour les organismes d’aide juridique. Il est également essentiel que les critères d’évaluation du rendement et de la capacité puissent être mesurés convenablement.

L’intégration du franchisage perçu comme mécanisme d’assurance de la qualité et comme moyen de limiter le nombre de fournisseurs approuvés sur le marché résulte d’une fusion entre le concept fondamental du franchisage, d’une part, et, d’autre part, des variantes du modèle de contrats en bloc. La réussite de ce modèle hybride dépend également de l’existence d’un niveau de concurrence raisonnable entre avocats pour que l’organisme d’aide juridique puisse choisir les avocats et les cabinets auxquels il accordera un permis et pour que les avocats et les cabinets franchisés tirent un certain avantage économique de l’entente.

Le franchisage n’a pas encore été utilisé au Canada comme mode de prestation de services d’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés. Les ententes de franchisage mettent l’accent sur une assurance continue de la qualité, ce qui les distingue des autres modes de financement de l’aide juridique assurée par des avocats du secteur privé, modes selon lesquels les organismes d’aide juridique jouent un rôle généralement plus passif en laissant à l’organisme régissant la profession d’avocat le soin d’appliquer les normes de qualité.

Une certaine forme de franchisage peut être particulièrement bien adaptée à la prestation de services d’aide juridique aux immigrants et aux revendicateurs du statut de réfugié au Canada. La plupart des avocats du secteur privé qui travaillent dans le domaine du droit des réfugiés exercent seuls ou font partie de petits cabinets. Bon nombre d’entre eux sont relativement spécialisés, parfois dans le droit criminel, le droit de la famille et d’autres secteurs du droit administratif, mais ils mettent énormément l’accent sur le droit de l’immigration. Cette branche du droit est plutôt marginalisée dans la profession juridique, car les divers barreaux sont peu enclins à traiter les plaintes au sujet du travail d’avocats dans des affaires relevant de la CISR. Un grand nombre d’avocats compétents pratiquent dans ce domaine, mais il en existe aussi dont la qualité du travail est inférieure à la norme22 . Une forme de franchisage qui serait conçue pour avantager ceux qui fournissent des services de représentation de qualité supérieure permettrait sans doute de remédier à ces problèmes.

En Australie, où l’on lance des appels d’offres pour obtenir des avocats de service en droit criminel dans le cadre d’une entente semblable aux ententes de franchisage utilisées en Grande-Bretagne, le contexte a entraîné la formation de consortiums de petits cabinets et d’avocats exerçant seuls qui se partagent le travail et se renvoient des dossiers. Cette pratique a entraîné une amélioration des conseils offerts par les avocats de service puisque les consortiums ont pris sur eux de s’assurer que les services sont offerts selon les normes préétablies [Legal Aid Office (Queensland)].

À l’heure actuelle, on a très peu recours aux avocats de service dans les affaires concernant les immigrants et les revendicateurs du statut de réfugié au Canada. La Legal Services Society de la Colombie-Britannique offre des fonds pour les avocats de service qui traitent des dossiers de détention, et la RLO pourrait étendre la gamme de ses services de manière à payer les avocats de service qui s’occuperaient des cas de détention à Toronto. De plus, certains ONG fournissent des conseils et une aide aux détenus, mais il n’existe aucun autre service établi assuré par des avocats de service. Des consortiums dans le domaine de l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés pourraient être utilisés pour améliorer la prestation des services aux personnes détenues par les autorités de l’immigration et pour aider les immigrants et les revendicateurs du statut de réfugié lorsqu’ils demandent pour la première fois des conseils sur la façon de procéder.

De tels consortiums peuvent également permettre à des groupes d’avocats de partager des services communs, comme ceux de techniciens juridiques formés pour répondre aux besoins particuliers des clients immigrants ou réfugiés; individuellement, les avocats risquent de ne pouvoir se permettre de tels services.

Comme on a peu fait l’expérience des franchises ou des permis restrictifs dans le contexte de l’aide juridique, il est difficile d’en évaluer les répercussions sur les coûts de l’aide juridique. Il est permis de croire que les avocats franchisés à titre de fournisseurs exclusifs de services d’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés chercheront à maximiser le rendement de la franchise. Tout dépendant des ententes aux termes desquelles ils seraient payés, on pourrait s’attendre à ce qu’ils maximisent les heures facturées dans un dossier ou le nombre de tâches exécutées pour un honoraire fixe. Afin de maintenir un niveau de concurrence approprié pour réduire les pressions sur les prix, les organismes d’aide juridique devraient s’assurer que le nombre d’avocats franchisés est rajusté périodiquement en fonction de la fluctuation du nombre total de cas.

1.5.3 Le problème du coût de délégation

En économie, lorsqu’une personne (le « mandant ») s’en remet à quelqu’un d’autre (le « mandataire ») pour fournir un service, il est possible que le mandataire fournisse moins de services que ce à quoi le mandant s’attend pour un prix donné, ou qu’il exige plus que ce que le mandant avait l’intention de payer pour le service fourni. Les économistes utilisent l’expression « coût de délégation » pour décrire cette différence entre la valeur du service aux yeux du mandant et le montant payé au mandataire. Le problème vient du fait que le mandant et le mandataire ne partagent pas les mêmes renseignements ou les mêmes objectifs concernant les attentes du premier. (Bevan, 1996 : 101, citant Milgrom et Roberts, 1992). Cela étant dit, le mandataire profitera de la différence entre les renseignements accessibles pour atteindre des objectifs auxquels le mandant ne souscrit pas.

Ce problème a été examiné en profondeur dans les ouvrages économiques portant sur la prestation de services médicaux; les patients se fient alors aux médecins pour décider du niveau de traitement approprié. L’hypothèse est qu’en plus de vouloir assurer de bons soins médicaux, les médecins sont aussi portés à maximiser leurs propres revenus. Les patients s’en remettent presque entièrement aux médecins pour décider du traitement le plus indiqué; or, les médecins disposent d’une grande latitude pour choisir le traitement en question dans les divers cas. Dans ces circonstances, un risque existe, du moins en théorie : les médecins, lorsqu’ils doivent choisir parmi deux options relativement équivalentes, favoriseront celle qui maximisera leur revenu et non celle qui minimisera le coût pour le patient. Les économistes appellent ce phénomène « demande due au fournisseur », laquelle est une forme de coût de délégation.

Le principal problème que pose la demande due au fournisseur dans le cas des services professionnels réside dans le fait que c’est le fournisseur qui rend les services nécessaires et non le client qui en décide. Puisqu’il est avantagé en raison de l’information qu’il détient, le conseiller professionnel est en mesure d’influer sur le type et la quantité de services que le client aimerait recevoir (Stewart, 1997 : 593). Le problème s’aggrave lorsque les services fournis par le mandataire sont payés par un tiers qui n’est pas sur les lieux. Dans ces conditions, le consommateur des services ne s’intéresse pas au coût de ces derniers (p. ex., lorsqu’une compagnie d’assurance paie des réparations de voiture). Les économistes décrivent cette situation comme étant un « risque moral » inhérent aux transactions assurées (Bevan, 1996 : 102, citant Milgrom et Roberts, 1992).

Bevan (1996) et Stewart (1997) ont examiné la mesure dans laquelle les programmes d’aide juridique peuvent être touchés par les formes de coûts de délégation décrites ci-dessus. Dans le contexte de l’aide juridique, il existe une relation triangulaire complexe entre le client de l’aide juridique, l’organisme d’aide juridique et l’avocat qui offre les services. Le client, en tant que consommateur de services pour lesquels il ne paie pas, est porté à rechercher les meilleurs services possible sans tenir compte du coût. L’organisme d’aide juridique, qui paie les services, a tendance à vouloir contenir les coûts afin de pouvoir offrir des services à un plus grand nombre de clients. L’avocat a l’obligation professionnelle d’offrir la représentation de la plus haute qualité possible avec le budget que l’organisme d’aide juridique est prêt à lui accorder. De plus, l’avocat tend à maximiser le revenu qu’il tire de la transaction.

Étant donné la nature confidentielle de la relation entre l’avocat et son client, l’organisme d’aide juridique peut difficilement savoir si les services fournis par l’avocat sont les plus rentables à utiliser pour traiter l’affaire. Le choix de la meilleure manière de présenter la position du client est rarement évident. Le client compte beaucoup sur l’avocat pour décider des services requis. Pour toutes sortes de raisons, les intérêts de l’avocat et ceux du client convergent vers la maximisation des dépenses au nom du client. Or, cela est diamétralement opposé à l’objectif de l’organisme d’aide juridique, qui cherche à contenir les coûts de la représentation.

Selon M. Bevan (1996: 100), le problème inhérent au fait que le financement public des services professionnels risque de créer une demande due au fournisseur est au cœur de l’analyse économique sur la prestation des services juridiques et médicaux. Bien qu’il soit facile de décrire cette situation en termes théoriques, elle est extrêmement difficile à mesurer. La documentation est abondante sur le sujet, mais le débat se poursuit quant à savoir dans quelle mesure la demande due au fournisseur contribue à faire augmenter les coûts des soins de santé.

M. Bevan émet l’hypothèse que les avocats cherchent à gérer leur travail en fonction du revenu qu’ils veulent obtenir. Selon cette hypothèse, le revenu cible sera probablement équivalent ou supérieur à leur revenu antérieur mesuré en « termes réels ». Bevan a conclu que cette hypothèse était largement, mais pas complètement, confirmée par son analyse des changements dans les proportions d’honoraires d’avocats tirés de l’aide juridique en Angleterre et au pays de Galles entre 1990-1991 et 1993-1994.

Stewart a relevé deux autres facteurs qui sont pertinents aux fins de l’analyse des coûts de délégation dans le contexte de l’aide juridique. D’abord, les tarifs d’aide juridique affaiblissent les forces du marché qui feraient normalement descendre le coût des services lorsque l’offre est excédentaire (Stewart, 1997 : 592). Le prix fixé par le tarif ne diminue pas quand la concurrence augmente. Deuxièmement, il est intrinsèquement difficile de vérifier la qualité du travail juridique, surtout lorsque l’organisme d’aide juridique qui paie la note est éloigné des transactions entre l’avocat et son client. Par conséquent, le risque existe que les avocats fournissent des services d’une qualité inférieure à celle que l’organisme espère recevoir pour son argent (Stewart, 1997 : 592-593).

Stewart souligne que le modèle de services d’aide juridique offerts par des avocats du secteur privé risque de deux manière de subir les conséquences de la demande due au fournisseur. Lorsque les avocats sont trop nombreux par rapport à la demande provenant de clients du secteur privé, ils ont tendance à encourager les clients à faire une demande d’aide juridique. Ils sont aussi plus portés à encourager l’organisme d’aide juridique à financer toutes les étapes judiciaires recommandées pour des motifs d’ordre juridique (Stewart, 1997 : 598). Le problème est pire lorsque les avocats sont rémunérés à l’heure. Si l’on suppose que les avocats sont des acteurs économiques rationnels, ils seront moins incités à faire un plus grand nombre d’heures s’ils touchent un montant forfaitaire pour un certain nombre de tâches ou de cas.

Dans les régimes dont le tarif limite le nombre d’heures maximal que les avocats peuvent consacrer à chaque type de dossier ou à ses parties constituantes, les avocats peuvent être portés à travailler faire le maximum d’heures prévu, mais rien de plus. Si l’on s’attend à ce que les avocats travaillent au-delà de ce seuil sans être rémunérés, la qualité des services risque de faire problème (Stewart, 1997 : 599).

Ce mouvement vers la demande due au fournisseur et la détérioration de la qualité des services peuvent être inhérents aux structures d’incitation qui existent dans la relation triangulaire complexe liant l’organisme d’aide juridique, l’avocat et les clients de l’aide juridique. Si les organismes d’aide juridique n’exercent aucun contrôle efficace sur la qualité des services, le professionnalisme des avocats et leur engagement moral à fournir des services juridiques de qualité supérieure constituent les seules garanties contre ce risque.

Sur le plan pratique, la plupart de régimes d’aide juridique reposent sur des modèles mixtes de prestation des services. Les organismes d’aide juridique font des expériences avec toutes les formules décrites ci-dessus. Disons simplement, aux fins de la présente étude, que l’équilibre relatif entre les différents modes de prestation des services (surtout entre le modèle axé sur des employés salariés, d’une part, et les différentes variantes du régime d’aide juridique axé sur des avocats du secteur privé, d’autre part) donne lieu à une variété d’incitatifs économiques qui mènent les avocats à adopter des comportements qui influent sur les coûts des programmes d’aide juridique.

Tous les incitatifs économiques examinés ci-dessus ont une incidence sur les coûts de l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés de la même manière que dans les autres domaines de l’aide juridique.

1.6 Coût des services juridiques sur le marché

L’aide juridique est offerte dans le contexte d’un marché établi des services juridiques. Les taux facturés par les avocats varient selon leur expérience et leur réputation et aussi selon le genre de travail exécuté et la valeur du travail aux yeux des clients. Habituellement, les avocats qui effectuent des transactions commerciales d’une valeur élevée pour d’importantes entreprises clientes peuvent exiger un taux beaucoup plus élevé que ceux qui travaillent avec des particuliers ayant des revenus moyens. Les avocats plaidants fondent ordinairement leur facturation sur le temps consacré à une affaire et sur la valeur du résultat pour le client, surtout lorsqu’ils obtiennent gain de cause et que le client touche un important montant d’argent aux termes du litige.

Par définition, la clientèle des services d’aide juridique est celle qui est la moins en mesure de payer des honoraires d’avocat très élevés. Les clients ayant des moyens modestes constituent le groupe qui se prête le mieux à la comparaison à faire pour cerner ce qui pourrait être considéré comme le taux du marché pour les services que les avocats fournissent aux clients de l’aide juridique. On estime que les avocats du secteur privé demandent actuellement entre 100 $ et 165 $ l’heure aux clients ayant des moyens modestes (Aide juridique Ontario, 2001c: 21). Il s’agit d’un taux beaucoup plus élevé que les taux prévus dans les tarifs d’aide juridique au Canada. Il faut s’attendre à ce que ce taux du marché ait une incidence sur les coûts de l’aide juridique en influant sur le prix auquel les avocats sont prêts à accepter des dossiers de l’aide juridique et sur le nombre d’avocats qui acceptent ce genre de travail.

Les avocats qui travaillent pour des clients de l’aide juridique ont aussi le choix de travailler pour des clients privés et de facturer leurs services aux taux courants du marché23. Les avocats salariés d’une clinique d’aide juridique ont le choix de quitter leur poste pour aller dans le secteur privé s’ils ne sont pas satisfaits du salaire qu’ils touchent. Les avocats du secteur privé peuvent refuser de servir des clients de l’aide juridique si, à leur avis, la rémunération n’est pas comparable à ce qu’ils peuvent gagner auprès de clients privés. Par conséquent, les taux courants du marché servent de point de repère pour établir les coûts des services juridiques24.

Dans une analyse de cas faite en 2001 pour appuyer une recommandation d’augmentation du tarif, Aide juridique Ontario a souligné qu’il devenait de plus en plus difficile de trouver des avocats prêts à représenter des clients de l’aide juridique à des taux qui n’avaient pas changé depuis 1987. Cette réticence est observée non seulement chez les avocats expérimentés, qui peuvent compter sur une clientèle établie prête à payer plus que ce que prévoit le tarif de l’aide juridique, mais aussi chez des avocats nouvellement admis au barreau, qui exigent normalement les taux les moins élevés du marché (Aide juridique Ontario, 2001c : 19).

Trois facteurs servent à maintenir les taux payés pour les services d’aide juridique sous les taux courants du secteur privé. D’abord, les avocats de l’aide juridique sont plus certains d’être payés pour les services rendus que les avocats qui traitent avec des clients privés non munis d’un certificat de l’aide juridique. Les avocats du secteur privé n’ont pas à engager de frais pour percevoir ce que leur doivent les organismes d’aide juridique, ni à essuyer des pertes dues à de mauvaises créances. Les avocats salariés de l’aide juridique n’ont tout simplement pas à se préoccuper des comptes débiteurs. Il est généralement convenu que ce facteur justifie à lui seul un taux horaire pour les services d’aide juridique qui est d’environ 15 % inférieur aux taux courants du marché (Aide juridique Ontario, 2001c : 21).

Deuxièmement, les avocats ont l’obligation professionnelle de veiller à ce que les personnes les moins fortunées de notre société aient accès à des services juridiques. Un grand nombre d’avocats, pour ne pas dire la plupart d’entre eux, qui acceptent des cas d’aide juridique le font en partie par altruisme. Ils sont prêts à travailler pour des clients de l’aide juridique à un taux beaucoup moins élevé que celui qu’ils factureraient à leurs clients qui peuvent payer le taux en vigueur. Cela est particulièrement vrai dans le cas des avocats qui travaillent dans les domaines du droit des pauvres, des droits de la personne et du droit des réfugiés. Bon nombre de ces avocats ont un profond engagement idéologique qui les pousse à servir les personnes fortement défavorisées de la collectivité. Ils acceptent donc consciemment un revenu sensiblement moins élevé que leurs collègues travaillant dans d’autres domaines du droit.

Enfin, de nombreux avocats du secteur privé, surtout les nouveaux avocats qui travaillent seuls ou dans de petits cabinets, ont de la difficulté à trouver un travail rémunérateur. Pour eux, le travail provenant de l’aide juridique leur fournit un revenu qu’ils ne peuvent obtenir auprès de clients privés. Le montant qu’ils acceptent pour ce genre de travail est moins élevé que le taux courant du marché.

À supposer que tous les intervenants du système sont des acteurs économiques « rationnels », dans le sens où les économistes considèrent la maximisation de la richesse personnelle comme étant un comportement économique rationnel, il serait possible d’établir un lien direct entre les taux des services juridiques comparables pratiqués sur le marché et les coûts du programme d’aide juridique. Les avocats du secteur privé n’accepteraient des dossiers de l’aide juridique que si cela était au moins aussi rémunérateur que le travail du secteur privé. En supposant qu’il existe une pleine mobilité entre le secteur privé et les postes salariés de l’aide juridique, les avocats salariés ne resteraient dans leurs postes que si leur salaire demeurait concurrentiel par rapport à ce qu’ils pourraient gagner dans le secteur privé.

Dans la réalité, l’engagement idéologique pris en faveur de l’aide juridique, l’offre excédentaire d’avocats dans le secteur privé et l’immobilité professionnelle due à l’inertie naturelle et à la peur de l’inconnu compliquent les calculs économiques purement rationnels. Par conséquent, il est difficile d’évaluer avec précision l’incidence qu’ont sur les coûts de l’aide juridique les taux des services juridiques pratiqués sur le marché. L’importance et la portée de cette incidence sont déterminées par divers facteurs, comme la disponibilité d’autres formes de travail rémunérateur, la valeur qu’accordent les avocats à la sécurité du revenu et la protection contre l’insécurité et les pressions commerciales qui caractérisent le secteur privé. L’incidence des taux du marché sur les coûts dépend aussi de ce qui limite la mobilité entre le secteur privé et les postes salariés de l’aide juridique et des facteurs non économiques qui incitent les avocats à accepter des dossiers de l’aide juridique.

Les augmentations des tarifs juridiques entraînent naturellement une augmentation des dépenses des programmes d’aide juridique25. Cette dernière est due en partie au coût supplémentaire direct occasionné par la hausse des tarifs. Si l’hypothèse fondant l’analyse de cas effectuée par AJO est exacte, une partie de l’augmentation de coûts peut aussi être attribuable au fait qu’une hausse des tarifs incite des avocats, qui jusque-là pouvaient gagner plus d’argent en s’occupant d’autres dossiers, à se joindre au bassin de l’aide juridique. Ce mouvement risque de mener à une hausse de la demande due au fournisseur, qui pourrait ensuite influer sur les coûts des programmes.


13 Les renseignements sur le coût par dossier sont tirés de données condensées recueillies auprès des organismes d’aide juridique provinciaux par le ministère de la Justice du Canada. On n’a pas examiné les données de base afin d’en vérifier l’exactitude.

14 Les conclusions tirées des examens de divers programmes d’aide juridique en matière criminelle sont résumés dans Tendances en matière d’aide juridique II (Canada, ministère de la Justice, 1995).

15 Ce point de vue a été exprimé par un certain nombre de revendicateurs, d’avocats et de spécialistes en établissement des nouveaux venus, qui ont été interrogés relativement à une étude du ministère de la Justice sur la représentation des immigrants et des revendicateurs du statut de réfugié, actuellement menée par l’auteur (Frecker, Duquette, et coll., 2002).

16 De nombreux avocats spécialisés en immigration trouvent la plupart de leurs clients dans des groupes ethniques particuliers. Il n’existe pas de lien apparent entre la qualité des services (supérieurs ou inférieurs) et la priorité que les membres de certains groupes ethniques accordent à des avocats en particulier. Pour certains avocats, le fait d’avoir une clientèle formée principalement de personnes venant de quelques pays leur permet de se spécialiser et de fournir à leurs clients de meilleurs services qu’ils ne le pourraient autrement. Toutefois, on se demande si d’autres avocats ayant un accès privilégié à des clients de certains groupes ne fournissent pas des services d’une qualité vraiment inférieure. Les immigrants et les réfugiés nouvellement arrivés risquent tout particulièrement d’être victime de ce genre d’abus parce qu’ils ne connaissent ni le système juridique canadien ni une personne à qui demander des conseils objectifs au Canada.

17 Cet énoncé est fondé sur les connaissances que l’auteur a acquises au cours des six années où il a été vice-président de la SSR.

18 L’Alberta et le Manitoba s’en remettent à des avocats du secteur privé pour offrir les services d’aide juridique aux immigrants et aux revendicateurs du statut de réfugié. Un technicien juridique travaillant au Conseil multiconfessionnel d’aide à l’établissement des immigrants au Manitoba, à Winnipeg, aide la plupart des revendicateurs du statut de réfugié dans cette ville à remplir leur formulaire de renseignements personnels (FRP), mais des avocats du secteur privé représentent les revendicateurs aux audiences de la CISR. En Alberta, un technicien juridique travaillant au Bureau de l’aide juridique de Calgary aide les requérants à remplir leur FRP, et des avocats du secteur privé représentent les requérants aux audiences. L’Ontario, le Québec et la C.-B. ont adopté un système mixte de services offerts par des avocats du secteur privé et par des avocats salariés, mais dans la grande majorité des cas, l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés est fournie par des avocats du secteur privé. Terre-Neuve a recours presque exclusivement à des avocats salariés pour représenter les immigrants et les réfugiés, mais il existe très peu de cas de cette catégorie dans cette province. Les quatre autres provinces et les trois territoires ne fournissent pas de services d’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés (Social Policy and Research Council, 2002).

19 Par exemple, de nombreuses revendications étaient fondées sur une présumée persécution due à la politique de l’enfant unique en vigueur en Chine; dans d’autres cas, des catholiques romains se disaient persécutés parce qu’ils n’acceptaient pas l’autorité du chef de l’Église désigné par l’État. D’autres revendicateurs affirmaient adhérer au mouvement Falun Gong et avoir été persécutés pour cela.

20 La LSS a fait une vérification interne de ces affaires, mais les résultats de celle-ci sont confidentiels. Nous ne savons pas si la vérification comprenait une analyse systématique de la qualité de la représentation offerte par les avocats chargés de ces affaires.

21 Dans la documentation examinée aux fins de la présente étude, le terme « franchisage » (franchising, en anglais) a été utilisé pour décrire toute une gamme d’arrangements, dont aucun ne correspond exactement à la description fournie ici. L’examen détaillé de toutes les variantes des ententes de franchisage décrites dans la documentation dépasse le cadre de la présente étude. Dans sa forme la plus fondamentale, l’obtention préalable du droit de facturer du travail fait aux termes de certificats d’aide juridique a été décrite comme étant une forme de franchisage, mais ce genre d’entente n’est pas considéré comme une forme de franchisage au sens où nous l’entendons dans la présente étude. La principale caractéristique qui distingue le véritable franchisage des autres types d’ententes réside dans le contrôle exercé par l’organisme d’aide juridique sur le nombre d’avocats autorisés à fournir des services juridiques comme condition nécessaire pour obtenir et conserver une franchise.

22 Ce point a été soulevé par de nombreux répondants interrogés dans le cadre de l’étude connexe intitulée Representation for Immigrants and Refugee Claimants (Frecker, Duquette, et coll., 2002).

23 La question de savoir si les avocats dont la clientèle est surtout composée d’immigrants et de réfugiés bénéficient de la même mobilité que ceux travaillant dans d’autres domaines du droit continue de susciter le débat. Dans une certaine mesure, ils peuvent être prisonniers de leur domaine de spécialisation. Au bout du compte, leur niveau de mobilité est sans doute assez élevé. Bon nombre d’avocats qui commencent leur carrière en droit de l’immigration en travaillant pour des clients de l’aide juridique passent tôt ou tard à une clientèle d’immigrants qui peuvent les payer. Les compétences requises pour comparaître devant la CISR sont facilement transférables aussi à d’autres domaines du droit administratif. Par ailleurs, de nombreux avocats qui font du travail d’aide juridique auprès d’immigrants et de réfugiés ont également de l’expérience en droit criminel, ou en droit de la famille, ou dans ces deux domaines.

24 Il existe peut-être un autre côté au lien entre les taux du marché et les tarifs de l’aide juridique. Paul Brantingham, Patricia Brantingham et Stephen Easton (1993) sont d’avis que le tarif de l’aide juridique sert de point de comparaison pour le calcul d’autres coûts du système juridique, y compris les salaires exigés par les avocats salariés, les salaires des procureurs de la Couronne et les taux que les avocats du secteur privé facturent à leurs clients capables de les payer. La question de l’influence des tarifs de l’aide juridique sur les taux des services juridiques demandés sur le marché dépasse le cadre de la présente étude.

25 Dans sa présentation sur l’analyse de cas, Aide juridique Ontario demande qu’un montant de 65,9 millions de dollars soit affecté à son prochain cycle budgétaire de trois ans pour couvrir les frais entraînés par les augmentations de tarif proposées (Aide juridique Ontario, 2001c : 46).

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