Commentaires d'introduction au Comité de l'environnement et du développement durable

1999 - Rapport du commissaire à l'environnement et au développement durable

line

25 mai 1999

Brian Emmett, commissaire à l'environnement et au développement durable

Monsieur le Président, je suis heureux d’être ici pour discuter de mon troisième rapport au Parlement, qui a été déposé aujourd’hui. Je suis accompagné de mes collègues Wayne Cluskey et Richard Smith. Après quelques remarques préliminaires, nous serons heureux de répondre aux questions du Comité.

Aperçu

Vous vous souvenez peut-être que l’an passé, nous avons adopté une perspective internationale, examinant les changements climatiques, la biodiversité et certains accords. Dans notre rapport, nous mettions l’accent sur l’écart entre la réalité et les objectifs – c’est-à-dire l’écart entre les engagements internationaux du gouvernement fédéral en matière d’environnement et de développement durable et les mesures prises pour y donner suite.

Le développement durable n’est pas simplement un problème planétaire éloigné de nous. Si vous œuvrez dans le secteur des pêches sur la côte Est ou sur la côte Ouest, vous savez que le développement non durable vous atteint là où vous vivez et là où vous travaillez. Si vous êtes un Autochtone vivant dans le Nord qui devez réfléchir à deux fois avant de manger des mets traditionnels, vous savez que le développement non durable vous atteint là où vous vivez et là où vous travaillez. Si vous êtes le père ou la mère d’un enfant dont les crises d’asthme sont aggravées par le smog, vous savez que le développement non durable vous atteint là où vous vivez et là où vous travaillez.

L’expression « développement durable » ne fait peut-être pas partie du vocabulaire de la plupart des Canadiens, mais ceux-ci savent intuitivement ce qu ‘elle signifie. Cela veut dire prendre soin des gens et en même temps de l’environnement dans lequel ils vivent. Les Canadiens savent pourquoi il est important de prendre soin des deux.

Alors cette année, nous nous sommes intéressés à ce qui se passe chez nous. Nous avons donc examiné les questions liées à l’environnement et au développement durable qui sont importantes pour les Canadiens. Le principal message de mon rapport est qu’il continue à y avoir un écart important entre ce qui se dit et ce qui se fait au niveau fédéral. Et cet écart coûte cher : nous en payons le prix sur le plan de la santé, de l’environnement, de la qualité de vie et de l’héritage légué à nos enfants et à nos petits-enfants.

Si nous prenons un peu de recul, nous pouvons tous voir que la ligne de tendance des pressions environnementales est assez claire : population croissante, consommation croissante, utilisation croissante des ressources. On peut prévoir sans se tromper qu’elle se maintiendra.

On peut parfois avoir l’impression de naviguer à contre-courant. Nous savons que sur une longue période nous devons travailler plus fort et plus intelligemment tout simplement pour rester là où nous sommes. C’est ce qui rend notre inaction encore plus déconcertante et plus troublante.

Dans les domaines où nous agissons rapidement et efficacement, nous pouvons constater des réussites, à preuve : la quasi-disparition du plomb de l’air que nous respirons, la réduction et l’élimination des substances qui détruisent la couche d’ozone dans l’atmosphère terrestre.

Mais si nous ralentissons ou nous reposons sur nos lauriers, les problèmes s’aggravent et nous prenons du retard, avec les résultats prévisibles que cela suppose : hausse des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre, surutilisation des ressources renouvelables et présence de substances toxiques dans l’air et dans l’eau.

Comme je l’ai déjà dit, ces problèmes nous atteignent là où nous vivons et là où nous travaillons.

Je reste convaincu que nous pouvons faire mieux en appliquant de saines pratiques de gestion à nos objectifs dans le domaine de l’environnement et du développement durable. Comme l’ont prouvé des organisations du monde entier, tant du secteur public que du secteur privé, il existe des solutions, même si ce ne sont pas toujours des solutions rapides. La persévérance – la volonté de fournir un effort soutenu et ciblé : voilà ce dont nous avons besoin.

Chacun des chapitres de mon rapport dit quelque chose d’important au sujet de la gestion, par le gouvernement fédéral, des enjeux liés à l’environnement et au développement durable, notamment sur la consultation publique, les engagements internationaux concernant l’Arctique et l’intégration des considérations environnementales dans les politiques, les programmes et les activités quotidiennes du gouvernement.

Aujourd’hui, je me concentrerai sur trois parties importantes de mon rapport : la gestion des substances toxiques, les ententes fédérales-provinciales en matière d’environnement et les stratégies de développement durable des ministères.

Gestion des substances toxiques

Comme le Comité le sait, l’objectif de la politique du gouvernement fédéral est de permettre l’utilisation sécuritaire et productive des produits chimiques tout en protégeant les Canadiens et leur environnement contre les risques inacceptables. Notre examen a porté sur la capacité du gouvernement fédéral de détecter les substances toxiques et d’en comprendre les effets sur notre santé et sur notre environnement – en d’autres mots, avons-nous les capacités scientifiques nécessaires pour faire le travail? Nous avons aussi examiné la gestion des risques posés par les substances toxiques.

Même si les rejets de bon nombre de substances toxiques ont été réduits, nous avons décelé un certain nombre de fissures dans l’infrastructure scientifique fédérale.

Voici une liste partielle de nos constatations : mauvaise coordination interministérielle des efforts de recherche, réseaux de surveillance incomplets, engagements non respectés, absence de réévaluation des pesticides au regard des nouvelles normes en matière de santé et d’environnement et écart croissant entre les demandes imposées aux ministères et les ressources dont ils disposent pour répondre à ces demandes. Tout cela mis ensemble finit par créer un grave problème.

Les membres du Comité connaissent sans doute les faits importants :

La gestion efficace des risques se heurte à des obstacles et nous concluons que les mesures prises sont insuffisantes.

La Politique de gestion des substances toxiques est la pierre angulaire de la politique fédérale; elle énonce le principe de prévention et de précaution à l’égard de substances qui pourraient nuire à la santé humaine ou à l’environnement. Cependant, elle n’est pas mise en œuvre comme prévu. Peu de ministères ont établi les plans de mise en œuvre exigés par la Politique et les stratégies de gestion des risques de nombreuses substances toxiques n’ont pas été élaborées.

Nous avons constaté que les ministères fédéraux sont profondément divisés sur nombre de questions importantes. Ils ne voient pas du même oeil la façon dont les substances toxiques devraient être gérées. Ils sont en profond désaccord sur le niveau de risque posé par certains produits chimiques industriels, sur l’interprétation de la politique fédérale et les mesures à prendre pour la mettre en œuvre, sur les mérites relatifs des contrôles volontaires et réglementaires et sur les responsabilités et les rôles respectifs des ministères.

Dans le chapitre 3, on présente à la pièce 3.5, à titre d’exemple, le cas de l’acroléine – l’ingrédient actif d’un herbicide aquatique –. Depuis 1994, le ministère des Pêches et des Océans et l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire n’ont pas réussi à s’entendre sur la question de savoir si les canaux d’irrigation relevaient de la Loi sur les pêches et donc si l’utilisation de l’acroléine à proximité de ces derniers était contraire à la Loi. La question n’a pas encore été réglée et l’on continue d’utiliser l’acroléine.

La pièce 3.7 présente une seconde étude de cas – la question du mercure. Les ministères fédéraux ne s’entendent pas sur la proportion des rejets naturels dans l’environnement par rapport aux rejets de nature humaine. Résultat : le Canada présente une opinion divisée dans les négociations internationales sur le mercure et les métaux lourds.

Je peux seulement conclure que le comportement de certains ministères constitue un obstacle de taille à l’efficacité des programmes fédéraux. Les conflits ont dépassé le cadre des discussions saines, miné les relations et entraîné l’indécision, l’inaction, l’utilisation inefficace des ressources et des connaissances fédérales et, dans au moins un cas, ils se sont soldés par une situation embarrassante pour le Canada sur la scène internationale.

Il n’existe pas de solution facile aux problèmes que nous avons décelés. Certains sont le produit de conflits entre les parties visées par le mandat des ministères et la loi. D’autres découlent du fait que les ministères ne travaillent tout simplement pas bien ensemble. Des mécanismes sont mis en place, mais lorsque les ministères se trouvent dans une impasse, il n’y a personne pour les sortir de là.

Ensemble, ces problèmes menacent la capacité du gouvernement fédéral de détecter, de comprendre et de prévenir les effets des substances toxiques sur la santé des Canadiens et leur environnement.

Nous avons formulé 27 recommandations pour rectifier la situation. Par exemple, les ministères doivent :

J’aimerais avoir la chance de discuter plus à fond de ces questions avec le Comité. La réponse des ministères à nos recommandations se trouve dans le chapitre 4.

Ententes fédérales-provinciales en matière d’environnement

Dans son rapport de décembre 1997 sur l’harmonisation et l’environnement, le Comité nous a demandé d’évaluer la performance du gouvernement fédéral sous le régime des ententes bilatérales en vigueur.

Pour répondre à sa demande, nous avons examiné sept ententes conclues aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et de la Loi sur les pêches en Alberta, en Colombie-Britannique, au Québec et en Saskatchewan – les quatre provinces avec lesquelles le gouvernement fédéral a signé des ententes.

Nous avons conclu que, de manière générale, les ententes fédérales-provinciales offrent la possibilité d’accroître la protection de l’environnement et de rationaliser les activités administratives et réglementaires entre les deux paliers de gouvernement. Toutefois, nous avons constaté que ces ententes précises ne donnent pas les résultats attendus.

Premièrement, leur conception comporte des lacunes importantes. Les liens avec l’amélioration de la performance environnementale ne sont pas établis, il n’existe aucune disposition à propos de la vérification, ni de compte rendu des fonds fédéraux transférés et ni d’exigence quant à la communication des résultats d’évaluation. De plus, il n’existe que des lignes directrices limitées sur les rapports annuels.

Deuxièmement, avant de conclure ces ententes, le gouvernement fédéral n’a pas officiellement analysé ou consigné les risques connexes, y compris la question de savoir si les deux parties étaient en mesure de faire ce qu’elles s’étaient engagées à faire.

Troisièmement, nous avons constaté que beaucoup d’éléments clés des ententes n’ont tout simplement pas été mis en œuvre. Dans certains cas, les comités fédéraux-provinciaux qui devaient gérer les ententes n’ont jamais été mis sur pied. L’incidence des ententes sur la performance environnementale ou sur les industries touchées par les ententes n’a pas fait l’objet d’une analyse continue.

Enfin, le gouvernement fédéral ne dispose d’aucun plan documenté advenant qu’une province soit incapable d’assumer ses responsabilités ou que l’un des deux gouvernements décide de mettre fin à l'entente.

Comme les membres le savent, le gouvernement fédéral prévoit signer d’autres ententes bilatérales dans le cadre du récent Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale. Nous voulons que ces 14 recommandations contribuent à faire incorporer les leçons apprises importantes dans ces nouvelles ententes.

Je suis convaincu que le Comité est d’accord. À mon avis, pour renforcer les ententes, Environnement Canada doit :

Je serai heureux de discuter plus à fond de ces questions avec le Comité.

Stratégies de développement durable

Les stratégies de développement durable des ministères – et les rapports annuels sur les progrès réalisés – constituent un nouveau moyen d’améliorer la gestion, par le gouvernement fédéral, des enjeux liés au développement durable. Les ministères sont maintenant arrivés à mi-chemin du premier cycle de trois ans, mais lorsque nous avons fait notre vérification, ils n’en étaient encore qu’aux premières étapes de la mise en œuvre de leur stratégie.

Même si les ministères signalent qu’ils procèdent à la mise en œuvre de leur stratégie, je crois que l’information qui a été fournie aux parlementaires et au public ne permet pas de juger si, dans l’ensemble, les stratégies sont sur la bonne voie ou si des mesures correctrices s’imposent.

De plus, les ministères ne font que commencer à établir des pratiques à l’appui de la mise en œuvre de leur stratégie. La pièce 1.6 du chapitre 1 présente sous un angle intéressant l’écart entre les objectifs et la réalité dont je parle dans le présent rapport et dont j’ai parlé dans mes rapports précédents.

Prenant la norme ISO 14001 comme point de référence, nous avons constaté que les ministères avaient établi environ le tiers des pratiques de gestion nécessaires pour fournir l’assurance que les stratégies seront mises en œuvre de façon efficace. Les pratiques de gestion sont relativement plus solides au début du cycle de gestion, soit à l’étape de la planification, et s’affaiblissent progressivement aux étapes de la mise en œuvre, de la surveillance et des mesures correctives.

Nous formulons deux recommandations.

Les ministères sont aussi tenus de mettre à jour leur stratégie tous les trois ans, la première mise à jour étant prévue pour décembre 2000. Plus tard cette année, j’ai l’intention de publier un rapport spécial indiquant mes attentes à l’égard de cette mise à jour. Mais auparavant, j’aimerais avoir des entretiens avec les membres du Comité pour faire en sorte que leurs vues y soient incorporées.

Conclusion

Pour conclure, Monsieur le Président, j’aimerais remercier le Comité de son intérêt et de son appui indéfectibles.

Le principal message de mon rapport est qu’il subsiste un écart important entre ce qui se dit et ce qui se fait au gouvernement fédéral en matière d’environnement et de développement durable. Nous en payons le prix sur le plan de la santé, de l’environnement, de la qualité de vie et de l’héritage légué à nos enfants et à nos petits-enfants.

En 1997, aux Nations Unies, le Canada s’est joint à la communauté internationale pour réaffirmer son engagement envers le développement durable et la réalisation de progrès mesurables pour 2002. Monsieur le Président, il ne nous reste que trois ans.

Des organisations du monde entier ont prouvé qu’elles pouvaient accroître leur performance environnementale en améliorant leurs pratiques de gestion de base. Le gouvernement fédéral du Canada se doit de faire de même.

Comme je l’ai dit l’an dernier, le travail du Comité est indispensable pour que le Canada parvienne à atteindre ses buts en matière d’environnement et de développement durable. J’espère que cette relation productive se poursuivra.

Nous serons heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir.