La reddition de comptes et les nouveaux modes de prestation de services dans l’administration fédérale

Certaines conséquences du partage des responsabilités du gouvernement


Notes pour une allocution de L. Denis Desautels, vérificateur général du Canada présentée à une conférence organisée par l'Institut d'administration publique sur la collaboration entre gouvernements, Ottawa, le 22 avril 1999


Introduction

Pour commencer, je désire remercier l’Institut d’administration publique d’avoir organisé cette conférence ainsi que les deux tables rondes qui l’ont précédée. Notre bureau considère que cette initiative arrive vraiment au bon moment et qu’elle permettra de mieux comprendre les questions à l’étude. Notre personnel a participé aux deux tables rondes et a apprécié la qualité des discussions qui y ont eu lieu.

En ma qualité de vérificateur général du Canada, je me réjouis d’avoir l’occasion de faire des commentaires sur les « nouveaux outils » dont le gouvernement dispose pour gérer la collaboration avec d’autres paliers de gouvernement et le secteur privé. En particulier, je désire faire des commentaires sur la nécessité d’une reddition de comptes efficace lorsqu’on utilise de tels mécanismes.

Mes observations coïncident avec le dépôt à la Chambre, il y a seulement deux jours, de notre rapport d’avril 1999, lequel contient deux chapitres connexes.

Mes observations s’appuient sur ces deux chapitres.

Mais pour commencer, je voudrais aborder certaines questions sous-jacentes de première importance.

Les gouvernements semblent faire un plus grand usage des mécanismes de collaboration parce que les approches traditionnelles utilisées pour la gestion et l’exécution des programmes publics sont remises en question à cause de certains facteurs, notamment :

Bon nombre de ces facteurs se reflètent dans les tendances observées à l’échelle mondiale au chapitre de la réforme du secteur public, réformes qui ont pour objet de restructurer et d’améliorer l’administration publique, et de la rendre ainsi plus efficiente et mieux adaptée aux exigences d’une époque où les ressources sont restreintes.

Dans une fédération décentralisée, ce que la plupart d’entre nous considèrent être notre situation au Canada, la collaboration fait, somme toute, « partie du quotidien ». De nos jours, les citoyens ne veulent pas de conflits de compétence entre les gouvernements. Cela est pour eux un gaspillage de ressources.

Quelle est la nature de ces mécanismes de collaboration?

Les nouveaux modes de prestation de services modifient la « responsabilité » de la gestion de programme. En effet, ils misent, pour l’exécution des programmes, sur la contribution d’un ou de plusieurs participants autres que l’administration fédérale.

Ces nouveaux mécanismes comportent souvent une fonction ou une activité d’intérêt public importante qui, jusqu’à récemment, était, ou autrement aurait été, la responsabilité du gouvernement. Voici les caractéristiques de ces mécanismes :

Nous avons trouvé utile de faire la distinction entre trois types de mécanismes:

Le choix d’un nouveau mode de prestation de services pour l’exécution des programmes ou la prestation des services procède d’une décision stratégique du gouvernement.

Et nous convenons que ces mécanismes peuvent être :

Toutefois, ces nouveaux mécanismes ne sont pas une panacée. Ils comportent des risques pour le gouvernement fédéral, que l’on peut définir comme suit :

Mon bureau souhaite réduire le plus possible les risques associés à ces nouveaux mécanismes.

Dans notre rapport d’avril 1999, qui a été déposé à la Chambre des communes il y a deux jours, nous cernons les risques et les questions redditionnelles liées à la participation fédérale aux mécanismes de collaboration et nous suggérons des questions qui peuvent servir à évaluer ces mécanismes.

En outre, mon bureau effectue actuellement une autre vérification des trois nouveaux modes de prestation des services, soit les entités de dépenses intermédiaires, les entités commerciales et les mécanismes de collaboration.

Les mécanismes de collaboration

Mes dernières observations seront axées sur les mécanismes de collaboration et les questions redditionnelles connexes. Mais laissez-moi d’abord vous donner quelques exemples de mécanismes de collaboration.

Le programme Travaux d’infrastructure Canada est un programme fédéral-provincial qui a pour objet de contribuer au financement de l’entretien et du développement des infrastructures. La Phase I de ce programme, que nous avons vérifié en 1996, sert d’exemple dans mon dernier rapport. Nous sommes en train de vérifier la Phase II.

Les Ententes sur le développement du marché du travail sont des ententes fédérales, provinciales et territoriales. Elles englobent diverses formes de prestation partagée de services fédéraux liés au marché du travail et fournis au public. Nous avons aussi utilisé ce mécanisme comme exemple dans le rapport qui a été déposé il y a deux jours.

Le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine. Il s’agit d’un programme conçu pour assurer le rétablissement des populations de sauvagine par le truchement d’ententes internationales entre les administrations nationales et régionales au Canada, aux États-Unis et au Mexique, avec la participation du secteur privé dans chaque pays.

La Prestation nationale pour enfants est un programme fédéral, provincial et territorial qui a pour objectifs de réduire l’étendue de la pauvreté chez les familles qui ont des enfants, d’accroître la participation des parents au marché du travail et de réduire les chevauchements et les doubles emplois. Nous examinons ce programme dans notre étude de la reddition de comptes pour les programmes sociaux conjoints à Développement des ressources humaines Canada, étude qui constitue le chapitre 6 du rapport d'avril déposé tout récemment.

Il s’agit d’une nouvelle forme de mécanisme de collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Les gouvernements qui ont conclu un partenariat ont convenu de principes généraux et d’objectifs; ils sont conjointement responsable de la présentation de rapports sur les résultats globaux et de la reddition de comptes pour le programme. L’originalité du mécanisme tient au fait qu’il combine des dépenses fiscales fédérales et des programmes entièrement exécutés par les provinces, les territoires, les Premières nations et les municipalités de l’Ontario.

L’un des grands défis relativement au programme de la Prestation nationale pour enfants consiste à faire en sorte que les fonds soient dépensés pour les fins approuvées et que les résultats globaux soient communiqués. À cet effet, il est essentiel de partager une information exacte et comparable.

Le défi que posent les mécanismes de collaboration pour la reddition de comptes

Je veux maintenant vous parler de la reddition de comptes, qui est un défi important associé aux mécanismes de collaboration.

L’utilisation accrue des mécanismes de collaboration remet en question les concepts traditionnels de la reddition de comptes.

Ces relations redditionnelles ont pour nous trois dimensions différentes :

Premièrement, la reddition de comptes verticale c’est-à-dire la reddition des comptes du ou des ministères fédéraux visés aux ministres et, par l’intermédiaire des ministres, au Parlement.

Deuxièmement, la reddition de comptes interne entre les parties mises en contribution dans le cadre d’un mécanisme donné.

Troisièmement, la reddition de comptes horizontale, soit la reddition des comptes des parties concernées au public et, en particulier, aux collectivités touchées. Avec l’utilisation plus fréquente par les gouvernements des mécanismes de collaboration, ce type de reddition de comptes est de plus en plus préconisé. Toutefois, malgré cela, il est important de ne pas négliger les deux autres types de reddition de comptes.

Le défi que pose la reddition de comptes peut être formulé à l’aide d’un principe qui a été établi à l’issue des travaux du comité des normes régissant la vie publique du Royaume-Uni (aussi appelé le comité Nolan). Et je cite :

Lorsqu’un citoyen reçoit des prestations de l’État, le gouvernement doit protéger à la fois l’intérêt de l’utilisateur et l’intérêt du contribuable, quel que soit le statut du fournisseur.

Fin de la citation.

Selon ce principe, le gouvernement assume la responsabilité de l’exécution des programmes, que ses derniers soient exécutés de la manière traditionnelle ou au moyen d’un mécanisme de collaboration.

Conformément à ce principe, la reddition de comptes dans les mécanismes de collaboration comprend le partage de l’obligation redditionnelle à l’égard des résultats globaux. Les partenaires sont collectivement responsables du succès et du fonctionnement du mécanisme de collaboration.

Le gouvernement fédéral demeure responsable envers le Parlement de l’utilisation des autorisations et des fonds fédéraux. Il doit organiser et gérer ses relations avec ses partenaires de manière à pouvoir obtenir l’information nécessaire, à surveiller efficacement l’exécution des programmes, à faire les ajustements requis et à communiquer adéquatement les résultats.

Conséquences au niveau redditionnel

Je veux maintenant examiner l’utilisation des nouveaux outils qui visent à réduire au minimum les risques liés au mécanisme de collaboration.

Quelles sont, dans le cadre d’un mécanisme de collaboration, les caractéristiques de relations redditionnelles efficaces ? – L’un des chapitres de notre rapport d’avril traite cette question et présente une série de questions que les parlementaires pourraient utiliser pour évaluer les mécanismes de collaboration. Ces questions couvrent les volets suivants : l’intérêt public, la transparence et la reddition de comptes.

Servir l’intérêt public est l’élément central – Lors de la mise en œuvre d’un mécanisme de collaboration, on doit maintenir un équilibre entre des intérêts opposés, se soucier de l’intérêt public et sauvegarder les valeurs de justice, d’impartialité et d’équité.

Il faut une plus grande transparence – Les mécanismes de collaboration doivent être les plus transparents possible en ce qui concerne les ententes, les décisions et l’information sur les réalisations – et cela plus encore que les structures traditionnelles, qui elles sont munies de mécanismes assurant la transparence ou l’enregistrement des plaintes.

Un plus grand nombre de parties sont responsables — Dans un mécanisme de collaboration, tous les éléments de la reddition de comptes, qu’elle soit verticale, interne ou horizontale, sont importants. Dans les mécanismes de collaboration, il devrait y avoir plus, et non moins, d’intervenants tenus de rendre comptes.

Nous devons faire en sorte que les éléments clés nécessaires à une bonne reddition de comptes soient en place et qu’ils fonctionnent. Nous avons cerné ces éléments à la suite d’un certain nombre de vérifications et d’études au cours des dernières années, et ils s’appliquent également aux mécanismes de collaboration, comme l’indique le chapitre 5 du Rapport de cette année.

1. Sur la liste des éléments clés viennent entête des attentes claires et convenues. En voici deux exemples :

Dans le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, les chasseurs de canard et les ornithologues amateurs ont comme but commun la restauration de la population de la sauvagine, quoique pour des motifs fort différents.

Dans le programme de la Prestation nationale pour enfants, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se sont entendus sur des principes généraux et sur les objectifs du programme. Nous reconnaissons que la conclusion ce cette entente et sa mise en œuvre en moins de deux ans est une réalisation majeure. Cependant, une entente sur des principes généraux ne constitue pas la fin du processus. Il est important de bien faire comprendre l’interaction entre les objectifs et la pertinence des mesures de rendement pour déterminer si les objectifs sont atteints. Il est aussi nécessaire d’examiner, par exemple, comment affecter les ressources et les responsabilités pour le règlement des lacunes sur le plan de l’information, l’évaluation et d’autres questions connexes.

2. Des rôles et des responsabilités clairement définis comptes également parmi ces éléments de première importance.

La Phase I du programme Travaux d’infrastructure Canada a montré le besoin de définir clairement les rôles et les responsabilités.

D’une part, dans ce programme, les rôles et les responsabilités ont été mieux définis parce que la répartition des responsabilités entre les administrations fédérale et provinciale s’est faite en fonction des compétences respectives de chaque palier de gouvernement. Le gouvernement fédéral n’a pas participé à la désignation des projets à financer, cette tâche ayant été confiée aux administrations provinciales et locales partenaires qui avaient l’expérience de la planification, du financement et de la mise en œuvre de projets d’infrastructure.

Par contre, les ententes fédérales-provinciales utilisées dans la Phase I du programme ne définissaient pas clairement les rôles et les responsabilités au chapitre de la communication de l’information sur la surveillance et le rendement. Par conséquent, l’administration fédérale ne disposait pas de données adéquates pour rendre compte du programme et assurer sa bonne marche.

3. Établir un équilibre entre les attentes et les capacités est également nécessaire.

Les partenaires doivent pondérer leurs attentes en fonction de la contribution individuelle exigée et de la capacité de chacun d’entre eux de livrer la marchandise. Ils doivent évaluer les compétences et le savoir-faire de chaque partenaires.

Le programme de la Prestation nationale pour enfants montre le besoin d’un tel équilibre. Dans le cas où des partenaires ne disposeraient pas des moyens d’obtenir des données exactes sur les résultats du programme, l’administration fédérale ou celle d’une province pourraient alors, sur demande, aider ces partenaires à se doter de ces moyens.

4. Produire des rapports crédibles est d’une très grande importance.

Les partenaires doivent s’entendre sur les rapports qui doivent être transmis à leurs organes de direction ainsi qu’aux collectivités touchées par le programme ou les services offerts à l’aide du mécanisme. Dans le cas de l’administration fédérale, ce sont les ministres qui rendent comptes au Parlement.

Comme nous le faisons remarquer dans le cas du programme de la Prestation nationale pour enfants, les partenaires doivent aussi veiller à ce que les rapports soient crédibles, ce qui signifie :

Cinquième et dernier élément d’une reddition de comptes de qualité : des procédés raisonnables d’examen, d’évaluation de programme et de vérification.

Les partenaires doivent s’entendre sur les mécanismes à utiliser, comme la vérification interne et l’évaluation de programme, pour surveiller les progrès et évaluer le rendement et les résultats. Ils doivent trouver des moyens de tirer des leçons du travail accompli.

Par exemple, les partenaires du programme de la Prestation nationale pour enfants ont convenu de l’importance du travail d’évaluation et d’analyse pour mesurer de manière fiable les résultats du programme. Toutefois, ils n’ont pas encore fourni des précisions sur la manière dont ils procéderont.

Les partenaires d’un mécanisme doivent prévoir des dispositions adéquates pour la vérification. Compte tenu des intérêts publics en jeu, je suggère l’adoption d’une autre règle :

Le recours à la vérification de l’optimisation des ressources et à la vérification comptable est nécessaire lorsque des fonds publics sont utilisés et que l’on veut savoir l’intérêt public.

Dans le cas des mécanismes fédéraux-provinciaux, le Bureau reconnaît l’utilité d’une collaboration avec les bureaux de vérification provinciaux lors des vérifications de l’exécution des programmes.

En conclusion, il faut établir un équilibre.

Il nous faut donc conclure à la nécessité d’un équilibre. Nous considérons souvent ces nouveaux outils du gouvernement comme les surtout outils de ceux qui sont chargés de concevoir et de mettre en œuvre de nouveaux mécanismes. Et c’est vrai. Mais il est, à mon avis, tout aussi important que les parlementaires participent davantage à cette tâche, et nous leur avons suggéré des questions qu’ils auraient peut-être intérêt à poser.

De plus, je crois que les organismes centraux ont un rôle important à jouer. Dans la plupart des partenariats en cours, on réclame des conseils et de l’aide de même qu’une politique et une orientation efficaces, mais on ne veut pas d‘ordres et de contrôles. C’est là un défi que les organismes centraux doivent relever.

Lorsqu’on établit des mécanismes de collaboration, il est nécessaire d’établir un équilibre entre trois facteurs qui tendent à orienter les efforts dans des directions différentes : la reddition de comptes, l’efficience et l’atteinte des résultats. Ces facteurs, de même qu’une gestion efficace des risques, sont les éléments essentiels d’un nouveau mode de prestation des services qui fonctionne bien. L’accent ne devrait pas uniquement être mis sur une plus grande efficience ou sur la conformité aux exigences de la reddition de comptes. En collaboration avec ses partenaires, l’administration fédérale doit maintenir un équilibre entre ces facteurs, et cela de manière transparente, tout en accordant la priorité à l’obtention des résultats recherchés dans le cadre du mécanisme de collaboration.

Dans la recherche de cet équilibre, nous pouvons nous inspirer de l’expérience du Royaume-Uni. Au chapitre de l’efficience, il est reconnu que les réformes en profondeur menées dans la fonction publique de ce pays visent un service public plus centré sur la clientèle. Cependant, certains cas largement médiatisés ont suscité des inquiétudes au sujet de l’éthique dans la vie publique et le besoin de maintenir les valeurs mises de l’avant dans la fonction publique. En conséquence, le Comité Nolan a été formé et les principes de la vie publique qu’il a élaborés ont quelque peu rétabli l’équilibre entre une efficience accrue et des résultats de programme qui reflètent les valeurs de la fonction publique. Comme l’a fait remarquer Lord Nolan, « Celui qui paie le cornemuseur doit également voir à ce que la musique ne dérange pas ses voisins ».