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Bureau de la concurrence du Canada

Bureau de la concurrence

Bulletin technique sur les activités réglementées

 

Version préliminaire en vue de consultations

Novembre 2005

(PDF : 58 Ko)


 

I.            Introduction

Le présent Bulletin technique1(« Bulletin ») expose les grandes lignes de la démarche de la commissaire de la concurrence (le « Bureau ») en matière d’application de la Loi sur la concurrence en ce qui concerne les activités qui peuvent être réglementées par une autre loi ou un autre régime législatif fédéral, provincial ou municipal (« loi »), notamment la façon dont le Bureau conçoit la « théorie de l’activité réglementée » (« TAR »).2

Le Bureau part du principe que la  Loi sur la concurrence s’applique généralement à toute activité visée selon le sens ordinaire de ses dispositions pertinentes. Le Bureau croit que, dans la vaste majorité des cas, la Loi sur la concurrence et toute autre loi réglementant supposément l’activité reprochée pourront coexister, sans conflit, et que la Loi sur la concurrence s’appliquera telle que rédigée.  La démarche brièvement décrite dans le présent Bulletin repose notamment sur la prémisse que le Bureau a l’obligation d’appliquer la Loi sur la concurrence, la Loi sur la concurrence est une loi-cadre d’application générale et le Parlement « […] n’est pas censé s’écarter du régime juridique général sans exprimer de façon incontestablement claire son intention de le faire […] ».3 Dans le cadre de sa démarche concernant la TAR, le Bureau reconnaît que la TAR constitue une exception à ces principes fondamentaux, que la jurisprudence relative à la TAR est sous-développée, et que la Cour suprême du Canada préconise une application prudente de la TAR dans son dernier arrêt touchant ce sujet.4

Généralement, pour déterminer si une activité réglementée par une autre loi donnera lieu à l’institution de procédures en vertu de la Loi sur le concurrence, le Bureau examinera soigneusement les objets respectifs de la Loi sur la concurrence et de toute autre loi réglementant supposément l’activité reprochée, les intérêts que chacune des deux lois vise à protéger, l’activité reprochée, la ou les dispositions potentiellement applicables de la Loi sur la concurrence et de l’autre loi, les parties en cause et les principes d’interprétation des lois applicables à l’affaire.5 Tel qu’indiqué ci-dessous, la démarche du Bureau ne sera pas nécessairement identique selon que le Bureau examinera à une activité réglementée par des lois provinciales ou à une activité réglementée par des lois fédérales.6 De même, la démarche du Bureau ne sera pas nécessairement identique selon qu’il sera question d’appliquer à une activité réglementée par une autre loi les dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen ou les dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence.7

Même si une activité donnée n’est pas soustraite à l’application de la Loi sur la concurrence en vertu d’une théorie ou d’un moyen de défense, tel que la TAR, il se peut néanmoins qu’une partie soit admise à invoquer d’autres théories ou moyens de défense, comme l’absence de la mens rea requise, l’erreur provoquée par une personne en autorité, une justification légale, ou l’immunité de la Couronne. Même en l’absence de tout moyen de défense ou théorie semblable, le Bureau s’interrogera sur l’opportunité, au regard de l’intérêt public, d’engager des procédures relativement à une activité entreprise de bonne foi sur le fondement d’une loi. Chaque cas sera examiné individuellement, en tenant compte de ses faits particuliers.

 

II.            Activités qui peuvent être réglementées par des lois provinciales

La Cour suprême du Canada a traditionnellement conclu qu’une loi fédérale valide, comme la Loi sur la concurrence, l’emporte8 sur une loi provinciale valide lorsque l’application de la loi provinciale entre en conflit avec l’application de la loi fédérale (la règle de la « prépondérance fédérale »). Les tribunaux ont conclu à l’existence d’un tel conflit souvent lorsqu’une partie ne pouvait se conformer aux deux lois (le critère dit de « l’impossibilité de se conformer aux deux textes »).9 Plus récemment, la Cour suprême a statué que, même en l’absence d’un tel conflit, « lorsqu’une loi provinciale supplante la loi fédérale ou entrave la réalisation de son objet », cette loi provinciale peut aussi être écartée au profit d’une loi fédérale valide.10

Dans une série de décisions,11 les tribunaux canadiens ont élaboré un principe d’interprétation, la TAR, qui soustrayait un organisme de réglementation, exerçant ses pouvoirs en vertu d’une loi validement adoptée, à l’application des dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence relatives aux complots, en donnant, en fait, une interprétation atténuée de ces dispositions.12 Dans sa décision la plus récente, Garland, la Cour suprême a décrit le fondement de la TAR comme suit : « Chaque fois qu'on peut légitimement interpréter une loi fédérale de manière qu'elle n'entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit. »13 La TAR nie en effet la règle de la prépondérance fédérale. En outre, contrairement à ce que l’on observe dans les affaires typiques de prépondérance fédérale, bon nombre de ces tribunaux, y compris la Cour suprême, ont appliqué la TAR à une activité qui était simplement autorisée – et non exigée – par une loi provinciale, c’est-à-dire que l’on n’a pas exigé qu’il y ait « impossibilité de se conformer aux deux textes »14 pour que la TAR s’applique, et n’ont pas considéré si la loi provinciale entravait la réalisation de l’objet de la loi fédérale, c’est-à-dire la Loi sur la concurrence. Les tribunaux ont plutôt centré leur analyse sur la nature criminelle des dispositions en cause de la Loi sur la concurrence, en affirmant que l’activité menée en conformité avec une loi provinciale valide ne saurait être contraire à l’ « intérêt public » ou « indu » (le « motif tiré de l’intérêt public »)15 et qu’une activité exigée aux termes d’une loi provinciale valide ne saurait être volontaire (le « motif tiré de l’absence de mens rea »),16 comme l’exige le droit pénal. Plus récemment, la Cour suprême, dans Garland, a jugé que le moyen de défense fondé sur la réglementation de l’activité (TAR) permet de soustraire une activité à l’application du Code criminel uniquement lorsque le Code permet clairement l’application de la TAR, p. ex. au moyen d’un libellé accordant une marge de manœuvre tel que « [contraire à] l’intérêt public » ou « [limiter] indûment [la concurrence] ».17

Peu importe la façon dont on interprète la jurisprudence actuelle, il est clair que la TAR constitue une exception à la règle habituelle voulant que l’on applique une loi générale conformément à son sens ordinaire et que l’on fasse primer une loi fédérale validement adoptée, comme la Loi sur la concurrence.

Conformément à la décision de la Cour suprême dans Jabour, le Bureau se demandera toujours si la TAR s’applique à une activité qui peut être réglementée par une loi provinciale, en mettant l’emphase sur la question de savoir si une loi provinciale validement adoptée autorise (expressément ou implicitement) ou exige l’activité reprochée.18 Si tel est le cas, le Bureau appliquera la TAR et s’abstiendra d’engager des poursuites en vertu de l’article 45 de la Loi sur la concurrence. En ce qui concerne les autres dispositions de la partie VI, conformément à l’arrêt Garland, le Bureau s’efforcera de déterminer si le Parlement a voulu que la disposition ou les dispositions particulières de la Loi sur la concurrence s’appliquent à l’activité reprochée, et ne poursuivra peut-être pas l’affaire et ce, par application de la TAR. Même si le Bureau conclut que la TAR, comme telle, n’exempte pas l’activité reprochée, d’autres théories ou moyens de défense,19 ou le pouvoir discrétionnaire du Bureau en matière d’enquêtes, pourront amener le Bureau à ne pas intenter de poursuites en vertu des dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence relativement à une activité qui est autorisée ou exigée aux termes d’une loi provinciale valide.
 

La jurisprudence relative à la TAR est extrêmement limitée en ce qui concerne les dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen. Seul le désir d’éviter l’application de la règle de la prépondérance fédérale étaye directement l’application de la TAR aux dispositions de la Loi sur la concurrence  relatives aux pratiques susceptibles d’examen. Ni le motif tiré de « l’intérêt public » ni celui tiré de « l’absence de mens rea » abordés plus haut, n’étaye directement l’application de la TAR à ces dispositions.  En outre, le libellé accordant une marge de manœuvre auquel Garland réfère n’apparaît pas dans les dispositions de la Loi sur la concurrence  relatives aux pratiques susceptibles d’examen.20 Lorsque la Cour suprême a, dans Garland, appliqué une loi entraînant des sanctions pénales à une activité expressément autorisée par un organisme de réglementation provincial puisqu’il n’y a intention claire du Parlement de faire autrement, il est difficile pour le Bureau de conclure que la même approche n’est pas applicable dans le cas des dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen. À la lumière de cet énoncé, il est loin d’être certain que la TAR soustrait des activités à l’application des dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen.21

En conséquence, jusqu’à ce que la jurisprudence relative à la TAR soit plus développée en ce qui concerne les dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen, cette jurisprudence éclairera, mais ne régira pas, la façon dont le Bureau abordera une activité au regard des dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen. En conformité avec l’arrêt Garland, le Bureau s’efforcera de cerner l’intention du Parlement quant à l’application de la ou des dispositions relatives aux pratiques susceptibles d’examen à l’activité reprochée.  Contrairement à la partie III ci-dessous, toutefois, le Bureau ne s’abstiendra pas d’intenter des poursuites relativement à une activité réglementée donnée en vertu des dispositions relatives aux pratiques susceptibles d’examen au seul motif que la loi provinciale autorise l’activité ou est plus spécifique que la Loi sur la concurrence, étant donné que le Bureau a pour mandat d’appliquer la loi conformément à la volonté du Parlement, et non à celle d’une législature provinciale ou de son délégataire.

La TAR est invoquée soit par les autorités réglementaires, soit par les personnes ou entités réglementées. Bien qu’aucun tribunal canadien n’ait affirmé expressément que la TAR s’applique différemment selon que l’on a affaire à une autorité réglementaire ou à une personne ou entité réglementée, les personnes ou entités réglementées n’ont pas typiquement bénéficié de l’application de la TAR par les tribunaux canadiens.22 Par conséquent, même si le Bureau procédera essentiellement à la même analyse au regard de la TAR, il se peut qu’il examine de plus près les activités des personnes et entités réglementées que les activités des autorités réglementaires en reconnaissance de cette jurisprudence.23

 
Que la TAR ou quelque autre théorie ou moyen de défense exempte ou non une partie d’une ou plusieurs dispositions de la Loi sur la concurrence, le Bureau examinera le contexte réglementaire dans lequel l’activité est menée lorsque cela est pertinent à l’application de la ou des dispositions de la Loi sur la concurrence en cause par exemple, la mesure dans laquelle un régime réglementaire limite ou restreint déjà l’exercice d’un pouvoir dominant sur le marché.24

 

 

III.            Activités qui peuvent être réglementées par d’autres lois fédérales

Lorsqu’il aura affaire à une activité qui peut être réglementée par une loi fédérale valide autre que la Loi sur la concurrence, le Bureau tentera, en appliquant les principes ordinaires d’interprétation des lois, de déterminer si le Parlement a voulu que la ou les dispositions particulières de la Loi sur la concurrence, voire éventuellement l’ensemble de la Loi sur la concurrence, s’appliquent à l’activité en cause.25 Le Bureau lira les dispositions de la Loi sur la concurrence et de l’autre loi fédérale selon leur sens ordinaire en accord avec le régime et les objets des textes dans lesquels elles figurent. Étant donné que le Parlement est présumé adopter des lois qui forment un ensemble cohérent,26 le Bureau considérera tout d’abord si les deux lois peuvent coexister et s’appliquer toutes deux sans s’entraver l’une l’autre, c.-à-d. en se demandant si une partie peut raisonnablement se conformer à la fois à la Loi sur la concurrence et à l’autre loi fédérale.27

En résumé, le Bureau appliquera la Loi sur la concurrence telle qu’elle se lit,28 à moins qu’il n’acquière la conviction que le Parlement a voulu que l’autre loi prime, soit par un libellé clair dans la Loi sur la concurrence ou par l’autre loi fédérale autorisant ou exigeant l’activité en cause ou, de manière plus générale, fournissant un énoncé complet du droit sur un sujet.29 L’intention du Parlement pour l’autre loi fédérale peut se manifester expressément, par exemple sous forme d’autorisation expresse ou encore de renvoi exprès à la Loi sur la concurrence. L’intention du Parlement pour l’autre loi fédérale peut aussi être implicite, auquel cas le Bureau conclura généralement qu’une loi spécifique est censée avoir préséance sur une loi générale.30

En conséquence, le Bureau n’engagera aucune procédure en vertu d’aucune des dispositions de la Loi sur la concurrence lorsque le Parlement a exprimé l’intention d’exclure l’application du droit de la concurrence en établissant un régime réglementaire complet et en conférant à une autorité réglementaire responsable31 le pouvoir de prendre ou de faire prendre une mesure incompatible avec la Loi sur la concurrence, à condition que l’autorité réglementaire ait exercé son mandat de réglementation relativement à l’activité en cause32. Lorsqu’une telle autorité réglementaire s’est abstenue de réglementer, le Bureau appliquera la Loi sur la concurrence à l’activité non réglementée jusqu’à ce que l’autorité réglementaire exerce son pouvoir de modifier ou d’annuler une telle abstention; lorsqu’une telle autorité réglementaire s’est abstenue conditionnellement, le Bureau appliquera la Loi sur la concurrence à toute activité non réglementée du fait d’une telle abstention conditionnelle.33

Comme à la partie II ci-dessus, les activités de personnes et entités réglementées pourront faire l’objet d’un examen plus minutieux de la part du Bureau que les activités d’autorités réglementaires et le Bureau examinera toujours le contexte réglementaire dans lequel l’activité est menée lorsque cela est pertinent à l’application de la ou des dispositions en cause de la Loi sur la concurrence, et ce, peu importe si un ou plusieurs moyens de défense ou théories exemptent ou non une partie de l’application d’une ou plusieurs dispositions de la Loi sur la concurrence.

 

 

IV.            Conclusion

Afin de remplir de manière responsable son mandat en vertu de la Loi sur la concurrence, le Bureau tentera – en recourant à tous les outils d’interprétation des lois applicables et en examinant les faits particuliers de l’affaire – de déterminer si le Parlement a voulu que la ou les dispositions pertinentes de la Loi sur la concurrence s’appliquent à l’activité en cause et, dans l’affirmative, si un ou plusieurs moyens de défense ou théories exemptent cette activité. Même si le Bureau conclut que la Loi sur la concurrence s’applique, il se demandera néanmoins s’il est dans l’intérêt public, eu égard aux circonstances, d’engager des poursuites en vertu de la Loi sur la concurrence relativement à l’activité en question. Bien que le Bureau croit que la Loi sur la concurrence et toute autre loi réglementant supposément l’activité reprochée pourront généralement coexister, de telle façon que la Loi sur la concurrence s’appliquera telle que rédigée, le Bureau reconnaît que la théorie de l’activité réglementée, dans le contexte de la Loi sur la concurrence, doit être précisée davantage. En conséquence, le Bureau tentera de bénéficier des développements jurisprudentiels à cet égard et examinera les possibilités de résolution législative de ce problème de longue date.

 


1. Le présent Bulletin technique ne se veut pas un substitut aux conseils d’avocats, et il est produit dans un but exclusivement informatif. Il ne s’agit pas d’un énoncé contraignant quant à la manière dont un pouvoir discrétionnaire sera exercé dans une situation particulière. Le Bulletin remplace et a préséance sur tout autre énoncé de politique produit par le Bureau relativement à son objet. L’interprétation finale de la loi ressortit aux tribunaux judiciaires et au Tribunal de la concurrence.

2.  La TAR a été décrite au moyen de plusieurs expressions, comme défense fondée sur une activité réglementée, exemption relative à une activité réglementée, exemption relative aux industries réglementées, défense des industries réglementées et théorie des industries réglementées.

3. Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610 à la p. 614. Il convient de noter que le Parlement, aux termes de la Loi sur la concurrence, a expressément soustrait certaines activités à l’application de l’ensemble de la Loi sur la concurrence ou de certaines de ses dispositions et a prévu expressément dans d’autres lois fédérales que la Loi sur la concurrence, ou certaines de ses dispositions, ne s’appliquent pas à l’activité visée par la loi en question, p. ex. Loi sur le droit d’auteur, par. 70(3); Loi sur les offices des produits agricoles, art. 32; Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes, par. 4(1). Des principes reconnus d’interprétation des lois, comme expressio unius est exclusio alterius (voir Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. aux pp. 179 et seq.), et l’arrêt récent de la Cour suprême dans Garland c. Consumers' Gas Co., [2004] 1 R.C.S. 629 (« Garland ») portent à croire que le Bureau, en particulier, devrait s’abstenir de soustraire une activité à l’application de la Loi sur la concurrence en l’absence d’une intention du Parlement à cet effet.

4. Voir Garland, supra à la p. 665, où la Cour affirme que le Parlement « doit exprimer clairement [une] intention » « de soustraire à l'application du droit criminel les actes autorisés par un organisme de réglementation provincial », pour que la TAR s’applique.

5. L’exigence faite à une partie de se conformer à plus d’une loi, par exemple, ne crée pas, en soi, un conflit devant nécessairement être résolu. Voir, par exemple, Smith c. La Reine, [1960] R.C.S. 776 à la p. 800, ci-après « Smith ».

6.  La préoccupation relative à la « prépondérance fédérale » relevée dans les affaires où il est question de la TAR (qui a mené, en réalité, à l’application d’une règle de la prépondérance inversée jusqu’à Garland) n’est pas présente lorsque l’on allègue que la Loi sur la concurrence entre en conflit avec une autre loi fédérale. De plus, il n’y a pas lieu de présumer que les lois provinciales et fédérales sont compatibles puisqu’elles émanent de législateurs différents (voir, par exemple, Garland).

Il convient de noter qu’il existe deux théories distinctes aux États-Unis : la théorie de « l’action de l’État » (state action doctrine), qui s’applique lorsque l’on allègue un conflit entre la loi d’un état et la loi antitrust fédérale, et la théorie dite « de l’immunité antitrust implicite » (implied antitrust immunity doctrine), qui s’applique lorsque l’on allègue un conflit entre la loi antitrust fédérale et d’autres lois fédérales.

Dans le cas des activités réglementées par les lois d’un état, les « normes de prépondérance » (« preemption standards ») américaines sont semblables aux règles canadiennes relatives à la « prépondérance fédérale ». Dans California c. ARC America Corp., 490 U.S. 93 aux pp. 100-01 (1989), la Cour suprême des États-Unis (« C.S.É-U. ») a expliqué que les lois des états seront écartées uniquement par (a) une disposition législative expresse de prépondérance; (b) la démonstration qu’il est [traduction] « clair et manifeste » que le [traduction] « Congrès entend qu’une loi fédérale occupe un champ donné »; ou (c) la démonstration que la loi de l’état [traduction] « entre véritablement en conflit avec la loi fédérale, c’est-à-dire, lorsque l’observation simultanée de la loi de l’état et la loi fédérale est impossible, ou lorsque la loi de l’état “constitue un obstacle à la pleine réalisation des objets et de l’objectif du Congrès.” » Conformément à cette tradition, en vertu de la théorie de « l’action de l’État », la C.S.É-U a jugé que le Sherman Act ne visait pas à [traduction] « empêcher un état ou ses fonctionnaires ou mandataires d’exercer des activités envisagées par sa législature »; cependant, seules les activités « exigées » (required) ou « ordonnées » (compelled) jouiraient d’une exemption relative aux « industries réglementées » : Parker c. Brown 317 U.S. 341 (1943) et Goldfarb c. Virginia State Bar 421 U.S. 773 (1975). Des décisions ultérieures de la C.S.É.-U, p. ex. California Retail Liquor Dealers Association c. Midcal Aluminium 445 U.S. 97 (1986), ont étendu l’exemption aux circonstances où [traduction] « l’état a clairement formulé et exprimé affirmativement une politique » d’exclusion de l’application des lois antitrust (la contrainte n’est pas nécessaire), à condition cependant, lorsqu’il s’agit d’une activité privée, que l’état supervise activement l’activité de la partie privée.

Dans le cas des activités réglementées par des lois fédérales, la C.S.É-U. a affirmé que [traduction] « l’immunité antitrust implicite n’est pas privilégiée et peut être justifiée uniquement au moyen d’une démonstration convaincante d’une incompatibilité claire entre les lois antitrust et le système de réglementation » : National Gerimedical Hospital c. Blue Cross of Kansas City 452 U.S. 378 à la p. 388 (1981); [traduction] « l’abrogation doit être considérée comme implicite uniquement lorsque cela est nécessaire au fonctionnement du système de réglementation et même là, seulement dans la mesure minimale jugée nécessaire » : Silver c. NYSE 373 U.S. 341. En conséquence, les tribunaux américains ont procédé à un examen minutieux de la loi fédérale « incompatible » en cause afin de cerner l’intention du Congrès de soustraire l’activité à l’application des lois antitrust. Dans Northeastern Tel Co. c. AT & T 651 F. 2d 76, cert. Refusé, 455 U.S. 943, la Cour d’appel des États-Unis a demandé si le régime fédéral « incompatible » était d’une nature telle que [traduction] « le Congrès doit être présumé avoir abjuré le paradigme de la concurrence ».

7. L’imposition aux parties potentiellement engagées dans des activités « réglementées » d’une responsabilité pénale en vertu des dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen ne soulève pas de préoccupations; aucune « intention criminelle » n’est requise. En outre, il n’y a pas de présomption selon laquelle une activité susceptible d’examen est contraire à « l’intérêt public » ou illégale. Voir, par exemple, Proctor and Gamble c. Kimberley Clark of Canada (1991), 40 C.P.R. (1er) 1 (C.F. 1ère inst.)

8. Dans la mesure du conflit.

9.  Voir, par exemple, Multiple Access Ltd c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161 à la p. 191, et la note 27, infra.

10.  Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188 aux par. 12 et suiv.

11.  Dans les premières affaires, des particuliers assujettis à un régime provincial tentaient d’échapper au pouvoir de l’autorité réglementaire (un organisme public, bien souvent un office de commercialisation) en arguant que le régime était inconstitutionnel parce que les actes de l’autorité réglementaire (p. ex., fixation de prix) étaient contraires à la Loi sur la concurrence. Ces affaires traitent de la question de savoir si la loi provinciale en cause est dans les limites des pouvoirs de la législature provinciale de sorte que l’application de ses dispositions puisse entraîner une déclaration de culpabilité valide, c.-à-d. si l’activité reprochée était une matière de compétence fédérale, ou était une matière de compétence provinciale, et non de la question de savoir si la Loi sur la concurrence s’applique à l’activité en question. Voir : R. c. Chung Chuck et al. (1929), 1 D.L.R. 756 (C.A.C.-B.); R. c. Simoneau (1936), 1 D.L.R. 143 (C.S.P. Qué.); et Cherry c. R. (1938), 1 D.L.R. 156 (C.A. Sask.).

12.  En élaborant la TAR, les tribunaux canadiens ont appliqué la TAR presque exclusivement pour soustraire les actes d’organismes de réglementation provinciaux (dont on prétendait qu’ils étaient) autorisés ou exigés par une loi provinciale, à l’application des dispositions criminelles relatives aux complots de la législation sur la concurrence alors en vigueur. Dans Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Landmark Cinemas of Canada Ltd. et al. (1992), 45 C.P.R. (3d) 346 (C.F. 1ère inst.), le juge Noel a appliqué la TAR à une activité autorisée uniquement par une loi fédérale, sans tenir compte de la jurisprudence. Dans Industrial Milk Producers Association et al. c. Milk Board et al. (1988), 47 D.L.R. (4e) 710 (C.F. 1ère inst.), le juge Reed a appliqué la TAR à la même activité des autorités réglementaires fédérale et provinciale en cause (autorisée par des lois fédérale et provinciale). Bien que la question de l’application de la TAR aux dispositions (actuelles) de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques susceptibles d’examen ait été abordée dans Re Canadian Breweries [1960] O.R. 601; Alex Couture c. Canada (1991), 38 C.P.R. (3d) 293; R. c. Independent Order of Foresters (1989), 26 C.P.R. (3d) 229 et Law Society of Upper Canada c. Canada (1996), 67 C.P.R. (3d) 48 (C. Ont., Div. gén.) (« Re L.S.U.C. »), la TAR a seulement été appliquée aux dispositions relatives aux pratiques susceptibles d’examen dans Re L.S.U.C.

13.  Garland, supra à la p. 664; voir également Jabour c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307 (« Jabour »).

14.  Voir, par exemple, Reference re Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S. 198 et Jabour, supra.

15. Le juge Estey, dans Jabour, a affirmé : « Tant que la [Loi relative aux enquêtes sur les coalitions], ou du moins sa partie V, revêtira un aspect pénal, il sera nécessaire dans des procédures pour sa mise en oeuvre et son application de faire la preuve d'une activité contraire à l'intérêt public. C'est cet aspect de la loi fédérale qui, d'après tous ces arrêts, peut être neutralisé par le pouvoir que confère une loi provinciale valide qui établit une réglementation. »

16. Le juge en chef McCruer, dans Re Canadian Breweries, a affirmé : [traduction] « Il y a un principe du droit pénal à appliquer : lorsqu’une loi provinciale se prête à deux interprétations raisonnables, l’une plus favorable à l’accusé que l’autre, il faut adopter celle qui est la plus favorable à l’accusé…(les lois pénales) doivent être interprétées restrictivement contre la Couronne ».

17. Garland, supra à la p. 665.

18.  Une autorité réglementaire ne sera pas considérée comme autorisée lorsqu’elle agit au-delà des limites de la compétence que lui confère la loi : Jabour, supra. Une personne ou entité réglementée ne sera pas considérée comme autorisée lorsque l’activité qu’elle mène mine ou entrave le régime réglementaire : R. c. Charterways (1981), 32 O.R. (2nd) 719 (H.C.J.) confirmé en appel (1982), 69 C.C.C. (2d) 94 (C.A. Ont.).

19. Tel qu’indiqué ci-dessus, le Bureau ne considère pas que Garland élimine tout moyen de défense fondé sur une réglementation (p. ex., un acte autorisé par une loi provinciale validement adoptée pourra satisfaire une exigence (implicite) de diligence raisonnable) opposable à une poursuite en vertu d’une disposition de la partie VI de la Loi sur la concurrence, mais simplement que la TAR, stricti juris, ne soustrait pas nécessairement une activité à l’application de toutes les dispositions de la partie VI de la Loi sur la concurrence. D’autres théories ou moyens de défense, comprenant notamment l’erreur provoquée par une personne en autorité, la justification légale et l’immunité de la Couronne.

20.  En effet, plusieurs dispositions de la Loi sur la concurrence, comme l’art. 74, ne comportent aucun libellé dont on pourrait prétendre qu’il se compare à celui évoqué dans Garland.

21.  Bien que le Bureau reconnaisse que l’arrêl Re L.S.U.C. appuie la proposition voulant que l’on puisse invoquer la TAR dans le contexte des pratiques susceptibles d’examen, le tribunal inférieur, dans cette affaire, n’a pas abordé expressément la question; il a simplement acquiescé à l’entente entre toutes les parties (y compris le directeur de la concurrence de l’époque) selon laquelle la TAR s’appliquait à toutes les dispositions de la Loi sur la concurrence.

22. Les tribunaux canadiens se sont abstenus, dans presque tous les cas, d’appliquer la TAR pour exempter l’activité d’entités ou de personnes réglementées. Voir, par exemple, Waterloo Law Association c. P.G. Canada (1986), 58 O.R. (2d) 275; R. c. Charterways Transportation Ltd. (1981), 32 O.R. (2d) 86 (C.A. Ont.); et R. c. B.C. Fruit Growers Assoc. et al. (1985), 11 C.P.R. (3d) 183 (C.S.C.-B.). Il convient de noter que la C.S.É.-U. exige que les entités ou personnes réglementées démontrent que leur activité, non seulement est autorisée par une loi de l’état, mais fait aussi l’objet d’une supervision active de la part de l’état, pour qu’elles puissent être soustraites à l’application de la loi antitrust fédérale en vertu de la « théorie de l’action de l’État » : Town of Hallie c. City of Eau Claire 471 U.S. 34 (1985). Dans le même ordre d’idées, la C.S.É.-U. a affirmé que la théorie de « l’immunité implicite » ne s’applique pas à l’activité entreprise volontairement par les entités ou personnes réglementées sauf lorsque cette activité est entreprise dans le contexte d’un régime élaboré de supervision administrative et que le refus d’accorder cette immunité assujettirait ces personnes ou entités réglementées à des responsabilités incompatibles et potentiellement inconciliables : [traduction] « [Lorsque de telles décisions] sont dictées en premier lieu par des considérations commerciales et non par une contrainte réglementaire, les tribunaux doivent hésiter à conclure que le Congrès a voulu écarter les politiques nationales fondamentales exprimées dans les lois antitrust » : Otter Tail Power Co. c. U.S. 410 U.S. 366 à la p. 374.

23.  Les activités des organismes d’autoréglementation  pourraient exiger un examen plus minutieux que celles des autorités réglementaires publiques, parce que ces organismes peuvent avoir un vaste mandat conféré par la loi mais peuvent prendre par ailleurs des décisions dans des domaines où eux-mêmes ont un intérêt direct.

24. Voir, par exemple, Re Canadian Breweries Ltd., supra. Ici encore, cette position semble rejoindre la jurisprudence américaine, par exemple Verizon Communications Inc. c. Trinko, 540 U.S. 398 et U.S. c. Citizens & Southern Nat. Bank, 422 U.S. 86.

25. En entreprenant cette analyse le Bureau sera guidé, mais non lié, par la jurisprudence relative à la TAR.

26. c.-à-d. un cadre rationnel, doté d’un cohérence interne, capable de fonctionner sans provoquer de conflits internes ni entraîner de conséquences « absurdes » (déraisonnables); ce principe est décrit par Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. à la p. 17, comme une présomption qui est [traduction] « pratiquement irréfragable ».

27.  Dans le contexte de lois fédérales dont certaines parties alléguaient qu’elles étaient « incompatibles », la Cour suprême a affirmé à plusieurs reprises qu’un tribunal devait d’abord conclure à l’existence d’un véritable conflit – souvent appelé conflit « d’application » - avant de recourir à des mécanismes de résolution d’un conflit découlant d’une lecture des textes selon le sens ordinaire des mots, p. ex. donner à une loi une « interprétation large » ou une « interprétation atténuée ». Voir, par exemple, Smith, supra, à la p. 800 et Multiple Access, supra, à la p. 191. Dans l’arrêt récent de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c.  Blackbird (2005), 192 C.C.C. (3d) 453, la Cour a jugé à la p. 460 que [traduction] « […] lorsque le tribunal doit déterminer si une activité peut être réglementée par les deux régimes ou par l’un d’eux, la question à poser n’est pas celle de savoir si l’un constitue un “code complet” qui occupe le champ et exclut l’application de l’autre régime, mais plutôt si l’observation de l’un exige la violation de l’autre. À moins qu’il soit impossible de se conformer aux deux régimes, ceux-ci peuvent coexister ».

28. En se demandant si la ou les dispositions particulières de la Loi sur la concurrence, ou la Loi sur la concurrence, suggèrent que le Parlement n’avait pas l’intention que l’activité particulière soit soumise à la ou les dispositions particulières ou à la Loi sur la concurrence.

29.  Voir, par exemple, Toronto Railway Company c. Paget (1909), 42 R.C.S. 488 à la p. 499 (juge Anglin); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 à la p. 38; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, 2005 CSC 13 (19 janvier 2005); Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. aux pp. 1, 154, 168, 198, 236, 262-267; et P.-A. Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 3e éd. (2000), aux pp. 307, 343, 351-52, 450 et 459.

30. c.-à-d. l’application de la maxime generalia specialibus non derogant.

31. qu’elle soit fédérale ou provinciale.

32.  Cette démarche s’accorde avec la démarche exposée dans la jurisprudence récente de la C.S.É.-U. Par exemple, dans Verizon Communications Inc. c. Law Offices of Curtis V. Trinko LLP, 124 S.Ct. 872 (2004), la C.S.É.-U. à la p. 882 a dit que les régimes comme le Telecommunications Act soulèvent la question de savoir si le système de réglementation est si étendu que [traduction] « l’avantage additionnel pour la concurrence qui découlerait de l’application de la législation antitrust sera généralement modeste et il sera moins plausible que les lois antitrust envisagent un tel contrôle additionnel ».

33. Voir, par exemple, R. c. B.C. Fruit Growers Assoc. et al., supra.


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