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Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 21

Le lundi 27 mois 1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le lundi 27 mai 1996

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Project de loi sur l'association canadienne des ex-parlementaires

Message des Communes

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes le projet de loi C-275, Loi constituant l'Association canadienne des ex-parlementaires, accompagné d'un message où elles disent avoir adopté sans propositions d'amendement les amendements apportés par le Sénat à ce projet de loi.

 


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Semaine nationale pour l'intégration des personnes handicapées

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, on a fait de cette semaine la Semaine nationale pour l'intégration des personnes handicapées. Cette semaine spéciale a pour but non seulement de célébrer les progrès réalisés au Canada pour ce qui est d'offrir des chances égales aux personnes atteintes d'un handicap, mais également de rappeler aux Canadiens que les personnes handicapées ne sont pas parfaitement intégrées à la société canadienne et ne participent pas pleinement à son développement.

Dans la Déclaration et le Programme d'action de Vienne, la Conférence mondiale sur les droits de la personne de 1993 a réaffirmé que:

[...] tous les êtres humains naissent égaux et ont les mêmes droits à la vie et au bien-être, à l'éducation et au travail, à une vie indépendante et à une participation active à tous les aspects de la vie en société. Il faudrait garantir aux personnes handicapées des chances égales en éliminant tous les obstacles qu'elles rencontrent, tant d'ordre physique ou financier que social ou psychologiques, qui restreignent ou empêchent leur pleine participation à la vie en société.

Même si le Canada a élaboré des programmes et adopté ou adapté des mesures législatives pour garantir l'accès à ces droits, de nombreux Canadiens qui souffrent d'un handicap sont encore confrontés aux questions de sécurité du revenu, d'accessibilité ou de disponibilité des services. On viole encore souvent le droit au travail, le droit à l'éducation, le droit de fonder une famille, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, des personnes handicapées. Bien souvent, ces violations des droits de la personne prennent la forme d'une discrimination inconsciente par l'entremise de barrières que la société érige et maintient et qui empêchent les personnes atteintes d'un handicap de participer pleinement à la vie socio-économique de leurs collectivités.

Nous devons consacrer nos efforts à mieux comprendre les droits des personnes souffrant d'un handicap. Au lieu de voir les droits de la personne comme la nécessité seulement de s'abstenir de prendre des mesures qui pourraient avoir des répercussions négatives pour les personnes handicapées, il faut faire en sorte que cette notion englobe tout l'éventail des droits civils, politiques, socio-économiques et culturels. Il faut comprendre que la plupart des personnes handicapées ont besoin de droits socio-économiques et culturels pour pouvoir jouir de droits civils et politiques.

Les Nations Unies, dans leurs règles normalisées pour l'égalisation des chances des personnes handicapées, prônent un concept des droits de la personne qui repose sur des principes voulant que chacun puisse vivre de façon indépendante. Cette définition pourrait servir de ligne directrice pour l'élaboration et la mise en oeuvre d'une loi visant à assurer l'égalité des chances pour les Canadiens qui souffrent d'un handicap. Il faut adopter une mesure législative concernant les droits de la personne qui reflète un modèle social de l'invalidité axé sur le milieu incapacitant plutôt que sur les handicaps ou les incapacités d'une personne.

Le fait que la sécurité du revenu soit toujours une des plus grandes préoccupations des Canadiens ayant une invalidité illustre bien la nécessité, pour le gouvernement, d'adopter des approches proactives en faveur de l'égalité d'accès à l'emploi.

Honorables sénateurs, en 1991, le gouvernement progressiste-conservateur a lancé une stratégie quinquennale nationale destinée aux personnes handicapées. Cette stratégie multiministérielle, dirigée par le ministère du Développement des ressources humaines, avait un double objectif: élaborer des normes et des pratiques réglementaires en matière d'égalité des chances pour les personnes handicapées et affecter les ressources nécessaires à la réalisation des initiatives visant à améliorer l'égalisation des chances.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, les trois minutes dont dispose le sénateur sont écoulées. Êtes-vous d'accord pour qu'il poursuive?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kinsella: Le 31 mars de cette année, cette stratégie quinquennale nationale a pris fin. Bien que divers ministères promettent de prendre encore des mesures en faveur de l'égalisation des chances, il n'en reste pas moins qu'ils n'auront plus les dispositions réglementaires nationales ni les ressources nécessaires pour cela. Sans un ensemble de dispositions réglementaires, l'engagement en faveur de l'égalisation des chances des personnes handicapées se fera sur une base volontaire. Des experts en la matière sont d'avis que des dispositions réglementaires sont nécessaires si l'on veut consacrer les droits de la personne propres aux handicapés. De même, l'absence d'une stratégie nationale est bien la preuve que l'on ne consacrera plus de fonds spéciaux à la réalisation d'initiatives de ce genre. Il est essentiel d'avoir des normes ou des dispositions réglementaires nationales et d'amener le gouvernement à prendre des mesures concrètes à l'intention des personnes handicapées afin de ne pas compromettre les progrès accomplis dans le passé et de lever les autres obstacles qui constituent une violation des droits des personnes handicapées.

Il ne s'agit pas ici d'accorder des droits spéciaux. Il s'agit plutôt de consacrer les droits inhérents et inaliénables de la personne que plusieurs d'entre nous tiennent pour acquis.

(1410)

Le transport des matières dangereuses

La proposition des pompiers d'étendre la base de données américaine

L'honorable Erminie J. Cohen: Honorables sénateurs, il y a deux semaines, au milieu de toute l'excitation suscitée par le débat sur la TPS, les démissions de députés et l'implosion du parti de Preston Manning, un événement sans lien aucun avec ceux-là, mais néanmoins digne de mention, s'est déroulé sur la colline, et nous devrions en prendre note. Je veux parler de la conférence de lobbying d'une durée de trois jours qu'a organisée l'Association internationale des pompiers. Comme chaque année depuis cinq ans, l'association est arrivée à Ottawa avec un contingent d'une centaine de pompiers de toutes les régions du pays. Leur objectif était d'attirer l'attention des législateurs sur certaines des questions qui intéressent les travailleurs du secteur dangereux qu'est la lutte contre les incendies.

Les pompiers sont très préoccupés par les incidents mettant en cause des matières dangereuses en transit. Comme ils l'ont souligné, au Canada, il arrive souvent qu'ils n'aient pas suffisamment accès, sur place, à des renseignements au sujet de matières dangereuses en transit et à des techniques appropriées d'intervention d'urgence leur permettant d'évacuer des collectivités en cas d'accidents où il y a de telles matières.

À l'heure actuelle, lorsque survient un incident ou un accident où il y a des matières dangereuses, Transports Canada compte sur le système CANUTEC pour transmettre des renseignements par téléphone aux pompiers qui se trouvent sur les lieux. La faiblesse de ce système, honorables sénateurs, c'est que le personnel du CANUTEC est tributaire d'un système d'affiches et de manifestes pour identifier les chargements de matières dangereuses. Ce système est déficient parce qu'il arrive souvent que ces affiches ne décrivent pas convenablement et avec précision le contenu des chargements ou qu'elles sont détruites au moment de l'accident.

Les pompiers estiment que le système Operation Respond contribuerait à remédier à ce problème en leur offrant des renseignements immédiatement visualisables par ordinateur portatif directement relié à une base de données. Ce système fonctionne actuellement avec succès aux États-Unis et au Mexique et bénéficie de tout l'appui et de toute la collaboration des grandes sociétés ferroviaires et entreprises de camionnage. Selon les pompiers, Operation Respond pourrait servir à renforcer le système CANUTEC. En 1997, on projette d'étendre à Niagara Falls, au Canada, un projet de démonstration Operation Respond qui a lieu à Buffalo, New York. Transports Canada observe actuellement ce projet.

Dans les recommandations qu'elle a formulées il y a deux semaines, l'Association internationale des pompiers a exhorté le ministre des Transports à engager en toute priorité du personnel et des ressources pour étendre le projet de démonstration Operation Respond au Canada.

Les pompiers ont le droit de savoir exactement quelles matières dangereuses risquent d'être présentes sur les lieux d'un incident. C'est indéniable et ce serait avantageux pour tout le monde. Honorables sénateurs, l'expérience que possèdent les pompiers a montré que l'accès à des renseignements fiables au cours des trois à quatre minutes qui suivent leur arrivée sur les lieux d'un accident où il y a des matières dangereuses leur permettra de sauver des vies en garantissant qu'ils utilisent les techniques d'intervention les plus efficaces.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Cohen, je suis désolé de vous informer que les trois minutes dont vous disposez sont écoulées. Honorables sénateurs, lui accordez-vous la permission de continuer?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Cohen: Merci, honorables sénateurs.

L'AIP estime que, en cas d'urgence lors du transport ferroviaire de voyageurs, les pompiers auraient plus de facilité à sauver des vies s'ils disposaient du système Operation Respond, car ils connaîtraient mieux les points d'entrée, les systèmes électriques et mécaniques et les notices de contournement existants.

Les pompiers ont présenté des arguments réfléchis et intelligents pour que Transports Canada s'engage davantage à adopter ce système. Dans l'intérêt de la sécurité, honorables sénateurs, leur initiative mérite notre appui.

L'honorable Jean B. Forest

Hommage à l'occasion de la nomination

L'honorable Ron Ghitter: Chers collègues, puisque je n'étais pas à la Chambre le 16 mai quand le sénateur Forest a été présentée à titre de nouvelle venue au Sénat, je me lève aujourd'hui pour lui offrir mes félicitations.

Honorables sénateurs, c'est une nomination formidable. Le sénateur Forest a rendu de nombreux et importants services à sa collectivité et à son pays, mais, personnellement, j'ai eu le plaisir de collaborer avec elle dans le domaine des droits de la personne, où elle s'est avérée un atout dans ma province.

Je me rappelle qu'en 1973, quand je faisais partie du gouvernement albertain, nous avons adopté la loi sur la protection des droits individuels. À ce moment, le premier ministre Lougheed et moi discutions de la composition d'une nouvelle Commission des droits de la personne. Le premier ministre a déclaré qu'il voulait que la commission soit l'organisation la plus solide et la plus représentative de la province, de sorte que nous avons mis beaucoup de temps et de soin à décider qui y nommer. Jean Forest était l'une des premières personnes à qui nous avons pensé et elle a accepté immédiatement.

Depuis ce temps, nos chemins se sont maintes fois croisés. Son dévouement aux causes de ceux qui sont sous-représentés dans la société est immense. Chaque fois que le gouvernement de l'Alberta a semblé considérer les droits de la personne plus comme un obstacle qu'un élément nécessaire pour que la société soit en harmonie avec elle-même, des personnes comme le sénateur Forest n'ont pas hésité à se prononcer.

Le sénateur Forest a accepté de faire partie d'un groupe spécial qui s'est penché sur les droits de la personne dans la province. Ce groupe a reçu plus de 1 700 mémoires et présenté un excellent rapport. Le gouvernement albertain a malheureusement choisi d'ignorer ce rapport.

Quand je l'ai appelée pour lui demander de faire partie du conseil d'administration d'une fondation que nous établissions sous le nom de Dignity Foundation, afin de contrer les attitudes négatives à l'endroit du programme des droits de la personne en Alberta, Jean Forest a encore une fois accepté sans se faire prier et elle s'est acquittée de ses fonctions avec soin et dynamisme. En fait, le jour où j'ai appris sa nomination au Sénat, j'avais sur mon bureau une lettre d'elle dans laquelle elle me faisait parvenir une don très généreux à l'intention de cette fondation.

Honorables sénateurs, il s'agit là d'une nomination très judicieuse. Je félicite le premier ministre d'avoir appeléMme Forest au Sénat. Fait intéressant, ceux qui, dans notre province, à commencer par le premier ministre, demandent que les sénateurs soient élus ne comprennent tout simplement pas que des personnes de la qualité du sénateur Forest ne se résoudront jamais à descendre dans l'arène électorale, mais accepteront volontiers, dans le système actuel, de faire profiter leur pays de leurs précieuses compétences.

À dire vrai, comme on l'a vu aux résultats des élections d'octobre 1993, ma province n'a pas envoyé à Ottawa un groupe de députés qui se distingue par la surabondance de ses talents. Je puis garantir que, peu importe qui serait élu au Sénat dans ma province, si on en venait là, il n'égalera jamais le talent et la compétence du sénateur Forest, et du sénateur Taylor non plus, autre Albertain qui a accédé récemment au Sénat. J'estime que cette nomination n'est entachée d'aucun esprit de parti. Si madame le sénateur Forest est une libérale, elle m'a certainement bien caché le secret. Ce genre de nomination rehausse le prestige et le rôle du Sénat.

J'ai hâte de travailler de nouveau avec madame le sénateur Forest, et je la félicite sincèrement de ce prolongement bien mérité d'une carrière déjà digne de mention.

Le décès de William J. Kempling

Hommages

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, c'est avec énormément de tristesse que j'interviens pour souligner le décès, à Burlington, en Ontario, un peu plus tôt cette semaine, de l'ex-député de cette circonscription, monsieur Bill Kempling.

Bill Kempling a connu une carrière militaire remarquable. Il a servi dans les Forces aériennes royales et a même été fait prisonnier de guerre en Extrême-Orient. De retour de la guerre, il a repris sa carrière dans le secteur privé et a mis sur pied, dans son coin de pays, une entreprise de fabrication qui a obtenu énormément de succès. À partir de 1972, il a été élu six fois à la Chambre des communes en tant que représentant de la population de Burlington. Il ne s'est pas représenté aux élections de 1993.

Pendant sa carrière à la Chambre des communes, il fut whip en chef de l'opposition sous le régime du très honorable Joe Clark. Plus tard, il se distingua en tant que secrétaire parlementaire, se montrant très bien informé et très habile à piloter des dossiers comme le commerce de l'acier entre le Canada et les États-Unis, où il a joué un rôle de leader et fourni de sages conseils au caucus conservateur et au gouvernement de l'époque.

L'un de mes meilleurs souvenirs de Bill Kempling a très peu à voir avec la vie politique contemporaine. Je l'ai écouté, un samedi matin, accorder une entrevue à la radio où il racontait les expériences qu'il a vécues en tant que prisonnier de guerre et ainsi de suite. Malgré ces expériences, il s'est montré indulgent, généreux et positif envers nos anciens ennemis.

Alors comme aujourd'hui, j'étais fier d'avoir côtoyé cet ami, ce grand Canadien.

[Français]

La justice

L'enquête sur la vente des avions Airbus à Air Canada

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, j'aimerais faire la lecture, à ce moment-ci, de l'éditorial paru ce matin dans le journal La Presse intitulé «Odieux et mesquin».

S'il est vrai qu'une faute avouée est déjà à moitié pardonnée, le gouvernement fédéral n'est pas à la veille d'être absous de sa monumentale bavure à l'endroit de l'ex-premier ministre Mulroney dans l'affaire Airbus.

La multiplication indécente de ses tactiques pour retarder le moment où il faudra bien admettre qu'on a bafoué la présomption d'innocence de ce dernier ne contribue, au contraire, qu'à accréditer la thèse de la plus totale mauvaise foi envers un adversaire politique. Et, du même coup, elle mine la crédibilité de l'enquête policière en cours pour faire toute la lumière sur ce présumé scandale.

On en est même rendu au point où on a tendance à oublier les éléments essentiels de cette saga pour ne plus s'intéresser qu'à l'accessoire. C'est-à-dire la guérilla judiciaire dans laquelle Ottawa a choisi de se cantonner plutôt que d'avouer son erreur de parcours face àM. Mulroney. Une erreur grave et humiliante, sans doute, mais qu'on n'a pas de raison d'aggraver en s'entêtant à la nier. À moins que cette grossière manoeuvre de diversion ne tende qu'à masquer une totale incapacité de démontrer que l'achat de 34 avions Airbus par Air Canada, en 1988, a été un scandale.

Il y a déjà six mois que s'étire inutilement, par la faute du gouvernement, cette cause en diffamation qui aurait dû se régler en quelques semaines. Par un règlement à l'amiable et l'admission par Ottawa qu'on a eu tort de présumer de la culpabilité de Brian Mulroney avant même la conclusion de l'enquête et son éventuelle condamnation par un tribunal. Et de porter gravement atteinte à sa réputation en en faisant état dans une démarche officielle auprès des autorités suisses.

Je poursuivrai demain, de façon à respecter les règlements de cette Chambre.


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

Affaires étrangères

Autorisation au comité de siéger
en même temps que le Sénat

L'honorable John B. Stewart: Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement, je propose:

Que le comité sénatorial permanent des affaires étrangères soit autorisé à siéger à 16 heures, demain le mardi 28 mai 1996, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application de l'article 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président: Permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

 


PÉRIODE DES QUESTIONS

La taxe sur les produits et services

L'harmonisation avec les taxes de vente provinciales-Le coût pour les contribuables néo-écossais-La position du gouvernement

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, beaucoup de Néo-Écossais se sentent trahis par le gouvernement fédéral libéral et ses amis provinciaux. Le gouvernement s'est servi des Canadiens de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau- Brunswick et de Terre-Neuve pour justifier sa décision de ne pas tenir sa promesse électorale de supprimer la TPS. Un rapport du ministère provincial des Finances que le gouvernement libéral de Savage a publié quelques minutes à peine avant que l'Assemblée législative ne s'ajourne pour l'été révèle que l'harmonisation de la taxe va coûter 84 millions de dollars de plus aux Néo-Écossais. Honorables sénateurs, cela n'a aucun sens.

En tant que membre du gouvernement qui a offert 1 milliard de dollars aux Canadiens de l'Atlantique pour les amener à appuyer cette initiative, la ministre peut-elle nous dire comment elle peut justifier que les Néo-Écossais déboursent 84 millions de dollars de plus chaque année?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je suis au courant de cette affaire dont le sénateur ne dit pas tout. L'harmonisation de la TPS avec la taxe de vente de la Nouvelle-Écosse et des deux autres provinces qui ont convenu de participer à cette loi d'avant-garde va entraîner une baisse des prix et des impôts et un nouveau système simplifié pour les consommateurs et les entreprises de la Nouvelle-Écosse.

Honorables sénateurs, l'idée que l'harmonisation de la taxe de vente va entraîner une hausse du fardeau fiscal général des consommateurs de cette province n'est tout simplement pas fondée sur les faits. J'encourage mon collègue à lire les observations d'autres Canadiens de la Nouvelle-Écosse, dont d'éminents économistes et comptables...

Le sénateur Forrestall: Nommez-en un!

Le sénateur Fairbairn: ...qui laissent entendre que ce programme d'harmonisation va épargner de l'argent à tous les consommateurs de cette province et cela, à tous les niveaux d'imposition.

Le sénateur Lynch-Staunton: Bien lu.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, de toute évidence, la ministre a lu l'évaluation du ministère des Finances de la Nouvelle-Écosse, qui révèle que les entreprises pourraient transférer aux consommateurs les économies qu'elles réaliseraient. Cependant, nous n'avons pas l'assurance qu'elles le feront.

La ministre est-elle en train de dire aux Néo-Écossais qu'ils devront croire le ministère des Finances lorsqu'il leur assure que les entreprises leur transféreront ces économies, ou est-ce que ceux-ci devraient s'attendre à payer chaque année jusqu'à172 dollars de plus que ce qu'ils paient déjà avant l'harmonisation?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, aucun des deux paliers de gouvernement ne fonctionne en s'appuyant sur de vagues assurances. Ils fonctionnent en se fiant aux données statistiques recueillies depuis l'entrée en vigueur de la TPS et basées sur le rendement du marché. À partir de ces statistiques, ils ont déterminé la mesure dans laquelle la majorité des entreprises pourront transférer les économies aux Canadiens. Dans les pays qui ont adopté une taxe à la valeur ajoutée, le rendement du marché a révélé que les entreprises ont transféré des économies de plus de 50 p. 100 aux consommateurs.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est là un argument de poids en faveur de la TPS.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, dans le cadre de l'harmonisation qui a été enclenchée avec les trois provinces de l'Atlantique, des taxes incluses ou cachées dans les taxes de vente provinciales seront supprimées. Cela encouragera beaucoup les entreprises dans la province que représente mon honorable collègue ou dans d'autres provinces à transférer les économies aux consommateurs.

L'histoire démontre que, lors de l'instauration de cette sorte de taxe, les économies peuvent être supérieures à 50 p. 100. Les propos de ceux qui se sont engagés dans le processus d'harmonisation ne sont pas comme le prétend mon honorable collègue. Ils ne sont pas fondés sur de vagues suppositions, mais sur la pratique et le rendement réel. Voilà ce qui attend la Nouvelle-Écosse et les deux autres provinces, ainsi que toutes les autres provinces canadiennes qui opteront pour l'harmonisation.

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, j'inviterais la ministre à en nommer trois. J'avalerai le troisième - si elle peut le trouver -, car ces gens ne vivent pas en Nouvelle-Écosse, j'en suis certain.

Personne du secteur privé n'a dit du bien de cette entente. C'est tout simplement de l'escroquerie. L'ancienne taxe s'élevait à 11 p. 100, plus 7 p. 100 - cela fait 18 p. 100; la taxe harmonisée s'élève maintenant à 18,7 p. 100. Vérifiez vos calculs et demander à quelqu'un d'honnête de vous dire ce qu'il en pense. Si la ministre ne croit pas qu'il s'agit d'une ponction fiscale, comment justifie-t-elle les 84,3 millions de recettes supplémentaires? Comment appelleriez-vous cela?

Le sénateur Berntson: Oui. D'où viennent-elles? Est-ce que ça pousse sur les arbres?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, à mes yeux, cela n'a rien d'une ponction fiscale. Le taux de la taxe de vente harmonisée en Nouvelle-Écosse s'élèvera à 15 p. 100, c'est-à-dire trois points de pourcentage de moins que le taux combiné actuel.

Le sénateur Lynch-Staunton: Et la taxe sur les livres?

Le sénateur Fairbairn: Si on tient compte des taxes camouflées, cela fera 4 p. 100 de moins, et non 3 p. 100.

Le sénateur Lynch-Stauton: Et que dire des coupes de cheveux et des vêtements pour enfants?

Le sénateur Fairbairn: Il n'y a rien de caché ici. Bien sûr, le secteur de taxation sera plus grand parce qu'on élargit l'assiette fiscale, mais si on tient compte des autres mesures prévues dans le processus d'harmonisation - y compris l'élimination de la superposition des taxes telle qu'elle existe actuellement dans le système de taxe de vente provinciale - en définitive, les consommateurs de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve vont payer moins, et non plus.

L'harmonisation avec les taxes de vente provinciales-Les garanties concernant les économies pour les consommateurs canadiens-La position du gouvernement

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, la ministre est-elle prête à garantir aux autres provinces, qui n'ont pas encore bougé dans cette voie, qu'il n'y aura pas de déclaration de dernière minute d'augmentation des recettes comme celle à laquelle on a eu droit en Nouvelle-Écosse une heure avant l'ajournement de l'assemblée législative? Quelles garanties donnera-t-elle à l'Ontario, par exemple, que l'harmonisation n'entraînera pas l'élargissement de l'assiette fiscale pour inclure les biens d'équipement, les vêtements, l'électricité, l'essence, le mazout de chauffage domiciliaire, les chaussures, les notes de téléphone, et cetera?

Je dis à l'honorable leader du gouvernement au Sénat qu'il s'agit d'une razzia fiscale. Votre parti n'a pas agi au grand jour. Quelles garanties donneriez-vous aux provinces que la même chose ne se reproduira pas - ou est-ce seulement les libéraux du premier ministre Savage, vos homologues dans la région de l'Atlantique, qui peuvent s'attaquer ainsi subrepticement aux contribuables? C'est ce qui s'est produit.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, lorsqu'on a annoncé cette taxe, il était clair que l'assiette fiscale de cette taxe harmonisée serait élargie. Ce n'est pas un secret de dernière minute. Cela a été très clair tout au cours des négociations, ainsi que dans les déclarations publiques et les déclarations du ministre des Finances, même le jour où on a annoncé tout cela. Il n'y a aucun secret à ce sujet.

Mon honorable collègue ne tient pas compte des avantages qui proviennent de l'harmonisation de ces deux taxes et de la réduction de prix qui en découlera. C'est ce qui réduit en général les prix à la consommation et les impôts et avantage les entreprises sur le marché intérieur, ainsi que sur le marché mondial.

Le sénateur Forrestall: Honorables sénateurs, j'ai une dernière question. Dois-je comprendre alors que la ministre nous garantit absolument au nom du gouvernement que ces économies profiteront non seulement aux consommateurs de la région de l'Atlantique, mais également à ceux de toutes les autres provinces qui sont prêtes à participer au processus d'harmonisation? Est-ce un engagement qu'elle prend à l'égard des contribuables?

Puisque j'y suis, je demande à la ministre de charger quelqu'un de calculer simplement l'application de taxes de7 et 8 p. 100 pour voir quel est le résultat final. Ce ne sera pas15 p. 100.

Le sénateur Doody: Oui, et ajoutez cela au prix du mazout de chauffage domiciliaire.

L'harmonisation avec la taxe de vente du Québec-Les avantages pour les consommateurs-La position du gouvernement

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, j'ai une question supplémentaire. La ministre peut-elle nous donner un exemple de produits à la consommation au Québec dont le prix a baissé pour les consommateurs à la suite de l'harmonisation des taxes dans cette province au cours des deux ou trois dernières années?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je vais essayer d'obtenir le renseignement demandé par mon honorable collègue.

La Conférence des premiers ministres

L'ordre du jour-Demande de renseignements

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Nous savons que, à la conférence des premiers ministres qui aura lieu le 21 juin, la discussion portera, entre autres, sur l'économie, et nous sommes d'accord avec cela. Mais qu'en est-il de l'unité nationale et de la Constitution? Le premier ministre inscrira-t-il aussi ce sujet à l'ordre du jour?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne peux pas dire quels articles seront inscrits à l'ordre du jour de la conférence des premiers ministres. On en discute et le premier ministre les annoncera sans doute très prochainement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Avant la rencontre, espérons-le.

La justice

L'enquête sur la vente des avions Airbus à Air Canada- La reconnaissance de faute de la part des enquêteurs- La position du gouvernement

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, ma question au leader du gouvernement au Sénat porte sur l'affaire Airbus.

Dans la lettre qu'il a envoyée aux autorités suisses le29 septembre 1995, le gouvernement du Canada cite, comme nous le savons tous, trois causes différentes, soit celles d'Airbus, de Thiessen Industries et de MBB. Je cite directement un extrait de l'original de la lettre que notre gouvernement a fait parvenir à celui de la Suisse:

Les trois causes susmentionnées montrent queM. Mulroney, M. Moores et M. Schreiber complotaient pour frauder le gouvernement canadien de fonds publics s'élevant à plusieurs millions de dollars depuis l'arrivée au pouvoir de M. Mulroney en septembre 1984 jusqu'à sa démission en juin 1993.

La même lettre se termine par une affirmation fort intéressante. Elle dit:

Cette enquête préoccupe sérieusement le gouvernement du Canada, car elle porte sur une activité criminelle de la part d'un ancien premier ministre. La GRC ne pourra poursuivre son enquête que lorsqu'elle aura reçu les renseignements qui sont disponibles en Suisse.

Samedi dernier, Sandro Contenta, journaliste attaché au bureau de Montréal du Toronto Star, a écrit dans ce quotidien:

Après avoir interrogé plus de 90 personnes dans au moins six pays, la GRC admet ne pas avoir encore de preuves que l'ancien premier ministre Brian Mulroney a reçu des pots-de-vin dans l'achat des avions Airbus.

Je cite directement les propos du journaliste. L'article dit ensuite:

«À cette étape-ci de leur enquête, ils ne peuvent affirmer si ces allégations sont vraies ou fausses», disent les avocats de la Gendarmerie royale du Canada dans des documents déposés hier devant la Cour supérieure du Québec.

Jean Potvin, avocat de la GRC, a confirmé dans une entrevue que la GRC n'a pas pu découvrir si M. Mulroney avait participé à un complot pour frauder le gouvernement dans le contrat Airbus conclu en 1988.

M. Potvin a ajouté:

«À cette étape-ci, nous ne pouvons pas conclure qu'il y a eu fraude ou non.»

Étant donné ces toutes dernières déclarations, pourquoi le gouvernement n'admet-il pas qu'il a commis une faute et pourquoi, vu les révélations qu'a faites M. Potvin dans le Toronto Star de samedi, le gouvernement a-t-il déclaré dans la lettre qu'il a envoyée aux autorités suisses, le 29 septembre 1995, que cette enquête «porte sur une activité criminelle de la part d'un ancien premier ministre»?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, sauf votre respect, on me demande de commenter des questions qui dépassent mes connaissances ou mes compétences. Je regrette de ne pouvoir le faire.

La cause est en instance devant le tribunal, à Montréal, et il y a eu du mouvement dans ce procès la semaine dernière.

Le sénateur Lynch-Staunton: Dommage, n'est-ce pas?

Le sénateur Fairbairn: La cause suivra le cours de la justice qui existe dans notre pays.

Le sénateur Lynch-Staunton: La justice même que vous avez essayé de bloquer!

Le sénateur Fairbairn: Comme on l'a dit, la GRC poursuit son enquête. Voilà où en sont les choses. Je ne peux pas répondre à la question du sénateur.

Le sénateur Berntson: Madame le leader du gouvernement tâchera-t-elle d'obtenir une réponse?

[Français]

L'enquête sur la vente des avions Airbus à Air Canada- Raison de l'embauche d'un avocat pour organiser les relations publiques de la Gendarmerie royale du Canada-La position du gouvernement

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, l'avocat Potvin, qui travaille au cabinet d'avocats de Heenan Blaikie - bureau de l'ancien premier ministre du Canada, M. Pierre Elliott Trudeau - a été engagé pour organiser les relations publiques de la Gendarmerie royale du Canada en marge de l'affaire Airbus.

Pourquoi votre gouvernement a-t-il jugé à propos d'engager un avocat pour s'occuper des relations publiques de la Gendarmerie royale du Canada dans l'affaire Airbus?

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le gouvernement et la GRC sont impliqués dans une cause en particulier. Ils sont intimés dans une affaire dont un tribunal est saisi à Montréal et ils ont sûrement engagé des avocats pour les représenter. Je ne peux en dire davantage sur cette question.

[Français]

Le sénateur Nolin: À cet égard, pourquoi votre gouvernement a-t-il payé un cours spécialisé de formation en relations publiques à ce même avocat ?

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je regrette, mais je ne peux commenter les déclarations de l'honorable sénateur.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est très compréhensible.

[Français]

L'unité nationale

L'après-référendum québécois-L'efficacité de la stratégie juridique du gouvernement-La position
du gouvernement

L'honorable Jean-Claude Rivest: Honorables sénateurs, en ce qui concerne l'évolution de la situation politique au Québec, de plus en plus de porte-parole du Parti libéral du Québec attirent l'attention du très honorable premier ministre du Canada sur les immenses lacunes de sa stratégie post-référendaire.

Dans le journal Le Soleil de Québec d'aujourd'hui, une des principales porte-parole du Parti libéral du Québec,Mme Margaret Delisle, députée de Jean-Talon à l'Assemblée nationale du Québec, ainsi que le président de la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec, disent que seules deux personnes n'ont pas compris le sens du référendum au Québec.

M. Bouchard continue de nier que les Québécois ont exprimé majoritairement leur désir de demeurer au Canada, etM. Chrétien ne donne absolument pas suite à ses engagements de changement constitutionnel qu'il a promis de faire au cours de la campagne référendaire.

Est-ce que le leader du gouvernement au Sénat peut nous dire si la stratégie référendaire du gouvernement du Canada consiste simplement à créer artificiellement des barrières juridiques et à croire que ces barrières juridiques vont convaincre une majorité solide et décisive de Québécois, qui veulent demeurer Canadiens, de ne pas se laisser séduire par la voie de la souveraineté qu'évoque M. Bouchard?

Quand le gouvernement du Canada proposera-t-il aux Québécois et à l'ensemble des Canadiens de réels changements constitutionnels? Tous les Québécois et tous les Canadiens les réclament. Doit-on se contenter d'arguties juridiques qui ne font que hausser le niveau d'adhésion à la souveraineté du Québec, qui a atteint 55 p. 100 suite à l'inaction du gouvernement actuel dans cet important dossier?

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le premier ministre a effectivement fait certaines promesses au cours de la campagne référendaire. Tous les sénateurs devraient savoir qu'il a rempli ces engagements. Le Parlement y a donné suite dans la mesure où il pouvait le faire dans les domaines de compétence fédérale.

Depuis le référendum, le premier ministre et bien d'autres Canadiens se penchent sur toute la question de l'unité canadienne. Le premier ministre en a parlé partout au Canada. La conférence des premiers ministres qui aura lieu en juin permettra au premier ministre de remplir un autre engagement, soit celui de bâtir l'unité canadienne à tous les paliers de gouvernement grâce à des politiques économiques et sociales qui aident les Canadiens. Ces politiques continueront de convaincre les Canadiens, y compris ceux du Québec, que ce pays, renforcé par l'union, est de loin plus prometteur que n'importe quelle autre solution qui ait pu être formulée dans une question ou dans un référendum.

Voilà le but du premier ministre et de ses collègues. Ils s'efforceront d'atteindre ce but en mobilisant des porte-parole, des Canadiens de tous les niveaux, et en les incitant à appuyer et à favoriser l'unité canadienne.

Les transports

Le Nouveau-Brunswick-Le nouveau tracé de la route transcanadienne-Les répercussions environnementales pour les terres humides-La divergence des réactions des hauts gradés actuels et des hauts gradés à la retraite-La position du gouvernement

L'honorable Brenda M. Robertson: Honorables sénateurs, j'ai une question à l'intention du leader du gouvernement au sujet de la route transcanadienne au Nouveau-Brunswick et des plans du gouvernement provincial en vue d'améliorer cette importante voie de communication.

Tous les sénateurs du Nouveau-Brunswick le savent, ce projet de construction constitue un élément vital du réseau routier national reliant le Canada central et les provinces de l'Atlantique. Étant donné que le projet est partiellement financé par le gouvernement fédéral, le leader peut-il dire au Sénat si le gouvernement du Canada a pris bonne note des inquiétudes très réelles exprimées par de nombreux citoyens du Nouveau- Brunswick à propos du nouveau tracé du tronçon sud de la route, qui non seulement coupe en deux la base des Forces canadiennes Gagetown, mais qu'on propose également de faire passer au milieu des baissières entourant le Grand Lake, l'une des grandes zones de terres humides du Nouveau-Brunswick et une halte importante de la route de migration des oiseaux aquatiques passant par la province?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne suis pas au courant de cette affaire. Je transmettrai à mes collègues la question de l'honorable sénateur, avec toutes ses ramifications, tant structurelles qu'environnementales.

Le sénateur Robertson: Honorables sénateurs, j'ai deux questions complémentaires. Le leader voudrait peut-être chercher à savoir en même temps si le gouvernement fédéral a l'intention de parler au gouvernement du Nouveau-Brunswick des aspects environnementaux du projet de construction de la route transcanadienne, de même que des solutions de rechange précises qu'on a proposées pour éviter ces problèmes écologiques, étant donné, encore une fois, qu'Ottawa paie une partie du coût de construction?

Le leader cherchera-t-elle à savoir également pourquoi les hauts fonctionnaires du ministère de la Défense nationale ont apparemment approuvé la construction de la route à travers la base de Gagetown et la perturbation qui en résultera pour les activités de la base, alors que des hauts gradés à la retraite des Forces canadiennes expriment l'inquiétude et la consternation que leur inspire ce projet?

Le sénateur Fairbairn: Je le ferai, en effet, sénateur Robertson.

[Français]

L'unité nationale

La crédibilité du premier ministre canadien au Québec-La position du gouvernement

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, au sujet de la crédibilité de votre gouvernement au Québec, j'ai entendu votre réponse fort valable, mais les Québécois ne comprennent pas la situation de la même façon que votre gouvernement.

Les Québécois n'accordent pas à votre gouvernement, et surtout à votre premier ministre, cette crédibilité. En toute bonne foi, je crois qu'il devrait en avoir une au Québec. Les Québécois ne lui accordent pas cette crédibilité.

Quelles sont les mesures concrètes que votre gouvernement entend prendre entre aujourd'hui et l'an prochain pour s'assurer d'une meilleure crédibilité auprès des Québécois?

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, ces mesures - que notre collègue jugera concrètes ou non - proviennent tantôt de dispositions législatives, tantôt de documents budgétaires. Les premiers ministres doivent se réunir en juin. L'un des principaux points qui seront débattus à cette occasion sera la saine gestion publique à tous les paliers de gouvernement au Canada, c'est-à-dire la façon la plus efficace et la plus rentable de gouverner le pays tout entier.

Quant à la crédibilité, par leurs actions, les autorités gouvernementales canadiennes prises collectivement prouveront aux Québécois non seulement que nous les respectons et que nous voulons qu'ils restent des nôtres, mais que cette union est, pour eux, le meilleur moyen d'assurer leur avenir. Voilà ce qui va se produire au cours des semaines et des mois à venir.

Réponses différées à des questions orales

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse différée à une question que l'honorable sénateur Atkins a posée le20 mars 1996 au sujet de l'effet de la loi Helms-Burton sur les relations avec Cuba en matière d'aide et de commerce.

Relations canado-américaines

Effet de la loi Helms-Burton sur les relations avec Cuba en matière d'aide et de commerce-La position du gouvernement

(Réponse à la question soulevée par l'honorable sénateur Norman Atkins le 20 mars 1996)

Le gouvernement canadien n'a nullement l'intention de modifier sa politique à l'égard de Cuba en raison de l'adoption du projet de loi Helms-Burton. Le Canada souscrit à l'objectif du gouvernement américain d'encourager la transition par la voie pacifique de Cuba vers une société libérale dotée d'institutions politiques véritablement représentatives, respectant les droits de la personne et pratiquant une économie ouverte. Cependant, il pense que le meilleur moyen d'y parvenir est de recourir à une incitation et non à l'isolement.

Ainsi, depuis deux ans, le Canada a intensifié son dialogue avec Cuba. Dans cette optique, il a fait de Cuba un pays admissible à ses programmes d'aide au développement et a accordé des fonds à des organismes non gouvernementaux, à des entreprises et à des institutions universitaires canadiennes engagés dans des activités de développement à Cuba. Le Canada discute aussi avec Cuba de la possibilité d'apporter à ce dernier une assistance technique modeste pour soutenir la réforme de sa politique économique. Le Canada maintiendra sa ligne de conduite.

Au chapitre des intérêts canadiens, même avant l'instauration de relations officielles avec Cuba en 1945, les échanges et l'investissement mutuels atteignaient des proportions appréciables. Avec des échanges bilatéraux d'une valeur marchande de plus de 575 millions de dollars en 1995 (contre 309 millions en 1994), Cuba est notre deuxième partenaire commercial de la région des Antilles et de l'Amérique centrale (après Porto Rico). Le Canada est aussi un grand investisseur à Cuba. Les Cubains pêchent dans les eaux canadiennes depuis de nombreuses années et ont fortement appuyé le Canada dans le dossier des pêcheries internationales. Plus de 120 000 Canadiens visitent Cuba chaque année. De nombreux autres liens non officiels unissent nos deux pays, notamment par le truchement des universités, des établissements de recherche, des musiciens, des jumelages de villes et de nombreux autres contacts individuels.

Comme on le dit plus haut, le principal objectif du Canada à Cuba est d'encourager une réforme pacifique. Une transition chaotique nuirait à nos intérêts dans ce pays. L'instabilité pourrait aussi déstabiliser la région et porter atteinte à nos intérêts dans d'autres pays de la région, en particulier si les migrants quittent Cuba en grand nombre.

Pour ce qui est du projet de loi Helms-Burton, le gouvernement a fait savoir aux entreprises canadiennes qu'il continue à approuver leurs efforts pour trouver des débouchés à Cuba. Il les informe aussi sur l'évolution de la situation créée par la nouvelle loi américaine, mais les précisions sur la mise en oeuvre de cette dernière ne sont pas encore claires. Le Canada a vigoureusement manifesté son opposition à la loi tant aux États-Unis directement, dans l'arène bilatérale, que devant des organisations multilatérales. Au bout du compte, toutefois, c'est aux entreprises de décider elles-mêmes avec qui elles feront des affaires.

Enfin, la nouvelle loi n'a entraîné aucun changement dans les conseils que le gouvernement canadien donne aux Canadiens qui se rendent à Cuba.

Dépôt de la réponse à des questions au Feuilleton

L'Agence de promotion économique du Canada atlantique-L'achat de véhicules-Demande de précisions

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse la question no 8 inscrite au Feuilleton par le sénateur Kenny.

Les Affaires des anciens combattants-L'achat de véhicules-Demande de précisions

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse à la question no 30 inscrite au Feuilleton par le sénateur Kenny.

Le Ministère des Finances-L'achat de véhicules- Demande de précisions

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse à la question no 37 inscrite au Feuilleton par le sénateur Kenny.

Le Conseil du Trésor-L'achat de véhicules-Demande de précisions

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse à la question no 47 inscrite au Feuilleton par le sénateur Kenny.

ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur l'assurance-emploi

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Rompkey, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Forest, portant deuxième lecture du projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je m'excuse d'avoir été absent de mon fauteuil le jeudi où notre ami le sénateur Rompkey a ouvert le débat de deuxième lecture sur le projet de loi. Cependant, j'ai lu ce qu'il a dit dans le hansard. Il a fait une allocution claire et factuelle, et je l'en remercie. Son intervention était pour l'essentiel exempte d'esprit de parti, aussi je ne profiterai pas de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour lui rappeler certains commentaires plus partiaux qu'il a faits lorsqu'il siégeait du côté de l'opposition à l'autre endroit sur la réforme de l'assurance-chômage qui a été réalisée par le gouvernement précédent.

Cependant, j'ai l'intention de dire quelques mots du contexte politique dans lequel ce projet de loi a été présenté parce qu'il influe sur sa légitimité et sur son degré d'acceptation par les gens qu'il touchera directement. Je dirai ensuite quelques mots sur le contexte économique actuel et j'examinerai les principales dispositions du projet de loi en les situant dans ce contexte.

Au sujet du contexte politique actuel, je dois dire, en utilisant les mots les plus charitables possibles, que le gouvernement libéral qui présente le projet de loi éprouve ce que je ne saurais appeler autrement qu'un problème de crédibilité insurmontable. Je crois que les honorables sénateurs reconnaîtront que le revirement de la politique libérale et la trahison des engagements libéraux à l'égard de l'assurance-chômage sont aussi sérieux et marqués que les promesses rompues sur la TPS et la volte-face sur le libre-échange.

Les honorables sénateurs ont peut-être remarqué que le comité de la Chambre des communes qui a étudié le projet de loi a entendu des représentants d'organismes qui, il y a quelques années, ont fait cause commune avec les libéraux pour lutter contre le projet de loi C-21 des conservateurs. Aujourd'hui, ces organismes accusent leurs alliés d'hier de les avoir abandonnés et trahis. Il serait étonnant que les libéraux aiment entendre ces accusations.

Le projet de loi C-21 des progressistes-conservateurs haussait de 10 à 20 semaines la période d'admissibilité, qui était auparavant de 10 à 14 semaines. Il réduisait les périodes maximales de prestations, sauf dans les régions où le chômage est le plus élevé. Il imposait une période d'attente plus longue aux personnes qui quittaient volontairement leur emploi et il augmentait de 350 millions de dollars la partie des fonds de l'assurance-chômage utilisés à des fins qu'on appelle productives, soit la formation, la réinstallation, le travail autonome et le réemploi.

Les sénateurs libéraux étaient tellement outrés qu'ils se sont servis de leur majorité au Sénat pour créer un comité spécial, présidé par le sénateur Hébert, pour étudier le projet de loi et tenir des audiences publiques. Le projet de loi C-21 est arrivé au Sénat le 7 novembre 1989. Les sénateurs libéraux l'ont gardé ici jusqu'au 22 octobre 1990. Ils l'ont renvoyé deux fois à la Chambre des communes.

Le comité du sénateur Hébert a voyagé à l'extérieur d'Ottawa. Il a dépensé 79 000 $, dont 52 000 $ pour des services professionnels et spéciaux. Pour vous donner une idée des délibérations de ce comité et des fins créatives auxquelles ces52 000 $ en services professionnels et spéciaux ont été utilisés, le comité a cité, de façon approbatrice, un député de l'Assemblée législative de Terre-Neuve qui avait témoigné devant lui et avait dit que le projet de loi C-21 était un acte de génocide - je dis bien de génocide - à l'endroit des habitants des régions rurales de Terre-Neuve.

Le sénateur Hébert et ses collègues libéraux ont été tellement captivés par cette phrase qu'ils l'ont citée deux fois dans leur rapport. C'est peut-être parce que les fournisseurs de ces services professionnels et spéciaux étaient payés au mot. Néanmoins, il convient de signaler que ces accusations de génocide et d'autres termes presque tout aussi offensants s'appliquaient à un projet de loi qui visait à réduire de 31 millions de dollars par année les prestations d'assurance-chômage à Terre-Neuve.

Honorables sénateurs, le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui vise à réduire de 105 millions de dollars par année les prestations d'assurance-chômage à Terre-Neuve.

Le sénateur Lynch-Staunton: Quelle honte! C'est une mesure vaine.

Le sénateur Murray: Sheila elle-même aurait sans doute dit: «C'était hier, pas aujourd'hui.»

Je me demande si c'est ce que les libéraux ont voulu dire dans leur livre rouge quand ils affirment que «les libéraux veulent égaliser les conditions sociales entre les Canadiens.» C'est sûrement ce qu'ils voulaient faire lorsqu'ils ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les électeurs de Doug Young venus protester contre ses politiques.

«Nous souhaitons étendre l'égalité des chances», disait le livre rouge, «pour permettre à davantage de familles canadiennes d'avoir un niveau de vie convenable, dans des conditions de dignité et de respect et dans un pays où règne la paix sociale.»

M. Paul Martin est coauteur du livre rouge. En tant que ministre des Finances, il a entrepris de donner suite à la promesse du livre rouge d'égaliser les conditions sociales entre les Canadiens en retranchant 2,4 milliards de dollars du fonds de l'assurance-chômage dans le budget de 1994, 700 millions dans le budget de 1995 et encore 2,1 milliards dans le projet deloi C-12. De plus, il a réduit de 7 milliards les transferts fédéraux-provinciaux au titre de la santé, du bien-être social et de l'enseignement postsecondaire.

J'entends peu de gens dire que ces renversements de la politique libérale sont des erreurs commises de bonne foi, et encore moins qu'ils constituent des cas de force majeure. On emploie des qualificatifs beaucoup plus durs, et à juste titre, pour décrire cet abandon des principes libéraux par le gouvernement libéral.

Honorables sénateurs, voyons maintenant dans quel contexte économique ce projet de loi est présenté. La croissance économique est au point mort. Elle l'était l'an dernier, elle l'est cette année et, selon le budget de M. Martin, ce sera la même chose l'an prochain. Le Canada compte 1,4 million de chômeurs. Le taux de chômage officiel est de 9,4 p. 100.

Il y a quelques semaines, le 9 mai pour être précis, la Banque de Nouvelle-Écosse a publié un rapport dans lequel elle dit que le taux national de chômage sous-jacent est de 13 p. 100. Ce pourcentage tient compte des milliers de Canadiens qui, découragés, ont arrêté de chercher du travail. Il est basé sur un taux de participation qui devrait être cette année au moins le même que celui du début des années 90.

Ce qui est plus important, je crois, aux fins du débat d'aujourd'hui, c'est qu'aucun des prévisionnistes, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé, ne prévoit un prompt retour à des taux de croissance plus normaux. Aussi loin qu'ils pensent pouvoir prédire, soit vers le tournant du siècle, il n'y aura pas d'amélioration en ce qui concerne le taux de chômage et pas de retour à des taux de croissance plus normaux. L'un des prévisionnistes du secteur privé, Informetrica, dit que, sur la base de la combinaison actuelle des politiques du gouvernement, le taux de chômage élevé que le pays connaît actuellement persistera jusqu'à l'année 2025.

La plupart des nouveaux emplois qui sont créés sont des emplois à temps partiel. Selon certains témoignages devant le comité de la Chambre des communes, 90 p. 100 de la croissance nette de nouveaux emplois en 1995 provenait de la création d'emplois à temps partiel. Également selon certains témoignages, un bon tiers de la main-d'oeuvre aujourd'hui occupe des emplois non standard avec des horaires non standard. Plus souvent qu'autrement, ces emplois sont mal payés et ne procurent aucun avantage social et aucune sécurité.

Parlant de sécurité, en 1996, seulement 46 p. 100 des chômeurs du Canada bénéficient effectivement de l'assurance- chômage, contre 88 p. 100 en 1990 et 68 p. 100 en 1993. En Ontario, 32 p. 100 des chômeurs reçoivent des prestations d'assurance-chômage, et le projet de loi C-12 ne fera qu'empirer les choses. J'y reviendrai dans un instant.

L'économie canadienne est particulièrement stagnante. Nous ne nous sommes pas encore remis de la récession de 1990-1991, et il risque d'y avoir une autre récession avant que nous ne parvenions à le faire. Dans ce contexte, on devrait donc envisager le projet de loi C-12 en fonction du rôle historique de l'assurance-chômage en tant que stabilisateur macro- économique, au Canada. L'an dernier, le ministère du Développement des ressources humaines a émis un rapport intitulé «Le régime d'assurance-chômage en tant que stabilisateur automatique au Canada». Il a été rédigé par deux personnes de l'Université de Toronto, MM. Peter Dungan et Steve Murphy, qui ont étudié les récessions de 1981-1982 et 1990-1991. Dans les deux cas, les auteurs ont constaté que le régime d'assurance-chômage constituait un élément de stabilisation très efficace. Leur étude montre que, au cours de la récession de 1981-1982, l'assurance-chômage avait permis de réduire de 13 p. 100 la baisse du PIB en 1982 et de 14 p. 100 en 1983. Ils ont aussi constaté que ce régime avait évité une baisse du taux d'emploi du même ordre. Leurs résultats sont semblables pour la récession de 1990-1991. En fait, ils ont dit que, pour une de ces années, le régime avait sauvé 100 000 emplois à cause de son effet stimulant, de son effet stabilisateur.

Ce rapport présentait le régime d'assurance-chômage comme un élément de stabilisation très puissant, plus puissant que l'effet cumulé de tous les transferts fédéraux individuels autres que l'assurance-chômage. L'étude constate que cet élément de stabilisation est aussi plus efficace que tous les transferts individuels des provinces et des municipalités, y compris ceux qui sont versés dans le cadre du régime d'aide sociale. C'est un instrument très efficace.

Nous devons nous demander quels torts causerait le projet de loi C-12 au stabilisateur automatique le plus efficace que nous ayons.

Après tout, ce projet de loi propose d'amputer le régime de l'assurance-chômage de 2,1 milliards de dollars d'ici l'an 2001 et ce après l'avoir amputé de 2,4 milliards de dollars dans le budget de 1994 et de 700 millions de dollars dans celui de 1995. Les porte-parole du gouvernement rétorqueront que, de ces2,1 milliards, 800 millions sont redirigés vers des mesures dites de stimulation de l'emploi.

Le Congrès du travail du Canada a présenté un mémoire au comité de la Chambre affirmant que, du fait de cette réorientation des fonds, 90 p. 100 des programmes fédéraux de formation et de préparation au marché du travail seront maintenant financés à même le fonds de l'assurance-chômage. En ce sens, on enlève de l'argent d'un compte pour le mettre dans un autre. Les800 millions qui sont soi-disant redirigés, c'est de l'argent qui autrement aurait été dépensé par le ministère du Développement des ressources humaines.

En outre, au nombre des prestation dites d'emploi qui figurent dans la partie II du projet de loi, on retrouve entre autres vieilles banalités les subventions salariales, le supplément de revenu, et même ce dernier refuge des politiciens libéraux que sont les travaux d'infrastructure, toutes choses dont on sait qu'elles présentent un avantage économique net plutôt douteux. En fait, des représentants de la Commission canadienne de la mise en valeur de la main d'oeuvre ont comparu le 19 mars devant le comité de la Chambre pour mettre les députés en garde contre ce fait même.

Que la réduction soit plus près de 2,1 milliards de dollars ou de 1,2 milliard le fait demeure que le projet de loi C-12 rendra le pays plus vulnérable quand arrivera la prochaine récession. Et comme elle surviendra après une reprise peu vigoureuse - par rapport aux reprises précédentes - à la suite de la récession de 1990-1991, l'assurance-chômage sera une force de stabilisation plus faible.

Quand on lit entre les lignes des discours que les ministres et leurs supporters ont faits autour de ce projet de loi, on s'aperçoit que moins de gens seront couverts, qu'ils travailleront un nombre supérieur d'heures pour avoir droit à des prestations inférieures, lesquelles leur seront versées pendant moins longtemps. Tels sont le but et les conséquences de ce projet de loi. Honorables sénateurs, rien de tout cela ne se trouve dans le livre rouge. Pas plus que dans les propos des ministériels.

Le document du gouvernement qui a précédé ce projet de loi parlait longuement de changements structuraux dans l'économie qui devaient être pris en considération par le nouveau régime d'assurance-chômage; il parlait longuement de la nécessité de faire participer les travailleurs à temps partiel et les travailleurs non standard; il parlait longuement des besoins particuliers de ceux qui avaient été perturbés par un chômage de longue durée et qui avaient besoin d'une aide autre que financière pour redevenir réemployables et retrouver un emploi.

Honorables sénateurs, on a tendance à penser que le plus grand cadeau que l'on puisse faire à la plupart, voire la totalité, de ces gens, serait de restaurer la croissance économique pour qu'elle atteigne de nouveau son potentiel et de réduire le taux de chômage ne serait-ce que de quelques points de pourcentage. Beaucoup de gens pensent que nous sommes pris avec un système d'emplois à temps partiel, sans sécurité, que les gens acceptent parce qu'ils ne peuvent trouver de travail à plein temps. La plupart de ceux qui ont été perturbés par le chômage à long terme, des gens qui sont au chômage peut-être pour la première fois de leur vie, ne manquent pas de compétences. Ils ne manquent pas d'une longue expérience de travail; et Dieu sait qu'ils ne manquent pas de motivation. S'ils ont perdu leur emploi, c'est parce qu'ils sont victimes de la mondialisation et de facteurs structuraux de l'économie. Leur incapacité de trouver un emploi vient de ce qu'ils sont victimes d'une économie qui ne croît pas assez rapidement et qui ne crée pas suffisamment de nouveaux emplois.

Cela dit, honorables sénateurs, vu que le gouvernement actuel a admis son incapacité dans ce domaine, examinons une minute comment ce projet de loi répond aux besoins des travailleurs à temps partiel et des victimes du chômage structurel. Actuellement, l'admissibilité se situe entre 12 et 20 semaines de travail, selon le taux de chômage régional. Pour les personnes nouvellement membres de la population active, c'est vingt semaines d'au moins 15 heures par semaine. Les exigences d'entrée en vertu du projet de loi C-12 sont, en principe, une amélioration car, comme le sénateur Rompkey le faisait remarquer dans son discours, l'admissibilité est maintenant basée sur le nombre d'heures d'emploi au lieu du nombre de semaines, et toutes les heures et toutes les rémunérations comptent, jusqu'à un maximum de 39 000 $ par année.

Le gouvernement prétend qu'en modifiant le système pour que l'on prenne en considération les heures et non les semaines travaillées, 500 000 travailleurs à temps partiel deviendront admissibles, mais la plupart n'auront pas droit à des prestations d'assurance-chômage en vertu du projet de loi C-12. D'ailleurs, 380 000 d'entre eux se verront retourner leurs cotisations parce qu'ils gagneront moins de 2 000 $ par année. Les cotisations payées par leur employeur, toutefois, ne seront pas remboursées. Bon nombre de ceux qui travaillent de 15 à 34 heures par semaine seront désavantagés car ils sont maintenant admissibles aux prestations d'assurance-chômage après 12 à 20 semaines de travail et la conversion au calcul horaire signifie qu'ils devront travailler pendant un plus grand nombre de semaines pour être admissibles, si jamais ils peuvent trouver du travail. Le projet de loi élèvera le seuil de 15 heures à 35 heures par semaine pour certains prestataires. Ceux qui travaillent de 20 à 25 heures par semaine devront augmenter leur durée de travail hebdomadaire de 30 à 50 p. 100 pour être admissibles. De nombreux travailleurs à temps partiel, les employés du commerce au détail, dont de nombreuses femmes, ne seront jamais admissibles étant donné la nature de leur emploi et l'état de l'économie. Les nouveaux arrivants sur le marché du travail et ceux qui y retourneront devront trouver un emploi pour 910 heures au moins, soit 26 semaines de 35 heures.

Honorables sénateurs, la méthode de calcul des prestations a été modifiée afin que les prestations soient réduites pour de nombreux travailleurs saisonniers et à temps partiel. À compter de l'année prochaine, les diminutions seront de l'ordre de210 millions de dollars dans l'industrie de la construction, de61 millions de dollars dans le commerce au détail, de 44 millions de dollars dans le secteur de l'hébergement et de la restauration, de 30 millions de dollars dans le bûcheronnage et l'exploitation forestière et de 29 millions de dollars dans l'agriculture. Les prestations seront aussi réduites autrement. Le taux des prestations a été ramené à 55 p. 100 de la moyenne de la rémunération assurable et la durée des prestations réduite de50 à 45 semaines.

Honorables sénateurs, ceux qui font de nombreuses heures supplémentaires seront nettement gagnants. Pour la plupart des travailleurs à temps partiel, l'admissibilité sera plus difficile et non plus facile. Près des trois quarts des prestataires verront leurs prestations diminuer à cause de l'une ou l'autre des dispositions de ce projet de loi. Étant donné l'état actuel et prévu de l'économie canadienne, il est difficile d'imaginer comment cette mesure législative augmentera les incitatifs au travail et améliorera l'attachement à un emploi à long terme, comme le gouvernement le prétend. Il est assez facile de voir comment cette mesure législative pénalisera les victimes et contribuera à l'expansion de l'économie souterraine tout en contribuant à réduire le déficit du gouvernement à très court terme.

La partie II du projet de loi, portant sur les prestations dites d'emploi, crée toute une série de nouveaux problèmes. Je reconnais que les utilisations productives des fonds de l'assurance-chômage remontent aux années 1970. Je concède également que mon ancienne collègue, la ministre Barbara McDougall, dans sa Stratégie de mise en valeur de la main-d'oeuvre, avait donné une grande extension au concept, y compris l'utilisation des cotisations à cette fin. Cependant, le gouvernement propose des modifications tellement substantielles dans ce projet de loi que plusieurs témoins ont soutenu devant le comité des Communes qu'avec l'utilisation qu'il se propose de faire des fonds de l'assurance-chômage, le gouvernement outrepasse le pouvoir constitutionnel qui lui avait été accordé lorsque la compétence sur l'assurance-chômage a été transférée au gouvernement fédéral en 1940.

Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que les modifications que le gouvernement propose maintenant avec ses prestations dites d'emploi et avec l'utilisation des fonds de l'assurance- chômage s'adresseront même à des gens qui ne contribuent pas au régime. Jusqu'à maintenant, pour être admissible à des utilisations productives, il fallait avoir droit à l'assurance- chômage. En vertu de la partie II du projet de loi, des gens qui n'y avaient peut-être pas droit il y a trois ou cinq ans deviendront admissibles à ces prestations d'emploi. En vertu de l'ancienne loi, les prestations d'emploi consistaient à verser des prestations d'assurance-chômage pour permettre aux bénéficiaires de poursuivre leur formation ou de poursuivre une activité indépendante. On ouvre maintenant la voie aux subventions, aux prêts et aux garanties de prêt et à toute une gamme d'aide aux particuliers et aux chefs de petite entreprise. Il se trouve donc en l'occurrence que la caisse de l'assurance-chômage, financée entièrement par les cotisations des employeurs et des employés, deviendra un réservoir, une caisse noire, accessible au ministère du Développement des ressources humaines et à ses mentors du ministère des Finances. Voilà ce qu'on fera de la caisse de l'assurance-chômage.

Le sénateur Simard: C'est une honte.

Le sénateur Murray: Il n'est pas étonnant que l'inquiétude et la consternation règnent chez les gens qui veulent qu'un programme centré et efficace d'assurance-chômage soit maintenu au Canada.

Je le répète, les avantages dont il est question dans ce projet de loi comprennent des subventions salariales, des suppléments de revenu, des postes de travailleur autonome, la création directe d'emplois et, selon les négociations avec les provinces, des programmes de formation.

Comme le professeur Tom Courchesne le fait remarquer:

Il en résultera un terrible méli-mélo des compétences. Les politiques provinciales actives du marché du travail vont se heurter à des problèmes énormes étant donné qu'un groupe particulier d'administrés des provinces seront admissibles à un traitement spécial de la part du fédéral.

Un méli-mélo similaire est créé par le nouveau supplément du revenu familial prévu dans le régime d'assurance-chômage. À l'heure actuelle, un bénéficiaire de l'assurance-chômage qui a des personnes à charge et un faible revenu peut toucher 60 plutôt que 55 p. 100 de sa rémunération hebdomadaire moyenne. Le projet de loi C-12 remplace cette disposition par un nouveau supplément pour les bénéficiaires de l'assurance-chômage dont le revenu familial est inférieur à 26 000 $.

À peu près personne à l'extérieur du caucus libéral n'a quoi que ce soit de bon à dire à ce sujet et cela, à juste titre. On devrait améliorer la situation des familles à faible revenu au moyen de la prestation fiscale pour enfants qui est offerte à toutes les familles pauvres, et non au moyen du régime d'assurance-chômage qui ne s'occupe évidemment que des bénéficiaires de l'assurance- chômage.

Un groupe de revendication sociale a fait remarquer au comité de la Chambre que, pour un enfant dont la famille touche moins de 20 000 $, il y aura désormais trois différents niveaux d'aide financière selon que le revenu est tiré d'un emploi, de l'aide sociale ou de l'assurance-chômage. C'est peut-être la façon étrange que choisit le gouvernement de financer directement l'aide sociale après avoir réduit de 7 milliards de dollars les paiements de transfert qui couvraient, notamment, autrefois l'ancien Régime d'assistance publique du Canada.

De toute façon, le supplément du revenu familial, avec d'autres dispositions du projet de loi C-12, montre à quel point nous avons besoin d'un programme qui intègre assurance- chômage, éducation, formation et aide sociale.

Je peux m'imaginer des agents du ministère des Finances et même certains sénateurs lever les yeux au ciel à la seule mention de cet idéal, le régime intégré. Je crois cependant que le gouvernement fait fausse route depuis le jour, en janvier 1994, où M. Axworthy a annoncé son projet fédéral de réforme de la politique sociale. Cette réforme devait englober six ou sept domaines, dont seulement un, l'assurance-chômage, relève entièrement de notre compétence. Tous les autres, l'éducation, la formation, le placement, les normes de travail, ainsi de suite, relèvent partiellement ou entièrement des provinces. La réforme Axworthy a été engloutie dans le premier budget de M. Martin trois semaines plus tard. Le projet de loi dont nous sommes saisis, ainsi que les mesures touchant la politique et les programmes sociaux et les divers budgets de M. Martin, nous éloignent au lieu de nous rapprocher du régime intégré dont nous avons besoin.

Parlons maintenant du chevauchement et du double emploi. Ce projet de loi crée de nouveaux chevauchements et du double emploi avec les provinces. Il en crée aussi entre divers ministères et programmes fédéraux.

Honorables sénateurs, l'objectif premier du projet de loi est également l'objectif premier de Paul Martin: retrancher 2 milliards de dollars à la caisse d'assurance-chômage au cours des prochaines années, et ce, contre vents et marées, comme le dirait le ministre. Toutes les belles promesses du ministre des Ressources humaines et de son prédécesseur, M. Axworthy, à propos d'une restructuration en profondeur de l'assurance- chômage, à propos d'un régime intégré, étaient vides. Ce qu'on appelait les mesures de réinvestissement ou de ré-emploi n'étaient en fait qu'une vaine tentative pour donner un semblant de compassion et de cohérence à ce qui est essentiellementun dur coup, une somme de 2 milliards de dollars -s'inscrivant dans le cadre d'un projet global de réduction de5 milliards de dollars - que le gouvernement retranche des prestations d'assurance-chômage. Voilà l'objectif qui est visé. Le projet de loi C-12 pourrait frapper durement nos concitoyens les plus vulnérables et certaines de nos localités les plus vulnérables en cette période d'incertitude et d'insécurité économique qui se prolonge.

Je me dois également d'attirer l'attention des honorables sénateurs qui étudieront plus en profondeur cette mesure législative sur le fait que le projet de loi accorde beaucoup trop de pouvoirs discrétionnaires au ministre et au Cabinet, leur permettant de modifier le régime sans l'approbation du Parlement, ou encore des employeurs et des employés qui versent des cotisations. Ce projet de loi est un méli-mélo de politiques et d'objectifs vagues et donnera des résultats confus.

Je crois comprendre que notre collègue, le sénateur DeWare, et le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, s'apprêtent à étudier ce projet de loi. J'ai hâte, mais je dois vous dire, honorables sénateurs, que nous rendrions un grand service à la population canadienne en rejetant ce projet de loi à l'étape de la deuxième lecture et en renvoyant le gouvernement à la case départ.

(Sur la motion du sénateur Berntson, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur certains accords concernant l'aéroport international Pearson

Deuxième lecture-Motion d'amendement-Ajournement du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Kirby, appuyé par l'honorable sénateur Davey, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-28, Loi concernant certains accords portant sur le réaménagement et l'exploitation des aérogares 1 et 2 de l'aéroport international Lester B. Pearson.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Je tiens tout d'abord à rappeler aux honorables sénateurs que la décision d'annuler les accords concernant l'aéroport Pearson a été prise par le gouvernement libéral, immédiatement après la publication du rapport Nixon, le 3 décembre 1993.

M. Chrétien et l'ancien ministre des Transports ont utilisé ce rapport pour justifier le dépôt du projet de loi C-22. Au Parlement et à l'extérieur de celui-ci, certains ont répétéad nauseam qu'ils se fiaient aux conclusions du rapport, notamment ceux qui ont tenté de noircir le bilan du gouvernement Mulroney par des insinuations, des allégations non fondées et des faussetés retentissantes. Le gouvernement a ensuite adopté ce comportement abject envers M. Mulroney.

Le projet de loi a été approuvé sans amendement deux fois à la Chambre des communes. La majorité des députés ont, de toute évidence, accepté les conclusions de M. Nixon, que le gouvernement avait fait siennes et qui préconisaient d'appuyer le projet de loi. La lecture des Débats de la Chambre des communes et des débats de cet endroit le confirme.

Comme le sénateur Kirby l'a dit lui-même, le 16 juin 1994:

Après avoir examiné le processus et les éléments fondamentaux du contrat, M. Nixon a recommandé au gouvernement de l'annuler. Le gouvernement a accepté sa recommandation.

La justification du projet de loi C-22 ne saurait être plus claire. Le projet de loi C-28 reprend textuellement le contenu du projet de loi C-22, mais cette fois, le sénateur Kirby écarte toute mention concernant le rapport Nixon. Tout se passe comme si les 14 pages de ce rapport n'avaient jamais existé. En fait, le gouvernement souhaite sans doute qu'il en soit ainsi. Depuis, il s'est avéré que le rapport Nixon n'est rien d'autre qu'un tract politique biaisé, trompeur, incomplet et mal fait qui comprend, comme il est dit dans le rapport de l'enquête sénatoriale sur l'aéroport Pearson, une foule d'erreurs factuelles, d'arguments fallacieux et de jugements douteux.

Le rapport sénatorial sur l'aéroport Pearson analyse en détail les nombreuses erreurs de Nixon, son choix sélectif des personnes consultées, l'absence de notes, sa piètre mémoire et les conseils douteux de ses principaux conseillers. Le comité sénatorial se demande quelle objectivité il a apporté à son travail quand des conclusions semblables à celles qui figurent dans son rapport final en étaient à l'étape d'ébauche deux semaines avant la présentation du rapport au gouvernement.

Dans leur rapport minoritaire, les sénateurs libéraux se sont largement fondés sur le rapport Nixon pour justifier leur dissidence. Le sénateur Finlay MacDonald a réfuté point par point l'interprétation fantaisiste que les libéraux ont faite des constatations de l'enquête, que l'on trouve dans le hansard de mars 1996 du Sénat. On attend encore, avec raison, une réponse des sénateurs d'en face.

Ce qui est toutefois plus révélateur, c'est le fait que M. Nixon lui-même n'a pas publiquement commenté la dénonciation systématique de ce rapport. De toute évidence, il ne veut, sans doute, rappeler à personne, lui-même y compris que lorsqu'ils ont comparu devant le comité du sénateur MacDonald, ses conseillers et lui ont été lamentablement ineptes dans la défense de leurs propres conclusions.

Par elles-mêmes, ces conclusions ne valent pas la peine d'être étudiées sérieusement. Si elles l'ont été, c'est parce qu'elles ont servi de justification principale, voire unique, pour la présentation d'un projet de loi sans précédent par lequel le Parlement est appelé à priver un certain nombre de citoyens canadiens d'une garantie constitutionnelle, à savoir l'accès aux tribunaux.

Mais pourquoi faudrait-il s'en surprendre? Le gouvernement qui a présenté le projet de loi C-22, puis le projet de loi C-28, est le même qui feint l'ignorance même lorsqu'un haut fonctionnaire du ministère de la Justice a informé un gouvernement étranger que des Canadiens sont engagés dans des activités criminelles dans leur propre pays, même si aucune accusation à cet égard n'a été portée; c'est le même gouvernement qui permet qu'un sous-ministre adjoint de la Justice tienne une réunion privée avec le juge en chef de la Cour fédérale du Canada afin de se plaindre du progrès d'une affaire à laquelle le gouvernement est partie; c'est le même gouvernement qui invoque la primauté du droit quand cela sert ses intérêts partisans, comme cela été à maintes invoqué dans la cause Bertrand devant la Cour supérieure du Québec. «Nul n'est au-dessus des lois», a dit l'avocat du gouvernement à cette occasion, oubliant d'ajouter «sauf si cela nuit à la campagne du Parti libéral contre ceux dont la réputation peut être impitoyablement ternie à des fins partisanes.»

Je voudrais maintenant répliquer brièvement aux arguments que le sénateur Kirby continue d'utiliser même s'ils ont été contredits il y a déjà longtemps.

Tout d'abord, il déplore le fait qu'il n'y ait pas de clause d'annulation dans les contrats de Pearson. Il oublie bien commodément les témoignages de hauts fonctionnaires, entre autres spécialistes, selon qui les accords de location à long terme ne comportent pas de telles clauses. Il est extrêmement difficile de trouver les fonds nécessaires si l'on ne peut pas préciser au prêteur en combien de temps le prêt sera remboursé. Avec un bail, on peut parler de période fixe.

Deuxièmement, le sénateur Kirby reprend la rumeur selon laquelle les contrats de Pearson ont été signés 21 jours avant l'élection. C'est là une inexactitude flagrante. Quiconque connaît un peu le processus peut le confirmer. Qui peut mieux expliquer ce processus que l'ancienne première ministre Campbell elle-même, qui a parlé de sa participation à ce dossier dans son récent livre:

Les clauses des différents contrats avaient été approuvées par le Conseil du Trésor à la fin d'août et, au moment de l'attaque de Chrétien, les documents avaient été signés par Jean Corbeil, le ministre des Transports. Tout ce qu'il me restait à faire, c'était d'approuver le déblocage des titres le7 octobre, soit la date convenue au début de l'été pour l'échange de documents. Le sénateur Lowell Murray, le seul de mes ministres qui n'avait pas à se faire réélire, tenait le fort à Ottawa. Les hauts fonctionnaires lui ont donné l'assurance que l'entente était «propre» et que, de plus, si elle n'était pas signée à ce moment, le gouvernement pourrait être poursuivi pour d'importants dommages- intérêts. En fait, le 27 août, j'avais reçu une note du greffier du Conseil privé, Glen Shortliffe, dans laquelle il déclarait: «Le choix du promoteur s'est fait dans le cadre d'un concours entièrement transparent.» Il ajoutait: «Nous pouvons affirmer que les fonctionnaires ont examiné le dossier et peuvent confirmer que les règles applicables ont été respectées à toutes les étapes.»

La première ministre Campbell, parlant ensuite de Jodi White, a dit ceci:

Lorsque Jodi a demandé à Glen en octobre s'il serait possible de retarder les dernières étapes du projet, il a répondu d'un air horrifié: «Comprenez-vous ce que cela aurait comme conséquence?» Même si certains ont prétendu, beaucoup plus tard, que je suis allée au-delà de mon pouvoir constitutionnel en autorisant la diffusion de documents après le déclenchement des élections, je suis certaine que, si de telles restrictions constitutionnelles avaient vraiment existé, le Bureau du Conseil privé aurait vite réagi. De plus, nous aurions accueilli avec plaisir toute raison valable de mettre cette question en veilleuse durant la campagne électorale. Nous n'avons rien entendu de tel et, en fait, les décisions des tribunaux appuient l'opinion selon laquelle le gouvernement ne pouvait pas se servir des élections comme excuse pour ne pas conclure un marché alors qu'il avait déjà clairement indiqué son intention de conclure un tel marché.

Troisièmement, le sénateur Kirby veut nous faire croire que l'annulation était, selon ses propres termes, «une promesse faite aux Canadiens» durant la dernière campagne électorale. Il dit que le projet de loi C-28 ne fait que permettre au gouvernement de respecter sa promesse électorale. En fait, il n'y a jamais eu de telle promesse électorale. Comme un ancien ministre des Transports l'a dit lui-même à la Chambre en septembre 1994:

Le chef de l'opposition officielle, qui est maintenant le premier ministre, a dit clairement avant les élections et pendant que cet accord se tramait et qu'il examinerait l'entente conclue.

Le résultat est que, bien que M. Chrétien n'ait pas promis l'annulation, il s'est assuré que tout examen de l'entente conduirait à une telle recommandation. Peut-être que le sénateur Kirby et l'ancien ministre des Transports invoqueront la définition particulière que le gouvernement donne au terme «harmonisation» pour justifier une autre contradiction.

Je tiens encore une fois à féliciter le sénateur MacDonald et ses collègues qui ont siégé au comité sénatorial spécial sur les accords de l'aéroport Pearson pour leur travail exceptionnel, particulièrement lorsqu'on se rend compte des circonstances difficiles dans lesquelles ils ont dû oeuvrer. Ils ont eu accès à des documents importants à la dernière minute et seulement après qu'ils aient été filtrés de façon unilatérale par une firme d'avocats de l'extérieur et par le ministère de la Justice. Les présentations au Conseil du Trésor, sur lesquelles se fondaient de nombreuses conclusions du rapport Nixon, selon les auteurs du rapport, n'ont jamais été communiquées aux membres du comité. Le gouvernement n'a pas encore expliqué comment un groupe qui préparait en privé un travail de démolissage a pu avoir accès à des documents confidentiels du Conseil du Trésor, alors qu'un comité parlementaire qui tenait des audiences publiques ne l'a pas pu.

À deux reprises au moins, des sénateurs libéraux ont reçu des documents complets alors qu'il manquait des passages entiers à ceux qui ont été fournis aux conservateurs. Dans certains cas, on a dit que cela s'était produit par inadvertance, sans doute parce qu'on n'avait pas encore invoqué un cas de force majeure.

Ce ne sont là que quelques exemples des nombreuses tentatives délibérées du gouvernement pour faire obstacle aux efforts des membres conservateurs du comité. C'est pourquoi nous devons féliciter mes collègues qui ont produit, en dépit de l'intransigeance et de l'obstruction systématique du gouvernement, un rapport dont les conclusions ne sont contestées que par les quelques personnes qui s'obstinent à invoquer le rapport Nixon, complètement discrédité, pour justifier des mesures comme les projets de loi C-22 et C-28.

Comme le projet de loi C-22, le projet de loi C-28 interdit les demandes d'indemnité au titre des profits non réalisés pour le motif souvent invoqué que l'une des lacunes des ententes était, selon les propres mots de M. Nixon, que le taux de rendement des partenaires était considéré comme excessif.

Dans leur opinion minoritaire, les sénateurs libéraux ont fait valoir que le taux de rendement avant impôt de 23,6 p. 100, ou 12 à 13 p. 100 après impôt, était, selon leurs propres mots, bien supérieur à celui que des investisseurs pouvaient espérer obtenir sur le marché, considérablement plus élevé que cela n'était justifié et très généreux. Une campagne de diffamation a suivi, déclenchée par une conclusion du rapport Nixon qui contredisait l'opinion de l'expert que M. Nixon avait reçue pendant sa présumée enquête, comme l'ont d'ailleurs montré les audiences de la commission MacDonald.

M. Nixon a eu du mal à défendre sa position, affirmant qu'il s'était fondé sur un rapport rédigé à la hâte par un conseiller qui a avoué au comité que non seulement il n'avait pas eu suffisamment de temps pour terminer son travail, déclarant que son examen avait une portée forcément limitée, mais qu'il n'était pas un spécialiste des aménagements aéroportuaires. Il a néanmoins soutenu que le gouvernement avait perdu entre157 et 340 millions de dollars en n'exigeant pas un taux de rendement après impôt de 8,25 p. 100 à 11 p. 100, ce qui aurait été plus approprié.

Si l'histoire s'arrêtait ici, l'argument serait théorique étant donné que les contrats ne seront pas exécutés et que beaucoup de Canadiens continuent, au moins jusqu'à maintenant, de croire que le gouvernement Mulroney, en dépit des contestations des parties gouvernementales et non gouvernementales, a conçu une entente qui rapporterait des bénéfices extrêmement importants à l'entreprise privée, alors qu'elle coûterait des centaines de millions de dollars aux contribuables canadiens. C'est ainsi qu'a parlé M. Nixon; c'est ainsi qu'a parlé son conseiller financier; c'est ainsi qu'ont également parlé l'ancien ministre des Transports, qui a qualifié l'affaire de la plus grande escroquerie dans l'histoire du Canada, et les membres libéraux de la commission MacDonald durant les audiences; c'est ce qu'ils ont écrit dans leur rapport de décembre 1995. Ce fut la position du gouvernement depuis le début, celle invoquée depuis la présentation du projet de loi C-22, puis du projet de loi C-28, pour justifier son opposition au paiement de certains dommages-intérêts, notamment pour la perte de profits.

Ce qui est honteux pour le gouvernement, c'est que l'histoire ne s'arrête pas là. En même temps qu'il faisait la promotion des conclusions de M. Nixon sur les aspects financiers des accords, y compris les taux de rendement, le gouvernement retenait les services de plusieurs experts indépendants pour faire une analyse détaillée du projet afin d'appuyer sa défense dans le procès intenté par le groupe Pearson devant la section générale de la Cour de l'Ontario. Les experts en question ont produit19 rapports, représentant plus de deux douzaines de volumes dans lesquels chaque détail des contrats est analysé, depuis le trafic de passagers jusqu'aux plans de construction et, oui, y compris les taux de rendement et les éventuels bénéfices. Les services de tous ces consultants indépendants ont été retenus par le ministre de la Justice.

Deux des experts, George Quirin, un professeur émérite de gestion à l'Université de Toronto et une autorité en matière d'évaluation de l'entreprise, et Martyn Booth, un associé du Portland Group de Londres, en Angleterre, un groupe international d'experts-conseils en administration des affaires, ont été chargés d'évaluer les contrats, surtout pour ce qui traitait du taux de rendement. Tous deux ont vu leurs services retenus au début de 1995. Tous deux sont arrivés aux mêmes conclusions, chacun de leur côté. Leurs rapports font des centaines de pages et ont demandé des mois à rédiger. Ces deux experts ont conclu, chacun de leur côté, que le risque élevé associé au réaménagement et à l'exploitation des aérogares 1 et 2 justifiait un taux de rendement après impôt de 20,5 p. 100, selonM. Quirin, de 21 p. 100, selon M. Booth. Tous deux ont conclu - encore une fois chacun de leur côté - que le consortium aura perdu une somme de l'ordre de 180 millions de dollars durant la durée des contrats.

Si je rapporte leurs conclusions aujourd'hui, ce n'est pas pour les appuyer ou pour les dénoncer, mais pour bien montrer à quel point le gouvernement est constant dans son attitude mesquine et malveillante à l'égard des accords concernant l'aéroport Pearson, et c'est ainsi depuis le tout début. Il a accepté sans réserves le rapport Nixon, en particulier la partie qui traite des bénéfices excessifs. L'ancien ministre des Transports s'était fait une fête de répandre son venin sur ceux qui remettaient en question la constitutionnalité du projet de loi C-22. Il a joyeusement mis en doute leurs intentions en parlant de dernier partage de l'assiette au beurre, de dernière ponction dans le Trésor public, de plus grand abus de l'histoire du Canada et de nid d'intrigues. Il a parlé des conservateurs qui remplissaient les poches de leurs amis. Cette idée a été véhiculée ad nauseam dans les deux Chambres et dans les médias, ce qui a donné lieu à des articles excitants, dignes des journaux jaunes. Tout le monde a pu en conclure que le gouvernement Mulroney n'était rien d'autre qu'un généreux donateur de fonds publics à ses partisans avides de bénéfices.

Ce scénario était particulièrement visible au cours de l'enquête de l'été dernier. L'analyste financier de M. Nixon a notamment défendu ses affirmations avec beaucoup d'énergie, appuyé par les membres libéraux du comité qui, dans leur rapport minoritaire de décembre 1995, reconfirmaient leur appui au point de vue deM. Nixon concernant le taux de rendement. C'est un point de vue que le gouvernement a répandu à maintes reprises durant deux ans. Tout en défendant les conclusions de M. Nixon au cours de l'enquête MacDonald, le même gouvernement à la même époque recevait les conseils éclairés de deux spécialistes indépendants qui, dans des avis distincts, s'entendaient pour dire que, au lieu de la manne que M. Nixon prédisait, les accords allaient en fait entraîner des pertes importantes pour les partenaires.

Je n'en dirai pas plus sur mes impressions concernant la conduite du gouvernement. Je crains que mon langage soit jugé antiparlementaire, même s'il était justifié. Je demande toutefois à mes collègues de réfléchir au degré d'immoralité d'un gouvernement qui continue de défendre des conclusions auxquelles il est parvenu par des raisonnements biaisés et des méthodes d'amateur à des fins strictement partisanes tout en appuyant parallèlement des conclusions diamétralement opposées que d'éminents spécialistes avaient tirées. Ce sont ces conclusions qu'il a utilisées pour sa défense dans la poursuite de Toronto.

Pas étonnant que le gouvernement n'ait pas voulu rendre ces rapports publics. Sa conduite dans ce cas n'est que l'exemple le plus récent de son mépris pour la responsabilité la plus fondamentale de tout gouvernement, celle de rester ouvert et honnête dans ses arguments et dans la manière dont il présente ses politiques.

S'il y a quelque chose de sordide dans l'affaire Pearson, elle remonte au moment où M. Nixon a été embauché pour préparer un rapport appuyant la décision prédéterminée du gouvernement d'annuler les ententes. De plus, le gouvernement voulait faire cela au plus bas coût possible et selon ses propres conditions.M. Nixon avait la responsabilité de légitimer tout cela en présentant un certain nombre de conclusions basées non sur une analyse objective et indépendante, mais sur des arguments biaisés et partisans, pour la plupart sans fondement. Le rapport Nixon a été accepté pratiquement sans réserves, sauf par ceux directement touchés.

La présentation du projet de loi C-22 a été accueillie avec enthousiasme, comme une punition appropriée pour ceux qui voulaient s'approprier des deniers publics, mais, tout d'un coup, quelque chose d'inattendu s'est produit. Le gouvernement, célébrant toujours sa victoire électorale et, en particulier, la disparition apparente du Parti conservateur, et se targuant d'avoir réussi à présenter le gouvernement Mulroney en termes particulièrement dévastateurs, pensait que la majorité conservatrice au Sénat ne s'opposerait guère à l'adoption du projet de loi C-22 pour ne pas être perçue comme partie intégrante de la plus grande escroquerie de l'histoire canadienne. Quel choc cela a dû être, pour ceux qui se frottaient les mains avec une joie non dissimulée devant un projet de loi aussi brillant, que de s'apercevoir que les sénateurs conservateurs étaient les premiers à mettre en doute la constitutionnalité de la mesure législative qui priverait des Canadiens de droits garantis par la Charte. Ils ont fait cela en sachant parfaitement qu'ils seraient l'objet des accusations et des insinuations les plus vicieuses et les plus vulgaires et, malheureusement, c'est bien ce qui s'est produit, les attaques les plus vives venant du ministre des Transports.

Le refus de l'accès aux tribunaux et la violation de la règle de droit vont beaucoup plus loin que la valeur d'un contrat. Il n'y a rien de sordide dans la défense d'un droit fondamental, mais il y en a dans le refus d'un droit fondamental.

Nous voyons maintenant que le rapport Nixon, n'ayant pas atteint son but, est traité par le gouvernement comme s'il n'avait jamais existé. Le sénateur Kirby lui-même ne l'a pas mentionné, car, pour utiliser les mots du projet de loi C-28, le gouvernement aimerait sans doute le déclarer nul et non avenu.

Pire encore, le conseiller financier de M. Nixon est notoirement absent en tant qu'expert de la Couronne. Lui qui a été si utile à M. Nixon et au gouvernement pour justifier le projet de loi C-22 et à nouveau pendant l'enquête MacDonald n'est plus utile maintenant. Il a servi son but: soutenir un rapport avec des arguments destinés à justifier l'annulation des accords Pearson. Il a servi et il a échoué, étant donné que le rapport Nixon est maintenant complètement discrédité et qu'on a décidé de se passer de tous ceux qui ont participé à sa préparation.

Le gouvernement n'était pas prêt à se défendre contre une réclamation en dommages-intérêts devant les tribunaux. Il a répété à maintes reprises que cela ne se produirait pas, mais il se trompait et il a soudainement réalisé qu'il devrait préparer une défense un peu plus professionnelle et convaincante que la diatribe de M. Nixon. Résultat: deux évaluations indépendantes faites en l'espace de quelques mois l'année dernière ont été officiellement homologuées; chacune d'elles concluait que, contrairement à la position officielle du gouvernement qui prétendait que les profits non réalisés étaient excessifs, selon les conseils reçus de la part d'experts dans le domaine, le consortium aurait perdu environ 180 millions de dollars.

On peut facilement comprendre pourquoi le gouvernement ne voulait pas que ces études soient rendues publiques. Non seulement venaient-elles contredire ce que le gouvernement affirmait depuis plus de deux ans, mais elles révélaient aussi que le gouvernement défendait simultanément deux positions diamétralement opposées. Si une telle attitude n'est pas tout à fait sordide, si cette situation n'est pas un véritable bourbier, alors rien ne peut l'être. Voilà un bel exemple de comportement qui détruit la confiance que les Canadiens veulent accorder à leur gouvernement.

Ce qui m'a frappé dans les remarques du sénateur Kirby, lors de la présentation du projet de loi C-28 en deuxième lecture, ce n'est pas uniquement le manque d'uniformité et la faiblesse de son argumentation, mais aussi le contraste marqué entre ses propos et ce qu'il avait dit lors de la présentation du projet deloi C-22, à la même étape, il y a deux ans.

Lorsque nous nous sommes opposés à ce que le débat ait lieu à ce moment, nous avons déclaré que les circonstances entourant le projet de loi C-28 différaient grandement de celles qui prévalaient lors de la présentation du projet C-22 et que la Chambre des communes aurait dû renvoyer le projet de loi C-28 à un comité, pour cette raison et bien d'autres, avant de le transmettre au Sénat. Ces arguments ont été rejetés. Je n'ai certes pas l'intention de les formuler à nouveau, même si le sénateur Kirby a étayé ces arguments en disant que le projet de loi C-28 était absolument identique au projet C-22, mais que tout cela n'était que pro forma puisque le gouvernement avait l'intention de proposer des amendements qui, selon le sénateur Kirby, répondront aux préoccupations des sénateurs d'en face.

Ces propos sont certainement les bienvenus, mais tant que nous n'aurons pas vu le libellé exact des amendements, nous refuserons de débattre de questions dont nous ne sommes pas saisis. Je prie à nouveau le sénateur Kirby et le leader du gouvernement au Sénat de nous faire connaître ces amendements à l'étape de la deuxième lecture.

Les efforts du sénateur Kirby pour nous rassurer soulèvent plus de questions qu'ils n'en résolvent. Par exemple, cela fait presque deux ans qu'on exprime des réserves au sujet du projet de loi C-22. Pourquoi attendre jusqu'à maintenant pour réagir? Les objections qui depuis si longtemps étaient suspectes deviennent tout à coup parfaitement légitimes et le gouvernement n'a de cesse d'y répondre. Pourquoi cette volte-face? Permettez-moi de faire quelques suggestions.

Le gouvernement sait pertinemment que si le projet deloi C-28 est adopté sous sa forme actuelle, il sera déclaré anticonstitutionnel. Le gouvernement a échoué dans sa tentative d'éviter d'être poursuivi pour dommages-intérêts. Le gouvernement a admis une rupture de contrat, reconnaissant par là-même l'existence des accords. En fait, une grande partie de ce qu'il voulait faire avec le projet de loi C-22, il se sent maintenant obligé constitutionnellement et légalement de le confirmer ailleurs, soit dans le projet de loi C-28, modifié.

J'aime à penser qu'il est d'accord avec l'ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, Brian Dickson, qui a écrit:

Historiquement, ce qui est généralement accepté comme étant au coeur du principe de l'indépendance du judiciaire est l'entière liberté de chaque juge d'entendre et de juger les affaires dont il est saisi et personne - que ce soit le gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge - ne doit entraver ou tenter d'entraver la façon dont le juge conduit le procès et prend sa décision. Cette notion continue à être au coeur du principe de l'indépendance du judiciaire.

Loin de moi l'idée de suggérer que le juge en chef Dickson pensait au projet de loi C-22 lorsqu'il a écrit cela mais, en même temps, personne ne peut ne pas s'apercevoir de la pertinence de cette déclaration relativement aux événements qui se sont déroulés depuis le dépôt du projet de loi C-22 et qui ont entouré le projet de loi C-28. Cette citation n'est qu'une parmi de nombreuses déclarations éloquentes sur l'importance du respect total de l'indépendance du judiciaire et de la non-intervention d'un tiers, y compris le Parlement et le gouvernement.

Maintenant que le gouvernement maintient que l'action en réclamation pour profits non réalisés n'est pas fondée puisque, selon ses propres experts, dont l'opinion est acceptée comme la sienne, il aurait perdu environ 180 millions de dollars, on ne peut que se demander pourquoi alors déposer le projet de loi C-28? Pourquoi pas un projet de loi confirmant simplement ce qui est déjà arrivé dans les faits et que personne ne conteste - à savoir l'annulation des accords? Le gouvernement a déjà convenu de leur existence puisqu'il a admis qu'il y avait eu rupture de contrat. Le gouvernement n'a pas demandé à la Cour suprême de renverser deux décisions d'une instance inférieure permettant une action en dommages-intérêts, reconnaissant par là être partie à l'action intentée en février. Pourquoi apporter des modifications à un projet de loi quant tout ce qu'elles semblent faire est confirmer l'évidence même et éviter au gouvernement l'embarras d'une contestation constitutionnelle dont il sortirait perdant? Certains sénateurs ont beau dire qu'ils ont changé d'idée à cause de leurs préoccupations, mais j'ai l'impression que les événements des deux dernières années, ainsi que la prudence judiciaire, constituent la vraie raison de ce changement.

Quoi qu'il en soit, nous sommes saisis du projet de loi C-28, qui est une copie exacte du projet de loi C-22. L'objet de la deuxième lecture est d'approuver ou de rejeter le principe d'un projet de loi. Nous rejetons le projet de loi C-28, encore plus que le projet de loi C-22, à cause de tout ce qui s'est passé et dont on a eu vent depuis la présentation du projet de loi C-22.

La façon dont le gouvernement a présenté ce projet de loi est manifestement irrégulière et inconséquente. Il fait valoir ses mérites à la Chambre des communes en ressuscitant le projet de loi C-22 sous la forme du projet de loi C-28 et en le renvoyant sans modification, pour la troisième fois, au Sénat. La deuxième lecture du projet de loi C-28 a à peine commencé que le sénateur Kirby réitère la position du gouvernement selon laquelle le projet de loi C-22 - c'est-à-dire le projet de loi C-28 - est légal et constitutionnel. Or, pour répondre aux préoccupations d'ordre constitutionnel exprimées çà et là, le gouvernement était prêt à y apporter une série d'amendements.

Si les amendements correspondent exactement à ce que le sénateur Kirby nous a dit, ils éviscéreront le projet de loi et, s'ils sont approuvés, la loi éventuelle ressemblera peu au projet de loi sous sa forme actuelle. C'est du jamais vu. Une loi adoptée à trois reprises par la Chambre des communes, et ce, à l'initiative du gouvernement, fait l'objet d'un débat en cette même Chambre, alors que le gouvernement a l'intention de la modifier à un point tel qu'elle ne ressemblera guère à ce que la Chambre des communes a approuvé, non pas une ou deux mais trois fois.

Il est normal que l'opposition au Sénat soit accusée de ne pas respecter la volonté des représentants élus - cela se produit régulièrement -, mais ce que le sénateur Kirby nous dit, c'est que le gouvernement lui-même ne tiendra pas compte des voeux des représentants élus, notamment ceux qui ont été exprimés par ses propres membres à trois occasions, en essayant de convaincre les sénateurs que le projet de loi C-28 est, à toutes fins pratiques, entaché de nullité et que des amendements seront présentés pour confirmer que c'est effectivement le cas.

Nous avons déjà fait valoir que, dans le cas du projet deloi C-28, les circonstances sont tellement différentes de celles qui existaient au moment du projet de loi C-22 que la Chambre aurait dû être autorisée à discuter du projet de loi C-28 avant de l'envoyer ici. Ce point de vue est maintenant renforcé par les observations faites par le sénateur Kirby au nom du gouvernement. En fait, les circonstances actuelles diffèrent tellement de celles d'il y a deux ans que même le gouvernement juge nécessaire de déposer une nouvelle mesure législative. Je laisse au gouvernement le soin d'expliquer pourquoi son intention de modifier une mesure approuvée trois fois par la Chambre n'a pas été annoncée et discutée dans l'autre endroit avant que le projet de loi ne nous soit envoyé. Il n'est pas rare qu'un projet de loi du gouvernement soit d'abord présenté au Sénat, mais ce n'est pas le cas ici. Le Parlement est aux prises avec une situation sans précédent, soit le rejet, sur l'ordre du gouvernement, d'une décision exprimée trois fois par la Chambre élue, sans aucune annonce ou explication pertinente de la part de ce même gouvernement. Cette attitude témoigne d'un mépris évident de la volonté des élus.

Honorables sénateurs, le sénateur Kirby a sévèrement blâmé l'opposition d'avoir reporté la décision visant le projet deloi C-22 en se servant de la majorité dont elle jouissait à l'époque au sein du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'ai déjà reconnu que c'était le cas avec les projets de loi C-22 et C-69, tout en faisant valoir que le fait de garder indéfiniment un projet de loi à l'étude en comité est, de toute évidence, plus respectueux de la Chambre des communes que de l'éliminer carrément, comme nous aurions facilement pu le faire à maintes reprises. Nous ne l'avons pas fait afin de permettre l'adoption des amendements nécessaires. Toutefois, le sénateur Kirby veut maintenant aller encore plus loin. Il nous a dit que le gouvernement est prêt à répondre à toutes nos préoccupations en rédigeant un nouveau projet de loi en comité, éliminant ainsi le projet de loi C-28 - et tant pis pour la volonté des représentants élus.

De toute évidence, le gouvernement préfère essayer de trouver une solution aux nombreuses contradictions qu'il a lui-même créées et éviter de se mettre davantage dans l'embarras, compte tenu de sa façon de s'occuper de ce fiasco - parce que c'en est bien un - en court-circuitant la Chambre des communes et en se servant du Sénat, où il n'y a pas de télévision, et où l'attention des médias est très limitée, afin de sauver ce qui peut encore l'être dans cette affaire sordide.

Honorables sénateurs, il ne faut pas non plus oublier que l'appui accordé au gouvernement par un caucus libéral agité devient moins inconditionnel. Les stratèges au bureau du premier ministre doivent sans aucun doute estimer qu'ils peuvent limiter les dégâts politiques en envoyant à la Chambre une mesure toute prête qui peut être inscrite au Feuilleton, par exemple deux ou trois jours avant l'ajournement d'été.

Indépendamment de nos malentendus avec la Chambre des communes, la courtoisie la plus élémentaire voudrait que celle-ci fasse d'abord connaître ses intentions relativement aux mesures législatives importantes, avant que celles-ci ne soient examinées ici. La position du sénateur Kirby va tout à fait à l'encontre de ce principe fondamental. Nous, de ce côté-ci, et, j'imagine, un grand nombre de sénateurs de l'autre côté, serions très mal à l'aise, sinon irrespectueux, si nous agissions de la façon proposée par le sénateur Kirby.

Motion d'amendement

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, je propose, appuyé par l'honorable sénateur Robertson:

Que le projet de loi C-28 ne soit pas lu maintenant une deuxième fois, mais qu'il soit renvoyé à la Chambre des communes pour étude en bonne et due forme.

Son Honneur le Président suppléant: Honorables sénateurs, il est proposé par l'honorable sénateur Lynch-Staunton, appuyé par l'honorable sénateur Robertson, que le projet de loi C-28 ne soit pas lu maintenant une deuxième fois, mais qu'il soit renvoyé à la Chambre des communes pour étude en bonne et due forme.

Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Des voix: Non.

L'honorable Alasdair B. Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je propose: Que le débat sur la motion d'amendement soit reporté à la prochaine séance du Sénat.

Son Honneur le Président suppléant: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

Le discours du Trône

L'adresse en réponse-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bacon, appuyée par l'honorable Rompkey, tendant à l'adoption d'une Adresse à son Excellence le Gouverneur général en réponse au discours qu'il a prononcé lors de l'ouverture de la deuxième session de la trente-cinquième législature.-(7e jour de la reprise du débat).

L'honorable William M. Kelly: Honorables sénateurs, comme c'était à prévoir, le discours du Trône était axé, entre autres choses, sur l'unité nationale, l'engagement du gouvernement à apporter des ajustements au partage des pouvoirs, ainsi que les consultations et la collaboration dans les relations fédérales-provinciales.

Je ne doute pas un seul instant de l'engagement du premier ministre et du gouvernement envers l'unité nationale. Les états de service du premier ministre à cet égard parlent d'eux mêmes. Et je n'irai pas jusqu'à dire que le plan d'action que le gouvernement a adopté et a l'intention de poursuivre est voué à l'échec. Je reconnais l'expérience du premier ministre en la matière. Néanmoins, mon instinct me dit que les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons commandent que nous mettions de côté le statu quo et réformions en profondeur notre union politique et économique. Je nourris quelques idées sur la façon dont nous pourrions y parvenir.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de faire valoir quelques grands principes de peur que mes propos soient mal interprétés.

D'abord et avant tout, je crois que le Québec s'en tire bien mieux au sein du Canada que s'il était un pays indépendant. À mes yeux, c'est une affaire de simple bon sens: la langue et la culture françaises ont de meilleures chances de survivre dans un pays de 30 millions d'habitants que dans un continent de500 millions d'habitants.

Honorables sénateurs, je crois que l'histoire est là pour en témoigner. Ce n'est pas le Canada qui a imposé au Québec cette introversion culturelle et linguistique qui caractérisait la province avant la Révolution tranquille. Ce n'est pas le Canada qui a imposé au Québec le système d'éducation introspectif, séculaire et archaïque qui a persisté jusqu'au début des années 1960 et qui a été si bien disséqué par Jean-Paul Desbiens. Qui plus est, la Révolution tranquille a eu lieu dans un Québec qui faisait partie du Canada, tout comme l'élection de trois gouvernements ouvertement séparatistes.

À mon avis - et certains de mes collègues québécois ne seront sans doute pas d'accord avec moi - le simple fait que certains Québécois se sentent maintenant assez forts pour se débrouiller tout seuls montre bien que la fédération canadienne n'a ni réprimé ni opprimé la culture et la langue françaises.

Il faut se rappeler que le Québec - ou «l'Est du Canada» - s'est joint à la Confédération en 1867 parce qu'il craignait l'influence des États-Unis. Il est plutôt ironique que, 129 ans plus tard, de nombreux Québécois se sentent assez forts et en sécurité pour résister au monolithe américain tout en prétendant du même souffle que la langue et de la culture françaises ne peuvent s'épanouir à l'intérieur du Canada.

Je note en passant, honorables sénateurs, qu'en 1993-1994 - dernier exercice financier pour lequel Statistique Canada a établi des statistiques -, le gouvernement fédéral a transféré plus de 837 millions de dollars à des organisations non gouvernementales québécoises afin d'appuyer des initiatives linguistiques et culturelles.

Qui plus est, je crois que le Québec et les Québécois ont bénéficié financièrement de leur association à la fédération canadienne. Non seulement le Québec est-il un des principaux partenaires de l'union économique canadienne, mais le Québec reçoit chaque année plus en transferts financiers fédéraux qu'il ne paye en impôts fédéraux.

Honorables sénateurs, malgré ces arguments logiques et rationnels pour rester au Canada, j'ai dû conclure à regret que nous avons dépassé le stade des débats logiques et rationnels et que nous n'avons pas non plus de chances raisonnables de satisfaire aux exigences de l'élite québécoise actuelle pour être heureuse au sein de la fédération canadienne, du moins telle qu'elle existe à l'heure actuelle.

Bien que je favorise la reconnaissance du Québec comme société distincte - à mon avis, il s'agit simplement de reconnaître la réalité -, M. Bouchard a indiqué que la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme société distincte ne suffisait plus. Il a indiqué que ni la formule de Meech, ni celle de Charlottetown ne suffisaient plus. Il a indiqué que le transfert au Québec des pouvoirs fédéraux liés à la langue et à la culture ne suffisait plus. En fait, selon M. Bouchard, aucune décentralisation administrative ne suffit parce que le Québec dépendrait encore de la bonne volonté du Canada anglais pour maintenir ces arrangements administratifs.

Aux yeux d'une personne peu charitable qui présumerait que M. Bouchard agit de mauvaise foi, cela constituerait effectivement une ruse habile. Des arrangements administratifs tels que l'entente Cullen-Couture, entente en vertu de laquelle Québec s'est vu déléguer de vastes pouvoirs en matière d'immigration, sont vraiment le seul moyen de remplacer l'étau qu'était notre Constitution.

C'est par de tels arrangements administratifs que l'on transforme une Constitution en un outil efficace. Ils nous permettent d'adapter notre Constitution officielle aux réalités et aux besoins de l'heure. En bloquant cette avenue, nous laissant comme seul recours la modification de la Constitution officielle, M. Bouchard nous prive du moyen le plus efficace dont dispose le Canada, à vrai dire tout pays, pour faire en sorte que la Constitution officielle remplit bien son rôle.

M. Bouchard a déclaré qu'un droit de veto pour le Québec, ce n'était plus assez, quelque difficile, voire impossible, qu'il eut été de faire approuver ce droit de veto par les 10 provinces, comme l'exige notre Constitution.

Outre le fait que M. Bouchard n'est manifestement guère disposé à envisager quelque rapprochement constitutionnel avec le Canada, force est de reconnaître que la décentralisation et la dévolution font une véritable montée en puissance, chez nous, bien sûr, mais aussi à l'échelle mondiale. Je constate avec plaisir qu'il en a été question tant dans le discours du Trône que dans le discours du premier ministre à l'autre endroit. Ce que nous vivons actuellement au Canada n'est pas un phénomène d'envergure purement nationale, mais bien une manifestation locale d'un malaise généralisé qui doit être traité comme tel.

D'une part, nous avons un édifice complexe d'accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux qui ont généralement pour effet de faire passer les pouvoirs économiques et politiques des gouvernements nationaux aux mains d'autorités supranationales. Il y a aussi la technologie, surtout celle de l'information et des télécommunications, qui, par-delà les frontières entre pays et cultures, relie tous les peuples en réseau qui forme une civilisation et une économie véritablement planétaires. D'autre part, nous assistons à la décentralisation de leviers économiques et politiques vers les provinces et les administrations municipales à mesure que décline la capacité financière des gouvernements nationaux.

C'est dire que coexistent et s'opposent, presque à forces égales, un courant de mondialisation et un courant qui cherche à préserver ou à restaurer une culture locale ou régionale. Ce phénomène, le président tchèque Vaclav Havel l'appelle «toutes les vallées qui réclament liberté et indépendance».

Pris au centre, les gouvernements nationaux tels que nous les connaissons deviennent de plus en plus impuissants et inopérants. Rappelons simplement, par exemple, que pendant la période de reconstruction qui a immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral gardait 70 p. 100 de tous les impôts qu'il percevait. Le reste allait aux provinces sous forme de paiements de transfert. Aujourd'hui, le gouvernement fédéral ne garde que 33 p. 100 des impôts qu'il lève, pour financer ses programmes et ses projets. Le reste va aux provinces. Incidemment, Joe Clark avait raison de dire que le Canada très centralisé dont René Lévesque et ses confrères voulaient se séparer n'existait plus.

Le rapport entre les impôts fédéraux qui sont perçus et les transferts aux autres paliers de gouvernement est plus bas au Canada que dans tout autre pays membre de l'OCDE, ce qui montre bien l'étonnante décentralisation de fait de notre politique fiscale. En fait, depuis la période de reconstruction, nous avons redonné au gouvernement fédéral la réputation de mauvais garçon, de percepteur d'impôts, alors que le crédit politique qui découle de ce fardeau de la perception d'impôts est accordé aux programmes et aux projets provinciaux et municipaux. Il n'est pas étonnant que les gens sentent moins le besoin qu'un gouvernement fédéral intervienne dans leur vie quotidienne.

À tous les paliers de gouvernement, la tendance vers la déréglementation et la privatisation éloigne les leviers économiques du gouvernement vers les marchés. Par conséquent, au Canada et partout dans le monde, il y a une tendance vers la décentralisation et la dévolution. Si nous continuons à aller à contre-courant - nous étant le gouvernement fédéral - et à manquer d'initiative, nous n'aurons plus la moindre prise sur les événements au Canada et notre pays mourra lentement et péniblement des coupures infligées par des référendums qui draineront les émotions au Québec jusqu'à ce que les forces séparatistes l'emportent, des coupures causées par l'incertitude économique et le manque de confiance des gens d'affaires et des investisseurs, pendant que les gouvernements évitent de s'attaquer aux graves questions financières et économiques pour jongler constamment avec son programme constitutionnel, des coupures dues à la rancoeur au sein du corps politique que génère un débat interminable sur l'incertitude constante à l'égard du Québec et de l'unité nationale, des coupures causées par les provinces qui fondent sur la carcasse du gouvernement fédéral.

Honorables sénateurs, le Québec n'est pas la seule province à vouloir un nouvel arrangement constitutionnel, car la Colombie- Britannique en souhaite un elle aussi. L'Alberta, qui a été longtemps le berceau du radicalisme des Prairies, cherche à obtenir un nouvel arrangement. Je signale que c'est l'Alberta qui, au début des années 70, a menacé de priver l'est du Canada de l'approvisionnement en pétrole. Cela ne correspond guère à l'image du «tous pour un et un pour tous». Voilà comment nous sommes.

Les provinces maritimes songent elles aussi à leur propre réorganisation constitutionnelle. Le désir de changement émanant des autres régions ne devrait pas passer inaperçu parce que nous sommes obnubilés par le cas du Québec. Il est vraiment possible que, dans notre quête tenace en vue d'une solution pour le Québec, nous ne réussissions qu'à exacerber des frictions constitutionnelles dans le reste du pays.

Je propose que le gouvernement fédéral reconnaisse ces réalités. La réalité, c'est que les forces de décentralisation à l'intérieur et à l'extérieur du Canada ont passé le point de non-retour. En fait, le référendum québécois n'était rien de plus qu'une manifestation, un rappel bruyant, pour ainsi dire, de cette tendance irréversible. Or, si nous reconnaissons la réalité, si nous précédons les événements et réussissons à bien faire la transition, nous pouvons accélérer notre retour à la stabilité économique et politique et, je l'espère, accélérer notre retour à un avenir sûr et prospère pour tous les Canadiens. Je propose de réfléchir très sérieusement à la possibilité d'opérer une importante décentralisation des pouvoirs politiques constitutionnels vers les provinces tout en conservant une union économique réelle incluant le Québec.

Une décentralisation massive ne veut pas dire la fin du Canada. Il se peut très bien que ce soit la seule façon de sauver le Canada. Voyez la Suisse, qui est depuis plus de 700 ans un pays remarquablement stable et prospère, depuis qu'elle a rompu son association avec l'Autriche. Malgré une densité démographique deux fois plus forte que celle de la Chine, la Suisse affiche le revenu par habitant le plus élevé du monde industrialisé. La Suisse n'a pas deux, mais quatre langues officielles. Quelle est la clé du succès et de la permanence de la Suisse? Beaucoup l'attribuent à sa Constitution vraiment fédérale, en vertu de laquelle la plupart des pouvoirs appartiennent aux 26 cantons, et non au gouvernement central.

La Suisse est-elle moins un pays du fait de cette décentralisation? Je ne le crois pas. La décentralisation à laquelle je songe fait-elle du Québec un pays séparé? Je ne le sais pas, mais j'en doute. Si nous nous décidons rapidement et avec suffisamment de détermination à maîtriser les événements, le Québec continuera de faire partie non seulement d'une zone canadienne de libre-échange, mais encore d'une union douanière. Cela voudrait dire qu'il n'y aurait aucun tarif douanier ni aucune autre barrière commerciale entre toute région du Canada et le Québec. Je suppose que le Québec utilisera le dollar canadien et continuera de compter sur les accords économiques et de commerce international auxquels participe à l'heure actuelle le Canada. Il continuerait de respecter la législation commerciale canadienne sauf en cas de conflit avec la législation québécoise. Il maintiendrait le libre-échange avec le Canada.

Cela veut-il dire que le Canada doit adopter un système de fédéralisme asymétrique où chaque province est traitée différemment? Cela me semble probable, quoique ce ne soit pas nécessairement mauvais. En fait, cela offrira peut-être la souplesse qu'il faut pour assurer l'unité de l'entité politique que constitue le Canada.

Nous en venons maintenant à la question pratique: comment conclurons-nous un accord avec le Québec? Je ne crois pas qu'on puisse attendre jusqu'en 1997 pour faire une proposition au Québec et aux autres provinces dans le cadre de l'article 49 de la Loi constitutionnelle. Les forces séparatistes au Québec risqueraient trop de nous voler l'initiative et d'influencer le cours des événements à leur guise. Attendre jusqu'en 1997, ce serait aussi prolonger l'instabilité politique et économique. Le pouvoir du gouvernement fédéral dans toute négociation va diminuer en proportion de son affaiblissement financier. Il faut agir vite et déposer une proposition pour une grande décentralisation constitutionnelle bien orchestrée du Canada à la conférence des premiers ministres dont il est question dans le discours du Trône.

Je regrette qu'il soit peu probable que toute proposition, aussi sincère ou constructive soit-elle, puisse être négociée avecM. Bouchard et ses collègues, pour qui la sécession pure et simple est le seul objectif envisageable. M. Bouchard va simplement continuer de brouiller les cartes.

Lorsque j'étais enfant, mon père disait que les taux d'intérêt n'excéderaient jamais les 3 p. 100 sans risquer de déclencher un cataclysme. Comme tout le monde ici, j'ai connu des taux d'intérêt de 22 p. 100 et je n'en suis pas mort. À mon avis, cela montre que rien n'est impossible. Nous devons envisager l'impensable si nous voulons faire des progrès et maîtriser ainsi les événements. D'aucuns estiment que la séparation du Québec est impensable. Je suis d'avis qu'il faut examiner la question et planifier pour toutes les éventualités raisonnables. Je tiens à souligner que, depuis deux siècles de dévolution et de démembrements nationaux, seules deux sécessions constitutionnelles se sont réalisées sans effusion de sang: la séparation de la Norvège de la Suède en 1905 et celle des Tchèques et des Slovaques en 1993.

Dans toute son histoire, le Canada a fait preuve d'une remarquable aptitude au changement et à l'adaptation sans effusion de sang et avec relativement peu de rancoeur. Notre système fédéral, qui est modelé sur le système parlementaire britannique, combiné à la ténacité et la tolérance innées des Canadiens, nous a permis de le faire.

Nous sommes maintenant confrontés à un défi sans précédent pour notre avenir. J'estime que nous ne pouvons pas nous permettre d'hésiter ou de retarder les choses. Nous ne pouvons pas non plus nous cramponner au passé ni aux idées du passé. Nous avons la possibilité de briser le moule et d'élaborer une constitution innovatrice qui réponde aux forces de décentralisation et de dévolution qui propulseront le Canada dans le XXIe siècle. Nous avons encore une fois l'occasion de servir de modèle aux autres États fédéraux du monde entier.

Honorables sénateurs, nous avons l'occasion de mettre fin aux difficultés constitutionnelles en reconnaissant la réalité et en prenant l'initiative.

(Sur la motion du sénateur Bolduc, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-
Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Cools, appuyée par l'honorable sénateur St. Germain, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-6, Loi modifiant le Code criminel (délai préalable à la libération conditionnelle)-(L'honorable sénateur St. Germain. c.p.).

L'honorable Dalia Wood: Honorables sénateurs, j'ai parlé avec le sénateur St. Germain et il a eu la gentillesse de me laisser aborder cette question aujourd'hui.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Wood: Je participe aujourd'hui au débat sur le projet de loi S-6 visant à modifier le Code criminel et, en particulier, sa disposition concernant le délai préalable à la libération conditionnelle. Les questions dont nous sommes saisis aujourd'hui sont très claires. Elles concernent la protection des droits des victimes et l'opinion de la société au sujet des peines infligées aux auteurs de meurtres au premier et au deuxième degrés ainsi qu'aux personnes trouvées coupables de haute trahison.

Honorables sénateurs, lorsque la peine de mort a été abolie en 1976, nous avons donné à la population l'assurance que les auteurs des crimes les plus odieux, soit le meurtre et la haute trahison, seraient incarcérés pendant au moins 25 ans avant d'être admissibles à une libération conditionnelle. Ce compromis a permis l'abolition de la peine de mort, la population ayant alors obtenu l'assurance qu'une peine adéquate serait infligée aux coupables, que la sécurité de la société serait préservée et que l'expression de son mécontentement serait maintenue. Ce que la plupart ne savent pas, c'est que l'article 745 du Code criminel faisait partie du marché.

Voyons maintenant cette disposition de plus près.L'article 745 prévoit, pour certaines peines d'emprisonnement à perpétuité, une révision du délai préalable à la libération conditionnelle. Les peines qui peuvent faire l'objet d'une révision comprennent celles qui sont infligées pour des meurtres au premier degré et des crimes de haute trahison et en vertu desquelles les détenus doivent purger au moins 25 ans de leur peine avant d'être admissibles à une libération conditionnelle. Les peines pour les meurtres au deuxième degré peuvent aussi faire l'objet d'une révision lorsque le délai préalable à la libération conditionnelle est fixé à au moins 15 ans. Les détenus peuvent alors demander au juge en chef de la province où ils ont été déclarés coupables et condamnés de prendre des dispositions pour que ce délai soit réexaminé.

Honorables sénateurs, aucune distinction n'est faite entre celui qui commet des meurtres en série, comme Clifford Olson, celui qui viole, qui torture et qui assassine de nombreux enfants innocents ou des jeunes et celui qui a tué une fois. En vertu de l'article 745, tout le monde peut présenter une demande, quelle que soit la brutalité du crime commis, une demande qui sera traitée grâce aux deniers publics et malgré les répercussions émotives que cela aura sur les parents de la victime qui vivent quotidiennement une douleur indescriptible et qui doivent vivre de nouveaux tourments lorsque les meurtriers demandent une libération conditionnelle anticipée. Nous continuons de punir les victimes de crimes et nous permettons que soient libérés ceux qui les ont perpétrés. Dans le cadre du processus d'examen visé à l'article 745, il n'est même pas tenu compte de la brutalité du crime ni des souffrances que les victimes ont vécues.

Le processus est le suivant: comme il a été dit, le détenu présente une demande au juge en chef. Celui-ci en confie l'audition à un juge et à un jury pour, je cite leparagraphe 745(2):

[...] décider s'il y a lieu de réduire le délai préalable à la libération conditionnelle du requérant, compte tenu de son caractère, de sa conduite durant l'exécution de sa peine, de la nature de l'infraction pour laquelle il a été condamné et de tout ce qu'il [le juge] estime utile dans les circonstances...

Les annotations du Martin's 1996 Criminal Code nous disent que le but de l'article 745 est de réexaminer la situation du détenu en tenant compte des nouveaux renseignements ou des facteurs qui n'étaient pas connus au moment de la sentence originale. Le jury doit décider si ces facteurs justifient un allégement de peine. Il me semble, honorables sénateurs, que cet article aurait pu être intitulé l'article «de la bonne conduite» plutôt que l'article «de la lueur d'espoir».

L'annotation résume la décision R. c. Swietlinski, rendue par la Cour suprême en 1994. En voici un extrait:

En interrogeant les témoins et dans sa plaidoirie, le procureur ne pouvait pas tenter de discréditer le processus de révision en attirant l'attention sur le fait que, contrairement au requérant, la victime n'avait pas eu la possibilité d'obtenir un allégement de ses souffrances et qu'une période d'inadmissibilité de 25 ans était bien peu comparée à la peine de mort. La possibilité de réduire la période d'inadmissibilité après 15 ans est un choix que le Parlement a fait et que le jury doit accepter. Il n'appartient pas à la poursuite de remettre ce choix en question en laissant entendre au jury qu'il s'agissait d'une procédure anormale, excessivement clémente et contraire à ce qui, selon lui, était l'intention initiale des législateurs [...] Le jury ne doit tenir compte que de la situation du requérant et ne doit pas tenter de juger le cas d'autres détenus ou de déterminer si le système actuel des libérations conditionnelles est efficace.

Honorables sénateurs, je souligne que la réduction possible de la période d'inadmissibilité après 15 ans, que le jury doit accepter, est une décision du Parlement. J'imagine que, lorsqu'il a adopté l'article 745, le Parlement estimait que, après 15 ans d'emprisonnement, une personne pourrait peut-être être réinsérée dans la société. Il pensait qu'une personne qui avait commis un crime aussi horrible pourrait peut-être avoir changé. Tout ce que je sais, c'est que les Canadiens ne veulent plus de cette réduction possible de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, s'ils en ont déjà voulu. Aujourd'hui, les Canadiens s'accordent à dire qu'on doit abroger l'article 745 du Code criminel pour rétablir la confiance de la population dans le système de justice, un système qui vise à assurer la sécurité des citoyens, un système qui protège le droit à la sécurité de la personne prévu dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Le gouvernement a essayé de donner aux familles des victimes une place dans l'examen prévu à l'article 745 en y incluant des dispositions permettant la lecture de déclarations des victimes à l'audience. Toutefois, même de telles dispositions ne garantissent pas que l'aversion de la société à l'égard du crime commis sera prise en considération à ce moment-là. Dans l'affaire Swietlinski, la Cour suprême du Canada a dit que les tribunaux devaient être prudents en admettant ces déclarations parce qu'elles tendent à attirer l'attention du jury sur les victimes et les expériences qu'elles ont vécues il y a quinze ans et invitent le jury à évaluer la pertinence de la peine imposée à l'origine du point de vue du châtiment et de la renonciation, ce qui n'est pas le but des audiences prévues à l'article 745.

À mon avis, honorables sénateurs, l'article 745 est une reprise de la détermination de la peine. En présentant une demande, le détenu cherche à faire annuler une ordonnance judiciaire parfaitement valable. La possibilité de faire réexaminer la peine une fois le processus d'appel épuisé n'existe pour aucun autre crime à part le meurtre et la trahison. Les gens qui ont droit à un examen en vertu de l'article 745 sont ceux qui ont commis les crimes les plus violents et les plus répugnants au Canada. Ces personnes devraient-elles bénéficier d'une telle disposition?La réduction de la période d'inadmissibilité à lalibération conditionnelle lors d'une audience prévue àl'article 745 nécessite l'accord de seulement deux tiers du jury. Les gens comme Paul Bernardo, Allen Leger, Clifford Olson, Larry Sheldon, Norman Clairmont, Charles Simard et Gerald Chase devraient-ils bénéficier de conditions plus souples et plus indulgentes en ce qui concerne le jury? Je ne le crois pas.

Par ailleurs, les rapports sur l'admissibilité à la libération conditionnelle sont préparés par le personnel du Service correctionnel du Canada, ce qui a soulevé certaines préoccupations quant à l'impartialité de cet organisme. On pourrait soutenir que ces examens judiciaires sont une mesure de son propre succès.

Honorables sénateurs, deux avocats principaux de la Couronne décrivent l'examen judiciaire de la façon suivante:

Les demandes d'examen de l'admissibilité à la libération conditionnelle prennent du temps, sont longues, et n'ont aucun caractère légal, philosophique ou social. Il n'y a pas de règles et, s'il y en a, elles sont étrangères, il s'agit de ouï-dire, les faits sont douteux, le dépôt de documents est permis, les procédures ne sont pas respectées, et c'est tout à fait frustrant.

Les opposants au projet de loi prétendent que cette disposition devrait demeurer car elle ne détermine pas la question de savoir si un détenu sera mis ou non en liberté conditionnelle. Le jury seul décide si le délai préalable à la libération conditionnelle sera réduit ou non. Toutefois, selon Martin Davenport, du Service correctionnel du Canada, 1 494 demandes de libération conditionnelle totale ont été présentées depuis 1976 par des détenus pour meurtre au premier degré et pour meurtre au deuxième degré. Sur ce nombre, 464 ont fait l'objet d'une décision favorable. Cela semble indiquer que les peines à perpétuité ne sont pas de 25 ans au minimum, ainsi qu'on l'avait promis au public.

Une peine à perpétuité doit-elle être considérée de 15 ans en cas de bon comportement? Les Canadiens estiment que la peine pour meurtre devrait être de 25 ans - et non de 15 ans sur demande. Quand un meurtrier est condamné à perpétuité, c'est à perpétuité et non pas à moins. Au Canada, tout individu reconnu coupable d'un meurtre au premier degré ou au deuxième degré devrait être tenu par la loi de purger un minimum de 25 ans de prison et ne devrait pas être libéré un jour plus tôt.

Je demande aux honorables sénateurs d'appuyer l'abrogation de l'article 745 en adoptant ce projet de loi.

(Sur la motion du sénateur Wood, au nom du sénateurSt. Germain, le débat est ajourné.)

La Loi électorale du Canada

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Nicholas W. Taylor propose: Que le projet deloi C-243, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (remboursement des dépenses d'élection), soit lu une deuxième fois.

-Honorables sénateurs, j'ai un privilège assez inhabituel aujourd'hui, étant donné que je parraine un projet de loi qui a été présenté à l'autre endroit par un député réformiste. Je pense que c'est la première fois que cela se produit dans l'histoire de cette auguste institution. Il est intéressant de noter que le 15 mai, ce projet de loi, présenté par le député d'Edmonton-Sud-Ouest, a reçu l'appui unanime des députés. Ce projet de loi est l'un des quatre projets de loi d'initiative parlementaire adoptés par la35e législature. Deux étaient parrainés par des députés libéraux, le troisième par un député néo-démocrate et le dernier par M. Ian McClelland, du Parti réformiste.

En vertu de ce projet de loi, les partis politiques enregistrés n'auront plus droit à un remboursement de leurs dépenses d'élection indépendamment de leur appui électoral. Avant l'adoption de cette mesure législative, un parti politique avait droit à ce remboursement s'il avait dépensé au moins 10 p. 100 de la limite prévue par la Loi électorale. Maintenant, les partis politiques ne seront remboursés qu'en fonction du soutien électoral plutôt que de leur capacité de dépenser, ce qui était une anomalie de l'ancienne loi.

La modification à la Loi électorale du Canada ne touche pas le remboursement des dépenses des candidats. Dans ce cas, la situation reste la même. Il faut avoir obtenu au moins 15 p. 100 des votes valides pour être admissible au remboursement.

La mesure législative semble venir à point étant donné que des élections fédérales pourraient se produire dans les 12 ou18 prochains mois. Lors des élections générales de 1993, en l'absence des limites prévues par le projet de loi C-243, deux partis politiques n'ayant obtenu qu'un appui public négligeable ont néanmoins reçu des remboursements de dépenses. Selon les renseignements fournis par Élections Canada, le Parti de la loi naturelle, dont l'élément essentiel de la plate-forme électorale était le recours aux yogis volants, a reçu 712 722 $, c'est-à-dire pratiquement trois quarts de million, en remboursement de dépenses électorales, alors qu'il n'a obtenu que 0,6 p. 100 des suffrages exprimés. Le Parti national du Canada, qui a été dissout environ un an après les élections de 1993, a reçu 470 855 $, presqu'un demi-million, en remboursement de dépenses, alors qu'il a obtenu 1,4 p. 100 des suffrages.

Étant donné que chaque candidat doit recueillir au moins15 p. 100 des suffrages exprimés pour avoir droit à un remboursement, il semblerait raisonnable qu'on fixe à un certain minimum la faveur dont doit jouir un parti auprès des électeurs pour se faire rembourser ses dépenses d'élection.

Il semblerait que le programme politique du Parti national du Canada n'ait pas beaucoup plu aux électeurs. Ce n'en était pas moins un programme politique. Les sénateurs d'en face en conviendront. Par contre, le Parti de la loi naturelle a été un sujet de préoccupation pour de nombreux candidats appartenant aux autres partis car il semblait avoir des liens très étroits avec des cours de méditation transcendantale. Il n'y a bien sûr rien de mal à offrir de tels cours au public, mais le public ne devrait pas financer les activités promotionnelles en faveur de tels cours, et ce dans le cadre d'une campagne électorale. Si le public avait considéré que c'était un objectif électoral valable, cela se serait traduit, j'en suis sûr, par un peu plus de 0,6 p. 100 des suffrages.

Je suis d'accord avec le député d'Edmonton-Sud-Ouest qui a déclaré, en septembre, devant le comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre qui a étudié ce projet de loi:

À mon avis, le contribuable canadien a finalement subventionné une campagne publicitaire pour la promotion d'un style de vie contemplatif et de cours payants en techniques de méditation au lieu des activités d'un parti politique offrant des solutions socio-économiques de rechange.

Tout le monde sait que j'appuie depuis longtemps les points de vue politiques du Parti libéral. Je remarque avec fierté l'ampleur de l'appui libéral à l'égard de l'initiative législative du député d'Edmonton-Sud-Ouest. Un tel appui illustre bien comment l'autre endroit peut fonctionner dans le meilleur intérêt de tous les Canadiens au lieu de procéder à des débats qui, comme c'est souvent le cas, dégénèrent en vifs échanges où règne la partialité et où le meilleur intérêt des Canadiens est souvent oublié.

Les libéraux de l'autre endroit ont appuyé cette initiative pour trois raisons principales: les restrictions financières, l'équité du système électoral et l'élaboration complète et détaillée de ce projet de loi durant son étude en cette Chambre.

Honorables sénateurs, l'impressionnante armée des conservateurs de l'autre endroit a appuyé la motion à l'unanimité.

Pour ce qui est des compressions financières, les députés reconnaissent qu'il faut s'assurer que nos maigres ressources ne soient pas investies dans des activités électorales qui ne reçoivent qu'un appui mitigé. On aurait pu éviter de rembourser des dépenses électorales de près de 1,2 million de dollars, après les élections de 1993, si cette mesure législative avait été en vigueur à l'époque.

Pour ce qui est de l'équité du système électoral, il faut s'assurer que le mode de financement des campagnes électorales ne restreint pas indûment l'éventail des choix pour les Canadiens. C'est pour cette raison que les électeurs sont favorables à l'imposition de plafonds assez bas en ce qui concerne le remboursement des dépenses électorales, à l'intérieur du parti. Un parti régional sans assises nationales d'envergure aura ainsi droit au remboursement de ses dépenses électorales s'il reçoit 5 p. 100 du vote populaire dans une circonscription donnée.

Honorables sénateurs, je veux ajouter que, même aux moments les plus durs, en Alberta, quand seules les règles du jeu me protégeaient, le parti que je dirigeais parvenait tout de même à obtenir un appui représentant 5 p. 100 des votes. Le même parti politique inscrit doit présenter des candidats dans au moins50 districts électoraux pour obtenir et conserver son inscription.

Le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes a dit de ce projet de loi qu'il établissait un bon équilibre entre deux éléments souvent conflictuels, soit les restrictions financières et l'équité du système électoral. Je suis d'accord avec ce sentiment. Personne ne propose d'interdire l'existence des partis politiques marginaux ou de leur refuser le droit de parole ou le droit de présenter des candidats lors d'événements électoraux. Chaque Canadien a le droit de se présenter devant les électeurs. Dans ce contexte, il faut imposer des restrictions financières de façon logique et juste.

En ce qui concerne l'examen complet et détaillé du projet de loi durant son étude à l'autre endroit, le projet de loi a rallié les députés de tous les partis en un consensus, surtout à cause de l'accueil favorable du député d'Edmonton-Sud-Ouest à l'égard des amendements à son projet de loi.

Le 15 mai 1996, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement dans l'autre endroit a déclaré:

Cela montre ce qui peut être accompli lorsque les députés travaillent en collaboration.

En appuyant le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui, le gouvernement prouve qu'il croit dans l'importance et la pertinence des projets de loi d'initiative parlementaire.

Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir écouté jusqu'à maintenant. Cette mesure est quelque chose qui s'est fait attendre très longtemps. Je suis à la disposition des honorables sénateurs qui ont des questions à ce sujet.

(Sur la motion du sénateur Bernston, le débat est ajourné.)

Agriculture et forêts

Autorisation au comité d'étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir des forêts

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Spivak, appuyé par l'honorable sénateur Simard:

Que le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir des forêts du Canada; et

Que le comité présente son rapport au plus tard le31 mars 1997-(L'honorable sénateur Taylor).

L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, à l'occasion de cette motion, je voudrais signaler que la première réunion de comité à laquelle il m'a été donné de prendre part après ma nomination au Sénat a été une réunion du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Après avoir prêté l'oreille pendant quelque temps et avoir jeté un coup d'oeil sur ce que le comité avait fait au cours de l'année écoulée, de l'année précédente et de l'année en cours, j'en suis venu à la conclusion qu'il n'avait jamais été question de forêts. Il semble qu'à l'époque, les secteurs de l'agriculture et des forêts étaient à couteaux tirés. On avait appris à bien des agriculteurs qu'un bon arbre, c'est un arbre abattu ou au loin, pour que la terre puisse être cultivée.

Assez curieusement, notre société sera probablement condamnée au cours des cinquante prochaines années à dépenser autant d'argent pour faire pousser des arbres et irriguer les terres que nous en avons dépensé ces cent dernières années pour abattre les arbres et assécher le sol. Que voilà une analogie assez intéressante sur la façon dont la civilisation fonctionne. C'est peut-être là une des raisons pour lesquelles la race humaine a subsisté si longtemps. Nous passons cent ans à faire quelque chose, puis les cent années suivantes à réparer ce que nous avons fait au cours du siècle précédent. Et la boucle est bouclée.

J'ai parlé avec l'honorable sénateur du Manitoba, le sénateur Spivak. Nous nous sommes découvert, pour ainsi dire, des liens de parenté. Une de nos devises préférées était: «Bûcheron, épargnez cet arbre.» Nous avons convenu que nous voulions tous deux faire quelque chose pour les forêts.

Peu de gens en sont conscients, mais il est intéressant de noter par exemple que la forêt boréale, qui tire son nom de l'aurore boréale, est la dernière grande zone forestière à part le bassin amazonien. Or, on est en train de dépeupler cette forêt à vive allure. En Alberta, par exemple, la zone réservée à la coupe destinée à la transformation en papier et en bois d'oeuvre couvre un territoire plus vaste qu'un pays comme la Suisse.

Quelque 35 p. 100 de la masse continentale du Canada est constituée de forêts, dont seulement 3 p. 100 sont des propriétés privées. Les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral ont beaucoup à faire pour protéger ces zones pour les générations futures.

Fait plus important encore, il ne suffit pas de reboiser. Ceux d'entre nous qui oeuvrons dans le secteur forestier ont pris conscience de deux faits importants. Premièrement, les arbres sont les poumons de la planète. Aujourd'hui, un peu partout dans le monde, on cherche à lutter contre la pollution en accordant des

subventions permettant de faire pousser des arbres qui ne sont pas destinés à être transformés en papier. Deuxièmement, les procédés biologiques et microbiologiques ainsi que toute la biodiversité des forêts - ce serait d'ailleurs le cas de nos herbes de prairie - ne peuvent pas se régénérer en l'espace de25 ou 30 ans comme les arbres. Autrement dit, une mûre réflexion s'impose, si nous ne voulons pas couper nos forêts à blanc et nous contenter de reboiser.

Il y a beaucoup plus que cela en jeu, notamment toute la question des nouveaux produits médicinaux et des produits médicinaux à découvrir. Les vaccins de demain pourraient fort bien venir tout droit de quelque ancien peuplement. Il ne s'agit pas simplement de reboiser, mais de conserver aussi certaines étendues de forêt presque à l'état primitif. Certaines des microbactéries que l'on peut trouver en forêt aujourd'hui sont le fruit de 100 ou de 200 ans d'évolution.

Le sénateur Spivak a déjà abordé ce sujet - en fait, nous y avons travaillé ensemble - mais je tiens à bien faire comprendre aux honorables sénateurs, dans le peu de temps qui m'est imparti, que là où il serait le plus utile que nous investissions temps et argent dans l'avenir est dans l'examen de ce qu'il convient de faire de nos forêts.

(La motion est adoptée.)

Affaires sociales, sciences et technologie

Projet de loi sur l'assurance-emploi-Autorisation au comité de voyager au cours de son étude-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Simard, appuyée par l'honorable sénateur Kinsella:

Qu'une instruction soit donnée au comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour qu'il s'ajourne de temps à autre et d'une ville à l'autre lorsqu'il entreprendra son étude du projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada- (L'honorable sénateur Kinsella).

L'honorable Orville H. Phillips: Honorables sénateurs, j'appuie la motion du sénateur Simard avec une certaine inquiétude et le sentiment que cette motion constitue un effort futile. Néanmoins, je tenterai d'en appeler aux sénateurs, surtout ceux du Québec et de la région de l'Atlantique.

Je me rappelle, comme bien des sénateurs d'en face, j'en suis sûr, qu'en 1989 les sénateurs libéraux ne pouvaient pas examiner des amendements en toute justice sans se rendre dans la région de l'Atlantique. Ils l'ont fait et ont dit en avoir tiré un grand profit.

Je ne comprends pas pourquoi il ne serait pas avantageux de le faire dans ce cas-ci. Qu'est-il arrivé entre 1989 et 1996 pour que ces voyages ne soient plus nécessaires? Les gens dans les Maritimes et au Québec ont de vives préoccupations, et je suis sûr que les honorables sénateurs voudraient les entendre.

Je vais commencer par en appeler au leader adjoint du gouvernement du Sénat.

Le sénateur Berntson: C'est un bon point de départ!

Le sénateur Phillips: Le leader adjoint du gouvernement au Sénat occupe un poste très influent. Je l'ai écouté pendant de nombreuses heures en cette Chambre lire de façon plutôt ennuyeuse les discours que lui a préparés le sénateur MacEachen sur des sujets aussi importants que les mineurs, le chômage et les problèmes des pêcheries dans la région de l'Atlantique.

L'honorable B. Alasdair Graham, leader adjoint du gouvernement: Quelle révélation, honorables sénateurs!

Le sénateur Phillips: Sénateur Graham, vous savez sûrement qu'il existe aujourd'hui un problème relativement aux mines de charbon du Cap-Breton où des emplois disparaissent.

Le sénateur Graham: C'est exact. Vous devriez assister à la réunion du comité ce soir, sénateur Phillips, pour en savoir plus à ce sujet.

Le sénateur Phillips: Le taux de chômage au Cap-Breton est actuellement très élevé. Le sénateur Graham voudra sûrement entendre des gens de la région. Il est sûrement le dernier à vouloir réduire les prestations d'assurance-chômage au Cap-Breton.

Par conséquent, honorables sénateurs, c'est avec beaucoup d'espoir que j'invite le sénateur Graham à appuyer cette motion et à rejeter le projet de loi C-12.

Je voudrais maintenant parler de deux sénateurs libéraux de ma province. Il y a d'abord mon honorable ami, le sénateur Bonnell. Il a mené une longue et distinguée carrière à l'assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard avant d'arriver au Sénat. Il se targue, avec quelque justification d'ailleurs, d'avoir toujours combattu les mesures législatives qui risquaient d'oppresser la personne pauvre, handicapée ou assistée sociale.

D'après les déclarations qu'il a faites, je sais que le sénateur Bonnell, de l'Île-du-Prince-Édouard, s'oppose à ce projet de loi. Je voudrais qu'il se prononce comme nous sur cette motion. Je m'attends ce qu'il vote avec les sénateurs de ce côté-ci.

Quant au sénateur Anderson, elle s'intéresse beaucoup aux agriculteurs de l'Île-du-Prince-Édouard, en particulier grâce à l'association de son frère avec l'industrie de la pomme de terre. Elle sait les difficultés que cette mesure peut causer aux ouvriers agricoles. Je suis certain qu'elle voudrait que nous entendions ce groupe d'ouvriers. Ces derniers aimeraient bien expliquer leurs difficultés aux sénateurs et, par ailleurs, l'honorable sénateur tirerait avantage de leurs témoignages.

J'en viens maintenant au Nouveau-Brunswick. Je regrette que le sénateur Robichaud, qui est un ancien premier ministre respecté de cette province, ne soit pas au Sénat. Il doit savoir que ses nombreux partisans au Nouveau-Brunswick comptent encore sur lui. Ceux-ci l'ont appuyé durant des années et je suis sûr qu'il ne va pas les laisser tomber maintenant.

Je suis heureux de voir que mon honorable collègue le sénateur Bryden écoute attentivement.

Le sénateur Bryden: Oui, je vous écoute.

Le sénateur Phillips: Il a longtemps été un organisateur libéral très efficace au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur DeWare: Il l'est encore.

Le sénateur Phillips: Il est devenu efficace en écoutant les gens. Ce me semble tout à fait logique qu'il veuille entendre les préoccupations des résidents du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Bryden: Je n'ai jamais écouté des personnes comme le sénateur Simard, de sorte que je ne peux pas être offusqué par leurs propos.

Le sénateur Phillips: Je suis sûr que l'honorable sénateur continuera de le faire pendant ce déplacement.

L'opposition à ce projet de loi au Nouveau-Brunswick, surtout dans le nord, est très répandue. En tant qu'ancien organisateur libéral au Nouveau-Brunswick, le sénateur Bryden connaît l'électorat de la circonscription du ministre Doug Young. Le sénateur Bryden voudra sûrement aller dans le nord de la province pour connaître les opinions des gens.

Le sénateur Bryden: Le ministre les a déjà entendus. Ils n'ont essentiellement plus rien à dire de neuf au gouvernement ni au ministre.

Le sénateur Phillips: D'après ce que j'ai vu à la télévision, le ministre ne leur parlait pas. Ils lui parlaient, mais il n'écoutait pas. Il les évitait. Je ne pense pas que le sénateur Bryden les évitera.

Le sénateur Bryden: C'étaient seulement des organisateurs rémunérés.

Le sénateur Phillips: Cela a dû coûter une fortune si les membres de cette foule au Nouveau-Brunswick étaient tous des organisateurs rémunérés.

J'aimerais maintenant m'adresser à mon bon ami, le sénateur Corbin, un ancien député, élu à la Chambre des communes à maintes reprises.

Le sénateur Simard: C'est un bon libéral lui aussi.

Le sénateur Phillips: Même lorsque la mer était houleuse et ballottait les libéraux, le sénateur Corbin a toujours réussi à remonter à la surface comme une bouée et à braver les intempéries.

Le sénateur Corbin: Ce genre de discours ne serait pas toléré dans mon parti.

Le sénateur Phillips: À maintes reprises, les gens ont fait confiance au sénateur Corbin. Il leur a donné raison. Trahira-t-il maintenant toute cette confiance? Va-t-il détruire sa réputation? Je lui demande seulement d'aller écouter les gens qui lui ont fait confiance. Plus tard, je lui parlerai du projet de loi.

Le sénateur Corbin: Je peux vous répondre tout de suite, si vous m'en laissez le loisir.

Le sénateur Phillips: Certainement. Mais si le sénateur veut prononcer un discours, qu'il attende que j'aie fini.

Le sénateur Corbin: Nous avons une députée qui fait de l'excellent travail et elle peut compter sur mon soutien.

Le sénateur Phillips: Oh! oh! Attendez que les gens du Nouveau-Brunswick apprennent cela.

Le sénateur Corbin: Ne vous en faites pas.

Le sénateur Phillips: Je ne m'en ferai pas pour cela, mais c'est le sénateur Corbin qui devrait peut-être s'en faire.

Le sénateur Landry est peut-être un nouveau venu au Sénat, mais il connaît bien les gens qui seront touchés par l'adoption de ce projet de loi. Pendant des années, il a honorablement gagné sa vie en achetant et en transformant le poisson. Il connaît à fond les répercussions que pourrait avoir ce projet de loi sur les travailleurs des usines à poisson et sur les pêcheurs, mais il n'y a aucun mal à lui rafraîchir la mémoire afin qu'il aide ces gens qui sont au désespoir. Si les personnes touchées croient avoir l'oreille de quelqu'un comme le sénateur Landry, qu'elles connaissent bien et qu'elles respectent, cela pourrait les encourager.

L'honorable John G. Bryden: J'invoque le Règlement, Votre Honneur. Étant donné que toute cette démarche s'adresse au Canada atlantique, je rappelle au sénateur Phillips que, dans notre fuseau horaire, il est déjà 17 h 58.

Le sénateur Phillips: Je veux parler brièvement du sénateur Stewart. C'est en quelque sorte un universitaire qui a toujours gardé ses racines néo-écossaises. J'ose espérer qu'il continuera de garder le contact en écoutant ce que disent les gens.

À mes collègues de Terre-Neuve, les sénateurs Petten et Lewis, je lancerai un appel spécial, car je sais qu'ils sont raisonnables et qu'ils partagent mes préoccupations. Comme le savent tous les sénateurs, Terre-Neuve a été particulièrement éprouvé par l'épuisement des stocks de morue. Ces deux sénateurs ont manifesté une grande inquiétude à ce sujet.

Voter contre cette motion et pour le projet de loi C-12 serait pour un libéral terre-neuvien comme souhaiter un ouragan pour un Floridien. Ce projet de loi sera aussi catastrophique que l'épuisement des stocks de morue. Je vous prie, honorables collègues, d'aller écouter ce que les Terre-Neuviens ont à dire.

Je vais dire quelques mots au sujet du sénateur Rompkey et j'en dirai beaucoup plus long demain. Je ne voudrais pas que le comité parte sans lui. À titre de membre du comité directeur, je sais qu'il voudra que le comité y aille. Il serait intéressant d'aller à Terre-Neuve avec le sénateur Rompkey et de voir ce que les Terre-Neuviens pensent de sa présentation du projet de loi dans cette Chambre.

Comme le sénateur Bryden surveille l'horloge, je vais devoir laisser de côté mes collègues du Québec, mais n'oublions pas qu'il n'y a pas que le Canada atlantique qui est dévasté par cette mesure catastrophique. Le Québec rural et Montréal seront également durement touchés.

Honorables sénateurs, je vous demande d'appuyer cette motion autorisant le comité à voyager. Si les honorables sénateurs d'en face pensent pouvoir éviter d'expliquer ce projet de loi, ils se trompent parce que nous sommes déterminés à exprimer nos préoccupations à la population. Les nombreux Canadiens pour qui ce projet de loi aura des conséquences néfastes ont les mêmes préoccupations que les honorables sénateurs de ce côté-ci. En fait, j'avoue que la plupart de nos préoccupations viennent des gens que nous avons écoutés.

Essayez d'écouter les gens, honorables sénateurs, et vous partagerez nos préoccupations, j'en suis sûr. Votez pour autoriser le comité à voyager. Nous nous occuperons du projet de loi lui-même à un autre moment.

L'honorable Brenda M. Robertson: Honorables sénateurs, je voudrais dire que j'appuie cette motion, qui autorise le comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie à se déplacer pour entendre le point de vue des Canadiens quand il commencera à étudier le projet de loi C-12. Je vais suivre mes notes de près parce que j'ai certains points à soulever et que je veux éviter les digressions pour ne pas perdre de temps.

L'idée de la consultation publique constitue en elle-même un dilemme: pourquoi consulter? Qui consulter? Où consulter? Et quoi faire pour donner suite aux consultations? Telles sont les questions fondamentales qui présentent des choix très difficiles à un organe législatif, même s'il s'agit d'un projet de loi qui n'est pas controversé.

Le principal problème, toutefois, c'est que le projet deloi C-12 n'est pas un simple projet de loi. Ce n'est pas un simple projet de loi de régie interne et il ne devrait pas être considéré comme tel. La plus faible interprétation qu'on puisse en faire, c'est qu'il s'agit d'un projet de loi modifiant en profondeur le régime d'assurance-chômage et sa gestion. C'est sur le sens des mots «modifiant en profondeur» la vie de milliers de Canadiens, et celle des habitants du Canada atlantique d'une façon disproportionnée, que le Sénat doit vraiment se pencher.

Même si la lettre de M. McKenna au premier ministre a été écrite avant la troisième lecture à l'autre endroit, elle décrit néanmoins les doutes et les sentiments que les Canadiens de l'Atlantique ont toujours à l'égard du projet de loi C-12. Je vais lire un extrait de la lettre du premier ministre McKenna, qui a été publiée dans le Telegraph Journal de Saint John.

À mon avis, la proposition présente des défauts graves. L'un de ces défauts, c'est qu'elle cible particulièrement le Canada atlantique et l'est du Québec et sera perçue de cette façon par la population. Pour la seule province du Nouveau-Brunswick, ces changements retireront environ 175 millions de dollars par année de notre économie. On peut presque dire que c'est désastreux.

Un autre partisan du gouvernement qui est au courant de ce que le public pense du projet de loi C-12 est le député Joe McGuire, de l'Île-du-Prince-Édouard. Il a dit au Journal Pioneer de Summerside, après la troisième lecture, que le projet de loi était loin d'être parfait, mais que des changements s'imposaient parce que l'ancien système comportait aussi des défauts graves. C'est possible, honorables sénateurs, mais je ne peux pas ne pas tenir compte de ces observations faites par deux partisans du gouvernement, deux hommes qui sont aussi près de la population. À mon avis, il faut accorder beaucoup de poids à leurs paroles. Les paroles du premier ministre du Nouveau- Brunswick doivent avoir un poids considérable dans sa province.

Dans sa lettre au premier ministre du Canada, le premier ministre McKenna déclarait également que la mesure législative «suscitera énormément d'anxiété parmi nos citoyens». La réaction de la population à ce projet de loi, particulièrement dans notre province, a donné raison au premier ministre, et les honorables sénateurs ont maintenant la possibilité de dissiper les craintes de la population.

Au cours de mes années au service du public, j'ai appris que le meilleur moyen de calmer l'anxiété des citoyens consistait à discuter ouvertement des questions suscitant des craintes. Pour ce faire, il faut donner la parole aux citoyens, les écouter et leur donner l'assurance que rien ne leur sera imposé et qu'il sera tenu compte de leurs vues.

Honorables sénateurs, si j'ai une critique à formuler au sujet de la façon dont on s'y est pris à l'autre endroit pour examiner les changements proposés dans le projet de loi sur l'assurance- chômage - ou projet de loi sur l'assurance-emploi -, c'est que les consultations publiques du comité parlementaire se sont souvent faites, dans le cas des personnes et des organisations vivant dans les régions, sous forme de conférences vidéos. Les témoins ne pouvaient comparaître en personne devant le comité qu'après avoir présenté une demande au comité et sur invitation de ce dernier.

De plus, un certain nombre de personnes m'ont exprimé de sérieuses réserves au sujet de cette façon de faire, car, bien que de nombreuses personnes du Canada Atlantique aient demandé à comparaître, un nombre très restreint d'entre elles ont été invitées. Cette situation a donné l'impression que le comité laissait de côté les demandes d'audition des groupes et personnes les plus opposés au projet de loi, préférant inviter à comparaître ceux qui s'y opposaient le moins.

Je crois que cette manière d'agir est tout à fait inacceptable. Elle donne l'impression que quelque chose se trame ou qu'on veut à tout prix faire adopter la mesure proposée. Les protestations qui s'ensuivent restent la seule forme de communication et d'expression politique possible, ce qui contribue à miner le respect et le soutien de la population pour les institutions gouvernementales.

C'est pourquoi j'appuie la position du comité des citoyens de la coalition du Nouveau-Brunswick au sujet des audiences publiques. Le comité a tenu trois audiences publiques au Nouveau-Brunswick, le mois dernier. Son rapport final comporte un résumé des 33 exposés présentés par des particuliers et des organisations lors de ces audiences. Je cite ce rapport sommaire sur ses audiences.

Le comité déplore et dénonce le processus que le gouvernement a choisi pour entendre les doléances des particuliers et des groupes sur le projet de loi C-12.

Le comité des citoyens a dit également:

Les 33 mémoires déplorent également que le comité parlementaire ait choisi une méthode de vidéo-conférences plutôt que des rencontres face à face. Ils déplorent aussi que seuls ceux qui ont été convoqués puissent être entendus.

Honorables sénateurs, c'est cette censure publique bien méritée qui influence ma façon de penser, quand je réfléchis aux arguments contradictoires sur la bonne manière de faire des consultations publiques concernant le projet de loi C-12. Je me suis déjà astreinte à cet exercice, comme l'ont fait le sénateur Simard et d'autres de nos collègues. Je crois me souvenir que le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-21 avait déterminé le nombre de personnes que nous devions entendre. C'est là-dessus qu'on s'est fondé pour fixer l'horaire des audiences et pour décider si nous devions nous déplacer. Cette façon de faire paraissait tout à fait sensée à l'époque.

Ce qui paraît particulièrement étrange dans le contexte présent, c'est que le comité du Sénat ait décidé de ne pas se déplacer et ce, bien avant d'avoir reçu le projet de loi et d'avoir la moindre idée du nombre de personnes et d'organisations qui souhaitaient s'exprimer. En fait, le comité n'a même pas émis d'avis informant les Canadiens que des audiences publiques auraient lieu. D'après ce que je peux voir, tout ce que le Sénat a fait a été d'envoyer un communiqué de presse que très peu de rédacteurs en chef de journaux qui se respectent ont pris la peine de publier, parce que ce n'était pas une grosse nouvelle.

C'est comme s'il n'y avait pas d'audiences publiques. Honorables sénateurs, je soupçonne que c'est exactement ce que voulaient les sénateurs du côté du gouvernement - faire adopter le projet de loi aussi vite que possible avec un minimum de complications. C'est la seule conclusion que je puisse en tirer.

Là encore, pour replacer cela dans un contexte, la décision de ne pas se déplacer et de ne pas faire de publicité est une volte-face incroyable de la part des membres du parti au pouvoir. Je me souviens qu'en 1989, lors des discussions en comité sur les modestes changements à la mesure législative sur l'assurance-chômage, le sénateur Cools disait:

[...] nous devrions envisager sérieusement de nous déplacer. Je pense que le comité devrait être transparent et que nous devrions envisager très sérieusement la possibilité de, comme le décrivait un témoin de la région de l'Atlantique, voir de quoi ces gens ont l'air.

Sur la question de la publicité, le sénateur Cools disait:

[...] nous devrions faire passer quelques annonces et déterminer combien de personnes dans le pays seraient intéressées à se présenter comme témoins si elles étaient au courant de l'existence de ce comité. Par conséquent, je pense que nous devrions aller de l'avant et essayer cela.

Il me semble que, lorsque l'on s'interroge sur cette question des consultations publiques, et que l'on se demande jusqu'où aller, on devrait s'en remettre à l'expérience passée. En ce sens, le projet de loi C-21 est instructif. Bien que ce projet de loi n'ait pas apporté de modifications profondes, pour autant de personnes, que le projet de loi C-12, j'appuie l'argument du sénateur Simard et je dis que, au moins, le projet de loi sur l'assurance-emploi devrait recevoir la même considération prudente et sérieuse que le projet de loi C-21.

J'invite tous les sénateurs à s'interroger sérieusement sur les modifications profondes au programme d'assurance-chômage et à la façon dont il sera administré; à s'interroger sérieusement sur les conséquences économiques qu'il aura pour les économies les plus faibles du pays, et qui ont été décrites par le premier ministre du Nouveau-Brunswick comme presque dévastatrices. Je les incite à s'interroger sur l'anxiété qui va en résulter pour nos citoyens et sur les mesures que le Sénat pourrait adopter pour réduire cette anxiété tout en améliorant le respect et l'appui publics pour le Parlement; et à penser enfin au rôle que le Sénat pourrait jouer pour connaître ces personnes, celles qui seront particulièrement touchées par les modifications au programme d'assurance-chômage. Je prétends respectueusement que c'est à la suite d'une étude sérieuse de ces questions que les honorables sénateurs d'en face pourront arriver à une approche rationnelle de la question des déplacements au sujet du projet de loi C-12.

Honorables sénateurs, je désire m'associer au motionnaire et inviter le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie à reconsidérer sa décision de ne pas se déplacer et de ne pas faire de publicité au sujet de son mandat d'étude des dispositions du projet de loi C-12. Je peux vous garantir que si le comité ne se déplace pas, le sénateur Phillips et d'autres vont le faire.

(Sur la motion du sénateur Rompkey, le débat est ajourné.)

(Le Sénat s'ajourne à demain, à 14 heures.)


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