Moi aussi je suis inquiet au sujet de la reddition de comptes dans le secteur public et j'ai, à maintes reprises, fait part de mon point de vue, et tout dernièrement dans le chapitre de mon rapport d'octobre 1997 intitulé « Vers une gestion axée sur les résultats ».
Outre les cas qui ont fait les manchettes, il existe de nombreux problèmes redditionnels importants - des problèmes qui viennent de la multitude de mécanismes existant entre deux ou plusieurs parties du secteur public qui s'efforcent d'atteindre un objectif d'intérêt public.
Depuis quelque temps je cherche, avec l'aide du personnel de mon bureau, à déterminer comment les mécanismes redditionnels du secteur public fédéral peuvent être améliorés. Plus particulièrement, je veux mettre l'accent non pas sur les cas plus traditionnels associés aux situations strictement hiérarchiques, comme il arrive au sein des organisations ou entre les ministres et les députés, mais plutôt sur les cas, de plus en plus fréquents, où le gouvernement fédéral (ou un ministère fédéral) conclut une entente avec, comme partenaire, une seconde ou une tierce partie, dans le but d'atteindre un objectif convenu.
Le programme d'Infrastructure, bon nombre des ententes conclues avec les Premières nations et les ententes conclues récemment avec les provinces sur la formation de la main-d'oeuvre constituent des exemples de ce genre de mécanisme. Je crois que, dans ces cas, il faut repenser la reddition de comptes et les modalités nécessaires pour la rendre efficace.
J'aimerais vous présenter une définition de la reddition de comptes, ainsi que les cinq principes d'une reddition de comptes efficace telle que nous commençons à l'utiliser dans nos travaux de vérification. J'aimerais ensuite analyser ces notions dans le contexte des partenariats, particulièrement dans celui de la prestation de services à des niveaux multiples. Je terminerai en plaidant en faveur de relations redditionnelles plus claires.
À notre bureau, nous avons redéfini les notions de reddition de comptes et nous avons commencé à utiliser une nouvelle définition de la reddition de comptes, qui reconnaît plus explicitement le rôle de plus en plus grand des partenariats; c'est à peu près cette définition :
La responsabilisation désigne une relation fondée sur l'obligation d'avoir un rendement qui corresponde aux attentes convenues et d'en assumer la responsabilité.Cette nouvelle définition suppose que la reddition de comptes peut exister dans le cadre d'autres relations que les rapports hiérarchiques, même lorsqu'il n'y a pas d'« attribution » véritable de responsabilité. On considère que la reddition de comptes est assumée et acceptée par chaque partie à une relation redditionnelle reconnue; naturellement, la situation est toujours la même lorsqu'une partie délègue des responsabilités à l'autre, comme dans le cas de la reddition de comptes traditionnelle.
Il est évident que toute définition a une valeur limitée, à moins que nous comprenions ce qu'elle exige pour être efficace, peu importe le modèle de prestation ou de régie que l'on choisit. Les cinq principes suivants ont été élaborés à cette fin :
De nouveaux mécanismes organisationnels sont établis. On a créé des organismes de services spéciaux, comme le Bureau de la traduction, le Bureau des passeports et l'Office de la propriété intellectuelle du Canada. Des agences indépendantes sont créées ou sont en voie de l'être comme l'Agence canadienne d'inspection des aliments et l'Agence canadienne des douanes et du revenu.
De plus en plus, le gouvernement conclut diverses formes de partenariat avec d'autres organisations ou niveaux de gouvernement afin d'obtenir, de façon collective, les résultats souhaités dans l'intérêt public, comme c'est le cas dans la prestation de programmes et de services. Les modes de prestation du programme Infrastructure et des programmes de formation de la main-d'oeuvre en sont des exemples récents.
J'aimerais faire quelques commentaires sur les partenariats, et tout particulièrement sur « les partenariats pour défendre l'intérêt public », comme le greffier du Conseil privé les appelle dans son Quatrième rapport annuel au Premier ministre sur la fonction publique du Canada. Dans ces cas, il s'agit de relations non hiérarchiques ou quasi non hiérarchiques -en d'autres mots, il s'agit, totalement ou partiellement, de relations entre égaux - et l'entente entre ces parties présente certaines caractéristiques propres. Elle est très différente du cas traditionnel où le gouvernement fédéral assure lui-même un programme ou un service.
Les partenariats pour défendre l'intérêt public impliquent deux ou plus de deux gouvernements ou organisations qui s'entendent pour travailler ensemble et réaliser un but commun comme la prestation d'un service. Bien qu'elle partage les intérêts collectifs, chaque partie cherche également à atteindre ses propres objectifs d'intérêt public. Qui plus est, chaque partie a son propre « organe de direction » auquel elle doit rendre des comptes.
Il est vrai que le partenariat, comme entité en soi, n'a pas à rendre de comptes à personne puisqu'il n'est qu'une structure administrative. Cependant, les partenaires sont comptables les uns envers les autres et envers leurs mandants respectifs. Chaque partie est doublement responsable - envers l'autre partie et envers son propre Parlement. C'est ce qui caractérise les partenariats en matière de reddition de comptes : il y a deux aspects de la reddition de comptes à considérer.
Traditionnellement, les ministères assuraient directement la prestation des programmes. Dans ce contexte, le ministère était comptable au Parlement. Le fait de conclure des ententes avec des partenaires ou d'autres tiers ajoute une série additionnelle d'obligations redditionnelles.
Le terme-clé ici est : additionnel . Lorsque le gouvernement fédéral se voit conférer une responsabilité par le Parlement, il doit rendre compte à celui-ci de la façon dont il s'est acquitté de cette responsabilité. Quand le gouvernement fédéral conclut des ententes ou des partenariats avec d'autres parties pour l'aider à s'acquitter de ses responsabilités, le gouvernement demeure comptable envers le Parlement. Il est important que le gouvernement distingue ces ententes redditionnelles avec ses partenaires de ses obligations redditionnelles envers le Parlement.
Ce qui a été ajouté, c'est une série d'obligations, inhérentes à cette nouvelle entente, qui créent des liens redditionnels entre les membres du partenariat. Par conséquent, outre l'obligation qu'il a de rendre compte au Parlement de la façon dont il s'est acquitté de ses responsabilités, le gouvernement devient comptable envers ses partenaires de sa conduite telle qu'elle a été définie par leur entente.
Ces deux séries d'obligations redditionnelles que le gouvernement a désormais, bien qu'elles soient reliées entre elles, sont distinctes l'une de l'autre. Elles sont reliées du fait que l'entente de partenariat doit être conçue de manière à permettre au gouvernement d'atteindre les résultats désirés par le Parlement. L'obligation d'information et les autres éléments redditionnels contenus dans l'entente doivent appuyer les éléments de la relation qui existe entre le gouvernement et le Parlement.
Par exemple, puisque l'obligation gouvernementale de rendre compte au Parlement doit rester crédible, l'entente de partenariat doit faire en sorte qu'il en soit ainsi. L'entente doit permettre au gouvernement d'avoir accès à l'information dont il a besoin, et le gouvernement doit garantir la crédibilité de l'information reçue de l'autre partie (par une vérification ou par tout autre moyen).
Une série d'obligations redditionnelles doit appuyer l'autre. Pourtant, elles demeurent distinctes du fait que les particularités de l'entente ne doivent pas être considérées comme se substituant à l'obligation du gouvernement de rendre des comptes au Parlement ou comme une excuse pour ne pas le faire. L'entente de partenariat doit être considérée comme un moyen d'atteindre une fin.
L'autre partie a ses propres objectifs et buts - qui découlent souvent d'un mandat que lui confèrent ses propres mandants ou ses membres. Manifestement, les objectifs du partenariat doivent être conformes aux objectifs et aux mandats de chaque partenaire. Pour y parvenir, il faudra parfois des négociations très poussées au départ.
Le gouvernement fédéral devra, de son côté, être vigilant pour garantir un équilibre approprié entre deux besoins, la souplesse qui lui permettra de répondre aux attentes de l'autre partenaire, et la nécessité de réaliser son mandat et de respecter les pouvoirs qui lui ont été conférés. Dans de nombreux cas, ce sera tout un défi. Mais c'est un défi qu'il faut prendre au sérieux - il faut que ces ententes soient tout de suite conçues adéquatement, car elles pourraient être très difficiles à changer plus tard. Il en sera probablement de même pour l'autre partie. Un partenariat qui répond aux besoins d'une partie uniquement n'a guère de chance de réussir.
Par conséquent, l'entente de partenariat doit être considérée comme un autre moyen d'assurer directement la prestation des services. Par conséquent, même s'il est probable que le gouvernement ne contrôle pas et qu'il ne veuille pas contrôler, les actions quotidiennes de l'autre partie, il doit intégrer à l'entente des contrôles et des mesures d'incitation et de dissuasion, de sorte qu'il soit perçu comme ayant pris toutes les mesures raisonnables pour garantir que les conséquences souhaitées se concrétisent et qu'il puisse rendre compte au Parlement.
Par conséquent, dans un partenariat, chaque partie individuelle est responsable des résultats recherchés par les partenaires. Cela veut dire que chaque partie :
Selon ce principe, une information crédible constitue un élément important de toute entente de responsabilisation, et cette question doit être traitée avant de conclure une entente avec une autre partie. Chacun doit comprendre que l'autre partenaire a besoin d'une information qui lui permet de remplir ses propres obligations. En particulier, le gouvernement fédéral doit pouvoir rendre compte au Parlement de la façon dont les fonds ont été dépensés, ainsi que des résultats obtenus. Il faut au départ négocier un tel accès à l'information pour le gouvernement et ses vérificateurs, à moins que le Parlement n'ait expressément convenu que la reddition de comptes à l'égard des sommes dépensées est peu ou pas nécessaire.
Lorsque l'on envisage d'avoir recours à d'autres mécanismes de prestation, par exemple la création d'un organisme par voie législative, on doit se rappeler que, quelle que soit la forme des ententes, le ministre aura toujours une obligation redditionnelle. Naturellement, plus les ententes seront transparentes, plus l'obligation redditionnelle sera claire.
Par exemple, lorsque la loi établit que l'organisme ou le ministre peuvent conclure des ententes fédérales-provinciales (par exemple l'inspection des aliments), il peut être souhaitable de s'assurer que le processus est ouvert et que les ententes sont déposées à la Chambre, de sorte que les parlementaires sachent ce que l'on attend de l'organisme et du ministre. De même, si l'organisme doit exercer les pouvoirs et les fonctions du ministre, ceux-ci doivent être définis clairement, tout comme la façon dont ils doivent être exercés. Si les pouvoirs et les fonctions sont conférés par l'entremise d'un document officiel, comme un décret, il peut être préférable de le déposer au Parlement afin de s'assurer que les conditions de la délégation sont connues.
Dans le cas des partenariats, par exemple, à moins d'indication à cet effet, il n'existe pas de mécanisme évident pour régler les situations difficiles. Le recours ultime consisterait peut-être dans ce cas à mettre fin à l'entente, mais, pour diverses raisons, il se pourrait que cette solution ne soit pas pratique. Pour tenter de parvenir à un accord lorsqu'il y a des problèmes, les partenariats ont recours, entre autres, à des procédures que chaque partie peut appliquer, ainsi qu'à des conseils indépendants et à des tribunaux, pour évaluer les cas de désaccord entre les parties. Il est essentiel que les ententes de partenariat mentionnent explicitement les procédures de recours et d'ajustement.
J'imagine qu'il y a de nombreuses ententes possibles, y compris des ententes de vérification de partenariats entre bureaux de vérificateurs législatifs. Le point à retenir pour le moment est que ces ententes doivent être précisées dès le début. Il ne s'agit pas tant de savoir qui vérifiera l'entente, mais comment la vérification pourra servir toutes les parties et leurs obligations. À titre d'exemple, le Parlement obtient-il encore l'information et l'assurance dont il a besoin? La fonction de vérification doit répondre aux besoins non seulement du partenariat, mais aussi de chacune des parties.
Enfin, comme vérificateurs législatifs, nous devons nous adapter à ces nouveaux moyens que les gouvernements utilisent pour s'acquitter de leur rôle. Je crois que nous sommes conscients de ce besoin, et que nous orientons notre pensée et notre pratique de façon à satisfaire à ces nouvelles exigences de vérification.
Dans beaucoup de nouveaux mécanismes de prestation des services, et certainement dans les partenariats, la situation est plus complexe. Elle est caractérisée par :
Tous ces éléments me portent fortement à croire que, en pareils cas, l'entente de responsabilisation doit être encore plus claire et plus transparente . Je prévois que la reddition de comptes devra, dans l'avenir, s'orienter vers des ententes de responsabilisation plus explicites et plus ouvertes entre le gouvernement fédéral et ses partenaires, et entre le gouvernement fédéral et le Parlement dans certains cas particuliers. Je crois qu'il est encore plus important maintenant d'adhérer étroitement aux principes d'une reddition de comptes efficace mentionnés ci-dessus afin d'éviter des problèmes plus tard.
Les autres mécanismes de prestation, y compris les partenariats, ne doivent pas signifier une reddition de comptes plus diffuse et plus difficile à cerner. Bien au contraire. Et le défi, pour nous tous, consiste à nous assurer que l'on accorde plus d'attention aux détails des ententes de responsabilisation qui sont conclues, afin d'assurer leur succès et une reddition de comptes adéquate au Parlement.
À vrai dire, il me semble que plus la séparation est grande, plus la possibilité de se méfier est grande, et que plus la situation est complexe, plus il est nécessaire de reconnaître explicitement les cinq principes de la relation redditionnelle et le besoin d'une plus grande transparence dans les ententes de responsabilisation .
Je vous remercie de votre attention. J'espère que ces remarques vous seront utiles dans vos délibérations et peut-être dans les situations réelles auxquelles vous aurez vraisemblablement à faire face.