L'héritage des sites fédéraux contaminés

line

Un discours de Johanne Gélinas, Commissaire à l'environnement et au développement durable (CEDD), au Forum Américana 2003, Montréal, le 19 mars 2003.


Introduction

Merci beaucoup.

Je suis heureuse d'être à Montréal pour vous parler des sites contaminés, qui constituent l'un des principaux sujets de la conférence Américana de cette année. De façon plus précise, j'aimerais vous parler cet après-midi des constatations contenues dans le deuxième chapitre de mon rapport annuel de 2002 au Parlement, qui traite des sites fédéraux contaminés.

Mais avant d'aller plus loin j'aimerais vous expliquer brièvement mon rôle.

Mandat et rôle de la CEDD

En deux mots, je suis le chien de garde du gouvernement fédéral en matière d'environnement.

Cela signifie que je suis sceptique et méthodique, et — parfois aussi — un peu dure. J'ai besoin de preuves que ce que a fait effectivement ce qu'il a dit qu'il ferait.

En ma qualité de commissaire à l'environnement et au développement durable, j'ai le mandat précis de me pencher sur les questions liées à l'environnement et au développement durable. Je dirige une équipe de plus de 35 professionnels au sein du Bureau du vérificateur général du Canada, ou BVG.

Et lorsqu'il est question d'environnement et de développement durable, c'est là que j'interviens.

En réalité, mon mandat me place dans une situation unique puisque je rends le gouvernement fédéral responsable de ses engagements en matière d'environnement et de développement durable.

J'examine des questions particulières et, tout comme la vérificatrice générale, je fais rapport à la Chambre des communes de mes constatations et conclusions.

Jusqu'ici nous avons réalisé plus de 60 vérifications environnementales portant sur une foule de sujets, dont les changements climatiques, le smog en milieu urbain, la biodiversité, les déchets, les substances toxiques, les écosystèmes et, naturellement, les sites contaminés.

Stratégies de développement durable

En plus des vérifications, j'assume des responsabilités spéciales en vertu de la Loi sur le vérificateur général. Lorsque le gouvernement a créé mon poste il a aussi créé une obligation légale à laquelle doivent se conformer les ministres et les ministères fédéraux, soit préparer et mettre à jour une stratégie de développement durable qui doit être revue tous les trois ans.

Les stratégies sont des plans d'action établis par les ministères pour faire avancer le Canada sur la voie du développement durable. En vertu de la Loi, je suis tenue de surveiller la mise en œuvre des stratégies de développement durable des ministères et de faire rapport au Parlement.

Ces stratégies sont des précieux outils en ce qui a trait à l'évaluation des progrès marqués par les ministères et organismes fédéraux dans la promotion du développement durable et plus précisément dans l'atteinte des objectifs énonces dans leur propre stratégies de développement durable.

Pétitions

Enfin je veille au bon déroulement du processus des pétitions en matière d'environnement et du développement durable. Le processus de pétition a été mis en place pour permettre aux citoyens de faire part de questions et de préoccupations dans le domaine de l'environnement et d'obtenir des réponses franches des ministres fédéraux.

Pour présenter une pétition, il n'est pas nécessaire de recueillir des milliers de signatures. La pétition peut prendre la forme d'une simple lettre envoyée par un citoyen Canadien.

Certaines des pétitions touchent aux questions reliées aux sites contaminés, comme par exemple les problèmes causés par le déversement d'armes chimiques dans l'océan Atlantique par les Forces armées canadiennes après la Deuxième guerre mondiale.

Rapport annuel de 2002

J'ai présenté mon dernier rapport annuel aux parlementaires en octobre dernier. Il contient les constatations de cinq vérifications de la gestion, par le gouvernement fédéral,

J'en suis venue à la conclusion suivante :

Cela représente pour nous et nos enfants un fardeau qui ne cesse de s'alourdir sur les plans financier, écologique et de la santé. J'ai parlé d'un « déficit » de l'environnement et du développement durable dans mon rapport, déficit qui n'est pas géré comme une priorité et qui va croissant.

J'aimerais vous parler aujourd'hui de la situation qui prévaut au chapitre des sites contaminés fédéraux.

Sites contaminés et sites orphelins

Il existe des milliers de sites contaminés sur les terres fédérales partout au Canada.

Certains sont des sites « orphelins » et le gouvernement fédéral en est devenu responsable lorsque ceux qui les avaient contaminés ont cessé leurs activités ou n'ont plus été en mesure de payer pour leur assainissement. Les mines abandonnées dans le Nord du Canada en sont un exemple.

Mais, en définitive, ce n'est pas crucial de savoir si les sites contaminés appartenaient initialement au gouvernement fédéral ou s'il en a hérité, car il est responsable de tous ces sites.

Les sites fédéraux contaminés sont répartis un peu partout au Canada; certains se trouvent en milieu urbain et d'autres sont situés dans des régions éloignées, comme les sites appartenants à la Distant Early Warning (DEW) Line. On en trouve un bon nombre dans la région de Montréal, par exemple le canal de Lachine, qui englobe 32 sites sur toute sa longueur.

Ces sites comprennent des mines abandonnées dans le Nord que j'ai mentionné tout à l'heure, mais aussi des aéroports, des laboratoires gouvernementaux, des havres et des ports, des décharges, des phares, des bases et des installations d'entraînement militaire ainsi que des terres de réserve.

Au fil des ans, ces sites ont été contaminés par des produits pétroliers, des métaux lourds et d'autres substances toxiques.

L'un de ces sites contaminés le plus connu est la mine Giant de Yellowknife. Le gouvernement a estimé récemment que le coût d'assainissement de ce site, dont a hérité le gouvernement fédéral lorsque ses premiers propriétaires ont fait faillite, se situerait entre 50 millions et 400 millions de dollars canadiens, selon la méthode qui sera privilégiée et le niveau de décontamination recherché.

Quelle que soit la méthode préconisée il y aura toujours de l'eau qui s'infiltrera et qu'un traitement sera nécessaire à perpétuité. Même si la mine a été rachetée et qu'elle est toujours en opération, le passif environnemental n'a pas été transféré et il demeure sous la responsabilité du fédéral.

Les étangs bitumineux de Sydney sont aussi très bien connus. Bien qu'il s'agisse d'un site que le gouvernement fédéral ne reconnaît pas posséder, il a néanmoins versé pour plus de 250 millions de dollars pour la modernisation de l'équipement et la réalisation de diverses études. Dans son plus récent budget le gouvernement fédéral s'est aussi engagé à contribuer à la mise en place de solutions.

C'est déjà assez grave que les sites contaminés fédéraux causent de sérieux problèmes pour la santé et l'environnement.

Mais ce qui est pire, c'est qu'on a passé le fardeau de la décontamination et des coûts afférents à nos enfants. Les dommages sont faits et nous ne pouvons pas, en une seule génération, effacer des années de négligence et de mauvaise utilisation.

Les générations futures auront à payer les coûts d'assainissement ou de maintenance de nombreux sites contaminés fédéraux.

Nous pouvons cependant faire en sorte que ce fardeau ne s'alourdisse davantage, mais pour cela le gouvernement fédéral doit agir dès maintenant et s'engager fermement à élaborer un plan d'action assorti d'un calendrier et des ressources nécessaires à sa mise en œuvre.

Constatations de base

Le gouvernement fédéral a tout d'abord reconnu le besoin de régler le problème des sites contaminés en 1989 lorsqu'il a lancé le Programme national d'assainissement des lieux contaminés.

En 1995 et en 1996, nous avons vérifié divers aspects de la gestion par le gouvernement fédéral de ses sites contaminés.

L'an dernier, nous avons mené une enquête auprès de 15 ministères et organismes fédéraux qui possèdent ou gèrent des sites contaminés et effectué une vérification plus ciblée de quatre ministères : Pêches et Océans Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada, Défense nationale et Transports Canada.

Les progrès limités qui ont été réalisés par le gouvernement fédéral depuis qu'il a commencé à s'occuper de la question des sites contaminés indiquent qu'il est loin d'accorder une attention suffisante à ce problème.

En fait, nous avons découvert que dans de nombreux cas, le gouvernement fédéral n'avait pas pris les mesures les plus fondamentales pour s'occuper de cette question.

Les fonctionnaires fédéraux sont toujours aux prises avec ce problème d'une grande ampleur. Même si le gouvernement fédéral a, dans l'ensemble, fait des progrès en évaluant plus de 8 500 sites afin de déterminer s'ils étaient contaminés ou non, il doit encore entreprendre l'évaluation d'au moins 1 500 autres sites qu'il soupçonne d'être contaminés.

De plus, trois ministères fédéraux savent que de nombreux sites contaminés se trouvent sur leurs propriétés, mais ils n'ont aucune idée de leur nombre ni des mesures à prendre pour les gérer.

Et même si le gouvernement a commencé à assainir certains sites fédéraux contaminés, environ 900 au dernier décompte, ce ne sont pas les plus dangereux. Peu de sites de catégorie 1 — soit quelque 900 sites également — ont été nettoyés. Au fait, les sites décontaminés se trouvent le plus souvent sur des propriétés que le gouvernement fédéral a l'intention de vendre, la raison étant qu'il ne peut vendre un terrain contaminé.

En fait, après 14 ans, le gouvernement fédéral :

ne sait pas encore combien de ses sites sont contaminés;

n'a toujours pas de vue d'ensemble des risques pour la santé humaine et l'environnement, ni de ce qu'il pourrait lui en coûter pour s'occuper des sites contaminés (c'est-à-dire les assainir ou les gérer);

n'a pas encore classé les sites les plus dangereux, selon le niveau de risque;

n'a toujours pas de financement stable, à long terme, pour gérer le problème efficacement. Il n'y a toujours pas d'engagement et de leadership fermes à l'échelon central, ni notamment de plan d'action pour s'occuper, dans des délais appropriés, des sites qui présentent les risques les plus élevés.

J'ai aussi constaté qu'en ce qui a trait à la gestion des sites fédéraux, le gouvernement semble appliquer deux poids deux mesures.

Ceux qui louent des terres fédérales et les contaminent doivent, en vertu des contrats de location récents, nettoyer leurs propres dégâts.

Par contre, le gouvernement fédéral n'a pas établi d'exigences semblables afin que les organisations fédérales assainissent les terres fédérales qu'elles ont elles-mêmes contaminées.

En bref, le gouvernement fédéral ne nettoie pas sa propre cour. D'ailleurs, si les lois provinciales s'appliquaient aux propriétés fédérales, des ordonnances de nettoyage seraient remis.

Financement à long terme

Si nous ne pouvons pas mesurer exactement l'ampleur de ce problème, nous en savons suffisamment pour constater que ses dimensions sont alarmantes. Le gouvernement fédéral a constaté un passif de 2,5 milliards de dollars.

Au rythme actuel des dépenses dans ce domaine, il faudra au gouvernement plusieurs décennies pour s'occuper des sites contaminés connus, et il en coûtera aux Canadiens des milliards de dollars.

Lors du dépôt du Budget de 2003, le gouvernement a annonce 175 millions de dollars sur deux ans pour l'assainissement des sites contaminés.

Cet engagement est de toute évidence un pas dans la bonne direction. Mais compte tenu de l'ampleur du problème à régler cela ne représente qu'un tout petit pas.

En réalité, ce financement annoncé par le gouvernement fédéral représente à peu près le double des 90 millions de dollars qu'il dépense annuellement pour les sites contaminés.

Certains des sites les plus dangereux, comme certaines mines abandonnées, ne peuvent être assainis en l'espace de deux ans.

Un financement à long terme est nécessaire pour gérer le problème efficacement. À titre d'exemple, mon rapport contient des études de cas de quatre mines abandonnées pour lesquelles il faudra dépenser environ un demi-milliard de dollars de l'argent des contribuables afin de les assainir ou de les confiner.

Le fait est que, chaque année, le gouvernement fédéral dépense des millions de dollars pour empêcher que des produits hautement toxiques, comme l'arsenic et le cyanure, ne s'échappent de ces sites.

La mine Faro au Yukon exigera à elle seule au moins 200 millions de dollars.

Mais ce ne sont là que des mesures de fortune qui ne résoudront pas le problème à long terme. On offre qu'une solution « band-aid ».

On ne peut dissimuler la nature fondamentale du problème que posent les sites fédéraux contaminés : il s'agit d'un problème de longue durée qui, pour être réglé efficacement, exige une vision à long terme et, en particulier, un financement à long terme.

Mesures prises par le gouvernement et recommandations

Dans mon rapport, je recommande que le gouvernement fédéral :

Et qu'il

Dans le Budget de 2003, on a annoncé que, pour la première fois, les passifs environnementaux du gouvernement fédéral figureront au bilan à compter du présent exercice.

Le gouvernement croit qu'il améliorera ainsi l'exactitude et la transparence de la comptabilité. Je peux vous dire que cela facilitera certainement le suivi des progrès parce que le gouvernement rendra des comptes au moyen de ses propres rapports financiers.

En tant que commissaire à l'environnement et au développement durable je m'attends à voir cette mesure se refléter dans les plans de gestion des sites contaminés que chaque ministère et chaque organisme fédéral doit préparer d'ici la fin de juin de cette année.

Il nous reste à attendre la suite des événements.

Conclusion

Le gouvernement a le pouvoir d'agir maintenant pour régler le problème posé par ses sites contaminés et alléger le fardeau des générations futures.

En ce qui me concerne, je poursuivrai mon travail de ma surveillance et ferai rapport régulièrement au Parlement et aux Canadiens.

Je vous signale en terminant que le Secrétariat du Conseil du Trésor, à la suite d'une recommandation de mon bureau, a produit une banque de données sur les sites contaminés fédéraux et l'a rendu disponible sur son site Web en juin dernier.

Je vous invite à la consulter.

Merci.