Le vieillissement de la population et l'information destinée au Parlement : pour comprendre les choix

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Introduction

6.6 Depuis maintenant un certain nombre d'années, le Bureau a souligné l'importance d'améliorer les rapports financiers afin d'assurer une responsabilisation intégrale, en particulier pour ce qui est des limites de l'information contenue dans les états financiers de type traditionnel et de l'importance, pour la prise de décisions et la responsabilisation, de l'information communiquée sur la situation à moyen et à long terme.

6.7 Dans notre rapport de 1992, nous déclarions que, sans vision à long terme, il n'y a aucun point d'ancrage pour les politiques à court terme. En 1993, nous avons proposé une série de cinq indicateurs susceptibles d'aider les contribuables à comprendre l'utilisation qui est faite de l'argent qu'ils versent sous forme d'impôts. Nous avons également indiqué qu'il ne suffisait pas d'examiner le passé, mais qu'il convenait de faire des projections pour montrer l'incidence à long terme de la politique budgétaire sur ces indicateurs.

6.8 Dans notre rapport de 1995, nous avons à nouveau souligné la nécessité d'adopter une approche à plus long terme en indiquant que la plupart des discussions tenues sur le contrôle des finances publiques avaient été centrées sur la réduction du déficit et l'équilibre des budgets. Le gouvernement ne s'était pas penché sur la question plus vaste de savoir à combien se montait la dette qu'il était en mesure de soutenir à long terme, et cela compte tenu de la situation globale en matière d'imposition, du rôle de l'État et de son incidence sur l'économie canadienne.

6.9 Les équilibres budgétaires annuels, aussi souhaitables puissent-ils être, ont pris l'importance d'un carnet de notes sur la responsabilisation du gouvernement, au lieu d'être considérés comme ce qu'ils sont véritablement - c'est-à-dire une des nombreuses composantes au regard desquelles est évaluée la situation financière globale de l'État. Il ne suffit pas de s'en tenir à la baisse des ratios relatifs aux déficits et à la dette pour obtenir un tableau complet de la situation financière ou pour cerner comme il se doit les compromis que les Canadiens doivent faire ou encore les choix intergénérationnels qui doivent être envisagés.

6.10 Le gouvernement a réagi de façon généralement positive aux rapports que nous avons publiés. En 1994, il publiait un premier Rapport financier annuel, dans lequel figurent les cinq indicateurs financiers que nous avions proposés en 1993. Plus récemment, le gouvernement a commencé à porter une attention accrue au ratio de la dette au PIB, et d'en faire état publiquement. À ce jour, cependant, il n'a pas encore fourni au Parlement des objectifs précis concernant la dette ou des projections financières portant sur plus de deux ans. Le gouvernement semble être d'avis que, dans la mesure où le ratio de la dette poursuit sa trajectoire à la baisse, il n'y a pas lieu d'adopter une perspective à plus long terme. Selon nous, cela ne suffit pas, en particulier lorsque se pose la question d'équité entre les générations. Comme nous le savons, les Canadiens font aujourd'hui face à des choix. Pour faire un choix - entre la modification des dépenses, la réduction des impôts ou de la dette - les Canadiens doivent connaître l'incidence qu'aura ce choix sur les programmes du gouvernement et la façon dont le fardeau financier de ces programmes sera partagé entre les générations d'aujourd'hui et de demain.

6.11 Le ministre des Finances a fait allusion à ces questions lorsqu'il a témoigné devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes pour le lancement du processus de consultations prébudgétaires, l'automne dernier, sans pour autant traiter avec précision de leur incidence financière éventuelle. Par contre, lorsque le gouvernement fédéral a demandé au public de participer aux consultations tenues sur la réforme du Régime de pensions du Canada (RPC), il est allé beaucoup plus loin en divulguant des renseignements financiers précis sur les difficultés auxquelles le RPC se heurterait dans les décennies à venir en raison de l'évolution démographique prévisible. L'information divulguée visait à convaincre le public du manque d'équité entre les générations dans le barème courant des taux de cotisation / prestations. À notre avis, les questions de financement et d'équité entre les générations, qui ont déclenché la réforme du RPC, s'appliquent également à d'autres secteurs de dépenses publiques.

6.12 Dans une moindre mesure, le gouvernement s'est engagé dans un processus semblable pour la réforme de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti. Il manque, toutefois, une perspective globale - une récapitulation des effets que les facteurs démographiques pourraient avoir sur la santé financière à long terme du gouvernement et de l'importance des décisions budgétaires annuelles à cet égard.

Objet de l'étude
6.13 Ces dernières années, nous avons assisté à une amélioration spectaculaire des finances publiques du Canada. Le premier objectif financier du gouvernement fédéral consistant à réduire le déficit pour le ramener à 3 p. 100 du PIB avant l'exercice 1996-1997 a été dépassé, et de beaucoup. Le dernier budget fédéral prévoit un budget équilibré pour 1997-1998 et un déficit zéro pour les deux prochaines années.

6.14 Pareille perspective a donné lieu à un vif débat public sur la question des choix budgétaires. Toutefois, le débat semble se dérouler dans un contexte qui se caractérise par un manque d'information sur le profil démographique du Canada et son incidence éventuelle sur nos finances publiques.

6.15 L'étude avait un double objectif :

6.16 La section intitulée À propos de l'étude, à la fin du chapitre, contient plus de détails sur l'étendue et le déroulement de l'étude.

Constatations de l'étude

Tendances démographiques

Le vieillissement de la population
6.17 La population canadienne vieillit, ce qui signifie que la proportion de personnes âgées au sein de la population totale augmente. Dans un peu plus de dix ans, dès que les premiers-nés de la génération issue de la poussée démographique atteindront l'âge de 65 ans, l'augmentation de la population âgée du Canada prendra de la vitesse.

6.18 La population du Canada a vieilli pendant une grande partie de ce siècle, en raison de la chute des taux de fécondité et de mortalité au fil des ans. Comme le montre la pièce 6.1 , cette tendance s'est dissipée entre 1950 et 1970, sous l'effet de l'augmentation marquée du nombre de naissances au cours des deux décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

6.19 Le nombre de naissances, inférieur à 250 000 par an pendant les années 30 et au début des années 40, a connu une énorme poussée, atteignant une moyenne annuelle de 425 000 entre 1946 et 1965. Les personnes nées pendant cette période de 20 ans forment la génération issue de l'explosion démographique, ce qu'on a appelé le « baby-boom ». Puis, cette poussée a pris fin et le nombre de naissances a chuté pour s'établir à un niveau bien inférieur à 400 000 par an au cours des trois dernières décennies, et ce en dépit d'une population de base plus importante. Le taux de fécondité - soit le nombre de naissances par femme pendant toute une vie - a baissé brusquement, passant de plus de 3,5 pendant les années de l'explosion démographique à 1,7 au cours des deux dernières décennies, un taux considérablement moins élevé que le taux de remplacement de 2,1, soit le taux requis pour maintenir la population à un niveau constant en l'absence d'une immigration nette. (La pièce 6.2 indique la source et la nature des projections démographiques.)

6.20 Les personnes nées pendant l'explosion démographique commenceront à atteindre l'âge normal de la retraite aux environs de 2010. Au cours des deux décennies qui suivront, lorsque la cohorte des personnes nées pendant l'explosion démographique se joindra, par groupes successifs, à la population âgée de 65 ans et plus, la taille de ce groupe d'âge augmentera considérablement.

6.21 Un autre facteur qui contribue à cette expansion réside dans la longévité accrue, grâce à l'amélioration des services médicaux et des niveaux de vie. En 1952, lorsque le programme de la Sécurité de la vieillesse a vu le jour (il fallait avoir 70 ans pour toucher les prestations), la personne qui naissait au Canada pouvait compter vivre jusqu'à 68,5 ans. De nos jours, l'espérance de vie moyenne est de 78,5 ans et elle devrait être de 80 ans d'ici 2016. En 1952, le Canadien âgé de 65 ans pouvait compter vivre encore 14 ans, en moyenne. Aujourd'hui, l'espérance de vie à 65 ans est de plus de 18 ans. Autrement dit, au fil du temps, une proportion croissante de Canadiens vivent suffisamment longtemps pour toucher des prestations de sécurité sociale et, en moyenne, ils en touchent pendant plus longtemps.

6.22 L'amorce du processus de départ à la retraite des personnes nées pendant l'explosion démographique et une espérance de vie plus longue auront pour effet d'accroître rapidement la population âgée du Canada au cours des deuxième et troisième décennies du siècle prochain. Selon les projections de Statistique Canada, la population de 65 ans et plus augmentera graduellement pour passer d'environ 3,6 millions de personnes aujourd'hui à 5 millions d'ici 2011, et elle grossira au point d'atteindre 9 millions d'ici 2031 (voir la pièce 6.3 ). Les autres segments de la population sont eux aussi appelés à augmenter pendant cette période, mais beaucoup plus lentement. Par conséquent, le rapport des personnes âgées à la population totale doublera, passant de 12 p. 100 aujourd'hui à 22 p. 100 en 2031. Le rapport de dépendance des personnes âgées - soit le rapport de la population âgée de 65 ans et plus à la population âgée de 20 à 64 ans - devrait lui aussi presque doubler, pour passer de 20 p. 100 aujourd'hui à plus de 38 p. 100 en 2031.

6.23 Au sein de la population des aînés, ce sont les personnes les plus âgées qui verront leur nombre augmenter le plus vite. En effet, le segment de 80 ans et plus se multipliera de près de quatre fois au cours des 45 prochaines années, pour passer d'environ 820 000 aujourd'hui à environ 3,1 millions en 2041. La proportion représentée par ce groupe d'âge au sein de la population totale grossira au point de passer de moins de 3 p. 100 aujourd'hui à plus de 7 p. 100, ou de 23 p. 100 à 33 p. 100 de la population âgée. En bref, au cours des prochaines décennies, la population âgée du Canada augmentera considérablement, ainsi que sa moyenne d'âge.

6.24 L'avenir démographique réel pourrait bien différer de l'avenir prévu, mais pas énormément. Les personnes qui prendront leur retraite au cours des prochaines décennies font déjà partie de la population actuelle. Les variations des taux de fécondité ne tombent pas facilement sous l'influence de la politique. Quels que soient les taux de fécondité, la variation de ceux-ci n'aura pas d'effets importants sur la main-d'oeuvre pendant au moins deux décennies. Enfin, les niveaux d'immigration sont le seul levier de politique qui puisse modifier la composition démographique à moyen terme. Mais il est d'une capacité limitée, car même le doublement des niveaux d'immigration actuels ne ferait baisser que très peu le rapport de la population âgée à la population d'âge actif au cours des prochaines décennies.

Le rôle d'une population jeune décroissante
6.25 On pourrait prétendre que le fait d'axer l'étude sur les personnes âgées amène à surestimer les pressions démographiques imminentes au sens où elles ne tiennent pas compte de l'épargne éventuelle provenant d'une population jeune à la baisse par rapport à la population d'âge actif - soit le rapport de dépendance des jeunes. Comme le montre la pièce 6.4 , ce rapport baisse progressivement pendant une grande partie de la période de projection, à tel point que le rapport de dépendance total (jeunes et personnes âgées) n'augmente pas aussi rapidement que le rapport de dépendance des personnes âgées seulement.

6.26 Néanmoins, se fonder sur ces données brutes pour déterminer l'éventuelle incidence financière du rapport de dépendance induirait en erreur, car les jeunes et les aînés ne représentent pas les mêmes exigences en matière de dépenses publiques. Les estimations effectuées pour le Canada indiquent que les dépenses par habitant consacrées aux personnes âgées sont de deux à trois fois plus élevées que celles qui sont consacrées aux jeunes.

6.27 La pièce 6.5 indique les rapports de dépendance des personnes âgées et des jeunes ainsi que les rapports rajustés en fonction des écarts estimatifs entre les dépenses publiques consacrées aux jeunes et celles qui sont consacrées aux personnes âgées. Le tableau montre que, pondérés en fonction des dépenses, les rapports de dépendance, au cours des décennies à venir, seront non seulement beaucoup plus élevés qu'aujourd'hui, mais aussi supérieurs aux rapports déjà élevés enregistrés 30 à 40 ans plus tôt.

Changements démographiques et croissance économique

6.28 On ne comprend pas bien le processus de croissance des économies, mais on peut toutefois tirer des conclusions révélatrices sur les liens qui existent entre les facteurs démographiques et la croissance économique en s'intéressant principalement aux deux grands facteurs de production, à savoir le capital et le travail. Le vieillissement de la population peut avoir des effets sur la croissance économique par le montant de l'épargne intérieure et, conséquemment, par le volume d'investissement ainsi que par les changements qui s'opèrent dans la croissance de la population active.

L'évolution démographique aura un effet modérateur sur l'épargne intérieure
6.29 L'épargne totale, au sein de l'économie, se compose de l'épargne du secteur privé et de celle des administrations publiques. Tout changement démographique peut avoir des effets sur les taux d'épargne des secteurs privé et public.

6.30 Pour les particuliers, une importante raison d'épargner consiste à régulariser la consommation au fil du temps. De façon générale, les particuliers utilisent une proportion plus grande de leur revenu lorsqu'ils sont jeunes (et ont des revenus peu élevés), réduisent leur consommation lorsqu'ils sont d'âge moyen, puis l'augmentent à nouveau pendant leurs années de retraite. Le mode d'épargne est l'inverse du mode de consommation.

6.31 Ce modèle de consommation- épargne porte à croire que les personnes nées pendant l'explosion démographique, qui vivent actuellement leurs meilleures années sur le plan du revenu, vivent également leurs meilleures années sur le plan de l'épargne. Toutes choses étant égales par ailleurs, l'épargne personnelle peut diminuer au cours des prochaines décennies, car cette génération vieillit et se retire de la population active. Il est certes difficile de dire quelle sera l'importance de cette baisse, car nous ne possédons pas d'estimations valables concernant la variation de l'épargne selon les étapes de la vie.

6.32 L'épargne publique est elle aussi touchée par le vieillissement de la population. En effet, le phénomène du vieillissement se traduit par des pressions sur les administrations publiques pour les amener à dépenser davantage, ce qui équivaut à moins épargner. Il en résulte que le Canada pourrait subir une chute marquée de l'épargne totale (des secteurs privé et public réunis) au cours des deuxième et troisième décennies du siècle prochain.

6.33 La pertinence d'une telle perspective pour les finances publiques découle de l'incidence de l'épargne sur la croissance économique et, par conséquent, sur la croissance des recettes publiques. L'épargne est un outil au service de l'investissement. De faibles taux d'épargne se traduisent soit par de faibles taux d'investissement intérieur, soit par un endettement extérieur accru si nous décidons d'emprunter à l'étranger pour maintenir l'investissement à des niveaux élevés. Un investissement moins élevé signifie un capital moins élevé par travailleur et, partant, une productivité et une croissance du revenu moins élevées. Un alourdissement de l'endettement extérieur se traduit par l'acheminement d'une fraction plus élevée des revenus de sources intérieures à des non-résidants, sous la forme de versements d'intérêts ou de dividendes. Dans l'un ou l'autre cas, une chute du niveau de l'épargne intérieure entraînerait une baisse de moyens pour les Canadiens des générations futures et un rétrécissement de l'assiette fiscale des gouvernements canadiens.

La croissance de la population active connaîtra un ralentissement marqué au cours des prochaines décennies
6.34 Deux facteurs déterminent la taille de la population active : la taille de la population d'âge actif et la proportion de cette population qui, soit travaille, soit cherche du travail - c'est-à-dire le taux d'activité. Au cours des prochaines décennies, la croissance de la population active devrait ralentir sous l'effet de l'évolution de ces deux facteurs.

6.35 Selon les projections de Statistique Canada, la croissance annuelle de la population d'âge actif du Canada chutera, pour passer d'un taux moyen de 1,6 p. 100, pour les 20 dernières années, à moins de 1 p. 100 pour les deuxième et troisième décennies du siècle prochain. La croissance de la population active diminuera encore plus, car les taux d'activité sont, eux aussi, appelés à chuter.

6.36 La baisse prévue des taux d'activité est également liée à l'évolution des facteurs démographiques. Dans les prochaines décennies, une proportion croissante de la population active tombera dans les catégories plus âgées, qui se caractérisent par des taux d'activité moins élevés. Plus précisément, la génération issue de l'explosion démographique tombe dans le groupe d'âge (30 à 50 ans) qui correspond au taux d'activité maximal. À mesure qu'elle prendra de l'âge et que sa participation à la vie active s'affaiblira, les taux d'activité globaux tendront à baisser. Il va sans dire que des facteurs autres que les facteurs démographiques - la richesse et les niveaux de revenu, les politiques sociales et les attitudes - auront eux aussi une incidence sur les taux d'activité. Nos projections n'en tiennent pas compte, car leur incidence à long terme est plus difficile à déterminer que celle des facteurs démographiques.

6.37 La pièce 6.6 fait état des taux de croissance de la population active enregistrés dans le passé et prévus pour des périodes précises allant jusqu'en 2031. La réduction escomptée des taux d'activité, alliée au ralentissement de la croissance de la population source, se traduit par une prévision de baisse marquée de la croissance de la population active au cours de la prochaine décennie. D'ici les deuxième et troisième décennies du siècle prochain, à mesure que les personnes nées pendant l'explosion démographique quitteront la population active pour prendre leur retraite, la croissance de la population active ralentira pour presque s'immobiliser.

6.38 De telles perspectives influent directement sur le taux de croissance économique escompté. En effet, la croissance consiste essentiellement en la croissance de l'emploi et de la productivité, soit la production par personne employée. Si la croissance de la population active s'affaiblit, il en sera de même pour la croissance économique, à moins que des gains de productivité ne viennent compenser le recul de la croissance de l'emploi.

6.39 Au cours des 20 dernières années, la croissance du PIB réel au Canada a représenté un taux moyen de 2,6 p. 100 par an. Les gains de productivité ont représenté approximativement un tiers de cette croissance et les gains d'emploi, les deux tiers. Étant donné les projections de la population active que nous avons exposées, la contribution de la croissance de l'emploi diminuera sensiblement au cours des années à venir. Pendant les deuxième et troisième décennies du siècle prochain, la croissance économique sera essentiellement déterminée par le taux de croissance de la productivité. Si, au cours de ces décennies, la tenue de la productivité équivaut au rendement enregistré au cours des deux dernières décennies, la croissance du PIB s'affaiblira pour s'établir à un peu plus de 1 p. 100 par an. Pour atteindre le taux de croissance moyen enregistré depuis le milieu des années 70, le taux de croissance de la productivité devra plus que doubler.

Les taux de croissance de la productivité pourraient être plus élevés, mais ce n'est pas garanti
6.40 Les augmentations de la productivité du travail peuvent se produire essentiellement de deux façons : par des gains d'efficience dans la façon dont le travail et le capital se combinent (ce que les économistes appellent la productivité globale des facteurs - PGF), et par l'augmentation du capital investi par travailleur. Au cours des deux dernières décennies, la PGF a peu augmenté, en dépit des innovations technologiques et des changements structurels qui se sont opérés au sein de l'économie canadienne, comme la réforme fiscale, la déréglementation des services financiers et la libéralisation du commerce.

6.41 Il y a ceux qui croient que cette tendance peut changer sous l'effet de la révolution des technologies de l'information, et ceux qui prétendent que les effets de ces technologies sur la productivité devraient rester peu importants, soit parce que les ordinateurs ont en fait des répercussions relativement insignifiantes, soit parce que les données de sortie officielles n'en tiennent pas compte - par exemple, les avantages associés à l'Internet ou à l'accès aux guichets automatiques bancaires. Si ce point de vue est exact, les technologies de l'information pourraient ne pas être un facteur décisif dans la croissance mesurée du PIB.

6.42 La productivité du travail pourrait s'améliorer, sans pour autant que l'efficience globale ne s'améliore, si la main-d'oeuvre disposait d'un capital accru. Mais étant donné les effets néfastes que le vieillissement de la population pourrait avoir sur les taux d'épargne et, en conséquence, sur le capital, la plupart des prévisions à long terme de l'économie canadienne aboutissent en fait à un taux de croissance en baisse du stock de capital, au cours des prochaines décennies.

6.43 Compte tenu de ces facteurs, il n'est pas garanti que la croissance de la productivité fasse des bonds marqués. Aux fins des projections financières dont on fait état vers la fin du chapitre, nous supposons que la productivité du travail augmentera au taux annuel de 1 p. 100, soit à un taux qui n'est que légèrement supérieur au taux moyen de croissance de la productivité enregistré depuis le milieu des années 70.

6.44 Comme nous l'avons déjà indiqué, la croissance économique consiste essentiellement en la croissance de la productivité et de la population active. Donc, si le taux de croissance de la productivité demeure à peu près constant et qu'il y a ralentissement marqué de la croissance de la population active au cours des prochaines décennies, cela entraînera un recul sensible de la croissance économique (voir la pièce 6.7 ).

Changements démographiques et dépenses publiques

6.45 Des changements dans la structure par âge de la population se répercutent probablement dans une certaine mesure sur toutes les catégories de dépenses publiques. Toutefois, trois secteurs de dépenses sont particulièrement touchés par les changements démographiques : la sécurité sociale, les soins de santé et l'éducation. Étant donné que la fraction que représente la population d'âge scolaire ne change pas suffisamment pendant la période de projection pour avoir une incidence marquée sur les dépenses publiques, nous nous en sommes tenus aux effets du vieillissement uniquement sur les dépenses consacrées à la sécurité sociale et aux soins de santé. Les personnes âgées ne seront pas toutes tributaires des régimes de retraite et des services subventionnés par l'État, mais bon nombre d'entre elles alourdiront les dépenses publiques consacrées à la sécurité sociale et aux soins de santé. Dans cette partie, nous montrons qu'en vertu des politiques en vigueur, les dépenses publiques dans ces deux secteurs augmenteront beaucoup plus vite que le PIB au cours des décennies à venir, même en s'appuyant sur des hypothèses relativement prudentes concernant l'augmentation du coût des soins de santé dans les années à venir.

Les dépenses publiques consacrées à la sécurité sociale augmenteront plus rapidement
6.46 La pièce 6.8 donne un bref aperçu du système de retraite du Canada. Les composantes publiques du système sont financées avant tout par répartition. En d'autres termes, les prestations versées aux bénéficiaires actuels sont financées au moyen de prélèvements sur le revenu d'emploi des travailleurs (dans le cas du Régime de pensions du Canada / Régime de rentes du Québec) ou imputées aux recettes fiscales générales (c'est le cas de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti). En bref, elles sont financées par des paiements de transfert de la population d'âge actif à la population retraitée. Avec l'augmentation du nombre de personnes âgées, le fardeau soutenu par la population d'âge actif s'alourdira lui aussi.

6.47 La pièce 6.9 présente des projections des dépenses consacrées à la sécurité sociale jusqu'en l'an 2031, lorsque toutes les personnes nées pendant l'explosion démographique auront atteint l'âge de la retraite. Ces projections s'appuient sur les données fournies par l'actuaire en chef et reposent sur l'hypothèse d'une croissance annuelle de 1 p. 100 des taux réels de rémunération. Les projections concernant le RRQ s'appuient sur l'hypothèse que les versements effectués ultérieurement, en vertu du programme, ne changeront pas en proportion des versements effectués au titre du RPC. D'après ces hypothèses, la totalité des versements effectués au titre du RPC / RRQ devrait augmenter pour passer de 2,7 p. 100 du PIB en 1996 à 4,7 p. 100 de celui-ci en 2031.

6.48 Les projections concernant la Sécurité de la vieillesse (SV) et le Supplément de revenu garanti (SRG) ne tiennent pas compte des changements dictés par le projet de prestation aux aînés, car cette réforme n'a pas encore donné lieu à l'adoption d'une loi et la forme finale qu'elle prendra n'était pas connue au moment de la rédaction du présent chapitre. En vertu du programme actuel, l'augmentation des dépenses de SV est inférieure à la croissance du PIB pendant les premières années de la période de projection (car les prestations sont liées aux prix et non pas aux salaires), mais prendra de la vitesse pour dépasser la croissance du PIB au cours de la deuxième décennie du siècle prochain, lorsque les premiers-nés de l'explosion démographique pourront prétendre à des prestations de SV. D'ici 2031, les versements au titre de la SV devraient augmenter pour se situer à 2,9 p. 100 du PIB, contre 2,0 p. 100 de nos jours.

6.49 Les dépenses engagées aux termes du programme de SRG augmenteront elles aussi pendant la période de projection, mais moins que les dépenses liées à la SV et légèrement plus que l'économie dans son ensemble. Cela s'explique du fait que les prestations de SRG sont liées au revenu et ont donc tendance à diminuer lorsque d'autres sources de revenu augmentent.

Le vieillissement de la population intensifiera les pressions exercées sur le régime d'assurance-maladie
6.50 Le régime d'assurance-maladie est un régime universel, subventionné par l'État, qui donne accès aux hôpitaux et aux services médicaux. Selon les données de Santé Canada, en 1996, tous les paliers de gouvernement au Canada ont consacré approximativement 52,6 milliards de dollars aux soins de santé, soit 6,4 p. 100 du PIB. L'effort de jugulation des coûts, déployé ces dernières années, a fait baisser les dépenses de santé en proportion du PIB; cette proportion a atteint un sommet de 7,5 p. 100 en 1992. Dans les années 70, les dépenses liées à l'assurance-maladie ont représenté en moyenne moins de 5,5 p. 100 du PIB. La croissance observée depuis lors s'explique avant tout par la majoration des dépenses par utilisateur, pour obtenir davantage de services et des services de meilleure qualité, et par les coûts relativement plus élevés de ces services. Même si dans les années à venir l'augmentation des dépenses par habitant s'avère moins forte que dans le passé, pour tous les groupes d'âge, les dépenses liées à l'assurance-maladie feront, dans l'ensemble, un bond sous l'effet du vieillissement de la population.

6.51 Les coûts des soins de santé suivent une tendance qui varie en fonction de l'âge. En effet, ils tendent à être relativement élevés pendant l'enfance, pour chuter de façon spectaculaire dans le groupe des adolescents et des jeunes adultes, puis augmenter graduellement pendant l'âge moyen et augmenter fortement chez les personnes âgées (voir la pièce 6.10 ). De façon générale, le vieillissement s'accompagne d'une propension accrue à la maladie et aux problèmes de santé, susceptibles de nuire à l'autonomie. Par exemple, la fréquence de l'invalidité s'intensifie avec l'âge. En outre, il est davantage probable que les personnes âgées aient besoin des services des médecins, de services d'hospitalisation ou de soins infirmiers. En moyenne, les dépenses publiques par habitant consacrées aux soins de santé pour les personnes âgées de 65 ans et plus sont près de cinq fois plus élevées que les dépenses par habitant pour les autres groupes d'âge.

6.52 Si les dépenses de santé sont censées connaître une hausse en raison du vieillissement de la population, il est toutefois difficile de prévoir l'évolution de ces coûts avec certitude car, outre les facteurs démographiques, ils dépendent de nombreux autres facteurs qui présentent un haut degré d'incertitude. Figurent parmi ces facteurs l'état de santé des personnes âgées et l'inflation relative dans le secteur des soins de santé. En font également partie l'évolution des technologies et des traitements qui, bien qu'ils ajoutent à la qualité du service, ont également tendance à faire monter la demande de services de soins de santé et le besoin de spécialistes hautement compétents - mais aussi des mieux rémunérés. Finalement, des changements dans l'organisation et la prestation des services médicaux peuvent aussi influer grandement sur les coûts futurs des soins de santé.

6.53 La pièce 6.11 montre les résultats de trois scénarios distincts concernant l'évolution des coûts de santé :

6.54 La troisième projection, selon laquelle les dépenses de santé réelles par habitant demeureront constantes, a pour objectif d'isoler les effets des facteurs purement démographiques sur les dépenses consacrées aux soins de santé. Malgré la jugulation des coûts, les dépenses publiques globales consacrées aux soins de santé augmenteront énormément en chiffres absolus, et à peu près au même taux que la croissance prévue du PIB. Dans les deux autres scénarios, les dépenses consacrées aux soins de santé augmentent beaucoup plus rapidement que le PIB pendant la période de projection : dans le scénario à coût moyen, elles passent de 6,4 p. 100 du PIB en 1996 à 9,0 p. 100 de celui-ci en 2031; dans le scénario à coût élevé, elles doublent pour se fixer à 12,5 p. 100 du PIB pendant cette même période.

6.55 La pièce 6.12 résume les résultats des projections effectuées. Elle indique que les dépenses publiques consacrées à la sécurité sociale et à l'assurance-maladie augmentent pour passer de 11,6 p. 100 du PIB en 1996 à un taux se situant entre 14,7 et 20,7 p. 100 d'ici 2031, selon les hypothèses posées quant à l'augmentation des dépenses de santé. Dans le scénario à coût moyen (selon lequel les dépenses de soins de santé par habitant augmentent au même taux que le traitement moyen), les dépenses publiques consacrées à la sécurité sociale et aux soins de santé augmentent pour s'établir à 17,2 p. 100 du PIB d'ici 2031, soit 5,6 points de pourcentage de plus qu'aujourd'hui. Dans le contexte économique actuel, une telle augmentation équivaut à peu près à 50 milliards de dollars.

Changements démographiques et finances publiques

6.56 D'après notre étude de l'incidence du vieillissement de la population, l'augmentation des dépenses publiques consacrées à la sécurité sociale et aux soins de santé pourrait fort probablement, en vertu des politiques actuelles, prendre de la vitesse dans un peu plus de dix ans. En parallèle, la croissance économique et la croissance des recettes publiques sont probablement appelées à chuter considérablement. Réunies, ces forces peuvent se traduire par des pressions importantes sur les finances publiques à compter de 2010, lorsque les personnes nées pendant l'explosion démographique commenceront à atteindre l'âge de la retraite. La mesure dans laquelle la prochaine génération et les futurs gouvernements pourront faire face à de telles pressions dépendra largement des décisions financières prises annuellement au cours des années à venir. Le problème est que les décideurs ne reçoivent pas suffisamment d'information pour comprendre l'incidence éventuelle des facteurs démographiques et le lien entre cette incidence et les décisions financières prises aujourd'hui.

Les décisions budgétaires prises aujourd'hui ont des répercussions à long terme
6.57 Pour avoir une meilleure idée du genre d'information dont les Canadiens ont besoin pour comprendre le lien entre les soldes budgétaires annuels et l'équité intergénérationnelle, nous avons envisagé trois scénarios budgétaires jusqu'à l'exercice 2010, année où les personnes nées pendant l'explosion démographique commenceront à prendre leur retraite. Ces scénarios présentent diverses façons d'utiliser les soldes budgétaires annuels au cours des quelque dix prochaines années, soit avant que les pressions démographiques auxquelles on s'attend ne se fassent sentir sur nos finances publiques. Nous nous sommes ensuite intéressés aux effets des trois scénarios sur le plan des dépenses de programmes après 2010.

6.58 Les hypothèses sur lesquelles s'appuie chaque scénario sont exposées dans la pièce 6.13 . Aux fins des trois scénarios, les recettes publiques sont censées augmenter en parallèle avec la croissance économique, si bien que les recettes (en proportion du PIB) demeurent constantes pendant toute la période de projection. L'intérêt réel effectif appliqué à la dette publique est fixé à 5 p. 100, soit un taux élevé d'après des normes empiriques, mais moins élevé que le taux moyen des deux dernières décennies. Les dépenses publiques consacrées à la sécurité sociale augmentent, selon les projections dont il est question dans la partie précédente. Les dépenses de santé augmentent avec les dépenses consacrées aux soins de santé en général, lesquelles devraient augmenter selon la projection « à coût moyen » dont il est question dans la partie précédente. (Une telle modélisation des dépenses de santé est contestable, car les dépenses fédérales engagées pour la santé sont surtout des paiements de transfert aux provinces, lesquels ne sont pas liés aux dépenses réelles consacrées aux soins de santé. La raison d'être de cette hypothèse est exposée à la pièce 6.14 .)

6.59 Les trois scénarios se distinguent uniquement sur le plan des hypothèses que nous avons posées au sujet des dépenses « discrétionnaires » du gouvernement (les dépenses de programmes dans des secteurs autres que la santé et la sécurité sociale) ainsi que des soldes budgétaires et des niveaux de la dette qui en résultent.

6.60 Dans le scénario numéro un, tout l'excédent prévu est utilisé pour réduire la dette. Il représente essentiellement le maintien de la politique de restriction budgétaire suivie par le gouvernement ces dernières années. Dans ce scénario, les dépenses discrétionnaires jusqu'en 2010 ne peuvent augmenter qu'en fonction de l'inflation. Les excédents budgétaires qui découlent de cette politique, bien que peu élevés au début, augmentent rapidement au fil du temps, et donnent lieu à une baisse tout aussi marquée de la dette publique. D'ici 2010, le ratio de la dette au PIB diminue pour s'établir à 23 p. 100, soit à peu près le même que vers le milieu et la fin des années 70 (voir la pièce 6.15 ).

6.61 Selon le scénario numéro deux, tous les excédents prévus sont dépensés. Autrement dit, l'équilibre budgétaire est maintenu jusqu'en 2010. Le deuxième scénario permettrait une augmentation graduelle, d'une année sur l'autre, des dépenses discrétionnaires, à la fois en termes réels et en proportion du PIB. L'encours de la dette demeure inchangé, mais le ratio de la dette au PIB chute tandis que la croissance économique se poursuit. Étant donné que les projections s'appuient sur la croissance économique, le ratio de la dette chute pour s'établir à 42 p. 100 en 2010, soit le niveau enregistré il y a environ 14 ans.

6.62 Le scénario numéro trois est une option intermédiaire au sens où une partie de l'excédent prévu est dépensée et une autre partie est utilisée pour réduire la dette. Plus précisément, ce scénario s'appuie sur l'hypothèse d'une augmentation des dépenses discrétionnaires, au-delà de l'an 2000, au même taux que celui de la croissance économique. Étant donné l'ampleur du solde de fonctionnement au début de la période de projection, le troisième scénario amène lui aussi des excédents budgétaires importants et croissants, bien que dans une proportion moindre que dans le premier scénario. Le ratio de la dette au PIB diminue pour s'établir à environ 32 p. 100 en 2010, soit le niveau enregistré en 1982.

6.63 Il ressort clairement, dans les trois scénarios, que le ratio de la dette au PIB baisse sensiblement au regard des niveaux actuels, mais sans jamais passer le plancher enregistré il y a 20 ans. Qui plus est, l'accumulation de la dette à laquelle nous avons assisté depuis le milieu des années 70 s'est produite en dépit d'une conjoncture démographique favorable, caractérisée par une forte croissance de la population active et une baisse des rapports de dépendance. En revanche, au cours des années qui suivront 2010, la croissance de la population active sera faible et les rapports de dépendance seront à la hausse. Dans un tel contexte, malgré les dix années d'assainissement des finances publiques prévu par chaque scénario, la santé financière de l'État sera moins bonne lorsque les personnes nées pendant l'explosion démographique quitteront la population active que lorsqu'elles l'ont intégrée.

6.64 Les projections faites au sujet des dépenses discrétionnaires pendant les années qui suivront 2010 illustrent cette affirmation. La pièce 6.16 montre les dépenses moyennes consacrées aux programmes publics autres que la sécurité sociale et les soins de santé (« dépenses discrétionnaires »), en proportion du PIB, pendant des périodes précises allant jusqu'à l'exercice 2032. À des fins de comparaison, on y a fait figurer les dépenses discrétionnaires pendant la période de 1976 à 1997.

6.65 Les projections jusqu'en 2010 indiquent les résultats des trois scénarios dont il a été question précédemment. Les projections, pour les années qui suivront 2010, sont établies d'après l'hypothèse que le ratio de la dette au PIB se maintiendra au niveau qu'il aura atteint en 2010, et ce dans chacun des trois scénarios. Les hypothèses concernant la croissance des recettes publiques, les frais d'intérêt et les « dépenses liées aux droits de paiement » (dépenses consacrées à la sécurité sociale et à la santé) ne changent pas. Les dépenses discrétionnaires sont rajustées afin de maintenir les équilibres budgétaires requis pour que le ratio de la dette demeure constant.

6.66 Les résultats exposés dans la pièce 6.16 donnent lieu à un certain nombre d'observations.

6.67 Premièrement, dans les trois scénarios, les dépenses discrétionnaires prévues au cours de la prochaine décennie sont beaucoup moins élevées que celles prévues au cours des années qui suivront. C'est en partie le prix à payer pour faire baisser le ratio de la dette, ce qui veut dire que, jusqu'en 2010, le budget reste en excédent ou en équilibre. C'est également le résultat des mesures de restriction financière : étant donné que le fardeau de la dette sera considérablement allégé au cours des années qui suivront 2010, une fraction plus petite du budget sera consacrée aux frais de service de la dette et une proportion plus grande sera libérée pour des dépenses de programmes.

6.68 Les différents niveaux des dépenses discrétionnaires prévus dans chaque scénario donnent également une idée des gains qui découlent des mesures de restriction financière. Une politique de « stockage » des excédents susceptibles d'être réalisés au cours de la prochaine décennie, comme c'est le cas dans le scénario numéro un, donne lieu à des dépenses « discrétionnaires » à long terme qui sont supérieures d'environ 6 p. 100 à celles du scénario qui s'appuie sur l'équilibre budgétaire. Selon les données de l'économie actuelle, cela représente approximativement cinq milliards de dollars. Et même dans le scénario le plus rigoureux des trois, les dépenses discrétionnaires pendant les deuxième et troisième décennies du siècle prochain demeurent bien inférieures aux niveaux observés dans les années 70 et 80.

6.69 En fait, chaque scénario représente un itinéraire budgétaire distinct jusqu'en 2010. Plus l'itinéraire est restrictif - c'est-à-dire plus nous « stockons » les excédents éventuels au lieu de les dépenser à mesure - plus l'encours de la dette sera décru à la fin de l'itinéraire fixé. Une dette moins élevée donne évidemment lieu à des frais de service moins élevés et, partant, à des possibilités de dépenses accrues pour les programmes, et ce, quel que soit le niveau des recettes. En bref, plus nous dépensons aujourd'hui, moins nous pourrons, nous ou nos enfants, dépenser demain.

6.70 Enfin, la pièce 6.16 montre également que les dépenses discrétionnaires (par rapport à la taille de l'économie) sont moins élevées dans la deuxième moitié de la période allant de 2010 à 2032 que dans la première moitié. Cette différence tient essentiellement aux pressions découlant des dépenses liées aux droits de paiement (Sécurité de la vieillesse, Supplément de revenu garanti et santé) qui pèseront sur les autres programmes. Comme nous l'avons dit au début du présent chapitre, la croissance de la population âgée du Canada s'accélérera au cours des deuxième et troisième décennies du siècle prochain car, pendant cette période, bon nombre des personnes nées pendant l'explosion démographique rejoindront le groupe des 65 ans et plus. Selon les politiques actuelles, cette perspective de vieillissement fera grimper les dépenses publiques consacrées à la sécurité sociale et aux soins de santé. Et pour absorber ces augmentations sans pour autant alourdir le fardeau fiscal global ou accroître le niveau d'endettement, il faudra diminuer les dépenses publiques dans d'autres secteurs.

6.71 Dans les trois scénarios exposés, les dépenses discrétionnaires constituent la variable qui s'ajuste afin d'atteindre les divers objectifs financiers déterminés par la politique. Cette façon de s'y prendre avait pour seul but de faciliter l'explication. Les mêmes objectifs pourraient également être atteints au moyen de changements fiscaux ou encore de mesures fiscales et de mesures touchant les dépenses.

6.72 Toute projection à long terme est de nature hautement conjecturale. En effet, elle s'appuie sur des hypothèses qui pourraient ne pas se concrétiser. Mais, si l'incertitude règne quant aux résultats précis à atteindre, la tendance générale n'a rien d'incertain : le rapport de la population active à la population inactive diminuera de façon spectaculaire au cours des prochaines décennies, entraînant une intensification des pressions sur les dépenses publiques tout en limitant la capacité de réaction du gouvernement. L'ampleur de ces conséquences dépendra de façon impérieuse des politiques suivies d'ici là pour en minimiser l'incidence. Des projections à long terme présentées clairement, portées à la connaissance du Parlement et du public, peuvent aider à définir les défis financiers dont l'avenir sera jonché ainsi que les arbitrages dont s'accompagneront les diverses options pour relever de tels défis.

Initiatives gouvernementales

De nombreux pays pratiquent la budgétisation à long terme
6.73 Le vieillissement de la population n'est pas un phénomène unique au Canada. La plupart des pays industrialisés et une bonne partie des pays du tiers monde connaîtront le même phénomène au cours des prochaines décennies. Plusieurs organisations internationales, et tout particulièrement l'OCDE et la Banque mondiale, ont amorcé d'importants programmes de recherche dont l'objectif est d'évaluer les effets du vieillissement de la population sur les finances publiques et de définir des approches face aux défis financiers à relever. Ces dernières années, de nombreux pays ont également parlé de modifier leurs rapports financiers afin de faire davantage état des pressions financières à long terme associées au vieillissement de la population.

6.74 Les États-Unis et le Danemark sont probablement les pays les plus avancés sur ce point. En effet, les deux pays publient des projections des soldes budgétaires selon diverses hypothèses, sur des périodes de 40 à 50 ans. L'incidence des facteurs démographiques sur les finances publiques est prise en compte de façon explicite dans ce genre de projections.

6.75 D'autres pays, même s'ils n'effectuent pas de projections à long terme détaillées, complètent néanmoins leurs rapports financiers par d'autres moyens qui apportent une perspective à long terme à la prise de décisions budgétaires. Par exemple, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande est tenu, par la loi, d'établir des objectifs financiers à long terme et d'exposer dans son budget la façon dont ses plans financiers appuient les objectifs établis. Dans le cadre de ce processus, le gouvernement néo-zélandais a commencé à rendre compte des pressions démographiques qui devraient se manifester au cours des prochaines décennies et de l'incidence éventuelle qu'elles pourraient avoir sur la situation financière du gouvernement. Une loi semblable à celle de la Nouvelle-Zélande a été présentée au Parlement de l'Australie.

6.76 Une autre façon de donner une orientation à long terme au processus budgétaire consiste à produire des comptes intergénérations (voir la pièce 6.17 ). Ces dernières années, les gouvernements des États-Unis, de l'Argentine, de la Nouvelle-Zélande et de la Norvège ont produit des comptes intergénérations. En novembre 1997, le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé un projet en ce sens.

Le Canada ne figure pas parmi eux
6.77 Comparativement aux processus budgétaires décrits dans les paragraphes qui précèdent, le cadre financier du gouvernement repose sur un horizon prévisionnel très court. En effet, le plan financier qui accompagne le budget annuel ne couvre que deux ans.

6.78 Le Régime de pensions du Canada, la Sécurité de la vieillesse et plusieurs régimes de pension de la fonction publique font régulièrement l'objet d'analyses actuarielles à long terme, conformément à la loi. Toutefois, à l'exception de ces analyses, aucune loi n'exige que des projections financières à long terme soient faites à l'égard d'autres engagements du gouvernement, et aucune projection n'est faite régulièrement. En 1992, un groupe de travail mixte fédéral-provincial a terminé une étude sur le coût de la gestion des affaires de l'État et des dépenses, commandée par les ministres des Finances et les trésoriers. Une partie de cette étude a consisté à examiner les pressions qui s'exerceraient sur les dépenses publiques et à établir des projections à long terme (jusqu'en 2025) des dépenses consacrées à la santé, à l'éducation et aux services sociaux, selon diverses hypothèses économiques et démographiques. De plus, un certain nombre d'études internes ont été menées sur l'incidence économique à long terme du phénomène du vieillissement. À l'automne de 1997, le gouvernement a organisé une conférence réunissant des experts pour discuter de ces questions.

6.79 Récemment, le ministère des Finances a établi un modèle économique qui permet d'effectuer des projections à long terme de l'éventuelle croissance de l'économie canadienne. Il ne faudrait pas consacrer beaucoup plus de ressources à ce modèle pour le doter d'une composante financière qui permettrait au Ministère de préparer également des projections à long terme des soldes budgétaires et des niveaux de la dette.

Conclusion

6.80 Le vieillissement de la population n'est pas un problème théorique, mais un véritable phénomène, qui se produit maintenant. Nous vivons plus longtemps et nous avons moins d'enfants. Ce sont là des faits incontestables.

6.81 Il est aussi indéniable que ces tendances démographiques auront de sérieuses conséquences pour l'économie dans les années à venir. Le vieillissement a des répercussions sur l'épargne et, par conséquent, sur l'investissement dans l'économie; il a également des effets sur la taille et la composition de la population active, ce qui influe ensuite sur la croissance économique. Certes, le cours des choses peut changer, mais rien ne peut changer la réalité, soit l'aboutissement d'une explosion démographique et le fait que nos taux de fécondité ont été inférieurs aux taux requis pour maintenir le niveau actuel de population. À moins d'une augmentation marquée de la productivité ou encore d'une transformation de nos habitudes de travail et de retraite, les tendances démographiques qui se manifestent actuellement portent à croire que la croissance de l'économie et, par voie de conséquence, la croissance des recettes publiques, diminueront graduellement au cours des prochaines décennies.

6.82 Les facteurs démographiques peuvent également influer sur les dépenses publiques. En vertu des lois en vigueur, le coût global de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti est appelé à augmenter, en chiffres absolus et en proportion du PIB. Les coûts de la santé, au sein de l'économie dans son ensemble, augmenteront également en proportion du PIB. La mesure dans laquelle ces hausses auront des effets sur les dépenses réelles du gouvernement fédéral dépend de plusieurs facteurs, dont le maintien des transferts financiers actuels, la probabilité que de nouveaux programmes fédéraux comme l'assurance-médicaments et les soins infirmiers à domicile soient instaurés et d'autres éléments qui pourraient avoir des répercussions sur la part des dépenses de santé absorbée par le gouvernement fédéral. Mais si cette part diminue, il faudra que quelqu'un d'autre l'absorbe, qu'il s'agisse des provinces ou de participants à des ententes conclues avec le secteur privé. Étant donné que l'argent ne provient que de la poche des contribuables, si les responsabilités financières du secteur privé ou des provinces augmentent, des pressions seront alors exercées pour réduire l'imposition fédérale.

6.83 On ne connaît pas avec certitude l'ampleur exacte de l'incidence des facteurs démographiques. Toutefois, l'orientation à prendre ne fait pas l'ombre d'un doute. Nous savons que plus le ratio de la dette baisse, plus facile il sera, pour les gouvernements de demain, de respecter les engagements pris à l'égard des personnes âgées et de financer d'autres secteurs de programmes comme l'environnement, les sciences et la technologie, et l'éducation. Les scénarios que nous avons établis soulignent la nature et l'importance des arbitrages requis.

6.84 Certes, le cours des événements pourrait changer et se répercuter sur la croissance de la population active, voire la productivité. Les événements pourraient aussi avoir une incidence sur le coût et la fraction des soins de santé qui incombent au gouvernement fédéral. Dans tous les cas, il est possible de démontrer que les facteurs démographiques jouent un rôle important et peuvent modifier la situation financière à long terme du gouvernement.

6.85 Le gouvernement en est conscient et il a consacré de nombreuses heures de travail à la question. Le ministère des Finances a financé des ateliers réunissant des universitaires pour alimenter le débat sur la question et il a établi un modèle à long terme pour évaluer les facteurs en jeu. Toutefois, à ce jour, le gouvernement n'a pas encore publié de projections de ce genre.

6.86 En tant que bureau de vérification, notre rôle ne consiste pas à faire concurrence à des groupes de réflexion ou à des services de prévision dont le rôle est de fournir une gamme de prévisions sur l'économie canadienne et la santé financière du gouvernement, ni de compléter ce rôle. Notre responsabilité consiste, entre autres choses, à faire des commentaires sur la crédibilité, la fiabilité et l'intelligibilité des rapports financiers du gouvernement. Comme nous l'avons dit à maintes reprises, il faut adopter une attitude prospective pour comprendre les répercussions qui se concrétiseront ultérieurement, aux fins de l'évaluation de la santé financière actuelle de l'État. À cet égard, nous sommes d'avis que le gouvernement n'a pas fourni suffisamment de renseignements aux Canadiens pour leur permettre de faire des choix qui ont des répercussions non seulement sur eux, mais aussi sur les générations de demain.

6.87 Pour aider les législateurs et les Canadiens à mieux comprendre les défis financiers qui pointent à l'horizon, le gouvernement devrait produire des projections financières à long terme en s'appuyant sur les politiques telles qu'elles existent et des solutions de rechange. Ces projections seraient ensuite présentées au Parlement, dans le cadre du budget annuel ou encore pendant les consultations prébudgétaires. Deux grandes raisons justifient cette démarche. Premièrement, plus l'information est transparente, plus elle est de meilleure qualité. La lumière est le meilleur des antiseptiques. Dans le cas qui nous occupe, même si les projections du gouvernement ne sont pas parfaites (et c'est la nature même de toute projection), les divulguer permet d'en faire une meilleure analyse et, en fin de compte, d'améliorer l'information. Deuxièmement, si l'information est rendue publique, le Parlement et le public peuvent se faire une meilleure idée de l'incidence financière à long terme des choix budgétaires qui sont faits.

6.88 Enfin, en faisant de telles suggestions, nous ne visons pas à rendre le gouvernement responsable des résultats financiers qui seront atteints dans cinq, dix ou vingt ans. Ce ne serait évidemment ni juste ni faisable. Aucun gouvernement ne pourrait publier des estimations de ses recettes ou de ses dépenses à moyen et à long terme et garantir qu'elles se concrétiseront. À ce propos, il convient de noter que le fait de rendre compte de l'atteinte d'objectifs mobiles sur deux ans semble très défendable.

6.89 Toutefois, traiter de l'incidence que le vieillissement de la société peut avoir sur la situation financière à long terme du gouvernement exige que des choix judicieux soient faits aujourd'hui. Et fournir de l'information aux parlementaires pour les aider à faire ces choix, ce n'est pas devoir rendre compte de ce qui se produira à long terme, mais simplement en tenir compte. En ce moment, le vieillissement de la population étant une quasi-certitude, nous croyons qu'il est essentiel, pour que ses rapports financiers soient utiles, que le gouvernement traite des effets possibles des facteurs démographiques.

Réponse du ministère des Finances : Le gouvernement continue de procéder à sa planification financière en se fondant sur une stratégie simple - qui consiste à atteindre des objectifs à long terme en établissant des objectifs à court terme réalistes et en les atteignant. Il s'agit là d'une démarche mesurée et responsable. Il s'agit aussi d'une démarche efficace.

De plus, la gestion des finances publiques ne s'effectue pas en vase clos; plutôt, la politique gouvernementale est administrée en tenant bien compte des répercussions financières du vieillissement de la population. Le gouvernement et le ministère des Finances ont pris des mesures concrètes pour analyser le problème du vieillissement de la population et en tenir compte.

En fait, les extrapolations mêmes figurant dans le chapitre reproduisent en grande partie les résultats d'une étude réalisée il y a six ans par un groupe de travail fédéral-provincial composé de représentants des ministères des Finances et des Trésors provinciaux. Le gouvernement participe aussi actuellement aux travaux du Groupe de travail du G-10 sur le vieillissement des populations, qui pousse encore plus loin l'examen des répercussions économiques et financières du vieillissement de la population (le vieillissement de la population n'est pas un phénomène qui touche uniquement le Canada).

Plutôt que de se contenter d'étudier tout simplement la question, le gouvernement a proposé d'apporter deux changements de politique importants pour s'assurer que notre régime public de pensions demeure viable en dépit des changements démographiques à venir. Le premier a été la proposition du budget de 1996 de remplacer le régime actuel de revenu de retraite par la Prestation aux aînés. L'objectif fondamental de la réforme proposée est de contenir la croissance des coûts tout en protégeant et en améliorant le système de retraite pour les personnes âgées à revenus faibles et modestes. Le deuxième changement a été l'entente récente entre le gouvernement fédéral et huit gouvernements provinciaux afin de réformer le Régime de pensions du Canada. Cette réforme du RPC fera qu'il demeure financièrement solide à long terme et qu'il continue d'être là pour les générations futures.

Le gouvernement estime que la présentation de projections financières à long terme au Parlement tous les ans ne servirait qu'à détourner l'attention de l'objectif important que constitue la réduction de la dette. La meilleure façon de gérer les finances est la démarche réfléchie et délibérée qui consiste à atteindre des objectifs à long terme grâce à l'établissement d'objectifs à court terme réalistes, et à prendre des mesures tangibles pour que les programmes demeurent viables pendant la prochaine période de changements démographiques.


À propos de l'étude

Objectifs

La présente étude avait un double objectif :

Étendue et méthode

L'étude a porté sur l'évolution prévue des facteurs démographiques au cours des trois à quatre prochaines décennies et sur les conséquences de cette évolution pour les recettes et les dépenses publiques. L'étude a également consisté à examiner le processus budgétaire fédéral, en insistant tout spécialement sur les projections financières du ministère des Finances et la divulgation de ces projections au public.

Les constatations de l'étude s'appuient sur :

La période de projection choisie s'arrête en 2031, car nous tenions à saisir l'incidence du départ à la retraite massif des membres de la génération issue de l'explosion démographique tout en conservant une période de référence raisonnable.

Équipe chargée de l'étude

Vérificateur général adjoint : Ronald C. Thompson
Directeur principal : Jeff Greenberg
Directeur : Basil Zafiriou

Paul Zind

Pour obtenir de l'information, veuillez communiquer avec M. Jeff Greenberg.