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Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : Incidences sur la compétence à témoigner

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

Novembre 2002

Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue du ministère de la Justice Canada.


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II. LIENS DE CAUSALITÉ ENTRE LES CAPACITÉS COGNITIVES ET LES TÉMOIGNAGES DES ENFANTS

Les études sur le développement cognitif, desquelles nous tenons l’essentiel de nos connaissances sur les processus de reflexion des enfants, est un domaine important de la psychologie du développement qui se penche sur la question des connaissances chez les enfants. On ne peut surestimer la pertinence de la recherche sur le développement cognitif pour les professionnels qui interviennent auprès d’enfants-témoins dans le cadre du système de justice pénale. On peut répondre à bon nombre des questions concernant les capacités de témoignage des enfants grâce à une meilleure connaissance des capacités cognitives des enfants à différents âges. À titre d’exemple, est-ce raisonnable de demander à des enfants âgés de seulement trois ans de témoigner en Cour au sujet de leurs expériences si l’on considère leur stade de développement cognitif? Que nous disent les recherches effectuées dans ce domaine quant à la façon dont les enfants comprennent le monde qui les entoure, comment ils élaborent des stratégies pour organiser l’information qu’ils perçoivent, et comment ils communiquent ces connaissances? Devrions-nous modifier la façon dont nous interagissons avec les enfants d’âges différents dans les tribunaux en nous fondant sur ce que la recherche nous dit au sujet de leurs capacités cognitives? Malheureusement, malgré les nombreuses études en psychologie du développement qui ont été effectuées dans le domaine des capacités cognitives des enfants, celles-ci ont eu peu de répercussions sur la façon dont les enfants-témoins de différents âges sont traités par les tribunaux.

La plupart des travaux de recherche portant sur la cognitivité des enfants sont fondés sur trois champs d’étude. Le premier champ d’étude porte sur la structure des connaissances des enfants, notamment la façon dont les connaissances sont représentées par les enfants et comment elles évoluent lorsqu’ils grandissent. Pendant de nombreuses années, les théoriciens de Piaget ont affirmé qu’il se produisait des changements systématiques et globaux par étapes dans la façon dont les connaissances étaient représentées chez les enfants (Piaget, 1983; Wadsworth, 1971). Selon les théoriciens piagétiens, tous les enfants traversent chaque stade de développement successivement au fur et à mesure qu’ils vieillissent, et les enfants du même âge ont des capacités cognitives très semblables. Ce point de vue sur les capacités cognitives des enfants est généralement bien accepté et semble avoir eu une influence sur la façon dont les enfants sont traités par les tribunaux ainsi que sur leur témoignage. Plusieurs décisions procédurales sont prises en fonction de l’âge de l’enfant-témoin appelé à témoigner (p. ex. les enfants âgés de moins de 14 ans doivent se soumettre à une enquête avant de témoigner, et les dispositions législatives permettant le témoignage sur écran ou la présence d’une personne de confiance sont fonction de l’âge des enfants au moment du témoignage). Les prescriptions légales en matière d’âge semblent correspondre à des cadres de développement implicites (Woolard et coll., 1996).

Cependant, cette théorie globale du développement cognitif est de plus en plus remise en question. Il y a vingt ans, Fischer a découvert que les capacités cognitives des enfants étaient inégales (1980). À ce moment, il a suggéré que les enfants pouvaient se trouver à un certain stade pour une capacité cognitive et à un stade différent pour une autre, ce que les théoriciens piagétiens ont réfuté. Récemment, Klahr (1992) a suggéré que le développement cognitif relevait davantage des changements systématiques dans la capacité des enfants de représenter les connaissances que des structures dans lesquelles leurs connaissances étaient représentées. Ce constat s’inscrit également en faux contre les théories cognitives de Piaget. Tant l’inégalité des capacités des enfants que l’accent sur la capacité des enfants à représenter les connaissances s’accordent avec le point de vue actuel adopté par les chercheurs dans le domaine du développement cognitif, selon lequel il se produirait un développement fluide et dynamique chez les enfants dans le cadre duquel les capacités cognitives évoluent constamment et les différences individuelles sont considérées.

Le deuxième champ d’étude abordé par la recherche sur le développement cognitif chez les enfants est les processus selon lesquels les enfants acquièrent des connaissances. Comment les enfants emmagasinent-ils et organisent-ils l’information relative au monde qui les entoure? Comment leurs connaissances règlent-elles leur comportement dans différentes situations? Rogoff a suggéré (1990) que le développement cognitif des enfants constituait un apprentissage dans le cadre duquel les enfants acquéraient lentement des connaissances et des habiletés en participant à des activités sociales structurées avec leurs parents. Les processus hypothétiques suivant lesquels les enfants acquièrent les connaissances qui les aident à comprendre le monde et à y participer activement comprennent tous les éléments suivants : sensations, perception, attention, mémoire, opération des concepts, langage, actes symboliques et pensée (Lee, 2000). À titre d’exemple, de nombreuses études ont été réalisées en vue de comprendre comment un enfant apprenait à parler, comment il concevait le monde, et comment l’interaction entre divers processus comme l’attention et le langage influaient sur son comportement. Est-il vrai qu’un enfant doit d’abord apprendre à parler pour être en mesure de penser à un événement passé? Les enfants au stade préverbal ne sont-ils pas capables de se remémorer les événements tant qu’ils n’ont pas acquis le vocabulaire nécessaire pour définir les objets et décrire les événements qui se passent autour d’eux? À quel moment les enfants sont-ils capables de penser à une chose qui ne se trouve pas directement sous leurs yeux?

Certains chercheurs ont trouvé que même les enfants âgés de moins de douze mois se souviennent d’un objet qui est retiré de leur champ de vision. Est-ce seulement parce qu’ils ont développé un symbole ou un concept pour cet objet? Les difficultés de remémoration que l’on retrouve chez les très jeunes enfants sont-elles en partie causées par l’absence de compétences verbales? Il est important d’examiner ces questions, entre autres parce que celles-ci ont des répercussions sur les capacités de témoignage des enfants préscolaires et des jeunes enfants du primaire, dont le vocabulaire ou les cadres métacognitifs qui permettent d’organiser les expériences ne sont pas encore bien développés.

Le troisième champ d’étude de la recherche sur le développement cognitif se rapporte à l’acquisition de connaissances précises. Que connaissent les enfants et comment ont-ils acquis ces connaissances? Quelle influence le milieu de vie de l’enfant a-t-il sur ses connaissances? Qu’est-ce que la plupart des enfants d’âges différents savent du monde physique? Ce champ d’étude a une importance particulière dans le contexte de la participation des enfants au sein du système judiciaire. La plupart des enfants n’ont aucune expérience du processus judiciaire et n’ont jamais pénétré dans une salle d’audience ni été exposés aux attentes auxquelles sont soumis les témoins.

Ils ne savent pratiquement rien du système judiciaire, et ne sont pas conscients du fait que des affaires sont entendues régulièrement dans les tribunaux. À quel âge les enfants acquièrentils la compétence essentielle pour pouvoir témoigner, et comment acquièrent-ils ces compétences? On convient généralement que le fait de témoigner exige des connaissances spécifiques à un domaine. Combien d’enfants connaissent les rôles des diverses personnes qui évoluent au tribunal, les procédures judiciaires et les motifs à l’origine des procès? Ce manque de connaissances et de compréhension du système d’opposition a-t-il une influence quelconque quant à la fiabilité de leur témoignage, et sont-ils, pour cette raison, désavantagés par rapport aux adultes-témoins lors d’un procès? Est-il possible de combler ce manque de connaissance en éduquant les enfants sur le système de justice?

Qu’en est-il des autres connaissances? Les enfants doivent souvent fournir des témoignages touchant des questions sociales complexes, comme l’abus sexuel et la violence familiale. Est-ce que le manque de connaissances sur le plan sexuel et l’ignorance des termes sexuels et des mots servant à décrire les parties du corps représentent des difficultés pour les enfants qui doivent témoigner relativement à des cas d’abus sexuel?

Les chercheurs dans le domaine du développement cognitif ont examiné divers aspects des capacités cognitives des enfants, dont plusieurs ont des implications directes sur la compétence à témoigner. Les thèmes qui suivent aborderont certains des champs les plus pertinents.

2.1 Palier le manque de connaissances des enfants-témoins

Selon la notion du développement proximal chez les enfants, on ne peut enseigner aux enfants des choses qu’ils ne sont pas prêts à apprendre sur le plan conceptuel. Ceci signifie-t-il que dans le cas de très jeunes enfants, nous ne pouvons expliquer le fonctionnement du système de justice pénale et en quoi consiste leur rôle à titre de témoin? Est-il possible de combler les lacunes des enfants concernant les connaissances du système judiciaire en adoptant une méthode de préparation mixte pour réduire la complexité des exigences imposées aux enfants qui témoignent et en les renseignant autant que possible au sujet du système judiciaire et de leur rôle en tant que témoin? Y a-t-il des concepts que les enfants de certains groupes d’âge ne sont pas en mesure de comprendre même si on tente de les préparer?

Pour la plupart, les préparatifs à la comparution offerts aux enfants dans le cadre de divers programmes destinés aux témoins tentent de combler les lacunes des enfants sur le plan des connaissances, en leur offrant de l’information de base sur les procédures judiciaires et les attentes auxquelles ils doivent répondre en tant que témoins. La quantité d’informations fournies dépend de l’âge des enfants, mais il semble y avoir un programme général qui forme la base de la plupart des programmes de préparation en vue d’une comparution au tribunal. Ce qui n’a pas été bien étudié, toutefois, est l’efficacité de la préparation offerte par la plupart des programmes et la question de savoir si l’enfant acquiert une compréhension plus globale du fonctionnement du système judiciaire plutôt que seulement des détails et une terminologie spécifique. On pourrait affirmer qu’en l’absence d’une compréhension plus générale, les enfants sont désavantagés du fait qu’ils ignorent les prémisses sur lesquelles sont fondées les procédures. La plupart des enfants-témoins ne savent pas qu’il s’agit d’un processus d’opposition et non simplement d’un processus d’établissement des faits, ce qui constitue un concept important.

Selon Melton (1981), même lorsqu’un enfant ne comprend pas une situation dans son entier, il peut quand même se remémorer des faits pertinents pour le tribunal. Lorsqu’on passe en revue les recherches actuelles portant sur les capacités cognitives des enfants, on peut remarquer de façon générale qu’en ce qui a trait à la valeur juridique du récit des enfants, même les très jeunes enfants peuvent faire preuve de logique au sujet d’événements simples qui ont une signification dans leur vie, particulièrement si les événements à propos desquels ils sont interrogés sont significatifs pour eux sur le plan émotionnel (Goodman, Rudy, Bottoms et Aman, 1990; Orbach et Lamb, 1999; Steward, Bussey, Goodman et Saywitz, 1993).

Une étude de cas réalisée par Jones et Krugman (1986) présente une description des divulgations faites par une petite fille de trois ans concernant son enlèvement, son agression et son abandon dans des installations de toilettes extérieures. Son récit a été jugé remarquablement complet et précis lorsqu’il a plus tard été comparé à la confession de l’adulte qui avait procédé à son enlèvement. Dans une autre étude portant sur le récit de blessures subies par des enfants d’âge préscolaire, Peterson et Bell (1996) ont trouvé que la mémoire des enfants relativement aux traumatismes était bonne. Même les enfants âgés de trois ans étaient capables de fournir de l’information très précise au sujet de leurs blessures et de leur transport à l’hôpital.

Toutefois, lorsque des enfants pénètrent dans une salle d’audience, des difficultés se posent lorsque des questions inappropriées à leur âge leur sont posées au sujet d’événements qu’ils ont vécus ou dont ils ont été témoins. Peu d’attention est portée à leurs capacités cognitives. Même s’ils entrent dans la salle en ayant une idée nette de ce qui leur est arrivé, ils peuvent être incapables de raconter leurs souvenirs à cause de la façon dont les questions leur sont posées, et ils ne comprennent pas les « règles d’engagement » implicites qui prévalent dans les salles d’audience.

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