Commentaire d’introduction au Comité de l’industrie

Examen du projet de loi C-53

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27 octobre 1998

Richard Flageole, FCA
Vérificateur général adjoint du bureau du vérificateur général

Madame la Présidente, je vous remercie de nous donner la possibilité de présenter nos commentaires sur le projet de loi C-53, la Loi sur le financement des petites entreprises du Canada.

Nos commentaires sont formulés de la manière suivante. Tout d’abord, nous examinerons brièvement les principaux messages du chapitre 29 de notre rapport de décembre 1997 sur la gestion du programme de prêts aux petites entreprises. Ensuite, pour chacun de ces messages, nous présenterons nos vues sur la mesure dans laquelle le projet de loi C-53 répond à nos préoccupations et à celles exprimées par le Comité des comptes publics dans son rapport du 12 mai 1998 à la Chambre des communes. Enfin, nous ferons des suggestions au Comité au sujet de l’information supplémentaire qu’il pourrait vouloir demander au Ministère. J’aimerais souligner que nous n’avons pas examiné les règlements qui seront pris aux termes de ce projet de loi et qu’Industrie Canada est en train d’élaborer.

Définir les résultats escomptés

Dans le premier message de notre rapport, nous avons attiré l’attention sur le fait que le Ministère devait définir plus clairement les résultats escomptés du programme de prêts aux petites entreprises et veiller à ce que ce dernier soit conçu de manière à maximiser les effets attendus.

Depuis 1961, l’objet premier du programme est d’accroître l’accès aux prêts aux petites entreprises. C’est un objectif de portée vraiment très générale. Nous avons constaté que la surveillance du Programme effectuée par Industrie Canada était concentrée surtout sur le niveau d’activité, notamment le volume de prêts, les caractéristiques des emprunteurs et des prêteurs et le nombre prévu d’emplois créés. À notre avis, le Ministère n’a pas fourni suffisamment d’information sur les résultats obtenus. Pour fournir une information suffisante, il doit préciser les attentes et élaborer des indicateurs de rendement en ce qui concerne l’établissement, l’agrandissement, la modernisation et l’amélioration des petites entreprises. Le Comité des comptes publics a indiqué dans son rapport que des critères de rendement bien définis sont essentiels à la conception rationnelle d’un programme.

La notion d’effet d’accroissement fait aussi partie intégrante de l’objet du programme; les nouveaux prêts doivent s’ajouter aux prêts qui auraient été consentis de toute façon et ne doivent donc pas remplacer ces derniers. Une étude, publiée en 1994, indiquait qu’entre 30 et 40 p. 100 de ces prêts garantis avaient été consentis à des entreprises qui, de toute façon, auraient reçu du financement de prêteurs. Une étude publiée en 1996 précisait qu’environ 54 p. 100 des prêts accordés, en particulier aux entreprises nouvellement créées, pouvaient être considérés comme présentant un effet d’accroissement. Nous croyons qu’il est important pour Industrie Canada de préciser le niveau de l’effet d’accroissement attendu pour ces prêts. En outre, le Comité des comptes publics a recommandé que des niveaux cibles clairs soient établis pour l’effet d’accroissement des prêts consentis au titre de la Loi sur les prêts aux petites entreprises.

Industrie Canada n’a pas négligé les efforts pour recouvrer les coûts du Programme. Nous étions préoccupés par le fait que selon le barème des frais et le ratio de partage des pertes alors en vigueur, il n’était pas sûr que le recouvrement des coûts soit réalisable. Nous avons suggéré que dans ses examens futurs du Programme, le Ministère étudie attentivement la mesure dans laquelle l’objectif d’accroissement de l’accès aux prêts à des taux raisonnables et l’objectif de recouvrement des coûts peuvent être atteints simultanément.

Bien que l’économie canadienne a évolué considérablement depuis 1961, la Loi sur les prêts aux petites entreprises qui régit le Programme est demeurée, pour l’essentiel, inchangée en ce qui a trait aux types de biens admissibles au financement — c’est-à-dire l’achat ou l’amélioration de terrain, d’immeubles et de matériel. Aujourd’hui, le secteur des services et le secteur du savoir et de l’information forment une part beaucoup plus importante de l’économie. Le secteur du savoir et de l’information connaissant une forte croissance nette de l’emploi. De plus, ces dernières années, les institutions financières ont mis en place de nouveaux services et produits à l’intention des petites entreprises. Le besoin de combler ces exigences au moyen du Programme pourrait donc se transformer de façon importante. À notre avis, ces questions ont exigé une attention spéciale lors des examens futurs du Programme. J’ajouterai que le CCP a recommandé au Ministère de cerner les lacunes de financement offert aux petites entreprises dans le secteur privé et de restructurer le Programme en vue d’accorder un financement qui s’ajoute au financement existant dans les secteurs du marché où l’aide du gouvernement pourrait être utile.

Le projet de loi C-53 répond-il à toutes nos préoccupations?

Un énoncé clair des résultats escomptés du Programme est essentiel à une bonne conception, gestion et reddition de comptes. Le projet de loi C-53 ne précise pas davantage les attentes du gouvernement à l’égard du rendement du Programme mais cette situation n’est pas inhabituel. Généralement, la Loi ne constitue pas le moyen par lequel les attentes à l’égard du rendement sont définies. Néanmoins, sans un énoncé clair des résultats escomptés, il est difficile d’évaluer si la structure proposée pour le Programme est adéquate. Le Comité voudra peut-être demander au Ministère de fournir l’assurance que les résultats escomptés du Programme seront précisés dès que possible.

Il n’y a pas non plus de mention du niveau de l’effet d’accroissement prévu pour les prêts consentis dans le cadre du Programme révisé. Cette question peut également être traitée dans le rapport du Ministère au Parlement sur les plans ministériels et sur le rendement. Le Comité voudra peut-être inviter le Ministère à établir une série claire de niveaux acceptables de l’effet d’accroissement pour les prêts consentis au titre du Programme et l’encourager à surveiller son rendement et à communiquer l’information à ce sujet.

Toutefois, le gouvernement a été très clair à propos de l’un des résultats escomptés — le Programme recouvrera ses coûts. En l’absence d’autres objectifs clairs, cet objectif pourrait avoir un effet déterminant sur les décisions liées à la gestion du Programme. La Loi autorise le Gouverneur général en conseil à établir des règlements qui limitent l’accès au Programme de façon à s’assurer qu’il respecte le principe de recouvrement des coûts. Le Ministère doit pouvoir indiquer au Comité de quelle manière il s’y prendra pour effectuer le recouvrement des coûts en conformité avec l’objet de la Loi — accroître la disponibilité du financement, en particulier pendant les périodes de ralentissement économique.

Nous constatons avec plaisir que la Loi prévoit des projets pilotes qui étendent la portée du Programme en incluant les contrats de location-acquisition et les emprunteurs du secteur bénévole. Toutefois, sans définition adéquate des résultats escomptés du Programme, il est difficile de déterminer s’il s’agit d’une réponse qui permet de combler de façon satisfaisante les lacunes du financement disponible. Le Comité voudra peut-être demander au Ministère si son examen a permis de cerner d’autres lacunes du financement et comment elles seront comblées.

Renforcer la gestion du Programme et les mécanismes de prestation.

Notre deuxième message principal avait trait au besoin urgent de renforcer la gestion du Programme et les mécanismes de prestation.

Nous avons constaté que le Ministère devait se doter de meilleurs outils pour prévoir de manière adéquate les pertes sur prêts futures et pour surveiller plus attentivement tout changement à son portefeuille de garanties de prêt. Nous nous sommes également interrogés quant à la pertinence des contrôles visant à s’assurer que les institutions financières font preuve de prudence lorsqu’elles consentent un prêt et se conforment aux conditions du Programme. Par exemple, notre examen des dossiers de prêt des prêteurs a révélé qu’ils ne contenaient pas toujours l’information nécessaire pour effectuer une analyse approfondie du risque de crédit. En outre, nous avons observé plusieurs cas où, contrairement à la Loi, le prêteur avait prélevé des frais d’administration pour l’octroi de prêts au titre du Programme. Nous avons conclu qu’il serait rentable pour Industrie Canada d’examiner en profondeur les dossiers choisis, à l’aide de critères fondés sur le risque, pour s’assurer que les prêteurs se sont conformés à la Loi et qu’ils ont fait preuve de diligence dans l’octroi d’un prêt. Le CCP a fait des recommandations semblables au gouvernement.

Nous avons aussi observé des cas où des emprunteurs apparentés avaient pu obtenir de nombreux prêts dont le total dépassait la limite de prêt de 250 000 $ pour exploiter la même entreprise. Dans un cas, un groupe de 23 sociétés apparentées a obtenu plus de quatre millions de dollars en prêts. Nous croyons que ces pratiques sont contraires à l’esprit de la Loi.

Le projet de loi C-53 répond-il à toutes nos préoccupations?

La loi proposée comprend des mesures qui, si elles sont mises en oeuvre de manière appropriée, devraient améliorer la gestion et la prestation du Programme. Le projet de loi semble prévoir des règlements qui renforceraient l’exigence liée au respect du principe de diligence en établissant des critères minimaux qui doivent être satisfaits par les prêteurs lorsqu’ils approuvent un prêt. Le Ministre aura le pouvoir de vérifier tous les dossiers de prêt des prêteurs établis dans le cadre du Programme pour s’assurer de leur conformité à la Loi et à ses règlements d’application.

Le projet de loi contient également des restrictions pour les prêts consentis à “ l’emprunteur et aux emprunteurs qui lui sont liés ”, et le règlement comprend une définition du mot “ lié ”. Voilà qui devrait répondre à nos préoccupations concernant la loi actuelle.

Toutefois, nous croyons toujours que le Ministère a besoin d’outils plus efficaces pour prévoir le rendement futur du Programme. Nous croyons aussi que ces outils sont indispensables pour surveiller le risque inhérent au portefeuille de garanties de prêt et pour appuyer la réalisation de l’objectif de recouvrement des coûts. Le Comité voudra peut-être demander au Ministère d’indiquer quelles sont les mesures prises pour concevoir ce nouvel outil et quand il sera possible de prendre connaissance des prévisions.

Communiquer une meilleure information au Parlement

Dans le rapport de l’année dernière, nous avons conclu que le Ministère devait fournir au Parlement une meilleure information sur les résultats obtenus par le Programme. L’évaluation des effets du Programme sur la création d’emplois devait être effectuée avec plus de rigueur. Une meilleure information financière était également requise. La différence vient du fait que le Ministère n’avait pas inclus de provision pour perte sur prêts dans son rapport annuel.

Le projet de loi C-53 répond-il à toutes nos préoccupations?

La Loi prévoit un examen en profondeur du Programme dans cinq ans et, par la suite, tous les cinq ans. Nous croyons qu’il s’agit d’une mesure pertinente. Cependant, l’utilité de cet examen sera sérieusement amoindrie s’il n’y a pas d’énoncé clair des résultats escomptés pour le programme. Nous voyons d’un bon oeil le développement d’un cadre d’évaluation pour le Programme et, en particulier, les indicateurs de performance proposés. Il s’agira maintenant pour le Ministère d’amasser l’information nécessaire à leur application. Néanmoins, si les attentes à l’égard du rendement ne sont pas clairement établies à l’avance, il sera difficile de dire si le Programme obtient vraiment les résultats escomptés.

Le Ministère a indiqué dans le rapport qu’il a publié en 1997-1998 sur la Loi sur les prêts aux petites entreprises qu’il fera un rapprochement entre les recettes et les coûts liés aux prêts consentis pour une période de prêts donnée, et qu’il communiquera les résultats dans ses prochains rapports annuels. Cette démarche constituera une amélioration de la qualité de l’information financière communiquée au Parlement. La communication de l’information financière pourrait être améliorée davantage si le Ministère incluait une provision pour perte sur prêts dans ses rapports sur le Programme.

Le Ministère convient avec nous que des méthodes plus rigoureuses sont nécessaires pour évaluer les répercussions sur l’emploi des garanties de prêts du Programme. Nous reconnaissons qu’il est difficile d’obtenir des chiffres précis, et nous encourageons le Ministère à poursuivre ses efforts en vue d’améliorer son approche. En particulier, à l’avenir, il doit faire preuve de soin lorsqu’il rapporte au Parlement le nombre d’emplois créés.

Questions que le Comité voudra peut-être examiner

En résumé, il y a plusieurs questions que le Comité voudra peut-être examiner avec le Ministère. Premièrement, le Ministère n’a pas encore clairement défini ses attentes à l’égard du Programme de prêts aux petites entreprises. Ces attentes constitueraient le fondement de la conception et de la gestion du Programme et d’une reddition de comptes adéquate au Parlement. En particulier, le Ministère n’a pas encore établi d’objectifs clairs concernant l’effet d’accroissement des prêts consentis au titre de la LPPE.

Deuxièmement, à notre avis, on ne sait pas encore s’il est possible de réaliser l’objectif de recouvrer pleinement les coûts. De plus, le Comité voudra peut-être demander aux représentants du Ministère comment ils se sont assurés de pouvoir concilier l’objet de la Loi — accroître l’accès au financement — et le recouvrement des coûts surtout pendant les périodes de ralentissement économique.

Troisièmement, le Comité voudra peut-être demander au Ministère quelles ont été, dans le cadre de sa revue, les lacunes identifiées concernant le financement disponible aux petites entreprises et de quelle façon ces lacunes seront considérées. Comme je l’ai mentionné, cette question est étroitement liée à la question des résultats qui sont escomptés pour le Programme.

En outre, il est toujours nécessaire que le Ministère se dote d’outils appropriés pour surveiller le risque associé au portefeuille, tout comme il est nécessaire qu’il communique toute l’information sur le rendement au Parlement en se fondant sur un énoncé clair des résultats escomptés.

Madame la Présidente, voilà qui conclut mon commentaire d’introduction. Nous serons heureux de répondre aux questions du Comité. Merci.