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Les sanctions communautaires :
le point de vue des victimes d'actes criminels

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

le 31 mars 2004

    1.0 Introduction
    1. 1.1 Sanctions communautaires
    2. 1.2 La condamnation à l'emprisonnement avec sursis
    3. 1.3 Faire valoir le point de vue de la victime et favoriser l'acceptation de la sanction

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1.0 Introduction

1.1 Sanctions communautaires

Au cours des dix dernières années, la plupart des pays occidentaux ont multiplié les solutions de remplacement à l'emprisonnement. Conjuguée aux modifications législatives enjoignant aux juges d'appliquer le principe de l'entrave minimale en matière d'emprisonnement (voir plus bas), cette nouvelle tendance a conduit les tribunaux à miser davantage sur les solutions de remplacement à l'incarcération. Plusieurs raisons expliquent ce changement de cap et les modifications législatives qui en ont résulté. Premièrement, on prend de plus en plus conscience des limites de l'emprisonnement, tant comme moyen de réinsertion sociale que comme moyen de dissuasion. Les spécialistes du système correctionnel s'entendent généralement pour dire que la plupart des programmes de réadaptation donnent de meilleurs résultats dans la collectivité qu'en établissement.

En outre, il est de plus en plus évident que la prison n'a pas plus d'effet dissuasif général ou particulier que les autres peines intermédiaires plus sévères (voir, par exemple, Doob et Webster, 2004). Deuxièmement, l'incarcération coûte beaucoup plus cher que la surveillance dans la collectivité. Troisièmement, les recherches effectuées sur l'opinion publique démontrent que ces dernières années, la population est plus favorable aux sanctions communautaires, sauf dans le cas des crimes les plus graves accompagnés de violence (voir Roberts, 2002; Roberts et Stalans, 2004).

Enfin, l'intérêt général suscité par la justice réparatrice - tant au Canada (voir Roach, 1999; von Hirsch, Roberts, Bottoms, Roach et Schiff, 2003) que dans d'autres pays comme l'Angleterre, le pays de Galles et la Nouvelle-Zélande - a provoqué un regain d'intérêt pour les sanctions communautaires. La justice réparatrice prône l'indemnisation des victimes et le travail communautaire. Sur le chapitre de la lutte contre le crime, la justice réparatrice encourage le délinquant à endosser la responsabilité de ses actes, à exprimer des remords pour le crime commis, et à présenter des excuses à la victime. Des études ont révélé que bon nombre de victimes d'actes criminels sont sensibles à ces gestes de la part des délinquants.

Les modifications apportées au Code criminel en 1996 visent à privilégier la sanction communautaire plutôt que la prison (voir Daubney et Parry, 1999). Le projet de loi C-41 a codifié le principe de l'entrave minimale en matière de détermination de la peine. L'alinéa 718.2d) fait valoir « l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient »; et l'alinéa 718.2e) préconise « l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones. » (souligné par nous).

Enfin, la notion de réparation a été ajoutée en 1996 aux objectifs conventionnels de la détermination de la peine. Aux termes de l'alinéa 718e), la peine vise à « assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité »; et aux termes de l'alinéa 718f), elle a également pour objectif de « susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité. ». Il existe des dispositions comparables qui s'adressent aux tribunaux pour adolescents dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (voir Bala, 2003; Roach, 2003).

Les avantages des sanctions communautaires [l] sont devenus de plus en plus évidents ces dernières années. Lorsque la sanction a lieu dans la collectivité, l'État économise de précieuses ressources correctionnelles, tandis que le délinquant peut conserver son emploi (ou trouver du travail) et ses liens avec sa famille. Les délinquants ont beaucoup à gagner à purger leur peine dans la collectivité. Mais quels que soient les avantages qu'en retirent les délinquants, il ne faut pas négliger pour autant les intérêts des victimes. Du point de vue des victimes, les sanctions communautaires ont l'avantage d'accroître la probabilité que les délinquants puissent travailler et aient ainsi les moyens de les dédommager, dans l'éventualité où le tribunal en ait décidé ainsi. Lorsqu'elle est justifiée dans les circonstances, une sanction communautaire peut aussi favoriser la réalisation des objectifs liés à la reconnaissance et à la réparation du tort causé à la victime. Simultanément, certaines victimes, et des défenseurs des intérêts des victimes, ont exprimé leur inquiétude à savoir que la présence du délinquant dans la collectivité - particulièrement s'il vit à proximité de la victime - risque d'ajouter aux souffrances de cette dernière. Le fait que la sanction communautaire soit assortie d'une interdiction de communiquer avec la victime ne remédie que partiellement à cette préoccupation.

Lorsque le délinquant a été condamné pour préjudice personnel, particulièrement s'il s'agit d'un dommage grave, la victime est en droit de craindre qu'il ne récidive. En outre, certaines organisations de défense des droits des victimes affirment que l'imposition d'une sanction communautaire, même s'il s'agit d'une période de détention dans la collectivité, revient à minimiser la gravité de l'infraction. Certaines victimes peuvent établir un rapport entre la sévérité de la peine et la gravité du préjudice subi : si le tort causé est considérable et que la sanction communautaire est jugée trop clémente ou perçue comme n'étant pas appliquée comme il se doit, elle peut exacerber la souffrance infligée à la victime. C'est là une question qui a été explorée dans la présente recherche.

Les recherches effectuées jusqu'à maintenant sur les sanctions communautaires, et en particulier la condamnation à l'emprisonnement avec sursis, n'ont pas porté sur les réactions des victimes. C'est là une omission regrettable, vu le rôle important que joue la victime dans le processus de détermination de la peine. Nous savons très peu de choses au sujet de la réaction de la victime d'un crime lorsqu'elle apprend que le délinquant doit purger sa peine dans la collectivité.

La déclaration de la victime est le principal instrument par lequel les victimes peuvent exprimer leur voix devant le tribunal chargé du prononcé de la sentence. Au Canada, les victimes ont le droit de rédiger et de présenter de vive voix une déclaration sur le préjudice causé par le crime commis. Les juges sont obligés de tenir compte de cette déclaration dans la détermination de la peine. La plupart des études effectuées sur les victimes et les sanctions communautaires traitent du rôle et de l'incidence de cette déclaration (voir Roberts, 2003). La déclaration de la victime est l'instrument qui permet à celle-ci de faire valoir ses intérêts auprès du tribunal chargé du prononcé de la peine. C'est pourquoi nous avons également évalué la mesure dans laquelle les victimes présentent une telle déclaration.

1.2 La condamnation à l'emprisonnement avec sursis

La réforme législative de 1996 sur la détermination de la peine visait entre autres à introduire une nouvelle sanction communautaire : la condamnation à l'emprisonnement avec sursis. Comme nous allons le voir, cette forme de détention dans la collectivité a des conséquences importantes pour les victimes. La portée de la sanction est large : lorsque les autres conditions prévues par la loi sont remplies, un tribunal peut imposer une condamnation avec sursis d'une durée maximale de deux ans moins un jour. Comme la durée de la détention est de moins de deux ans dans environ 96 % des cas (Roberts, 2004), la condamnation avec sursis peut être imposée, et l'a déjà été, pour des crimes très graves contre la personne. La proportion d'infractions particulièrement graves ayant donné lieu à une condamnation avec sursis est relativement modeste [2] ; néanmoins, on ne peut en négliger l'impact sur les victimes.

Ce projet de recherche visait à examiner les réactions des victimes aux sanctions communautaires en général, mais dans les faits, il a surtout porté sur la condamnation à l'emprisonnement avec sursis. La raison en est claire : cette sanction ne peut être infligée qu'à des délinquants qui méritent l'emprisonnement selon le tribunal [3], autrement dit pour lesquels une mesure non privative de liberté ne convient pas. Il s'agit là des cas les plus graves. Il existe un rapport évident entre la gravité de l'infraction et la nature des réactions de la victime. Les victimes sont peu susceptibles de mal réagir à l'imposition d'une période de probation, qui est le plus souvent imposée pour une infraction mineure. En revanche, certaines victimes (mais certainement pas toutes) peuvent être déconcertées par l'imposition d'une sanction communautaire alors que le crime commis méritait une peine d'emprisonnement. Par ailleurs, les réactions des victimes à l'endroit des condamnations avec sursis peuvent avoir une incidence importante sur la mesure dans laquelle les intervenants du système de justice pénale et la population dans son ensemble acceptent de telles condamnations comme étant la forme la plus visible de sanction communautaire.

1.2.1 Détention dans la collectivité par opposition à incarcération

Lorsqu'un délinquant est condamné à l'emprisonnement, la victime sait que, pendant une période donnée (qui dépend de la date de mise en liberté conditionnelle ou de libération d'office), le délinquant sera derrière les barreaux. L'incarcération est une sanction bien connue du public et des victimes. En outre, une peine d'emprisonnement est assortie de conditions communes à tous les détenus (qui sont classés au même niveau de sécurité. La variable déterminante en l'occurrence est la durée de la peine. En revanche, une condamnation avec sursis est beaucoup plus souple et ne peut être aisément classée sur une échelle de sévérité. Tous les délinquants en sursis doivent observer un nombre limité de conditions prescrites par la loi. Toutes ces conditions concernent le délinquant, et aucune la victime [4] . Toutefois, les juges y ajoutent des conditions correspondant aux besoins propres de chaque délinquant qui peuvent se dégager des présentations au moment de la sentence ou du rapport présentenciel. Des conditions facultatives peuvent être ajoutées pour la protection des intérêts de la victime lorsqu'elles sont raisonnables et nécessaires pour « assurer la bonne conduite du délinquant et l'empêcher de commettre de nouveau la même infraction ou d'autres infractions [5] ». Sur un point important, ces conditions définissent la nature et la gravité de la sanction.

1.3 Faire valoir le point de vue de la victime et favoriser l'acceptation de la sanction

Plusieurs décisions judiciaires relatives à une condamnation avec sursis soulignent l'importance de l'opinion du public sur ce type de peine [6] . En outre, des études empiriques ont été menées sur le degré de connaissance et les attitudes du public à l'égard du régime de la condamnation avec sursis (voir Marinos et Doob, 1998; Sanders et Roberts, 2004). Cet intérêt pour la réaction de la population aux sanctions non privatives de liberté est justifié : si le public ne comprend pas, ou n'accepte pas, le concept de condamnation à l'emprisonnement avec sursis, les juges mettront en doute ce régime, qui finira par tomber en désuétude [7]. Toutefois, les victimes représentent un groupe d'intérêt encore plus important que les membres du public. En effet, le fait que les victimes soient opposées à la condamnation avec sursis, soit par manque d'information soit pour d'autres raisons, pose un problème pour le processus de détermination de la peine. À l'inverse, le fait que les victimes soient favorables au régime de la condamnation avec sursis donne à ce dernier une certaine légitimité aux yeux de la population.

À plusieurs égards, l'apport de la victime a son importance pour la sanction. Le jugement rendu dans l'affaire R. c. Proulx ([2000] 1 R.C.S. 61), dans lequel la Cour suprême note que les réformes de 1996 sur la détermination de la peine visaient non seulement à diminuer le recours à l'incarcération mais également à favoriser l'application des principes de justice réparatrice dans la détermination de la peine. La Cour s'explique au paragraphe 18 sur ce point :

La justice corrective vise à la réparation des torts causés aux personnes touchées par la perpétration d'une infraction. Généralement, un crime a des effets sur trois catégories de personnes: la victime, la collectivité et le délinquant. La justice corrective tend à remédier aux effets néfastes de la criminalité, et ce d'une manière qui tienne compte des besoins de tous les intéressés. Cet objectif est réalisé en partie par la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu'il a causé aux victimes et à la collectivité.

La Cour suprême du Canada a fait preuve de plus d'enthousiasme que les tribunaux d'autres pays en faveur d'une « jurisprudence de justice réparatrice ». Elle a défini la justice réparatrice comme étant « [traduction] à la fois un principe pénal axé sur les besoins du délinquant, de la victime et de la collectivité affectée par le crime commis, et une technique pénale permettant d'infliger des sanctions communautaires au nom du principe de l'entrave minimale » (Roberts et Roach, 2003, p. 246-7).

Dans l'arrêt R. c. Proulx, la Cour a également précisé : « Pour décider s'il est possible de réaliser des objectifs correctifs dans une affaire donnée, le juge doit étudier les chances de réinsertion sociale du délinquant, notamment en tenant compte de tout plan de réadaptation proposé par ce dernier, de l'existence de programmes appropriés de service communautaire et de traitement dans la collectivité, de la question de savoir si le délinquant reconnaît ses torts et manifeste des remords, ainsi que des souhaits exprimés par la victime dans sa déclaration » (paragraphe 113; souligné par nous).

Il y a un autre élément du jugement Proulx qui concerne les intérêts de la victime. La Cour a noté à cet égard : « À mon avis, il y a lieu d'encourager le recours aux ordonnances de service communautaire […]. Si les tribunaux recourent davantage aux ordonnances de service communautaire, le public considérera que les délinquants s'acquittent de leur dette envers la société. Une telle mesure aura également pour effet d'aider à accroître le respect de la loi par le public » (paragraphe 112). Là encore, le jugement est sensible à la nature de la réaction du public : si à ses yeux, la sanction est lourde de conséquences pour la vie du délinquant, il est plus susceptible de l'accepter comme solution de remplacement à l'incarcération en établissement [8].

Le corollaire à cette proposition est que le public ne sera plus aussi favorable à la condamnation avec sursis dès l'instant où il croit qu'elle ne change rien à la vie du délinquant. L'apport des victimes est important à cet égard également. En effet, elles sont plus susceptibles d'accepter la sanction comme solution de remplacement à l'incarcération dans un établissement correctionnel si elles pensent que la vie des délinquants s'en trouvera sérieusement changée. D'un autre côté, si les délinquants violent les conditions qui leur sont imposées, ou que l'ordonnance du tribunal semble avoir peu d'impact sur leur vie, les victimes verront la sanction d'un mauvais œil. C'est pourquoi nous avons exploré dans le cadre de cette étude les perceptions des victimes au sujet de l'administration d'une condamnation avec sursis.

1.3.1 Nature de l'apport des victimes

La victime de crime peut avoir des besoins particuliers en matière de protection que les conditions imposées peuvent permettre de satisfaire. Par exemple, la victime peut se sentir menacée si le délinquant se rend sur son lieu de travail ou passe devant son domicile. Dans les ateliers de recherche sur le rôle des victimes organisés par Young et Roberts (2001) pour le Centre de la politique concernant les victimes, les défenseurs des intérêts des victimes ont mis en doute la qualité de la surveillance des délinquants purgeant leur peine dans la collectivité. En outre, la réparation est une composante clé des sanctions communautaires, et la victime est la personne la mieux placée pour se prononcer en la matière. C'est pourquoi ces questions sont examinées dans la présente étude.


[l] Tout au long de ce rapport, les « sanctions communautaires » s'entendent des condamnations avec sursis et périodes de probation qui constituent le thème central de la présente recherche.

[2] Par exemple en 2001-2002, 8 % des condamnations pour voies de fait causant des lésions corporelles ont donné lieu à une condamnation avec sursis (ministère de la Justice du Canada, 2003).

[3] Code criminel, article 742.1.

[4] Code criminel, par. 742.3(1).

[5] Code criminel, alinéa 742.3f).

[6] Par exemple, dans la décision unanime rendue dans l'affaire R. c. Proulx [2000] 1 R.C.S. 61, la Cour suprême note que « les juges qui président les procès vivent plus près de leur collectivité et savent davantage ce qui y serait acceptable » (paragraphe 131, souligné par nous).

[7] Cela a été le cas d'un régime comparable introduit en Angleterre et au pays de Galles (voir Roberts, 2004).

[8] Pour une démonstration empirique de cette proposition, voir Sanders et Roberts (2000). Les membres du public sont nettement plus favorables à la condamnation avec sursis dès l'instant où ils sont informés des conditions particulières dont l'ordonnance est assortie.

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