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Déjeuner d'information économique Association des comptables généraux accrédités du Canada

Notes pour une allocution de Sheila Fraser, FCA, vérificatrice générale du Canada, le 8 mai 2002, Ottawa (Ontario)


Je vous remercie de votre aimable invitation. Je trouve toujours intéressant de confronter mes vues à celles de spécialistes de la comptabilité qui font dans le secteur privé un travail semblable à celui que mon bureau accomplit dans le secteur public.

...et c'est bien de pouvoir venir au Cercle national des journalistes à l'heure du déjeuner pour une fois...

On m'a invitée à traiter du thème suivant : « Peut-on établir un parallèle entre le gouvernement et Enron? »

À cela, évidemment, je réponds non. Cette société américaine cotée en bourse et le gouvernement du Canada sont naturellement aux antipodes l'un de l'autre.

Je crois néanmoins qu'il y a certaines leçons à tirer de la déconfiture d'Enron et que ces leçons pourraient être appliquées ici. Je suis aussi entièrement d'accord avec mon prédécesseur, M. Denis Desautels, qui a affirmé récemment à l'Ottawa Citizen que la débâcle d'Enron « aura un impact direct sur le Canada, que ce soit du point de vue des normes comptables, de la surveillance des vérificateurs ou du resserrement de la législation sur les valeurs mobilières. »

Depuis que le cas d'Enron est connu, le rôle et la crédibilité de la vérification sont en jeu. Les vérificateurs et les comptables des secteurs public et privé sont confrontés à ce problème, même si leurs méthodes de travail comportent de nombreuses différences.

Nous pouvons nous attendre à ce que le public, les organismes de réglementation et le gouvernement scrutent notre travail bien plus attentivement que par le passé. Entre autres, l'auteur d'un article dans la revue Fortune écrivait récemment que le Watergate a donné naissance à la réforme du mode de financement des campagnes électorales et le scandale Iran-contras a servi de déclencheur d'une refonte à grande échelle des agences chargées de la sécurité nationale. Mais Enron entraînera plus de changements à Washington que n'importe quel scandale des 30 dernières années... Et j'ajouterais, probablement aussi à Ottawa et à Toronto.

Comme vous le savez déjà, ici au Canada, le chef de la direction de KPMG Canada, M. Bill MacKinnon, a déjà affirmé que la profession comptable a besoin de réformes qui aideront à redonner confiance aux investisseurs à l'égard des marchés financiers à la suite de l'effondrement d'Enron.

Pour sa part, M. Desautels a suggéré la création d'un organisme national, laquelle fait l'objet de discussion au sein de la profession comptable. Le rôle de cet organisme consisterait à superviser les vérificateurs ainsi qu'à s'assurer qu'ils appliquent un code d'éthique strict et demeurent réellement indépendants.

À elles seules, l'ampleur et la portée de la faillite d'Enron auraient été suffisantes pour attirer l'attention de quiconque, même des gens s'intéressant peu aux nouvelles du monde des affaires, à la réglementation des placements ou aux pratiques de comptabilité et de vérification. Nous parlons de la plus importante faillite et de l'une des plus scandaleuses de l'histoire des entreprises aux États-Unis. En seulement 15 ans, Enron est partie de rien pour se hisser au septième rang des entreprises américaines. Elle employait 21 000 personnes dans plus de 40 pays. Cette société a adopté des nouvelles technologies, créé des méthodes novatrices pour négocier l'énergie et semblait être un exemple éclatant des possibilités offertes par la mondialisation.

Le 12 décembre dernier, lorsque Enron a demandé la protection de la loi sur les faillites, 63 milliards de dollars en avoirs propres se sont évaporés, soit l'équivalent approximatif du produit intérieur brut de l'Alberta, comme la CBC l'a expliqué.

Mais je crois que les causes du scandale Enron sont plus importantes que ses effets. Ce naufrage n'est pas dû à une récession ou à un repli du marché importants et imprévus.

En fait, les retraitements que Enron a faits à ses états financiers pour tenir compte des sociétés de personnes hors bilan, bien qu'importants (600 millions de dollars), n'auraient pas dû réduire à la ruine une entreprise dont le chiffre d'affaires était de 101 milliards de dollars. C'est la perte de crédibilité qui a causé l'effondrement.

Il est intéressant de revenir sur l'histoire d'Enron et de relire des textes parus dans les journaux en novembre 2001.

Un article paru dans le Houston Chronicle le 9 novembre (jour de l'annonce par Enron que ses états financiers seraient retraités) indique que « la réticence de la société à donner des détails sur les sociétés de personnes depuis que le sujet a été abordé pour la première fois le mois dernier a conduit bien des gens à présumer le pire. Le cours des actions d'Enron a plongé, les agences de notation du crédit ont radicalement réduit leurs cotes et les partenaires commerciaux ont commencé à faire le tour des concurrents. »

En trois semaines, Enron est passée du septième rang mondial (Fortune 500) à la faillite. Maintenant, bien des parties doivent expliquer quel rôle elles ont joué dans cette histoire, notamment les membres du conseil d'administration, le comité de vérification et les vérificateurs.

Mais avant de tenter de comparer ce qui est arrivé chez Enron avec le fonctionnement du gouvernement du Canada, je pense qu'il serait utile de rappeler le rôle du Bureau du vérificateur général.

En bref, ce rôle est de vérifier les activités du gouvernement et de fournir l'information qui aide le Parlement à tenir le gouvernement responsable de l'intendance des fonds publics.

Le Bureau vérifie la plupart des secteurs du gouvernement du Canada. Cela inclut environ 70 ministères et organismes du gouvernement fédéral, quelque 40 sociétés d'État, une dizaine d'établissements publics et environ 60 autres entités et vérifications spéciales. Ajoutons à cela les gouvernements du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut et quelque 15 organismes territoriaux.

Le Parlement, le gouvernement et la fonction publique sont les gardiens des fonds publics qui leur sont confiés pour fournir des programmes et des services au bénéfice des Canadiens. Un élément important de la confiance des citoyens envers nos institutions démocratiques est leur conviction que les fonds publics sont dépensés judicieusement et efficacement. Le gouvernement doit en avoir pour son argent, et cela doit être visible; on doit se conformer aux autorisations et gérer sagement l'environnement. La confiance en notre gouvernement national dépend donc pour une large part d'une reddition de comptes rapide et claire de la part de celui-ci sur son rendement.

Et la confiance est tout aussi importante pour les finances publiques qu'elle l'est pour les marchés financiers.

Mes principaux outils pour faire rapport au Parlement sont mes opinions sur les Comptes publics du Canada et sur les états financiers des sociétés d'État ainsi que les rapports de nos vérifications de l'optimisation des ressources qui sont déposés à la Chambre des communes. En 1994, la Loi sur le vérificateur général a été modifiée. Celle-ci prévoit maintenant la production d'un maximum de quatre rapports de vérification de l'optimisation des ressources tous les ans. Le 16 avril dernier, dans mon deuxième rapport à la Chambre des communes depuis ma nomination, j'ai soulevé un certain nombre de questions importantes auxquelles le gouvernement est confronté, notamment les défis que le système de justice pénale doit relever et le recrutement et le maintien en poste du personnel militaire.

Mais c'est la question de l'érosion du contrôle du Parlement sur des milliards de dollars de fonds publics qui devrait, selon moi, être une cause particulière d'inquiétude pour tous les Canadiens.

Par le passé, les programmes et les services du gouvernement ont été fournis aux Canadiens par des ministères, des organismes et des sociétés d'État qui relèvent directement de ministres et sont soumis à la responsabilité ministérielle. C'est de cette manière que la plupart des programmes et services fédéraux sont encore assurés.

Au cours de la dernière décennie, cependant, le gouvernement fédéral a encouragé les ministères à trouver de nouvelles manières, potentiellement plus efficaces, de fournir des services aux Canadiens, affaiblissant parfois du même coup la capacité du Parlement de superviser ces activités.

Le gouvernement fédéral a entrepris un examen de tous ses programmes pour déterminer s'ils étaient encore nécessaires ou s'ils pouvaient être exécutés plus efficacement et à moindre coût par d'autres niveaux de gouvernement ou même par le secteur privé.

Un certain nombre de nouvelles structures et de nouveaux mécanismes de prestation de services ont vu le jour, par exemple les organismes de service spécial comme le Bureau des passeports et les organismes fournissant des services gouvernementaux comme l'Agence canadienne d'inspection des aliments, l'Agence Parcs Canada et l'Agence des douanes et du revenu du Canada. D'autres structures se sont éloignées davantage de l'approche traditionnelle et les services ne sont plus livrés exclusivement par des fonctionnaires mais aussi par des partenaires ou même entièrement délégués à des entités extérieures.

Des partenariats ont aussi été établis avec d'autres gouvernements, comme dans le cas du programme Infrastructures Canada. Dans le cas de certaines activités, le gouvernement a simplement décidé de se retirer et de transférer la gestion au secteur privé.

Je ne suis pas contre les approches nouvelles. S'il ne tentait aucune expérience, le gouvernement serait à l'écart de toutes les innovations qui pourraient apporter des méthodes meilleures et plus rentables pour exécuter ses programmes. En tant que vérificatrice générale, je serais la dernière personne à m'opposer à ce qu'on recoure à des modes plus efficaces et rentables de prestation de programmes gouvernementaux - pourvu que les exigences de base de la reddition de comptes soient respectées.

Depuis quelques années, le gouvernement recourt de plus en plus aux fondations pour atteindre certains buts. On a confié à ces fondations la responsabilité de gérer des milliards de dollars provenant des contribuables, ce qui a eu pour effet de soustraire des fonds publics au contrôle du Parlement.

Dans mon rapport au Parlement de l'année dernière, j'ai souligné qu'au cours des cinq exercices précédents, le gouvernement a transféré sept milliards de dollars à neuf fondations, dont les plus importantes sont la Fondation canadienne pour l'innovation et la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire, et passé ces sommes en charges dans ses comptes. Pourtant, au 31 mars 2001, 6,9 milliards de dollars dormaient toujours dans les comptes des fondations et n'avaient pas été consacrés à l'usage prévu.

Lors de notre vérification de cette année, nous avons fait le suivi des mécanismes de régie déléguée et de collaboration que nous avions examinés en 1999. Nous avons également examiné plusieurs fonds et fondations d'importance établis depuis à titre de mécanismes de régie déléguée. Une nouvelle fondation, Inforoute Santé du Canada Inc., a reçu 500 millions de dollars du gouvernement fédéral; d'autres ont reçu des paiements multiples s'élevant à 300 millions de dollars, par exemple, dans le cas de Génome Canada, et à 250 millions de dollars dans le cas des Fonds municipaux verts.

De par leur nature même, ces mécanismes s'écartent de la tradition de responsabilité ministérielle envers le Parlement pour les politiques et les programmes et, par le biais du Parlement, envers les contribuables canadiens. De ce fait, la reddition de comptes pose beaucoup plus de problèmes. Nous avons constaté que les exigences essentielles de la reddition de comptes au Parlement - présentation crédible des résultats, surveillance ministérielle efficace et vérification externe suffisante - ne sont pas respectées.

L'information communiquée au Parlement par les mécanismes que nous avons examinés n'est pas suffisante pour lui permettre de procéder à un examen. Aucun de ces mécanismes n'établit de plans généraux à soumettre au Parlement. Ils ne lui transmettent pas non plus de rapports annuels contenant une description crédible de leurs réalisations. Dans bien des cas, ces mécanismes ne comportent pas d'obligations redditionnelles envers le Parlement comparables à celles qui s'appliquent aux ministères.

Comme ces mécanismes font l'objet d'une surveillance très limitée, les ministres peuvent difficilement en répondre devant le Parlement. Outre qu'il nomme une minorité d'administrateurs à leurs conseils respectifs, le gouvernement dispose de moyens limités pour faire le suivi stratégique des mécanismes et il ne peut corriger le tir si les choses vont mal ou que ses priorités changent. De plus, les rôles et les responsabilités des personnes nommées par le fédéral aux conseils d'administration ne sont pas définis clairement.

Ces mécanismes ont été créés pour répondre à des besoins ponctuels et le Parlement n'a pas eu la possibilité d'examiner pleinement en quoi ils modifient la manière dont il autorise et surveille les dépenses publiques.

Le recours aux fondations privées par le gouvernement soulève également de sérieux problèmes comptables. Les 7,1 milliards de dollars versés aux neuf fondations entre 1996-1997 et 2002-2001, par exemple, ont été passés en charges même si, au 31 mars 2001, la quasi-totalité de cette somme se trouvait encore dans les comptes bancaires et dans d'autres placements des fondations. On peut alors se demander si les 7,1 milliards de dollars constituent réellement une dépense.

La comptabilisation de ces transferts à titre de dépense est un traitement comptable qui permet au gouvernement de déclarer un excédent annuel inférieur. Nous croyons que cette pratique compromet l'intégrité des résultats financiers déclarés du gouvernement.

Les questions soulevées dans le rapport de cette année avaient trait à la reddition de comptes du gouvernement - ou à l'absence de celle-ci - lors de l'utilisation de mécanismes de régie déléguée, tels que les fondations, et se trouvaient également dans le rapport de l'année dernière et avaient été mentionnées pour la première fois par M. Desautels en 1999. Bien que certains signes montrent que le gouvernement cherche à régler certains problèmes, à mon avis, le Parlement ne doit pas tarder à prendre les mesures nécessaires pour que les éléments essentiels de la reddition de comptes soient adoptés par ces fondations.

Il existe aussi un risque que de telles pratiques soient perçues comme de la comptabilité « hors circuit » ou même des « artifices comptables » par certaines personnes. Le fait est qu'une proportion croissante des dépenses gouvernementales est devenue invisible aux yeux du Parlement, mais aussi aux yeux de la vérificatrice générale.

Il s'agit d'un problème grave auquel il faut s'attaquer au plus tôt. Je continuerai à suivre la situation de très près et à faire des recommandations si je le juge nécessaire.

Mais nous sommes loin d'une situation semblable à celle d'Enron, où une vérification inadéquate et des pratiques de gestion négligentes se sont avérées fatales pour la société, ainsi que pour bien d'autres parties qui ont été heurtées de plein fouet par la faillite, dont des milliers d'employés et d'actionnaires qui ont perdu leur fonds de retraite et leurs placements.

Voici quelques-unes des différences qui rendent le gouvernement bien plus responsable et transparent qu'une société du secteur privé. Premièrement, dans le secteur privé, les rapports de vérification sur les états financiers sont limités à un rapport type; les vérificateurs n'ont guère la possibilité de soulever des problèmes auprès des actionnaires. Par contre, la vérificatrice générale peut soulever des problèmes dans son opinion sur les Comptes publics. Entre autres, nous avons porté deux questions à l'attention du Parlement dans le rapport sur les comptes publics au 31 mars 2001. Nous avons mentionné le traitement comptable des transferts gouvernementaux aux fondations et demandé si les taux de cotisation à l'assurance-emploi sont établis conformément à la Loi sur l'assurance-emploi.

Nous avons également la possibilité de soulever des questions directement avec les parlementaires pendant les audiences des comités parlementaires. Notre opinion sur les Comptes publics et la quasi-totalité de nos rapports de vérification sur l'optimisation des ressources font l'objet d'audiences pendant lesquelles les députés peuvent nous poser des questions, ainsi qu'aux représentants des ministères visés, sur les questions étudiées.

Dans la foulée de l'affaire Enron, de nombreuses questions ont été soulevées sur le rôle des vérificateurs et leur manque d'indépendance apparent. En tant que vérificatrice au service du gouvernement fédéral, je suis bien plus indépendante que n'importe quel vérificateur du secteur privé.

La personne qui occupe le poste de vérificateur général est nommée pour 10 ans et est tout à fait libre de recruter son personnel et de fixer ses modalités d'emploi. J'ai le droit de demander au gouvernement n'importe quel renseignement nécessaire pour m'acquitter de mes responsabilités en vertu de la Loi sur le vérificateur général. De plus, je soumets mes rapports directement à la Chambre des communes, par le truchement du président de la Chambre.

Nous ne facturons pas pour nos services : leur coût est couvert par des crédits. Nous rencontrons les parlementaires de tous les partis et répondons à leurs questions. Notre relation avec le public est bien plus transparente; nos rapports sont diffusés dans les médias et accessibles au public.

Le système est-il parfait? Bien sûr que non. Mais depuis 1878, année de la nomination du premier vérificateur général, je crois que les Canadiens ont été bien servis par le Bureau.

Cela est une mince consolation pour les membres du gouvernement, mais je crois aussi que le simple fait que les Canadiens - surtout dans les jours qui suivent la publication de nos rapports - critiquent souvent la manière dont le gouvernement gère les finances publiques est un bon signe.

Combien de nos voisins américains auraient aimé savoir ce qui se passait chez Enron et donner l'alerte?

Je serai heureuse de répondre à vos questions.