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Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : Incidences sur la compétence à témoigner

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

Novembre 2002

Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue du ministére de la Justice Canada.


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2.4 Capacité de répondre aux questions hypothétiques

Les enfants ont de la difficulté à concevoir des situations hypothétiques qui leur sont présentées par les avocats lorsqu’ils sont à la barre. Il n’est pas approprié de leur poser des questions comme celle-ci : « Que répondrais-tu si je te disais que l’auto n’avait pas l’espace nécessaire pour entrer dans le garage? Que dirais-tu si je te disais qu’il n’était pas assez grand pour atteindre la fenêtre à partir du sol? ». Les enfants âgés de moins de dix ans n’ont pas les capacités de raisonnement abstraits qui leur permettent d’intégrer cette nouvelle information et de l’appliquer à ce qu’ils savent déjà au sujet de la situation. Ils ne comprennent généralement pas la question « Est-il possible que ? ». La plupart des enfants refusent simplement d’admettre que le scénario suggéré est une description exacte. Ils ne veulent pas ou ne peuvent pas envisager une autre hypothése ou intégrer de l’information nouvelle et peut-être contradictoire, parce que cela implique un niveau d’abstraction dont ils sont incapables. D’autres fournissent une réponse qui ne tient pas compte de l’information fournie parce qu’ils n’ont pas la capacité de changer leur propre point de vue et d’imaginer un autre groupe de circonstances.

Habituellement, les enfants n’ont pas les capacités voulues pour traiter des questions hypothétiques avant l’âge d’au moins dix ou douze ans, et encore, ils ne sont pas certains de la réponse qu’ils doivent donner. Nous pourrions contribuer à faire en sorte que les réponses fournies par les enfants soient exactes et correspondent à leur stade de développement cognitif en demandant aux avocats de ne pas utiliser ce type de questions.

2.5 Expliquer une situation au tribunal à l’aide de modèles à l’échelle

On demande souvent aux jeunes enfants d’expliquer quelque chose au moyen de la présentation d’une représentation symbolique : « Montre-moi le dessin de ta chambre à coucher, ainsi que l’emplacement du lit par rapport à la commode et l’endroit où tu te trouvais dans la pièce ». Dans une étude réalisée en 1990 par DeLoache (chapitre intitulé « La compréhension des modèles chez les jeunes enfants » ), on suggère que lorsque nous utilisons la maquette d’un espace plus grand, les jeunes enfants peuvent avoir de la difficulté à percevoir le modèle simultanément comme un objet indépendant et comme le symbole de quelque chose d’autre. La capacité d’utiliser des modèles pour expliquer des situations augmente graduellement avec l’âge. La capacité de réduire à l’échelle avec exactitude tant les distances que les hauteurs reléve d’un développement beaucoup plus complexe et long. Les dessins et les modèles faits à l’échelle par des enfants de moins de dix ans peuvent ne pas représenter avec exactitude les distances, comme celles entre un lit et une commode, ou encore la place exacte d’une porte. Cela est dû au fait qu’ils n’ont pas acquis un concept précis des mesures, et qu’ils n’ont pas encore appris comment représenter des objets à une échelle réduite et en relation les uns avec les autres. Lorsqu’on questionne des enfants à la barre, chacun doit se rappeler que la capacité à utiliser des modèles représentationnels varie grandement, en particulier chez les jeunes enfants. De tels modèles doivent donc être utilisés avec prudence.

L’utilisation d’un modèle réduit chez les enfants pose moins de problémes lorsque les enfants sont autorisés, lors de leurs témoignages, à utiliser des poupées ou des dessins qui les représentent ou représentent d’autres personnes, ou lorsqu’on leur demande de désigner sur un dessin les parties de leurs corps où ils ont été touchés. L’utilisation d’un mannequin peut être particuliérement utile lorsque l’enfant est trop timide ou qu’il ne posséde pas les capacités verbales pour décrire les actes qui ont été commis (Morgan et Edwards, 1995). La prudence est toutefois de mise avec les enfants âgés de moins de trois ans. En effet, il faut s’assurer qu’ils comprennent que le mannequin est sensé les représenter. Ils doivent avoir développé la notion de leur identité individuelle ainsi que la capacité d’imaginer que la poupée les représente. Heureusement, la plupart des enfants âgés de plus de trois ans sont en mesure de le faire.

2.6 Propension des enfants à attribuer des connaissances aux adultes

On convient généralement que les enfants ne sont habituellement pas conscients du fait que les autres personnes ne savent pas les choses qu’eux-mêmes savent. Cela est le cas même si la personne qui les interroge n’a pas été témoin de l’événement en question (Saywitz et Nathanson, 1993). Cette propension chez les enfants de prêter des connaissances aux adultes est liée à un facteur de « désirabilité sociale » (Robinson et Robinson, 1982) selon lequel les enfants croient les adultes omniscients. Malheureusement, le fait que les enfants présupposent que les adultes savent tout ce qui leur est arrivé peut avoir un effet négatif sur la façon dont ils répondent aux questions qui leur sont posées par les avocats dans la salle d’audience. Lorsqu’ils sont à la barre des témoins, les jeunes enfants supposent souvent que l’avocat qui lui pose des questions connaît déjà les faits, et n’offrent pas, pour cette raison, d’information spontanée. À titre d’exemple, une enfant-témoin à qui on avait dit qu’elle aurait à identifier l’accusé dans la salle d’audience lors d’une séance de préparation en vue du procés a répondu ceci, tout étonnée : « Mais ne savent-ils pas qui il est ? » (source inconnue, 2001).

Les enfants omettent de fournir les éléments d’information manquants lorsqu’ils expliquent au tribunal les événements qui se sont produits. Ils ont tendance à fournir peu de détails, si ce n’est aucun, lorsqu’ils donnent leur récit des faits parce qu’ils imaginent que les adultes qui les écoutent les connaissent déjà et possédent la même information qu’eux. Malheureusement, cette stratégie ne fonctionne pas bien dans une salle d’audience, parce que c’est le rôle de l’enfant et non de l’avocat de fournir les renseignements manquants à la barre des témoins. Pour obtenir des enfants des renseignements plus complets, il faut habituellement leur poser des questions directes. Les avocats peuvent ainsi mettre à jour des détails concernant un événement lorsqu’un enfant ne fournit que de l’information de base dans son récit non dirigé. Cela peut évidemment comporter des dangers si les enquêteurs ou les avocats posent des questions trompeuses ou suggestives.

Il a été démontré que le fait d’informer des enfants dés le départ qu’on ne sait pas ce qu’ils savent réduit la suggestibilité des questions trompeuses (Mulder et Vrij, 1996). Il faudrait dans tous les cas employer cette stratégie avec les enfants qui sont placés à la barre des témoins avant que toute question leur soit posée. Afin d’encourager les enfants à donner des réponses plus complétes lorsqu’ils se présentent au tribunal, il faudrait leur dire, lors des séances de préparation à la comparution, qu’eux seuls possédent l’information cruciale parce qu’ils étaient présents au moment de l’événement.

2.7 Les enfants ne savent pas qu’ils ne connaissent pas certaines choses

Parmi les difficultés potentielles présentes chez les jeunes enfants qui témoignent se trouve le fait qu’ils ne sont pas conscients des choses qu’ils ne savent pas. Ce probléme a été cerné il y a plus de vingt ans dans une étude réalisée par Markman (1979), intitulée ' Realizing that you don’t understand: Elementary school children’s awareness of inconsistency '. Il a été l’un des premiers chercheurs sur la cognitivité à réaliser que les enfants pouvaient avoir de la difficulté avec la « surveillance de la compréhension ». Autrement dit, bien souvent ils ne se rendent pas compte qu’ils n’ont pas compris le matériel qui leur a été présenté et les questions qui leur ont été posées. Ainsi, dans le contexte d’une salle d’audience, un enfant peut opiner de la tête lorsqu’on lui demande s’il sait ce qu’est une audition, mais si on lui demande d’expliquer le terme, sa réponse peut démontrer qu’il ne sait pas du tout de quoi il s’agit.

Dans une étude réalisée en 1981, Flavell et coll. ont fait la preuve que les enfants n’étaient souvent pas conscients qu’ils ne possédaient pas l’information voulue pour interpréter correctement le monde qui les entoure. Cela a des répercussions importantes sur leur témoignage. Lorsque les enfants témoignent, il est important qu’ils surveillent leur compréhension tout au long des procédures. Lorsqu’ils répondent à une question, ils doivent en comprendre la signification afin que leurs réponses soient une description exacte des faits qui se sont produits.

Bien qu’ils soient généralement trop jeunes pour avoir une compréhension de haut niveau, c’est-à-dire d’être capable de mettre en contexte le but de certaines des questions qui leur sont posées ainsi que la pertinence de leurs réponses pour leur crédibilité générale, ils doivent à tout le moins être capables de comprendre les questions simples qui leur sont posées.

La surveillance de la compréhension se développe lentement chez les enfants au fil du temps. Bien souvent, les enfants ont besoin d’une aide extérieure pour les aider à surveiller leur compréhension. Ceci est particuliérement vrai pour les enfants âgés de moins de dix ans qui ne le font pas toujours d’eux-mêmes. Évidemment, l’une des mesures qui permettraient d’assurer la compréhension des enfants serait de respecter les limites cognitives de ceux-ci, en leur posant des questions simples et bien formulées appropriées à leur âge. Ceci améliorerait considérablement la chance qu’un enfant comprenne ce qui est demandé et réponde de façon appropriée. On pourrait également vérifier leur compréhension de façon continue en leur demandant, lors de l’interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire, de paraphraser ce qui leur a été dit ou d’expliquer ce que certains mots signifient pour eux.

Pour ce qui est des enfants de dix ans et plus, il faut tenir compte des diverses difficultés concernant leur capacité de surveiller leur propre compréhension. Bien que la capacité de surveiller sa compréhension s’améliore avec l’âge, les enfants plus âgés ont tendance à cacher leur ignorance aux autres en raison de leur gêne. Il faut donc surveiller leur compréhension d’une façon qui ne les embarrasse pas, en leur donnant l’occasion d’admettre leur manque de compréhension.

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