Page d'accueil English version
 

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 27

Le jeudi 6 juin 1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 6 juin 1996

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le Canada se souvient

Cinquante-deuxième anniversaire du jour J

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je suis sûre que nous nous souvenons tous de l'un des moments les plus importants de l'histoire de notre pays, et peut-être du monde, le 6 juin 1944, le jour J.

Nous nous souvenons aujourd'hui non seulement de la victoire que nous avons remportée il y a 52 ans, mais de ce que nous avons aussi perdu ce jour-là. Au moment où la population canadienne apprenait que le débarquement avait eu lieu, plus de 359 Canadiens avaient déjà trouvé la mort sur les plages et dans les champs de Normandie et plus de 700 autres y étaient blessés. L'histoire nous apprend cependant que les 15 000 soldats canadiens et plus qui ont débarqué sur la plage Juno en ce jour de 1944 ont atteint l'objectif qu'ils s'étaient fixé.

Il est impossible de rendre suffisamment hommage au courage et au patriotisme de ces jeunes Canadiens qui ont combattu pour la liberté et la tolérance, des valeurs qui nous sont chères aujourd'hui et qui ont rendu le mot Canada synonyme de gardien de la paix.

Comme je le disais il y a deux ans, la meilleure façon pour nous de rendre hommage aux héros canadiens tombés est de continuer d'enseigner l'histoire aux jeunes Canadiens, l'histoire de notre pays et de ses défenseurs, et de leur rappeler que de jeunes Canadiens ont combattu et ont donné leur vie pour préserver la liberté du Canada. Les jeunes doivent connaître et comprendre la puissance d'un tel engagement.

Il y a deux ans, le jour anniversaire, le premier ministre Chrétien déclarait, sur les plages de Normandie, que notre jeune nation avait atteint la maturité pendant les événements du jour J et qu'il nous appartenait de conserver un pays uni d'un océan à l'autre.

Ce n'est qu'en comprenant les efforts fournis ce jour-là, les guerres et leurs dures réalités auxquelles notre pays a participé et les sacrifices du passé que nous pourrons préserver la liberté, l'unité et l'indépendance du Canada.

L'honorable Orville H. Phillips: Honorables sénateurs, je voudrais m'associer aux remarques de madame le leader du gouvernement et rappeler avec elle ce jour très spécial dans l'histoire canadienne.

Nous qualifions ce jour de «très spécial», mais nous devrions aussi dire «très tragique» et espérer que le Canada en tant que nation n'aura jamais à vivre une telle expérience.

En des jours comme celui-ci, nombre de gens se souviennent non seulement des êtres chers qu'ils ont perdus dans l'invasion de l'Europe, mais aussi de leurs amis. Je pense à certains de mes camarades scouts qui n'ont pas survécu au débarquement ce jour-là. Je pense aux aviateurs que j'avais entraînés et dont l'avion a été abattu ce jour-là. Il est malheureux que, à mesure que le temps passe, nous ayons tendance à oublier nos obligations envers eux et peut-être même à les oublier eux aussi.

Je me souviens d'avoir assisté en Hollande à une cérémonie marquant le 25e anniversaire de la fin de la guerre. Lors de cette cérémonie, qui se tenait dans le Grande Salle des Chevaliers, une poète, lauréate d'un prix en Hollande, a lu un poème. Elle disait dans son poème, je m'en souviendrai toujours:

Chaque fois que ton souvenir me revient, ton visage se fait de plus en plus flou.

Honorables sénateurs, c'est une chose que nous devons éviter. Nous ne devons pas oublier ce jour et nous ne devons pas oublier ceux qui y ont pris part. Nous ne devons pas permettre que leur visage ou leur mémoire se fasse plus flou avec le temps.

J'espère qu'un jour, une plus longue page de notre histoire sera consacrée à des faits comme celui-ci et que les faits seront relatés tels qu'ils se sont passés en réalité, et non comme ils ont été présentés dans un film préparé pour l'Office national du film ou autre chose du genre. L'histoire devrait refléter la vérité, elle devrait refléter les souffrances qu'entraînent des jours comme celui que nous commémorons.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Transports et communications

Avis de motion autorisant le comité
à siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, je donne avis qu'à la prochaine séance du Sénat, je proposerai:

Que le comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à siéger à 15 h 30 les mardis et mercredis pendant son étude du projet de loi C-20, Loi concernant la commercialisation des services de navigation aérienne civile, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

[Traduction]

Le Budget des dépenses de 1995-1996

Avis de motion renvoyant au Comité des finances nationales les documents relatifs au budget reçus au cours de la dernière session

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, je donne avis que mardi prochain, le 11 juin 1996, je proposerai:

Que les documents reçus et les témoignages entendus par le comité sénatorial permanent des finances nationales au cours de son étude du Budget des dépenses 1995-1996, lors de la première session de la trente-cinquième législature, lui soient déférés.

Affaires sociales, sciences et technologie

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Mabel DeWare, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement, propose:

Que le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à siéger à 20 heures, le 10 juin 1996, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

La Monnaie royale canadienne

L'attribution d'un marché à une entreprise américaine pour frapper une pièce de monnaie canadienne-La position du gouvernement

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, ma question s'adresse à madame le leader du gouvernement au Sénat. J'ai été stupéfait hier soir d'apprendre au bulletin de nouvelles The National que le gouvernement libéral avait attribué un marché pour la frappe de la pièce canadienne d'un cent à une entreprise américaine. Ce marché vaut environ 10 millions de dollars. Je suis désolé d'en parler ici, mais je suis sûr qu'on me posera beaucoup de questions à ce sujet quand je retournerai chez moi, en fin de semaine. J'aimerais que la ministre nous offre des explications.

La ministre croit-elle approprié de faire frapper nos pièces d'un cent dans un pays étranger? Deuxièmement, que fera-t-elle au sujet de ce marché révoltant?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, la première chose que je ferai sera de demander à mes collègues quelles sont les circonstances qui les ont amenés à prendre cette décision. Pour être franche, je ne connais pas les détails de ce dossier, mais je les découvrirai.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, puisque la ministre posera des questions à ses collègues et si ce marché a bel et bien été conclu, je veux lui demander de leur rappeler qu'on a souvent dit du gouvernement précédent qu'il était passablement copain avec les Américains. Si ce marché a bien été conclu, le concept des «trois amigos» prendrait des proportions qui n'auraient plus rien de comparable avec l'attitude copain-copain du précédent gouvernement.

Où cela s'arrêtera-t-il, honorables sénateurs? Nous avons confié l'image de la police montée au club Mickey-Mouse, et maintenant notre chère pièce d'un cent sera frappée par une entreprise américaine. Qu'est-ce que ce sera la prochaine fois? Le drapeau canadien?

Les pêches et les océans

Malpèque, dans l'Île-du-Prince-Édouard-Le fonds d'urgence destiné à aider les pêcheurs de homard-La demande de réponse

L'honorable M. Lorne Bonnell: Honorables sénateurs, il y a environ deux semaines, le sénateur Phillips et moi-même avons demandé ce que le gouvernement fédéral comptait faire au sujet des dunes de sable dans le port de Malpèque. Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle nous donner quelque information qui réconforterait les pêcheurs de l'Île-du-Prince-Édouard?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, mes collègues de la Chambre m'ont avisé que le ministère des Pêches et des Océans avait approuvé le financement nécessaire pour procéder au dragage du bassin Darnley. Les travaux doivent commencer dès que les permis auront été émis. Une fois les travaux de dragage terminés, les pêcheurs de la région auront accès au port en toute sécurité pendant tout le reste de la saison.

Le programme canadien de prêts aux étudiants

La réduction des prêts aux étudiants québécois qui font des études hors de la province-La position du gouvernement

L'honorable M. Lorne Bonnell: Honorables sénateurs, j'ai une autre question à poser au leader du gouvernement au Sénat. Le gouvernement du Québec a décidé que, à compter de l'automne 1997, les étudiants de cette province qui choisissent d'étudier en anglais à l'extérieur de la province ne seraient plus admissibles aux prêts aux étudiants. À quelques exceptions près, la province de Québec n'offrira plus d'aide financière qu'aux étudiants dans le besoin qui étudieront soit au Québec, soit en français à l'extérieur du Québec.

Cette politique semble violer le principe du Programme canadien de prêts aux étudiants. Bien que le Québec se soit retiré du programme il y a plus de 30 ans, il a reçu - et reçoit toujours - une indemnisation du gouvernement fédéral pour réaliser son propre programme d'aide aux étudiants.

La question que je pose au leader du gouvernement, au nom des étudiants du Québec et du Canada, est la suivante: que fait le gouvernement du Canada pour veiller à ce que soient respectés les droits à la mobilité des étudiants du Québec? Que fera-t-il pour veiller à ce que ces étudiants reçoivent les fonds du gouvernement fédéral qui sont censés leur permettre de fréquenter les universités ou les collèges canadiens de leur choix?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, mon collègue a raison de dire que la province de Québec a choisi de ne plus participer au Programme canadien de prêts aux étudiants en 1964. Cependant, elle reçoit une indemnisation du gouvernement du Canada pour réaliser son propre programme d'aide aux étudiants. En vertu du Programme canadien de prêts aux étudiants, l'indemnisation accordée à une province non participante est versée à condition que le programme provincial produise sensiblement les mêmes résultats que le programme national.

Le gouvernement du Canada encourage et favorise la mobilité des étudiants, que ce soit au Québec ou ailleurs au Canada. Le gouvernement examine actuellement cette situation et a demandé conseil au ministère de la Justice.

Les relations sino-canadiennes

Hong Kong-Sa rétrocession à la Chine en 1997-Les droits de la personne

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, on apprenait récemment que, en prévision de l'imminente prise de contrôle de Hong Kong par la Chine, le Canada avait un plan d'urgence pour évacuer entre 150 000 et 250 000 personnes en cas de troubles dans cette ville.

Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle confirmer que, en mettant ce plan au point, le gouvernement s'attend à ce que la Chine continue de violer les droits des individus, dont les citoyens de Hong Kong?

L'honorable Joyce Fairbairn (chef adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je vais devoir me renseigner sur les détails de tout plan du Canada à l'égard de Hong Kong. Par ailleurs, le gouvernement canadien est d'avis que la transition devrait se faire aussi pacifiquement et démocratiquement que possible. À l'instar du gouvernement, je me garderai de faire le genre de spéculations qu'évoque mon honorable collègue.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, dans sa recherche d'informations, madame le leader du gouvernement pourrait-elle aussi obtenir des renseignements pour expliquer au Sénat comment le gouvernement canadien a l'intention de traiter les immigrants et les réfugiés en provenance de Hong Kong après la prise de contrôle? Continueront-ils à entrer au Canada sans visa?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je vais me renseigner là-dessus à l'intention de mon honorable collègue.

Les affaires étrangères

Le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique-Le remplacement du directeur-Le maintien du budget-La position du gouvernement

L'honorable Noël A. Kinsella (leader suppléant de l'opposition): Honorables sénateurs, madame le leader du gouvernement au Sénat voudrait-elle se renseigner, si elle ne peut pas répondre tout de suite à la question, pour savoir si le gouvernement se conforme aux dispositions législatives qui régissent le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, surtout en ce qui concerne la procédure à suivre pour combler le poste de directeur de ce centre?

La ministre n'est pas sans savoir que le titulaire actuel, l'honorable Ed Broadbent, se retire et qu'il faut donc lui trouver un remplaçant. Les dispositions législatives prévoient que le conseil d'administration du centre doit être consulté avant toute nomination.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je serai heureuse de m'informer de tout cela à l'intention de mon honorable collègue et d'obtenir tout renseignement complémentaire sur les délais.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, j'ai une question complémentaire. Selon le communiqué qu'elle a publié aujourd'hui, l'Agence canadienne de développement international affecte 11,5 millions de dollars à un projet environnemental en Chine. La ministre pourrait-elle me dire si le budget du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, qui est établi à même les crédits accordés à l'ACDI, sera à la même hauteur que celui de l'an dernier et ne subira pas de réduction à la suite de la décision de l'ACDI d'affecter 11,5 millions de dollars à un projet réalisé en Chine, un pays dont le bilan sur le chapitre des droits de la personne, comme notre collègue, l'honorable sénateur Di Nino, ne cesse de nous le rappeler, est loin de répondre à nos attentes?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je vais me renseigner sur les questions que soulève mon honorable collègue.


ORDRE DU JOUR

Terre-Neuve

Les changements dans le système scolaire-La modification de la Constitution-La motion d'amendement-L'ajournement du débat

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement), conformément à l'avis du mardi 4 juin 1996, propose:

Attendu que l'article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la Constitution du Canada peut être modifiée par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque province concernée,

Le Sénat a résolu d'autoriser la modification de la Constitution du Canada par proclamation de Son Excellence le gouverneur général sous le grand sceau du Canada, en conformité avec l'annexe ci-jointe.

ANNEXE
MODIFICATION DE LA CONSTITUTION DU CANADA

1. La clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve avec le Canada figurant à l'annexe de la Loi sur Terre-Neuve est abrogée et remplacée par ce qui suit:

«17. En ce qui concerne la province de Terre-Neuve, le texte qui suit s'applique au lieu de l'article quatre-vingt-treize de la Loi constitutionnelle de 1867.

Dans la province de Terre-Neuve et pour ladite province, la Législature a le pouvoir exclusif d'édicter des lois sur l'enseignement, mais:

a) sauf dans la mesure prévue aux alinéas b) et c), sont confessionnelles les écoles dont la création, le maintien et le fonctionnement sont soutenus par les deniers publics; toute catégorie de personnes jouissant des droits prévus par la présente clause, dans sa version au 1er janvier 1995, conserve le droit d'assurer aux enfants qui y appartiennent l'enseignement religieux, l'exercice d'activités religieuses et la pratique de la religion à l'école; les droits des catégories de personnes qui se sont regroupées par un accord conclu en 1969 pour constituer un système unifié sont assimilés à ceux dont jouit une catégorie de personnes en application de la présente clause;

b) sous réserve du droit provincial d'application générale prévoyant les conditions de la création ou du fonctionnement des écoles:

(i) toute catégorie de personnes visée à l'alinéa a) a le droit de créer, maintenir et faire fonctionner une école soutenue par les deniers publics,

(ii) la Législature peut approuver la création, le maintien et le fonctionnement d'une école soutenue par les deniers publics, qu'elle soit confessionnelle ou non;

c) toute catégorie de personnes qui exerce le droit prévu au sous-alinéa b) (i) conserve le droit d'assurer l'enseignement religieux, l'exercice d'activités religieuses et la pratique de la religion à l'école ainsi que d'y régir les activités académiques touchant aux croyances religieuses, la politique d'admission des étudiants et l'affectation et le congédiement des professeurs;

d) les écoles visées aux alinéas a) et b) reçoivent leur part des deniers publics conformément aux barèmes fixés par la Législature sur une base exempte de différenciation injuste;

e) si elles le désirent, les catégories de personnes jouissant des droits prévus par la présente clause ont le droit d'élire une proportion d'au moins deux tiers des membres d'un conseil scolaire et une de ces catégories a le droit d'élire le nombre de membres de cette proportion qui correspond au pourcentage de la population qu'elle représente dans le territoire qui est du ressort du conseil.»

Citation

2. Titre de la présente modification: Modification constitutionnelle de année de la proclamation (Loi sur Terre-Neuve).

- Honorables sénateurs, nous commençons aujourd'hui à examiner une question qui ne se présente pas très souvent, à savoir une demande d'une province pour que le Parlement approuve une modification visant à changer une des conditions en vertu desquelles cette province est entrée dans la Confédération.

Le 31 octobre 1995, l'Assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador a adopté une résolution visant à modifier la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve et du Labrador avec le Canada. L'assemblée a ensuite adopté, le 23 mai dernier, une résolution unanime demandant respectueusement aux membres de la Chambre des communes et du Sénat d'examiner le projet de modification de la clause 17 dans les plus brefs délais et de trancher la question avant l'ajournement du Parlement pour l'été.

Honorables sénateurs, cette résolution a été adoptée par la Chambre des communes, lors de la tenue d'un vote à 170 voix contre 46, et elle nous a été transmise pour que nous l'étudiions. Le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a demandé cette modification pour réformer son système d'éducation. Le premier ministre du Canada, le très honorable Jean Chrétien, a assuré à l'ancien premier ministre Clyde Wells, dans une lettre remontant à janvier dernier, que le gouvernement fédéral « entend examiner la résolution de modification » et débattre la question avant l'ajournement du Parlement pour l'été, comme je l'ai mentionné à un certain nombre d'occasions au Sénat, en réponse aux questions de collègues d'en face.

Honorables sénateurs, il s'agit là d'une procédure bilatérale entre deux gouvernements. Le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador nous a demandé d'adopter, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, une résolution qui, pour employer le libellé du droit, prévoit que:

Les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement...

ne peuvent être modifiées que par proclamation du Gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque province concernée.

 

Il s'agit, honorables sénateurs, de la disposition en vertu de laquelle le Sénat a étudié et approuvé trois autres modifications bilatérales ces dernières années: une proposée en 1987 par Terre-Neuve et le Labrador au sujet de ladite clause 17 concernant les Assemblées de la Pentecôte, une proposée par le Nouveau-Brunswick en 1993 relativement à son statut en matière de langues officielles et une proposée par l'Île-du-Prince-Édouard en 1994 afin que la Constitution autorise la construction d'un pont permanent reliant cette île au continent.

La modification dont nous sommes saisis a reçu l'appui de tous les partis tant à la législature de Terre-Neuve et du Labrador qu'à la Chambre des communes. Le projet est également appuyé par la population de Terre-Neuve et du Labrador, comme en témoignent les résultats du référendum tenu en 1995, soit 55 p. 100 en faveur et 45 p. 100 contre.

Les nombreuses préoccupations soulevées, honorables sénateurs, non seulement au Parlement fédéral mais dans tout le pays, vont bien au-delà de la question de l'éducation. Certains craignent qu'il soit porté atteinte aux droits confessionnels et aux droits des minorités, et je suis sûre que d'autres sénateurs aborderont ces préoccupations sous des angles divers et différents.

Cela fait des générations qu'on discute de cette question. Depuis la publication, en 1992, du rapport de la Commission royale sur l'éducation, intitulé «Nos enfants, notre avenir», le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador cherche de façon active à mettre les recommandations en oeuvre. Ce qui nous intéresse surtout, ce sont les changements proposés à la protection actuellement fournie par la clause 17, qui dit ceci:

[...] la Législature -

... c'est-à-dire la législature de Terre-Neuve et du Labrador...

... n'aura pas le pouvoir d'adopter des lois portant atteinte aux droits ou privilèges que la loi, à la date de l'Union, conférait dans Terre-Neuve à une ou plusieurs catégories de personnes relativement aux écoles confessionnelles [...] à même les deniers publics de la province de Terre-Neuve affectés à l'enseignement.

a) toutes semblables écoles recevront leur part desdits deniers conformément aux barèmes établis à l'occasion par la Législature, sur une base exempte de différenciation injuste, pour les écoles fonctionnant alors sous l'autorité de la Législature.

Pour ne pas étendre les choses en longueur, honorables sénateurs, je ne vais pas lire la clause 17 actuelle dans son intégralité, mais simplement m'attarder aux aspects les plus pertinents.

Le système d'éducation de Terre-Neuve et du Labrador se fonde sur le système confessionnel de cette province, qui a vu le jour durant le premier quart du XVIIIe siècle. Ce sont les différentes autorités religieuses qui sont responsables de la création et du fonctionnement des écoles depuis ce temps. Essentiellement, chaque confession s'occupait des besoins en éducation de ses propres enfants. Le système confessionnel a donc évolué avec le temps et a fini par être reconnu dans de nombreuses lois donnant à chaque confession le droit de créer et de maintenir des écoles.

Lorsque Terre-Neuve est devenue une province canadienne en 1949, il a fallu préciser que la province avait compétence en matière d'éducation, comme cela avait été fait pour chacune des neuf autres provinces en tenant compte de leurs circonstances particulières. En raison des circonstances particulières qui leur sont propres, Terre-Neuve et le Labrador sont régis par la clause 17, tandis que les autres provinces sont régies par l'article 93.

La clause 17 garantit les droits de plusieurs groupes minoritaires qui forment ensemble plus de 95 p. 100 de la population de la province. Contrairement à ce qu'on voit dans les autres provinces, il n'y a pas de groupe confessionnel majoritaire à Terre-Neuve et au Labrador. C'est un facteur important par lequel cette province se distingue des autres provinces et dont il faut tenir compte dans l'étude du projet de modification et de la résolution dont nous sommes saisis.

La situation de Terre-Neuve et du Labrador est très différente de celle des autres provinces du fait de l'absence de groupe confessionnel majoritaire. Aucune autre province canadienne n'a que des écoles confessionnelles et pas d'écoles publiques.

Pour paraphraser ce que le ministre de la Justice a déclaré vendredi dernier, lorsqu'il a ouvert le débat sur cette question à l'autre endroit:

Pour pouvoir parler de précédent, il faudrait que les faits et les principes en cause soient les mêmes, et il serait très difficile de trouver un jour, dans une autre province, des principes et un contexte identiques à ceux-ci.

De plus, les deux Chambres du Parlement ont le droit et la responsabilité de porter un jugement indépendant sur le bien-fondé, si bien-fondé il y a, des projets de modification qui leur sont soumis et de décider s'il convient d'y donner suite.

Il ne faudrait pas croire qu'en donnant notre approbation à cette résolution, nous établirions une règle rigide à laquelle nous serions dorénavant tenus dans tous les cas. Les sénateurs continueront, comme ils l'ont fait jusqu'à présent, de se faire une opinion en fonction des faits et du bien-fondé de chaque cas.

Certains craignent que, en agissant de la sorte, le Parlement ne crée un précédent qui pourrait s'appliquer aux résultats d'un prochain référendum québécois. Je ferais remarquer à mes collègues que tout ce que nous ferons, à leur demande, pour aider Terre-Neuve et le Labrador à moderniser leur système d'éducation ne préjugera en rien d'un éventuel référendum sur l'éclatement de notre pays.

Des craintes ont également été exprimées au sujet des droits religieux. Or, la clause 17 enchâsse dans la Constitution les droits confessionnels ou religieux des anglicans, des presbytériens, des catholiques romains, de l'Armée du Salut, des adventistes du septième jour, de l'Église unie et des Assemblées de la Pentecôte. En 1969, les Églises anglicane, presbytérienne et unie ainsi que l'Armée du Salut se sont donné une voix commune en signant un document d'intégration. D'une façon générale, on reconnaît que ces droits permettent notamment le fonctionnement d'écoles séparées et de conseils scolaires pour chaque groupe confessionnel, la répartition du financement de la construction d'écoles selon le nombre de personnes appartenant à un groupe confessionnel, l'engagement d'enseignants fondé sur la religion et le financement non discriminatoire des coûts de fonctionnement. L'assemblée législative provinciale ne peut adopter une loi en matière d'éducation qui aurait pour effet de réduire les droits dont jouissent les Églises en vertu de la clause 17.

Depuis 1949, de temps à autre, le gouvernement et les Églises mettent à jour le système scolaire en procédant par consensus. Aujourd'hui, les écoles de Terre-Neuve et du Labrador bénéficient d'un financement et observent des normes du gouvernement, mais elles sont régies par des conseils composés de représentants des principales Églises de la province.

Ce sont les Églises qui ont été à l'origine du système d'éducation à Terre-Neuve et au Labrador, et l'enseignement y a été assuré pendant nombre d'années par le clergé et divers organismes de charité chapeautés par les Églises. Quand le gouvernement a commencé à s'intéresser à l'éducation, il est apparu naturel et bénéfique que les Églises continuent à assurer l'éducation avec l'aide financière et administrative du gouvernement, de manière à réaliser un partenariat qui avantage la population.

Si le Sénat est aujourd'hui saisi de la résolution, c'est que le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a conclu que le système actuel n'était plus viable, compte tenu de ses obligations envers sa population en matière d'éducation et d'économie. Depuis trois ans environ, il y a eu beaucoup de discussions entre le gouvernement et les diverses Églises, mais, jusqu'à maintenant, il n'y a eu aucun accord.

En conséquence, pour mettre en oeuvre les réformes visant à réduire les coûts du système d'éducation, y compris ceux de la construction et de la rénovation d'écoles, du transport scolaire, du chevauchement et du double emploi, ainsi que de l'amélioration de la qualité des services, l'Assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador a adopté cette résolution.

La modification aurait pour effet de remplacer la clause 17 existante par une nouvelle version. Cette nouvelle version, tout comme la précédente, prévoit que la province a le pouvoir exclusif d'édicter des lois sur l'enseignement, sous réserve des limites établies par elle-même.

L'un des changements fondamentaux apportés par la nouvelle clause 17 est la définition des «droits confessionnaux» dans la clause elle-même, plutôt que par renvoi à des droits ou privilèges existants et non précisés, qui réglementaient le système d'éducation tel qu'il existe depuis 1949.

La modification proposée établit la base d'un système d'écoles publiques dans lequel toutes les confessions qui ont actuellement des droits en vertu de la clause 17 continueront d'avoir le droit d'assurer l'enseignement religieux, l'exercice d'activités religieuses et la pratique de la religion à l'école. Toutefois, les écoles seront multiconfessionnelles plutôt qu'uniconfessionnelles. Il s'agit là du changement clé et il peut être expliqué par l'exemple qui suit.

À l'heure actuelle, trois enfants qui habitent la même rue et qui sont respectivement membres de l'Église Unie, de l'Église catholique romaine et de l'Église pentecôtiste fréquentent chacun une école confessionnelle distincte, étant donné qu'ils sont membres de confessions religieuses ayant des droits en vertu de l'actuelle clause 17, sous réserve de l'existence possible d'écoles intégrées dans certains secteurs. En vertu du nouveau système, lorsque le nombre le justifie, ces enfants fréquenteraient tous la même école et seraient assurés d'un enseignement religieux, d'activités religieuses et de la pratique de la religion en fonction de la confession à laquelle ils appartiennent.

En vertu du système actuel, les écoles confessionnelles sont pour la plupart contrôlées par l'Église à laquelle appartiennent les enfants. En vertu de la nouvelle clause 17, toute catégorie de personnes jouissant des droits prévus par cette clause, dans sa version au 1er janvier 1995, conservera le droit d'assurer aux enfants qui y appartiennent l'enseignement religieux, l'exercice d'activités religieuses et la pratique de la religion à l'école.

Ainsi, l'Église anglicane peut assurer aux enfants anglicans l'enseignement religieux, l'exercice d'activités religieuses et la pratique de la religion à l'école interconfessionnelle du quartier, et les mêmes droits existent pour les enfants appartenant aux autres confessions. Toutefois, aucune de ces catégories de personnes n'aura le droit de contrôler unilatéralement l'école dans la mesure où elles contrôlent actuellement leurs propres écoles uniconfessionnelles.

La modification préserve également le droit à des écoles uniconfessionnelles soutenues par les deniers publics pour les catégories de personnes jouissant des droits prévus à la clause 17 actuelle, là où le nombre le justifie, mais toujours à condition que les mêmes critères s'appliquent à toutes les écoles.

L'assemblée législative aura le pouvoir d'approuver la création, le maintien et le fonctionnement d'une école soutenue par les deniers publics, qu'elle soit confessionnelle ou non confessionnelle. Elle pourrait ainsi permettre la création d'une école non confessionnelle pour les sourds ou pour les autochtones.

Dans les écoles uniconfessionnelles, chaque catégorie de personnes aura le droit de régir les activités d'enseignement touchant aux croyances religieuses, la politique d'admission des élèves et l'affectation et le congédiement des professeurs. La modification prévoit également qu'il n'y aura pas de discrimination entre les différents genres d'écoles pour l'établissement de leur part des deniers publics.

Elle donne aux catégories confessionnelles le droit d'élire une proportion d'au moins deux tiers des membres d'un conseil scolaire. Ce total pourra être partagé entre les diverses catégories selon la proportion de la population que représente chacune de ces catégories dans le territoire qui est du ressort du conseil.

Les processus selon lesquels les droits confessionnels seront exercés au sein du conseil scolaire seront établis par voie législative. Les diverses confessions conserveront donc le droit de participer à la gestion scolaire.

J'ai surtout parlé jusqu'ici de ce que la modification proposée cherche à faire. Il importe cependant de noter également certaines des choses qu'elle ne fait pas.

Le gouvernement est convaincu que la modification n'a absolument aucune incidence sur les droits à l'enseignement dans la langue officielle minoritaire. Ces droits sont protégés par l'article 23 de la Charte, et rien dans la modification ne réduit cette protection.

L'honorable Lowell Murray: Plusieurs de ces droits peuvent être visés par des modifications bilatérales.

Le sénateur Fairbairn: Le gouvernement est persuadé que cela ne touche en rien aux droits des autochtones. Ces droits sont protégés par les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et rien, croit-on, dans cette modification, ne réduira cette protection.

Cette modification ne supprime pas l'enseignement religieux dans les écoles ni ne discrimine contre aucune confession minoritaire.

Si elle est adoptée, la résolution dont nous sommes ici saisis permettra à la province de Terre-Neuve et du Labrador de moderniser son système scolaire afin de satisfaire aux exigences des temps modernes tout en faisant que les enseignements moraux de l'Église demeurent une caractéristique fondamentale du système scolaire.

Honorables sénateurs, comme nous le savons tous ici, Terre-Neuve est une province riche à bien des égards. Du point de vue de l'histoire et de la culture, par exemple. Par d'autres côtés, toutefois, soit au plan économique, c'est la plus pauvre des provinces canadiennes. Depuis des générations, les Canadiens de Terre-Neuve et du Labrador comptent sur la pêche pour faire vivre leur famille et faire prospérer leur collectivité.

Le sénateur Doody: Ils ont aussi compté pour cela sur le gouvernement fédéral.

Le sénateur Fairbairn: Tout le monde ici connaît la situation critique et triste dans laquelle se trouve le secteur des pêches de Terre-Neuve et du Labrador. Toutefois, il faut manifestement trouver des solutions de rechange pour les Terre-Neuviens d'aujourd'hui et de demain. Cela signifie que l'on comptera de plus en plus non seulement sur l'instruction de base, mais sur l'acquisition des nouvelles compétences, des connaissances et de l'adaptabilité qu'exigent nos marchés et nos milieux de travail en mutation rapide.

Les enfants de Terre-Neuve et du Labrador doivent avoir les mêmes possibilités que les autres enfants canadiens de développer leur plein potentiel. Cet impératif est au coeur de la résolution.

Honorables sénateurs, le gouvernement prend très au sérieux le rôle qu'il a à jouer dans la modification de la Constitution. Dans ce cas-ci, il a bien évalué la modification proposée et en est arrivé à la conclusion qu'elle mérite en soi d'être adoptée.

Des sénateurs des deux côtés ont exprimé l'opinion que la résolution proposée soit renvoyée à un comité. Au nom du gouvernement, j'appuierais une motion visant à renvoyer cette résolution au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles afin que les intéressés aient l'occasion d'exprimer leurs vues devant le Parlement. J'appuierais une telle motion, honorables sénateurs, car les sénateurs seraient alors aussi mieux en mesure de juger des mérites de cette résolution lorsqu'elle fera l'objet d'un vote définitif.

Je crois que la modification de la clause 17 mérite l'appui du Sénat. Je suis persuadée que cela ressortira de quelque audience qu'on pourra tenir.

L'honorable C. William Doody: Honorables sénateurs, j'ai écouté avec intérêt et attention les observations qu'a faites ma collègue, madame le leader du gouvernement au Sénat, dans le cadre de ce débat. Généralement, je respecte ses opinions et ses idées.

D'entrée de jeu, je suis toutefois indigné par le fait qu'elle nous demande d'accorder aux petits Terre-Neuviens les mêmes possibilités qu'aux autres enfants canadiens dans le domaine de l'éducation. Je trouve cela offensant. Je ne crois pas que cela soit justifié. Les enfants de Terre-Neuve ont été bien traités par le système d'éducation. Il y a des parlementaires ici et à l'autre endroit, des personnes de partout au Canada qui ont obtenu leur diplôme dans le cadre du système d'éducation de Terre-Neuve et qui ont été la fierté de notre pays depuis que Terre-Neuve a adhéré à la fédération canadienne, en 1949.

À mon avis, il n'est pas nécessaire que quelqu'un d'une autre région canadienne pontifie au sujet de la qualité de l'enseignement dispensé aux enfants de Terre-Neuve. Les parents ne se plaignent pas de la qualité de l'enseignement offert aux enfants de Terre-Neuve aux représentants des conseils scolaires avec lesquels je me suis entretenu ces derniers mois. Apparemment, ils sont non seulement satisfaits du système, mais aussi plutôt consternés par les mesures qui semblent avoir été prises unilatéralement par la majorité de l'électorat terre-neuvien, qui ont été approuvées automatiquement à l'autre endroit, sous les auspices de gouvernement du Canada, et dont le Sénat est maintenant saisi.

Je me suis entretenu avec l'ex-premier ministre de Terre-Neuve, M. Wells, et, plus récemment, avec le premier ministre Tobin et ses conseillers. J'ai écouté leurs explications et leur raisonnement par rapport à cette question. J'ai lu attentivement et écouté avec étonnement les discours prononcés à l'autre endroit. L'ignorance de certains intervenants à propos de la situation dans ma province est absolument consternante. D'autres provinces ont aussi vécu la même expérience, celle où des gens qui prétendent tout savoir commencent à parler de choses qu'ils ne connaissent absolument pas.

Aucun des discours ou groupes de discours qui ont été prononcés à l'autre endroit, à l'extérieur de la Chambre des communes ou ici aujourd'hui, n'est venu près de résoudre la question fondamentale et primordiale qui est en jeu, en l'occurrence celle des droits des minorités - droits qui ont été inclus dans la Constitution du Canada en vertu de la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve et du Labrador.

L'accord sur cet article ne s'est pas fait par accident ni après coup. Des catégories de personnes ont été reconnues au moment où Terre-Neuve est entrée dans la Confédération. Mon collègue en a dressé une liste. Ce n'était pas un article exclusif. Il était ouvert à d'autres catégories souhaitant participer par la suite, comme on l'a vu en 1987 lorsque les Assemblées de la Pentecôte de Terre-Neuve ont demandé à être considérées comme une catégorie de gens disposant de droits particuliers reconnus par la Constitution du Canada. Elles administraient leurs propres écoles, avec la bénédiction de l'assemblée législative provinciale, depuis 1954 environ. En 1987, elles ont adressé une

pétition à l'Assemblée législative de Terre-Neuve dans laquelle elles demandaient à être considérées comme une catégorie distincte, et elles ont obtenu gain de cause. Par la suite, cette demande a été présentée au Parlement du Canada et a été accordée à l'autre endroit, après quoi elle a été renvoyée au Sénat.

Je siégeais à la place du sénateur à ce moment-là et j'ai présenté avec une certaine fierté la demande des Assemblées de la Pentecôte d'être reconnues comme une catégorie distincte jouissant des mêmes avantages que les anglicans, l'Église Unie et l'Armée du salut. Mon collègue et ami de Terre-Neuve, le sénateur Lewis, qui siégeait de côté-ci, a immédiatement appuyé cette demande, qui a été adoptée à l'unanimité. Nous avons maintenant décidé d'enlever aux pentecôtistes les droits qu'ils ont obtenus en 1987. Ceux-ci perdront leurs droits par la simple volonté majoritaire de la population de Terre-Neuve appuyée par le Parlement.

Ce droit qui était si important en 1949 et qui a été accordé en 1987 n'a rien de frivole ni de fantaisiste, ni ne doit être minimisé. C'était un élément important des discussions sur l'entrée dans la Confédération à cette époque, et il est encore un élément très important du tissu social de Terre-Neuve. C'est un droit important pour toutes les minorités religieuses. Comme le sénateur l'a souligné, toutes les religions à Terre-Neuve sont minoritaires. Il n'y a pas de majorité. Chacune d'entre elles estime avoir le droit d'administrer ses propres écoles à sa façon.

La population de Terre-Neuve et du Labrador estime avoir le droit que ses enfants s'instruisent dans des écoles qui reflètent les vertus, les principes moraux, les valeurs et la culture qui leur sont propres. Ce droit de la minorité, sur lequel les représentants de la population du Canada et ceux de Terre-Neuve se sont mis d'accord, a été inscrit dans la Constitution du Canada afin d'être mis à l'abri des humeurs changeantes du législateur.

Par un processus dont je parlerai tout à l'heure, ce droit sera retiré à deux minorités: les catholiques romains, qui représentent 37 p. 100 de la population, et les membres de l'Assemblée pentecôtiste, qui représentent 7 p. 100 de la population. Ces gens s'opposent vigoureusement à la résolution. Qui peut le leur reprocher? Il n'y a pas eu d'audiences publiques sur la question, ni à Terre-Neuve, ni à la Chambre des communes. Après un débat honteusement bref à la Chambre des communes, celle-ci nous a renvoyé la résolution en comptant bien que nous respecterions rapidement et, j'imagine, fidèlement, la volonté du gouvernement. Ces minorités de Terre-Neuve sont sur le point de perdre leurs droits en raison d'un vote majoritaire.

Je me souviens que Clifford Lincoln a déclaré il n'y a pas longtemps à l'Assemblée nationale du Québec que «les droits sont des droits».

Quelques sénateurs et d'autres personnes ont déclaré que la Constitution n'était pas coulée dans le béton et pouvait être modifiée de temps à autre pour être adaptée à des contextes nouveaux créés par l'évolution du monde ou des situations changeantes. Ils ont parfaitement raison. Personne ne le conteste. En l'occurrence, cependant, le consentement des minorités touchées se retrouve au coeur de la question. Si le référendum de Terre-Neuve avait été tenu parmi les minorités touchées, la situation serait complètement différente. Si les minorités de Terre-Neuve avaient dit: «D'accord, nous acceptons l'abrogation de la condition 17 et son remplacement par une nouvelle condition 17», la situation serait entièrement différente et je serais le premier à me porter à la défense de la résolution. Toutefois, dans l'état actuel des choses, je suis le premier à m'y opposer.

Au moins deux des groupes minoritaires qui se verront retirer des droits ont protesté énergiquement contre le processus suivi. En fait, comme on peut le voir d'après la chronologie des événements, les districts de Terre-Neuve en majorité catholiques romains ou pentecôtistes ont voté non au référendum. Cela ne compte pas: la majorité a voté oui et les minorités perdront leurs droits. On a allégué que 95 p. 100 de la population de Terre-Neuve avait été représentée lors du vote, ce qui est exact. Cependant, si on foule aux pieds les droits des minorités en s'appuyant sur de tels arguments, toutes les minorités perdront tous leurs droits. Il suffit que la majorité en décide ainsi pour que ces droits soient annulés.

Honorables sénateurs, je traiterai du processus de référendum un peu plus tard, mais, d'abord, permettez-moi de souligner combien il est important, pour tous ceux qui sont touchés par cette affaire, d'entendre l'honorable leader du gouvernement dire qu'un comité de cette Chambre tiendra des audiences publiques à ce sujet. Ce serait le dernier recours des minorités de Terre-Neuve à cet égard. Et j'ajoute que, si le Sénat a un rôle à jouer, c'est bien dans ce sens.

Par égard pour les parties intéressées - je pense que c'est l'expression courante à travers le pays -, il faudrait tenir ces audiences non seulement ici, mais aussi dans la province de Terre-Neuve, ou à tout le moins à St. John's. Je ne me permettrais pas de proposer qu'elles aient lieu dans d'autres centres, mais certainement à St. John's. Ces audiences doivent être télévisées. La population de Terre-Neuve et les minorités ailleurs au Canada doivent voir et entendre comment les choses se font. Si la justice doit prévaloir au Canada et si nous voulons que les minorités le sachent, les travaux du Sénat doivent être publics. Il faut que les audiences soient ouvertes au public et télédiffusées auprès du plus grand nombre de Canadiens possible.

Honorables sénateurs, le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est la tribune tout indiquée et je suis heureux de constater que l'honorable sénateur en face est d'accord avec moi. Si jamais une affaire juridique et constitutionnelle a mérité d'être examinée, c'est bien celle-ci. Si nous devons créer un précédent au Canada en permettant à une législature de retirer un droit à une minorité l'examen de la question devrait certainement être confié au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Honorables sénateurs, cette question a soulevé beaucoup d'émoi au sein de la communauté catholique et chez les pentecôtistes. Je me préoccupe davantage de la communauté pentecôtiste que des catholiques, qui eux ont une certaine influence au plan électoral. Quand viendra le moment de demander des comptes, si cette abomination se concrétise, les

catholiques d'origine irlandaise de Terre-Neuve et d'ailleurs au Canada pourront au moins faire connaître leur position à la population. Les pentecôtistes, qui représentent 7 p. 100 de la population de Terre-Neuve, laquelle représente je ne sais quel pourcentage de la population nationale, n'aura que peu ou pas de recours.

Je crois qu'il est important qu'on sache ce que la hiérarchie de l'Église catholique romaine pense de cette affaire. Le cardinal Carter, sans doute l'un des membres les plus respectés de tous les groupes confessionnels au Canada, a écrit au premier ministre le 21 mai. Il lui a fait part de ses inquiétudes dans les trois premiers paragraphes de sa lettre. Toutefois, au quatrième paragraphe, il écrit:

La Constitution du Canada reconnaît et protège certains droits des minorités, comme celui se rapportant à la langue utilisée pour les débats au Parlement et dans les tribunaux au Canada, au Québec, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick. Elle protège aussi le droit des minorités de recevoir un enseignement dans leur langue, le droit d'avoir des écoles confessionnelles et les droits des autochtones. Même l'engagement, dans la Constitution, à l'égard du principe des paiements de péréquation par les provinces riches aux provinces moins nanties est une forme de protection constitutionnelle pour les minorités.

La raison pour laquelle les droits des minorités sont protégés dans les Constitutions est d'empêcher que ces droits ne soient supprimés par les majorités, lesquelles se conduisent parfois de façon profondément antidémocratique. Les droits relatifs à l'utilisation du français survivraient-ils à l'extérieur du Québec si la question était soumise à un référendum? Songez au débat dont a fait l'objet la signalisation routière bilingue en Ontario. Les droits relatifs à l'utilisation de l'anglais subsisteraient-ils au Québec? Et les droits des autochtones? La minorité catholique en Ontario, qui représente environ 30 p. 100 de la population, garderait-elle ses écoles catholiques?

En période de crise économique, l'obligation d'effectuer des paiements de péréquation survivrait-elle si la question était soumise à un référendum? Songez au ressentiment de l'Ouest du Canada concernant l'entente passée avec Terre-Neuve pour l'harmonisation de la TPS.

Les déséquilibres démographiques conduisent naturellement à une réalité. C'est pourquoi les droits des minorités sont protégés dans la Constitution. C'est pourquoi l'on s'attend à ce que le gouvernement fédéral ne se contente pas d'approuver d'office les changements que les provinces se proposent d'apporter aux droits des minorités, mais se fasse le gardien de ces droits.

Le gouvernement de Terre-Neuve et les représentants de votre gouvernement se sont servis des résultats du référendum de septembre pour justifier moralement la modification de la clause 17.

Le référendum comportait un vice fondamental. Vous et vos collègues avez critiqué particulièrement la question qui avait été posée lors du référendum au Québec. Les mêmes critiques s'appliquent à la question posée lors du référendum de Terre-Neuve. La question était:

Appuyez-vous la révision de la clause 17, de la façon proposée par le gouvernement, afin de permettre une réforme du système scolaire confessionnel? Oui ou non.

Est-ce une question simple? Est-ce une question claire? Est-ce une question impartiale?

La question a été soigneusement conçue afin de laisser faussement sous-entendre que la modification de la Constitution était nécessaire si l'on voulait une réforme reconnue en droit. La proposition était inexacte.

Qui pourrait être contre la réforme? Qui pense que le système scolaire dans la province de Terre-Neuve ou ailleurs dans le pays n'est pas mûr pour la réforme? La question a opposé ce désir de réforme et de système scolaire efficace pour les enfants à un droit constitutionnel, alors qu'une telle opposition n'existe absolument pas en droit.

Honorables sénateurs, le cardinal Carter poursuit ainsi:

Si chacun des groupes s'identifiant à une confession religieuse protégée par la clause 17 avait accepté de renoncer à ses droits en votant en ce sens, personne ne pourrait s'opposer sérieusement au principe de l'amendement proposé, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Les catholiques n'ont pas voté en ce sens, ni les pentecôtistes. Ce référendum est nettement un cas où la majorité des électeurs vote pour qu'on enlève les droits de deux minorités à Terre-Neuve. Est-ce différent en principe à une situation où les Anglais voteraient pour qu'on enlève les droits des Français? Imaginez le précédent.

Le processus d'amendement prévu par la Constitution exige que votre gouvernement joue le rôle de gardien des droits des minorités. Si votre gouvernement approuve une modification de la clause 17, comment le principe pourrait-il ne pas s'appliquer plus tard à des demandes de majorités d'électeurs de l'Alberta, de l'Ontario ou du Québec? Pis encore, la façon même dont on aborde cette question nie les idéaux de tolérance et de pluralisme qui constituent les fondements de notre pays.

Certains défenseurs de cette modification demandée par Terre-Neuve disent que cela ne constituerait pas un précédent. Comme beaucoup d'autres, y compris des membres de votre caucus et de votre parti, je ne suis pas d'accord. Interrogé sur cette question, le professeur Patrick Monahan, qui enseigne le droit à la Osgoode Hall Law School, a dit:

Je suis d'accord pour dire qu'un amendement constitutionnel de la clause 17 qui ne serait pas appuyé par toutes les catégories de personnes protégées par cette garantie pourrait être considéré comme un précédent qui permettrait à d'autres provinces de réclamer des changements semblables. [...] Il n'y a [...] en principe rien qui justifie l'idée qu'une personne qui, en tant que membre d'une collectivité d'une certaine confession religieuse, choisit de renoncer aux droits liés à sa confession devrait avoir le droit de réduire les droits d'autres personnes qui sont membres d'une autre collectivité. [...] La modification de la clause 17 constituerait une menace jusque-là inexistante pour les garanties offertes aux écoles confessionnelles d'autres provinces.

Honorables sénateurs, voilà ce que le cardinal Carter avait à dire à ce sujet.

Ce dossier est à l'étude depuis quatre ans ou plus et, durant tout ce temps, l'ancien premier ministre Wells et ses gens ont toujours affirmé qu'il semblait impossible de procéder à des négociations avec les trois administrations scolaires de notre province et de faire des progrès. Il y a trois administrations scolaires seulement et non pas l'énorme bureaucratie qu'on a parfois décrite ailleurs. Il n'y a que trois...

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Doody, je regrette de devoir vous interrompre, mais les 15 minutes qui vous étaient allouées sont écoulées.

Le sénateur Doody: Je croyais avoir droit à 45 minutes.

Son Honneur le Président: La période de 45 minutes s'applique uniquement dans le cas des projets de loi. Or, nous étudions maintenant une motion.

Honorables sénateurs, accordez-vous au sénateur Doody la permission de poursuivre?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Doody: Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir la possibilité de continuer. Je croyais sincèrement avoir droit à 45 minutes.

Honorables sénateurs, dans une lettre adressée au premier ministre, l'archevêque de St. John's indique clairement que les principaux points en litige en ce qui concerne l'administration et les coûts - dont il a été question plus tôt - ont été réglés sans recours à la modification proposée dont nous sommes maintenant saisis, qui est tout à fait inutile et porteuse de scission.

Si les honorables sénateurs, veulent que je dépose cette lettre de l'archevêque MacDonald au premier ministre, je le ferai. J'ajoute qu'il n'a pas reçu de réponse.

Quatre jours après avoir formé le nouveau gouvernement de Terre-Neuve, le premier ministre Tobin constituait un comité composé de fonctionnaires et de représentants des trois conseils confessionnels pour essayer de trouver une solution à ce frustrant problème. En quatre jours, sous la direction inspirée du ministre de l'Éducation de Terre-Neuve, Roger Grimes, le comité avait trouvé une solution à chacun de ces problèmes.

On me dit que certains des signataires de cet accord-cadre ne sont pas satisfaits. Je les encourage vivement à retourner à la table de négociations. S'il n'a fallu que quatre jours pour parvenir à ce qu'on n'avait pas pu faire en quatre ans, quelques jours de plus seraient certainement préférables à la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant.

Je tiens à souligner que la situation à la Chambre des communes est des plus bizarre; en effet, pour des raisons qui lui sont propres, le Parti réformiste, cherchant à semer la zizanie, et le Bloc québécois, pour des raisons fort évidentes, se sont ralliés à la position du gouvernement sur cette proposition. Je dois dire à son honneur que le Bloc québécois n'a pas caché les motifs cyniques qui le poussent à appuyer cette proposition. Une lecture rapide des discours prononcés par les députés bloquistes à ce sujet est très révélatrice à cet égard. Elle montre clairement quel parti les séparatistes ont l'intention de tirer de cette question lors du prochain référendum. C'est de l'eau au moulin séparatiste. Ils montreront au gouvernement et au peuple canadiens ce qu'on peut faire avec une majorité infime et une question truquée. Et au diable les droits des minorités!

La question référendaire posée à Terre-Neuve demandait aux citoyens s'ils approuvaient le concept de la réforme de l'éducation. Bien sûr qu'ils l'approuvent; tout le monde l'approuve. Cinquante-quatre pour cent des personnes qui se sont prononcées ont répondu oui. La participation au scrutin n'a été que de 52 p. 100, ce qui signifie que 28 p. 100 seulement des électeurs ont voté en faveur de la question.

Si on accepte qu'on puisse gérer ce pays de façon raisonnable et exécutoire avec une minorité si infime et une question truquée de ce genre, l'avenir va nous réserver des surprises intéressantes. La Conférence des évêques catholiques le souligne sans équivoque dans sa lettre au premier ministre du Canada.

À l'heure actuelle, honorables sénateurs, avant toute modification, la province a toujours le contrôle sur le financement de l'ensemble des écoles de Terre-Neuve, toutes confessions confondues. C'est lui qui contrôle le programme éducatif et la plupart des autres aspects de l'enseignement, y compris le matériel pédagogique, le rapport élèves-enseignant, le financement, la formation des enseignants ainsi que les normes de rendement. Les trois comités confessionnels veulent conserver le contrôle sur les normes éthiques, sur les valeurs morales ainsi que sur l'approche culturelle et décente de l'enseignement qui a toujours caractérisé le monde de l'éducation dans cette petite province de la côte est.

Le climat religieux qui règne actuellement dans les écoles restera, le premier ministre nous le promet, le même que celui qui avait cours avant cette modification. Moi-même et d'autres avons demandé, s'il en est bien ainsi, pourquoi on a fait passer la population de Terre-Neuve et du Labrador par toute cette gamme d'émotions. Il faut espérer que le comité pourra poser ces questions aux experts qui ont été convoqués et que ceux-ci pourront y répondre à ma satisfaction.

Comme je l'ai dit, je me suis entretenu avec l'ancien premier ministre, M. Wells, et l'actuel premier ministre, M. Tobin. Ils ont discuté du dossier avec moi, mais j'avouerai qu'ils n'ont pas apaisé mes craintes, ni celles des minorités visées de Terre-Neuve.

J'ai reçu des mémoires des autorités pentecôtistes de Terre-Neuve, des autorités catholiques, des conseils scolaires, des associations parents-maîtres et de groupes d'étudiants. J'ai reçu des mémoires de l'Ontario Separate School Trustees Association, de l'Association des enseignants catholiques de l'Ontario, ainsi que de groupes et de simples citoyens d'un peu partout au pays, comme bien d'autres sénateurs sans doute, et tous étaient préoccupés par ce processus et, par-dessus tout, par les résultats qui en découleraient si cette mesure était mise en application.

On nous a dit et répété que la situation à Terre-Neuve était différente de celle dans le reste du Canada parce qu'il n'y a pas d'écoles publiques, mais uniquement le système scolaire confessionnel. C'est on ne peut plus vrai, il n'y a pas d'écoles publiques parce que le gouvernement de Terre-Neuve n'a jamais voulu en créer. Le gouvernement de Terre-Neuve, comme tous les autres gouvernements provinciaux du Canada, a le droit d'établir des écoles partout où bon lui semble. S'il veut mettre en place des écoles publiques dans chaque localité de Terre-Neuve, c'est son droit le plus strict. Rien dans la loi actuelle n'empêche le gouvernement de Terre-Neuve de construire autant d'écoles qu'il le désire. Si les parents de Terre-Neuve veulent que leurs enfants fréquentent des écoles publiques, ils sont libres de le faire. Les groupes confessionnels ne s'y opposent aucunement. Ils demandent simplement de pouvoir conserver leur droit d'avoir leurs propres systèmes dirigés par leurs propres conseils scolaires élus.

L'honorable leader du gouvernement a mentionné plus tôt qu'ils veulent élire deux tiers des membres aux conseils scolaires. Deux tiers des membres des conseils scolaires de Terre-Neuve sont actuellement élus. Un tiers n'est pas élu pour que les minorités de ces diverses confessions soient représentées au conseil. Si les conseils étaient élus entièrement par les collectivités, ils ne représenteraient que la majorité dans la collectivité. Le gouvernement de Terre-Neuve s'est réservé le droit, au cours des années, de prévoir la nomination d'un tiers pour que les membres des diverses confessions aient voix au chapitre dans le fonctionnement des écoles dans leurs régions.

Les trois comités d'enseignement confessionnel ont déjà concédé de nombreux points au gouvernement. Je crois savoir que ces points entreront en vigueur le 1er juillet, par voie de mesure législative présentée à l'Assemblée législative de Terre-Neuve. L'enseignement relève des provinces et le gouvernement de Terre-Neuve a le droit de légiférer à cet égard.

Au nombre des points sur lesquels on s'est entendu, il y a un service d'autobus unifié et géré au niveau central qui fonctionnera entre toutes les écoles, quelle que soit la confession, sous une autorité conjointe, pour réduire le plus possible les coûts dans ce secteur. Cette question a toujours fait l'objet d'une controverse à Terre-Neuve, comme c'est le cas dans notre région. Tout le monde parle des autobus scolaires qui ne transportent que trois ou quatre enfants. Il faut se rappeler que, à certains moments pendant le transport des enfants, il est inévitable qu'il n'y en ait que deux ou trois à bord de l'autobus. Les chauffeurs ne peuvent pas les laisser tous au même arrêt pour assurer l'efficacité administrative du système. Par conséquent, on peut toujours s'attendre à ce qu'un, deux ou trois enfants se trouvent à bord des autobus à certains moments, mais ces autobus seront gérés conjointement et seront interconfessionnels. Ils transporteront les enfants de toutes les confessions religieuses, car c'est ce qui est le plus efficace.

Fait plus important encore, du point de vue de la réduction des coûts, il a été convenu de constituer une société qui sera chargée de coordonner la construction et l'entretien des écoles et de répartir les fonds selon les besoins. Il y aura aussi un comité interconfessionnel réunissant trois représentants du gouvernement, un représentant du système scolaire intégré, un représentant du système scolaire pentecôtiste et un représentant du système scolaire catholique romain ainsi qu'un président indépendant qu'il reste à choisir. C'est à ce comité interconfessionnel qu'il appartiendra de décider de la répartition de fonds aux fins de la construction et de l'entretien des écoles. Il y a dix ans encore, cela aurait été impensable. Aujourd'hui, c'est une réalité.

Les discussions qu'ils ont eues avec le gouvernement ont conduit les groupes confessionnels à accepter de regrouper les 27 conseils scolaires qui existent actuellement à Terre-Neuve, et dont nous avons tant entendu parler, en 10 conseils interconfessionnels. Ils ont en outre accepté d'étudier la viabilité des nombreuses écoles existantes, en vue d'en fermer une centaine au cours des cinq prochaines années.

On pourra trouver d'autres solutions de compromis et terrains d'entente, pour peu que le gouvernement de Terre-Neuve choisisse la voie de la négociation et qu'il revienne à la table de négociations, comme je le mentionnais tout à l'heure.

Avant de terminer, honorables sénateurs - et je vous remercie de votre indulgence -, permettez-moi de faire quelques commentaires sur deux seulement des nombreux articles curieux qu'il m'a été donné de lire à ce sujet dans la presse nationale. Dans le premier, on résume la situation en disant que tout ce que le premier ministre Tobin cherche à faire, c'est d'aligner le système d'éducation de ma province sur celui de l'Ontario. Allons donc! Si c'est là l'idéal auquel nous devrions tous aspirer, je ne marche plus. En Ontario, les policiers ne se promènent pas sans revolver à la ceinture. Chez nous, ce n'est pas un gros problème, les guerres de gangs. Nos taux d'homicides ne sont pas comparables non plus. Et cela, on le doit au fait que les Terre-Neuviens ont insisté pour que les valeurs morales soient enseignées à l'école. Nous tenons donc à préserver cette dimension de l'enseignement.

Notre système fonctionne bien. Avec tout le respect que je dois à mes amis de l'Ontario, c'est un merveilleux endroit où vivre. Je l'ai moi-même essayé et j'ai survécu. Mon ami le sénateur Murray s'habitue lui aussi. C'est une merveilleuse province, mais pour ce qui est du système d'éducation, je préfère celui de ma province d'origine.

Un autre chroniqueur national de Vancouver était horrifié par le fait que les gens de sa province pouvaient avoir quelque chose à dire sur le système d'éducation de Terre-Neuve. Comme beaucoup de ses collègues et de nombreuses autres personnes, il est passé complètement à côté de la question. Il ne s'agit pas du système d'éducation à Terre-Neuve. L'éducation est de compétence provinciale, et il appartient aux gens de chaque province de déterminer le système d'éducation qu'ils veulent. Il s'agit plutôt des droits des minorités catholique romaine et pentecôtiste de Terre-Neuve; cela n'a rien à voir avec le système d'éducation. Ils feront ce qu'ils voudront en ce qui concerne l'éducation. Cela concerne tous les Canadiens, qu'ils soient de Vancouver ou d'ailleurs.

Tout comme John Donne a dit il y a longtemps: «Ne demandez pas pour qui sonne le glas.» Croyez-moi, honorables sénateurs, chacune des minorités de ce pays devrait se demander pour qui sonne le glas sur cette question.

Motion d'amendement

L'honorable C. William Doody: Honorables sénateurs, avec l'appui de l'honorable sénateur Kinsella, je propose:

Que la motion ne soit pas adoptée maintenant mais renvoyée au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

L'honorable Anne C. Cools: S'agit-il d'une motion pouvant faire l'objet d'un débat, Votre Honneur?

Son Honneur le Président: Oui. Je crois que le sénateur Kinsella, qui a appuyé la motion, voudrait prendre la parole à ce sujet.

L'honorable Eymard G. Corbin: Le sénateur Doody a dit qu'il était prêt à déposer une certaine lettre. Pourrait-il aussi déposer la lettre du cardinal Carter, dont il a cité de longs extraits?

Le sénateur Doody: Cela me ferait plaisir, honorables sénateurs. Je vais aussi déposer la lettre de la Conférence des évêques catholiques du Canada, qui est elle aussi pertinente.

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, je me lève pour appuyer la motion du sénateur Doody visant à ne pas adopter maintenant la résolution proposée concernant la Constitution, mais à la soumettre plutôt à l'examen d'un comité sénatorial.

Honorables sénateurs, avant de faire mes observations, je voudrais dire un mot sur la qualité de l'enseignement à Terre-Neuve et au Labrador. Pendant 32 ans, j'ai enseigné à l'université au Canada atlantique. J'ai constaté alors que les élèves les mieux préparés pour effectuer des travaux universitaires venaient notamment des écoles secondaires de Terre-Neuve.

Honorables sénateurs, je suis d'avis qu'il faut obtenir des réponses à des questions d'intérêt national très importantes avant que nous, au Sénat, puissions tenir un débat éclairé sur la résolution proposée. Voyons notamment de quelles questions il s'agit.

Premièrement, la modification constitutionnelle proposée est-elle conforme aux obligations du Canada en vertu du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en particulier au paragraphe 13(3)? Je rappelle aux honorables sénateurs que le Canada a ratifié ce pacte en 1976 avec l'accord écrit du fédéral, des provinces et des territoires.

Deuxièmement, la proposition est-elle en harmonie avec la Convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement? Est-elle compatible avec la Convention de 1989 relative aux droits de l'enfant?

Troisièmement, la modification constitutionnelle proposée aurait-elle un effet sur la question des droits des minorités? Est-ce que l'expression qui figure dans le libellé de l'actuelle clause 17, c'est-à-dire «catégorie de personnes», et sur laquelle le sénateur Doody a attiré notre attention, fait allusion aux droits des minorités qui sont protégés aujourd'hui par la Constitution?

Quatrièmement, quels droits protégés par la Constitution seront touchés par la modification proposée?

Cinquièmement, est-ce que les catégories de personnes qui jouissent actuellement des droits définis peuvent exiger d'être au moins consultées, si elles ne peuvent opposer un veto moral, sur l'exercice du pouvoir de l'État qui les privera de leurs droits actuellement protégés par la Constitution?

Sixièmement, est-il prouvé que le processus auquel participent le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, d'une part, et la Chambre des communes, d'autre part, justifie que des sénateurs craignent un abus de pouvoir?

Si l'on devait appliquer le test que nous utilisons au Canada pour déterminer si, dans une société libre et démocratique, certains droits prévus par notre Charte sont restreints, que penserions-nous de la proposition si nous demandions: cette mesure est-elle nécessaire?

Les honorables sénateurs connaissent le test, établi dans l'affaire Oaks, que les tribunaux utilisent pour déterminer quand, dans une société libre et démocratique, il est légitimement possible de restreindre les droits. Le sénateur Doody a fait valoir des éléments de preuve établissant que la mesure n'est pas nécessaire.

Il faut donc se demander: la mesure est-elle conforme à l'objectif louable qui consiste à réformer le système d'éducation? Par ailleurs, cette mesure fait-elle obstacle, d'une façon mineure, aux droits actuellement détenus par des catégories de personnes?

Le comité doit entendre des spécialistes relativement à la question de savoir si l'objectif voulu, qui est de réformer le système d'éducation, peut être atteint dans le cadre actuel de la clause 17. Bon nombre d'observateurs ont laissé entendre que cela était possible. Notre comité doit examiner cette question, de façon à ce que nous puissions avoir un débat éclairé dans cette Chambre.

En effet, honorables sénateurs, j'estime que notre comité aurait intérêt à entendre l'honorable Grimes, à qui le sénateur Doody a fait allusion, et qui est le ministre de l'Éducation de Terre-Neuve et du Labrador. On nous a rappelé que c'était M. Grimes qui avait parlé d'un accord cadre que celui-ci était parvenu à conclure avec les intervenants.

Honorables sénateurs, notre comité devrait entendre des experts constitutionnels sur le genre d'entente qui pourrait être conclue, qui répondrait aux modalités de l'actuelle clause 17 et qui, par conséquent, éliminerait la nécessité de compromettre des garanties constitutionnelles faisant partie de l'entente avec le Canada depuis 1948-1949.

J'ose espérer que notre comité demanderait quel précédent est en train d'être établi relativement aux rapports entre la minorité et la majorité, en matière de droits. Notre comité voudra savoir quel sera l'effet, sur le reste du Canada, du référendum tenu à Terre-Neuve. Après tout, le Parlement confère à cette question une dimension nationale, alors que la résolution adoptée dans la province de Terre-Neuve et du Labrador a une portée provinciale. Notre jugement est différent, tant du point de vue qualitatif que quantitatif. Nous ne pouvons porter ce jugement que si notre analyse est étayée par une étude détaillée de ces aspects par le comité, et qu'un certain nombre de spécialistes sont entendus relativement à cette question.

Honorables sénateurs, compte tenu que l'actuelle clause 17 prévoit que:

... la Législature n'aura pas le pouvoir d'adopter des lois portant atteintes aux droits ou privilèges que la loi, à la date de l'Union, conférait dans Terre-Neuve à une ou plusieurs catégories de personnes relativement aux écoles confessionnelles, aux écoles communes (fusionnées) ou aux collèges confessionnels...

N'est-il pas juste et raisonnable que le Sénat entende des représentants des catégories de personnes définies dans la Constitution actuelle? J'estime que la meilleure façon de les entendre est de les convoquer à une séance du comité.

En outre, comme l'a souligné le sénateur Doody, compte tenu que le Sénat a adopté, aussi récemment qu'en 1987, une résolution constitutionnelle accordant les mêmes droits aux Assemblées de la Pentecôte de Terre-Neuve et du Labrador, n'est-il pas juste et raisonnable d'entendre les représentants de cette catégorie de personnes, dont les droits seront de toute évidence touchés?

Le comité sénatorial devra évaluer l'incidence constitutionnelle des décisions de la Cour suprême du Canada relativement à ce que celle-ci a appelé dans plusieurs causes l'obligation de respecter l'entente fondamentale de la Confédération.

Est-il convenable d'utiliser un référendum, qui permet d'établir une opinion majoritaire, pour mettre fin aux droits de catégories de personnes qui constituent, chacune en elle-même, des minorités? Le comité pourrait bien réfléchir sur la question de savoir si on aurait dû tenir le référendum d'une manière qui aurait permis à chacune des sept catégories ou des trois principales catégories de personnes dont les droits sont touchés d'exprimer leurs décisions respectives.

Il y a de nombreuses autres questions auxquelles il faudrait réfléchir, mais il me semble qu'on doit examiner à fond la question touchant le pacte fondamental qui a fait entrer Terre-Neuve dans la Confédération et la façon dont il se trouve violé par la proposition à l'étude, et qu'elle doit être examinée d'une façon qui nous permette d'entendre les citoyens dont les droits garantis constitutionnellement sont en péril et seront même complètement annulés si cette proposition est adoptée.

Quel intérêt national urgent du Canada dans son ensemble s'en trouverait lésé si le Sénat décidait de rejeter la résolution proposée?

[Français]

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, je n'ai pas l'intention de participer trop longuement au débat, pour les raisons que vous verrez. Je manque un peu de souffle aujourd'hui, ce qui n'est pas mon habitude.

Vous connaissez tous, honorables sénateurs, mon intérêt à l'égard de cette question.

[Traduction]

J'ai manifesté mon intérêt car, en tant que Canadien, je crois que nous n'avons pas une Constitution simplement pour le plaisir de la chose.

Quand les gens de Terre-Neuve ont commencé à parler de la possibilité de modifier la clause 17, le souci que j'ai de l'intérêt des Canadiens et de leurs droits m'a incité à porter une grande attention au débat. Je n'ai pas attendu qu'on présente une résolution au Sénat ou à la Chambre des communes. Je suis même allé à Terre-Neuve pendant la campagne référendaire. J'y ai été bien reçu et fort aimablement par un excellent homme, M. Wells, et nous avons eu une discussion très animée durant plus d'une heure. Nous avons le même tempérament quand nous discutons, en ce sens que nous sommes très passionnés, mais nous avons eu une discussion fort civilisée sur la question. Depuis, j'ai porté une grande attention à l'évolution de la question jusqu'au débat que nous tenons maintenant au Sénat.

J'ai toujours eu la profonde conviction que le Sénat avait sa raison d'être précisément lorsque notre pays traverse des moments ou connaît des événements importants. Pourquoi avons-nous un Sénat? Pourquoi les pères de la Confédération ont-ils souhaité avoir un Sénat lorsqu'ils ont fondé notre pays? Il y a une Chambre dont les membres sont élus. J'y ai siégé pendant 30 ans. J'ai toujours défendu le Sénat sans jamais croire le moins du monde que j'y serais nommé. Tous mes discours à la Chambre des communes témoignent de ma position. J'ai dit qu'il appartenait aux Canadiens de décider du sort du Sénat, mais que, tant qu'il serait là, il avait le droit, selon la Constitution, d'examiner des questions comme celle qui nous est soumise aujourd'hui.

La mission du Sénat est de défendre les droits des minorités et des régions. J'ai été très heureux d'entendre le sénateur Doody faire allusion au discours que M. Lincoln a prononcé à l'Assemblée nationale, dans lequel, pensant que les droits de la minorité anglophone dans cette province étaient brimés, il insistait sur le respect de ces droits.

J'étais sur les lieux, et j'ai applaudi. Même les séparatistes l'ont applaudi. Bien sûr, ils ne partagent pas son avis, mais ils ont été touchés par la passion avec laquelle il a manifesté son attachement aux droits.

C'est cette même passion qui m'anime aujourd'hui. Je l'ai toujours eue. Il ne faut s'en prendre à aucun Canadien à cause de la couleur de sa peau, de son opinion ou de sa religion. Quiconque s'attaque à un autre Québécois parce qu'il est noir, protestant ou juif s'attaque aussi à moi. Et s'il s'attaque à moi, je vais me défendre. C'est ce que j'entends faire aujourd'hui.

Après avoir soulevé la question ici, je dois me réjouir du fait que nous tiendrons des audiences, comme je l'ai demandé. Nous écouterons le point de vue des citoyens. Je partage complètement, sans réserve aucune, l'opinion exprimée par le sénateur Doody. Oui, il doit y avoir des audiences à Terre-Neuve. Je me dissocie toutefois du sénateur Doody lorsqu'il dit «au moins à St. John's».

Des audiences devraient être tenues dans toute la province; il serait alors plus facile pour la population de se faire entendre. Les gens ont le droit de s'exprimer, car ils ont adhéré à la Confédération en 1949 à certaines conditions.

L'une de ces conditions, honorables sénateurs, est la condition 17. Si j'étais Terre-Neuvien et un peu plus âgé, je me souviendrais probablement d'avoir voté en 1949.

Certains ont voté parce qu'ils voulaient un service de traversier. Nous pouvons modifier les conditions d'union, mais nous les respectons. Je suis sûr que le sénateur Doody me corrigera si cette déclaration est inexacte. Nous ne pouvons pas comparer une réforme du système scolaire au fait que, à trois reprises jusqu'à maintenant, le Sénat a accepté des modifications apportées à la Constitution.

Le sénateur Doody: Mais ces modifications n'enlevaient rien à personne.

Le sénateur Prud'homme: Exactement. J'étais rongé de doutes lorsque j'ai voté ici - c'était l'un de mes premiers votes au Sénat - sur le nouveau lien fixe avec l'Île-du-Prince-Édouard. Toutefois, nous ajoutions des choses à ce moment-là, honorables sénateurs, nous n'en enlevions pas. Quand nous étions saisis de la question pentecôtiste en 1987, la modification n'a pas enlevé des droits, elle en a ajoutés. La même remarque s'applique au Nouveau-Brunswick, nous ajoutions des droits.

Nous nous apprêtons, en toute probabilité, à retirer des droits. Il importe donc que nous tenions des audiences sur le projet de modification pour en apprendre davantage à ce sujet.

Pourquoi devrions-nous chercher à en savoir plus? J'ai suivi le débat qui a eu lieu à la Chambre des communes, le vendredi 31 mai, à partir de 10 heures. Honorables sénateurs, sur un sujet aussi important, la Chambre des communes a tenu des discussions vendredi dernier, de 10 heures à 11 heures, puis de 12 h 05 à 13 h 30. C'est tout.

Par exemple, tout au long de ce débat, il n'y a jamais eu quorum et pourtant, personne n'a soulevé ce problème. Cela prouve à quel point les gens sont intéressés lorsqu'on aborde une question aussi fondamentale que l'abolition des droits d'une certaine catégorie de personnes. Je peux vous dire qui était là et ce qu'ils ont fait. La presse n'était pas là. Elle ne peut donc pas comprendre qui s'intéressait à ce débat. Je me suis assis à la tribune de la presse, d'où je pouvais voir les deux côtés de la Chambre et compter les députés présents.

À 10 h 07, il y avait 14 députés. À 10 h 20, il n'y en avait plus que 13. À 10 h 25, ils étaient 15. Je pourrais continuer ainsi. Cela peut sembler dérisoire, mais cela montre à quel point les députés accordaient peu d'attention à ce sujet. Pourtant, un député a parlé avec tant d'éloquence en faveur de ce projet que j'ai été assailli de doutes. Il s'agissait de M. Bellehumeur, un jeune bloquiste, franc et dynamique. En l'écoutant attentivement, j'ai décelé ce qui motive les bloquistes à accorder leur appui à leur nouvel ami et allié, M. Tobin, et à mes amis du gouvernement libéral du Canada.

Honorables sénateurs, je vous recommande de lire, au cours du week-end, les observations que M. Bellehumeur a présentées le 31 mai 1996, telles qu'elles figurent à la page 3247 du hansard de la Chambre des communes. Il a dit vouloir établir un précédent, à savoir que 50 p. 100 signifie 50 p. 100. Ainsi, lorsque quelque chose d'autre aura éventuellement lieu au Canada, 50 p. 100 signifiera 50 p. 100 aussi. Quelle grande motivation pour appuyer un projet de loi aussi incroyable!

Je dois toujours me demander ce qu'est une Constitution, pourquoi nous avons une Constitution. Je suis Canadien. Je compte sur la Constitution pour me protéger en tant que Canadien à part entière. C'est à cela que sert une Constitution. D'où l'importance de la question: Qu'est-ce qu'une Constitution et pourquoi en faut-il une?

La Constitution a pour objet de protéger les gens et de préciser comment nous allons nous comporter les uns envers les autres. Nous ne pouvons pas revenir sur les promesses que nous avons faites en 1949 pour amener les gens de Terre-Neuve à entrer dans la Confédération, concernant la Sécurité de la vieillesse, les allocations familiales, un système de traversiers, et, rien que pour obtenir 50 p. 100 du vote - lisez le discours de M. Bellehumeur - la clause 17.

Je vois ici trois éminents sénateurs de Terre-Neuve. Qu'ils me corrigent si je me trompe. Si j'ai tort, je m'excuse.

Ces promesses ont été faites. Le contrat a été signé.

J'ai écouté attentivement l'argumentation des deux côtés, mais plus j'écoute, et plus je suis embrouillé.

Honorables sénateurs, je vous recommande de lire aussi l'allocution qu'a prononcée M. George Baker, député de Terre-Neuve. Il a soulevé de bons points auxquels il faut répondre.

Je recommande aussi aux honorables sénateurs de lire le discours de M. Mills, qui était autrefois un fier libéral. Il est toujours un de mes bons amis et, je le sais, l'ami de nombreux libéraux. Il a proposé un amendement qui devrait être peaufiné. Je suis sûr que nous en parlerons au comité.

Honorables sénateurs, s'il y a un moment où le Sénat doit faire son travail, c'est bien aujourd'hui.

J'ai lu le rapport de la commission royale. Je ne conseille cela comme lecture d'été à aucun sénateur. C'est un document très volumineux, mais il permet de se renseigner sur une province. Ce rapport offre beaucoup de matière à réflexion. Une bonne part de ce qui a été mentionné dans le rapport se produit déjà. La réduction du nombre de conseils scolaires et l'utilisation d'autobus scolaires communs sont les raisons qu'on a invoquées pour justifier la proposition de modification constitutionnelle. Ces changements sont déjà amorcés et, avec la pression populaire, ils pourraient être menés à bien beaucoup plus rapidement.

Qu'est-ce qui empêche la population d'avoir des écoles publiques? Nous l'apprendrons lors des audiences. Le sénateur Doody y assistera, j'en suis certain, avec d'autres sénateurs. Nous écouterons et nous trouverons une façon de régler les problèmes de tous les Terre-Neuviens sans qu'il faille modifier la clause 17.

Moi aussi, je m'indigne vivement des articles parus au Québec et dans le Globe and Mail. Les journalistes ne suivent pas le débat comme ils le devraient. Je souscris à ce que le sénateur Doody a dit à propos de la détérioration de l'enseignement à Terre-Neuve et des remarques de certains députés qui ont prétendu qu'une 12e année à Terre-Neuve équivaut à une 8e année en Ontario. Comment peut-on penser bâtir un pays où règne la bonne entente en avançant de telles stupidités? Je suis heureux que M. Baker ait remis les pendules à l'heure.

Il n'y a eu que deux jours de débat sur cette question à la Chambre des communes. Il ne faut pas beaucoup de temps pour lire le compte rendu de deux jours de débat. Le vendredi 31 mai, les députés ont débattu de la question pendant deux heures et quelques minutes. Le lundi 3 juin, il y a eu une journée de débat qui s'est terminée par la présentation d'un amendement et par un vote. J'ai lu le compte rendu en français, hier soir. J'ai demandé, il y a un instant, qu'on me fasse parvenir un exemplaire du hansard en anglais.

Honorables sénateurs, je ne suis pas ici pour vous convaincre. Je ne suis pas ici pour dire que, en tant que sénateurs, nous devrions nous opposer à la résolution ou l'appuyer. Je dois toutefois modifier mon approche puisque madame le sénateur Fairbairn a dit que la question sera renvoyée à un comité. Elle sait que c'est ce que je souhaitais entendre - je voulais notamment donner à la population une chance équitable de s'exprimer. Je suis satisfait.

Évidemment, je ne fais pas partie du comité. Je répète sans cesse la même chose. Je siégerai peut-être à un comité un jour. Dois-je joindre les rangs d'un parti pour être membre d'un comité et faire mon travail? Je ne sais pas. Pour l'instant, j'espère qu'il n'en est rien. Si les membres du comité vont à Terre-Neuve, j'irai certainement à mes frais.

Je conclurai en disant que plus nous entendons parler de cette question et plus nous sommes mêlés. À force d'entendre de nouvelles opinions, je suis encore plus convaincu que le comité devrait prendre son temps et faire du bon travail pour le Canada. Ceux qui disent que rien ne s'est produit depuis 1949 ont tort. Pas plus tard qu'en 1987, nous avons discuté de la clause 17. J'étais à la Chambre des communes à l'époque. Personne n'a alors dit qu'il s'agissait du pire système d'éducation au Canada. Est-il devenu le pire système depuis 1987? Personne n'a alors prononcé de discours pour dire que le système était horrible.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je regrette d'informer le sénateur Prud'homme que son temps de parole est expiré.

Le sénateur Prud'homme: Puis-je faire appel à votre indulgence pour deux minutes encore, honorables sénateurs?

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée pour que le sénateur Prud'homme continue?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Prud'homme: Honorables sénateurs, je suis très heureux pour la population de Terre-Neuve parce que je sais maintenant qu'elle aura une audience équitable. Ce doit être une audience équitable et non une audience pour la forme.

Je compte que les trois lettres présentées par le sénateur Doody ne seront pas simplement déposées. Le simple dépôt de ces lettres ne garantit pas que tous les sénateurs auront le temps de les lire s'ils le veulent. Je demande donc qu'elles soient annexées au compte rendu d'aujourd'hui pour que nous ayons un portrait complet de ce qui a été dit. Le gouvernement a eu le temps d'énoncer son point de vue dans une brochure, un catéchisme. Maintenant, nous entendrons le point de vue de l'autre côté, de sorte que nous serons mieux informés quand viendra le temps de voter sur cette question.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à prêter une très grande attention à ce débat. C'est l'un des plus importants débats que nous ayons vu depuis de nombreuses années au Sénat à cause des répercussions que pourrait entraîner la décision que nous prendrons.

Honorables sénateurs, nos délibérations à cet égard feront honneur au Sénat. Nous pouvons tenir des audiences, quels que soient les comptes rendus que la presse donnera aux Canadiens. Je défendrai résolument cette position. On m'a posé la question: «Que fait le Sénat?»

[Français]

Qu'est-ce que le Sénat vient faire là-dedans?

[Traduction]

C'est notre devoir d'examiner la question. Comme je l'ai dit à la SRC:

[Français]

C'est notre devoir de nous mêler de cette grande question.

[Traduction]

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je propose l'ajournement.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Robichaud, voulez-vous prendre la parole?

[Français]

L'honorable Louis. J. Robichaud: Honorables sénateurs, en toute franchise, je n'avais pas du tout l'intention de parler aujourd'hui.

[Traduction]

Je n'avais pas l'intention de parler, mais j'ai été impressionné par les discours que j'ai entendus des deux côtés du Sénat. J'ai été particulièrement impressionné quand un sénateur a soulevé assez catégoriquement l'argument selon lequel des droits seront enlevés à des minorités. Je ne m'oppose pas en soi aux changements parce que j'ai été responsable d'une réforme majeure du système d'éducation du Nouveau-Brunswick quand j'étais premier ministre de cette province. Je n'étais pas contre la réforme, mais j'ai fait en sorte que les droits des minorités soient protégés. Si la modification de la Constitution dans le cas présent a pour effet d'enlever des droits à des minorités, je m'y opposerai alors farouchement. Mais je ne suis pas convaincu encore que c'est ce qu'elle fait. Seul un comité peut le déterminer.

Je suis d'accord pour que la question soit renvoyée au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je suis d'accord pour que le comité aille à St. John's parce que tous les faits doivent être présentés au Sénat. Les sénateurs ont été nommés pour protéger les droits des minorités. J'approuverai un budget de déplacement à Terre-Neuve si cela garantit que les droits des minorités seront protégés.

Je le répète, je n'avais pas l'intention de parler aujourd'hui. Je déçois peut-être quelqu'un, mais si c'est le cas, je dois dire que je devais faire valoir le principe.

(Sur la motion du sénateur Cools, le débat est ajourné.)

Projet de loi d'intérêt privé

L'Université Queen's à Kingston-Première lecture

Permission ayant été accordée de revenir à la rubrique présentation et première lecture de projets de loi d'intérêt privé:

L'honorable Lowell Murray présente le projet de loi S-8, Loi concernant l'Université Queen's à Kingston.

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Murray, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance de lundi prochain, le 10 juin 1996.)

Examen de la réglementation

Adoption du deuxième rapport du comité mixte permanent

Le Sénat passe à l'examen du deuxième rapport du comité mixte permanent de l'examen de la réglementation (modification du Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral), présenté au Sénat le 30 mai 1996.

L'honorable Richard J. Stanbury, au nom du sénateur Lewis, propose l'adoption du rapport.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

La Société de développement du Cap-Breton

Adoption du premier rapport du comité spécial

Le Sénat passe à l'examen du premier rapport du comité sénatorial spécial sur la Société de développement du Cap-Breton, présenté au Sénat le 30 mai 1996.

L'honorable Richard J. Stanbury, au nom du sénateur Rompkey, propose l'adoption du rapport.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

L'enseignement postsecondaire

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Bonnell, attirant l'attention du Sénat sur l'état déplorable de l'enseignement postsecondaire au Canada. - (L'honorable sénateur Berntson)

L'honorable Dalia Wood: Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui au sujet de l'interpellation du sénateur Bonnell concernant de l'état de l'enseignement postsecondaire au Canada.

Il est loin le temps où quelqu'un pouvait sortir de l'école secondaire avec un diplôme de 12e année, trouver un emploi décent, se marier et avoir des enfants avec la quasi-certitude de vivre heureux jusqu'à la fin de ses jours. En ce temps-là, seuls les privilégiés pouvaient fréquenter les établissements postsecondaires, mais, au moins, ceux qui n'avaient pas les moyens financiers de le faire pouvaient tout de même pourvoir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille.

Cependant, en raison de nombreux facteurs, dont les progrès techniques et médicaux et l'élargissement du marché et des bases économiques du Canada, un diplôme d'études secondaires ne suffit plus. Notre économie exige des travailleurs mieux formés. Les jeunes qui possèdent seulement un diplôme d'études secondaires ont de plus en plus de difficulté à trouver de l'emploi. Conscient de cette situation, le gouvernement a encouragé les jeunes à entrer sur le marché du travail plus spécialisé en créant et en finançant des programmes de prêts d'études et en rendant l'enseignement postsecondaire plus accessible aux jeunes qui veulent faire des études de niveaux collégial et universitaire.

Honorables sénateurs, la structure de notre économie et de notre société traverse une fois de plus une période de changement. Les emplois sont rares et la sécurité et la stabilité d'emploi sont choses du passé. Même ceux qui travaillent actuellement doivent envisager de se recycler s'ils veulent conserver leur emploi actuel ou pouvoir en obtenir un autre si leur poste devient excédentaire. En outre, l'augmentation des droits de scolarité et les compressions du financement des prêts d'études concourent une fois de plus à rendre l'enseignement postsecondaire accessible uniquement à l'élite canadienne.

Un article écrit par Ross Finnie et Gaétan Garneau, intitulé «Une analyse des emprunts au niveau postsecondaire», nous apprend que les étudiants qui ont décroché un baccalauréat en 1994 après quatre années d'études ont dû payer environ 53 p. 100 de plus que s'ils avaient obtenu leur diplôme en 1990. Les diplômés de 1997 devront probablement payer autour de 76 p. 100 de plus que ceux de 1990 si les frais de scolarité demeurent au niveau de 1993-1994. Honorables sénateurs, cela veut dire des hausses d'environ 2 400 $ pour la promotion de 1994 et de 3 500 $ pour celle de 1997.

Il y a aussi le problème du remboursement des prêts d'études et de l'intérêt qui s'y applique. En 1995, le ministre du Développement des ressources humaines, l'honorable Lloyd Axworthy, a annoncé des changements majeurs au Programme canadien de prêts aux étudiants. Ces changements devaient permettre de régler de sérieux problèmes d'accessibilité, de flexibilité et de responsabilité.

M. Axworthy avait alors déclaré:

Il faut plus d'aide pour ceux qui en ont davantage besoin et plus de flexibilité de remboursement pour rendre l'enseignement postsecondaire plus accessible et plus sûr.

On ne pouvait pas savoir à l'époque que les banques, qui accordent maintenant les prêts étudiants, exigeraient un taux d'intérêt établi au taux de base plus 5 p. 100. Cela impose un fardeau supplémentaire aux étudiants et représente un obstacle de plus à l'accès à l'enseignement postsecondaire.

Honorables sénateurs, les problèmes de remboursement sont directement reliés à la situation des diplômés sur le marché du travail. Autrement dit, un étudiant qui ne trouve pas d'emploi ou qui ne trouve qu'un emploi à temps partiel après avoir obtenu son diplôme n'est pas capable de rembourser son prêt étudiant comme il se doit. Il conviendrait qu'on étudie des solutions de rechange pour ceux qui ont de tels problèmes, comme un remboursement en travaux communautaires.

La mobilité est un autre enjeu connexe. À notre époque, les étudiants devraient être tout à fait libres. Le 29 mai 1996, la Gazette de Montréal a rapporté que le gouvernement du Québec avait décidé de couper l'aide financière aux étudiants qui choisissent d'étudier en anglais à l'extérieur du Québec et ce, à partir de septembre 1996. Cette province continuera toutefois à subventionner les études faites à l'extérieur de la province si les étudiants en question choisissent d'étudier en français.

Honorables sénateurs, cette décision est un manquement flagrant au principe de l'égalité et de la mobilité tel que défini dans notre Charte des droits et libertés. Aucune autre province n'exerce une telle discrimination contre les étudiants. Dans des cas de ce genre, le Sénat du Canada devrait y voir.

Dans un discours prononcé à l'occasion de la 14e assemblée plénière annuelle du Conseil InterAction des anciens chefs de gouvernement, tenue le 19 mai 1996, à Vancouver, le premier ministre Chrétien a dit:

Si l'on veut que nos citoyens soient adaptables dans notre monde qui évolue rapidement, nous devons être prêts à leur offrir la bonne formation et les études qui conviennent, parce que nous savons que, dans une économie mondiale, nous ne pourrons garantir de bons emplois aux générations futures sans que les gens ne fassent des études supérieures. Nous devons aussi offrir un filet de sécurité sociale adéquat, surtout pour les plus vulnérables, afin qu'ils sachent qu'ils peuvent au moins compter sur des mesures de protection s'ils ne réussissent pas à s'adapter.

Honorables sénateurs, la jeune génération est forcée de s'adapter aux demandes d'un marché du travail impitoyable et d'utiliser ses talents et son savoir du mieux qu'elle le peut sans avoir accès aux collèges et aux universités. Pourtant, l'accessibilité des études donne aux jeunes une chance de plus de s'en sortir du point de vue économique. En tant que parlementaires, nous devons nous assurer qu'ils ont les moyens d'acquérir le savoir et la formation qu'il leur faut. Le Sénat doit examiner les établissements d'enseignement postsecondaire qu'il subventionne et vérifier la façon dont ces subventions sont utilisées.

J'ai suivi le débat qui s'est tenu dans cette Chambre à propos de cette question et je me rends compte que l'éducation relève de la compétence des provinces. Toutefois, je pense que le Parlement a le devoir de contrôler ce qui se fait dans le domaine de l'éducation parce que cela a un impact sur l'assurance-emploi et sur d'autres domaines relevant de la compétence fédérale. L'avenir de nos jeunes est une question d'intérêt national qui mérite notre attention. Si le système d'enseignement postsecondaire actuel ne fonctionne pas, peut-être est-il temps de réexaminer la façon dont le Parlement dépense son argent. Par exemple, nous pourrions accorder une plus grande aide financière directement aux étudiants. Nous avons l'obligation d'examiner d'autres options, des options qui nous permettraient de tirer le plus possible de nos ressources et de mieux satisfaire aux besoins des jeunes.

Honorables sénateurs, les jeunes d'aujourd'hui sont l'espoir de demain. C'est d'eux que dépend notre prospérité. Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser à d'autres le soin d'examiner la question de l'enseignement postsecondaire. Une étude est nécessaire. J'appuie l'initiative du sénateur Bonnell afin que le Sénat examine cette question. N'oublions pas nos jeunes.

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier le sénateur Bonnell de son interpellation à ce sujet. En songeant aux remarques que je voulais faire aujourd'hui, j'ai examiné l'enseignement public au Canada du point de vue historique.

Je crois que nous devrions retourner au début de notre histoire, à l'époque de la fondation des écoles publiques. Dans toutes les provinces, et bien sûr dans les territoires, au départ, les écoles n'offraient généralement que les classes de la première à la sixième années et parfois la septième et la huitième. Les étudiants passaient ensuite à l'école secondaire.

Au début, l'enseignement secondaire était considéré comme un privilège réservé aux étudiants les plus brillants, à ceux qui avaient des aptitudes à l'étude. Généralement, seuls les enfants des familles riches ou des familles accordant une très grande valeur à l'éducation y avaient accès.

Peu à peu, les 9e, 10e et 11e années ont été entièrement financées à même les fonds publics. Cependant, bon nombre des sénateurs en cette Chambre se souviennent, comme moi, de l'époque où nous devions payer pour nos manuels scolaires si nous poursuivions nos études jusqu'en 9e, 10e et 11e années. On considérait que ces classes n'étaient pas aussi importantes que les niveaux 1 à 8, donc ce n'était pas offert de façon aussi répandue.

Certaines provinces ont tardé à ajouter une 12e année. Je demande à nouveau aux honorables sénateurs de se souvenir de l'époque où existait ce phénomène curieux que l'on appelait «junior matriculation» et «senior matriculation», qui correspondaient respectivement à la 11e et à la 12e année. Je me rappelle avoir choqué de mes élèves du secondaire à qui j'avais admis ne pas avoir de diplôme du secondaire. «Vraiment, vous n'avez pas terminé votre secondaire?», m'ont-ils demandé, ce à quoi j'ai répondu: «J'ai choisi d'aller à l'université après la 11e année». Et comme les diplômes étaient remis à la fin de la 12e année, je n'en ai jamais eu.

À l'époque, cet état de choses avait créé une anomalie très bizarre en Nouvelle-Écosse. En effet, ceux qui faisaient leur 12e année à Halifax dans une école publique ou catholique ne payaient pas de droits de scolarité. Par contre, ceux qui s'arrêtaient à la 11e année pour aller en première année d'université à Dalhousie devaient payer des droits de scolarité. Dans mon cas, cela ne faisait aucune différence car j'allais au couvent du Sacré-coeur. J'étais déjà dans une école privée et mes parents payaient des droits de scolarité. Toutefois, ceux qui, comme moi, sont allés au couvent se souviendront que c'était un environnement plutôt restrictif. Bien que n'ayant que 15 ans à l'époque, j'avais hâte de me retrouver dans une université publique. Je suis parvenue, à grand peine, à convaincre mon père de me laisser aller à l'université sans faire ma 12e année. Pour moi, l'université, c'était la liberté, et je dois dire que, cette première année, mes notes s'en sont ressenties.

Honorables sénateurs, il importe de se demander pourquoi l'enseignement public a fini par dépendre de plus en plus des deniers publics. Au fur et à mesure que la société est devenue moins rurale et plus orientée vers la technologie, le besoin, pour les jeunes, d'être mieux instruits s'est fait de plus en plus sentir. Je me souviens de camarades qui quittaient l'école à la fin de la 8e année à Halifax. Les garçons abandonnaient les études pour travailler comme messagers à Télécommunications CNCP. D'autres troquaient les bancs de l'école contre un emploi de débardeur à Halifax. Beaucoup d'autres sont partis pour les mines. Quelques filles sont devenues employées de maison. D'autres sont allées fabriquer du chocolat à l'usine Moir's, qui se trouvait aussi à Halifax. D'autres élèves sont entrés à l'école de métiers de Halifax qui, à l'époque, ne décernait pas de diplômes d'études secondaires. Certes, elle délivrait des diplômes, mais il ne s'agissait pas de diplômes d'études secondaires. C'étaient des certificats d'études en secrétariat, en électricité ou en plomberie, et ce n'est que beaucoup plus tard que ces certificats ont été reconnus comme équivalant à un diplôme de fin d'études secondaires.

Tout cela a changé, honorables sénateurs. Presque tous les enfants canadiens fréquentent l'école secondaire de nos jours. Nous entendons souvent parler d'un taux de décrochage de 25 p. 100, mais, en réalité, cela ne reflète pas le taux de retour à l'école. Bien que certains quittent l'école une année ou deux, beaucoup y retournent. À l'heure actuelle, environ 80 p. 100 des jeunes obtiennent leur diplôme d'études secondaires. Un nombre croissant d'entre eux estiment que cela ne suffit tout simplement pas. Comme notre société est devenue plus complexe et plus axée sur la technologie et sur l'information, ils doivent poursuivre leurs études encore davantage.

Quels sont les jeunes qui font ces études supérieures dans nos collèges communautaires et nos universités, honorables sénateurs? Si vous meniez un sondage auprès de n'importe quel groupe d'étudiants, vous découvririez, à votre grande consternation, du moins c'est mon cas, que ceux qui viennent de familles aisées, dont le revenu annuel dépasse la moyenne nationale, sont représentés de façon disproportionnée dans ces établissements. On y rencontre un grand nombre de jeunes qui viennent de familles instruites, souvent parce que leurs membres attachent une grande importance à l'éducation.

Prenons le cas de ma propre famille. Ni mon père ni ma mère n'ont eu la chance de fréquenter l'université. Ma mère était infirmière diplômée. Mon père avait quitté l'université après la première année suite à la mort de son père dans l'explosion d'Halifax. Mes parents ont insisté pour que leurs enfants aillent à l'université. En fait, ma mère a insisté pour que ses filles lui jurent sur la Bible qu'elles ne se marieraient pas avant d'avoir reçu leur deuxième diplôme.

Qu'en est-il des jeunes dont la famille n'est pas riche ou n'apprécie pas l'importance de l'éducation? Beaucoup d'entre eux comprennent que, dans la société d'aujourd'hui, ils doivent poursuivre leurs études, mais ils le font souvent au prix de grands sacrifices personnels.

Il est impératif que l'accès à l'enseignement postsecondaire fasse l'objet d'un examen approfondi dans ce pays.

Nous devons notamment nous demander si le régime fiscal fédéral devrait suivre l'exemple australien. Il n'y a pas de frais de scolarité en Australie mais, une fois que vous avez reçu votre diplôme d'un établisssement d'enseignement postsecondaire, qu'il s'agisse d'un collège communautaire ou d'une université, vous payez pour ce privilège par le biais du régime fiscal. À certains égards, les étudiants australiens ont plus de chance que les nôtres, car il leur est difficile de déménager au sud de la frontière. En effet, on ne trouve pas grand-chose au sud de l'Australie. Néanmoins, le fait est que l'Australie a institué un système qui fonctionne bien et qui permet à tous ceux qui le désirent d'avoir accès à l'enseignement postsecondaire.

Il conviendrait également, je crois, d'examiner le rôle que jouent les collèges communautaires au Canada. Pour nombre d'étudiants, ces collèges servent de tremplins au sortir de l'école secondaire et ils sont incroyablement différents les uns des autres selon les endroits. Au Québec, par exemple, les cégeps sont principalement axés sur la formation générale, bien qu'ils offrent aussi d'autres programmes. Dans ma province, par contre, les collèges ont une vocation à peu près exclusivement technique. En effet, au Manitoba, que ce soit à Red River, à Kewatin ou à Assiniboine, les collèges communautaires vous préparent surtout à exercer certains métiers en particulier. Les cours peuvent varier, allant de la garde d'enfants à l'agriculture, en passant par le dessin industriel et l'exploitation minière. Malheureusement, ils sont incapables d'accueillir tous les jeunes Manitobains qui voudraient y entrer; il n'y a pas assez de places.

Dans un important rapport d'étude sur l'éducation postsecondaire au Manitoba, l'ancien sénateur Duff Roblin et ses collaborateurs, M. Kevin Kavanaugh et Mme Kathleen Richardson, ont clairement fait ressortir, il y a quelques années à peine, la difficulté pour les jeunes gens de fréquenter les collèges communautaires manitobains ainsi que la nécessité d'offrir dans ces institutions un enseignement qui soit à la fois structuré et souple.

Je crois savoir que des problèmes semblables se posent au niveau universitaire. Le fédéral doit sûrement pouvoir se faire un devoir de recenser, d'un bout à l'autre du pays, nos atouts en matière d'enseignement postsecondaire et d'encourager l'évolution constante de notre expérience dans ce domaine.

Il y a donc des problèmes au niveau universitaire. Dans un monde idéal, chacune des provinces serait en mesure d'offrir à tous les étudiants l'optimum en fait de programmes. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal, mais dans des provinces dont la taille et, par conséquent, la capacité d'offrir l'éventail le plus vaste possible de cours à leurs étudiants, est très variable.

À l'Université du Manitoba, par exemple, nous avons une école d'art dentaire. Des étudiants de tous les coins du pays étudient l'art dentaire à l'Université du Manitoba. En fait, je me suis laissé dire que la majorité des étudiants inscrits au programme viennent d'en dehors de la province. Parmi les programmes universitaires offerts au Canada, c'est le plus cher, plus cher même que la médecine. Pourtant, nous ne semblons pas évaluer le nombre de places nécessaires en art dentaire au Canada, afin de déterminer s'il y en a trop ou trop peu dans les universités. Une telle évaluation a été faite pour la médecine vétérinaire, pour laquelle nous avons des écoles régionales plutôt que des écoles provinciales, ce qui n'empêche pas les provinces de pouvoir envoyer un certain nombre d'étudiants à ces écoles.

La récente décision prise par les universités à Halifax est très intéressante. Dalhousie, King's, St. Mary's, la Technical University of Nova Scotia et l'Université Mount Saint Vincent se sont réunies et ont constaté qu'elles pouvaient adopter une approche coopérative pour administrer leurs institutions. Imaginez! Les étudiants de cinq universités dans une même ville pourront suivre des cours dans l'une ou l'autre des institutions. Cette approche est tout à fait révolutionnaire!

En 1962, j'ai étudié dans une université du Massachusetts, où j'ai pu profiter d'une telle approche. Je fréquentais le Smith College, mais je pouvais suivre des cours à Amherst, à l'Université du Massachusetts, et à Mount Holyoke. Un autobus assurait la navette entre les quatre localités où se trouvaient ces universités.

Jusqu'à maintenant, un étudiant à l'Université Mount Saint Vincent éprouvait des difficultés à faire reconnaître ses crédits à l'Université Dalhousie. Je vois certains de nos pages sourire parce qu'ils savent de quoi je parle. La mesure prise à Halifax est une mesure progressive - une mesure qui aurait dû être prise il y a longtemps, mais néanmoins progressive.

C'est le genre de choses qu'un comité sénatorial pourrait examiner, pour ensuite faire part de ses conclusions aux provinces. Il va de soi que nous n'avons aucun contrôle sur l'éducation. Ce secteur relève de la compétence des provinces, et il est normal qu'il en soit ainsi. Toutefois, en tant qu'institution fédérale, nous pouvons prendre des mesures pour que les intéressés sachent ce qui se fait un peu partout au pays dans le secteur de l'enseignement.

J'espère que l'étude du sénateur Bonnell se concrétisera parce que, honorables sénateurs, nos jeunes méritent mieux que ce qu'ils ont actuellement. Ils ont besoin d'être mieux conseillés quant aux programmes disponibles. Ils ont besoin de meilleurs programmes. Ils ont besoin de programmes scolaires enrichis. Notre pays doit développer au maximum les talents et les aptitudes de chaque jeune Canadien.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Berntson, le débat est ajourné.)

L'enfance maltraitée et négligée

Interpellation

L'honorable Anne C. Cools, ayant donné avis le jeudi 30 mai 1996:

Qu'elle attirera l'attention du Sénat sur le décès par négligence et mauvais traitement d'une enfant de six mois, Sara Podniewicz, appelée Sara Olsen, causé par ses parents, Lisa Olsen et Michael Podniewicz, le 24 avril 1994 à Toronto, en Ontario, sur son autopsie, sur la condamnation de ses parents pour meurtre au deuxième degré, sur leur traitement de leurs autres enfants, ainsi que sur la conduite dans cette affaire de la Catholic Children's Aid Society, de la Canadian Mothercraft Society et du Service correctionnel du Canada.

- Honorables sénateurs, j'interviens pour parler d'un cas terrible et tragique d'enfance maltraitée et négligée, c'est-à-dire du meurtre d'une enfant de six mois, Sara Podniewicz, de Toronto. Ce cas illustre bien la fragilité, la vulnérabilité et la dépendance des enfants, de même que leur besoin de protection.

Le 25 avril 1994, les parents de la petite Sara, Lisa Olsen et Michael Podniewicz, ont appelé le numéro d'urgence 911 pour dire en pleurant que leur bébé avait cessé de respirer. L'agent Brian Gill a été l'un des premiers policiers à arriver à leur logis. C'était son premier cas du genre. Il a tenté de réanimer le bébé. Son coéquipier, l'agent Robert Guptill, a constaté que les signes vitaux de Sara étaient absents et que ses bras étaient levés et raides. Ian McClelland, un technicien médical expérimenté du Service d'ambulance du Grand Toronto, savait que Sara était morte, mais lui et son coéquipier ont tâché d'appliquer les techniques de survie conformément à la procédure prescrite. À l'arrivée de Sara au St. John's Health Centre, le docteur Richard Kim a confirmé qu'elle était morte. Les parents Olsen et Podniewicz pleuraient amèrement.

Tous, surtout les policiers, compatissaient à la douleur des parents, en ne soupçonnant rien de suspect. Toutefois, l'autopsie exécutée à l'Hospital for Sick Children de Toronto par le docteur Charles Smith, un pédiatre et médecin légiste, a révélé que la petite Sara était morte depuis 3 à 12 heures avant l'appel au numéro 911. De plus, la nature des blessures ne correspondait pas au récit que les parents avaient fait de la façon dont elles s'étaient produites.

Les parents de la petite Sara, Lisa Olsen et Michael Podniewicz, furent tous deux inculpés de meurtre au deuxième degré. Ils ont subi leur procès il y a quelques semaines devant le juge John O'Driscoll et un jury, et Lesley Baldwin agissait comme procureur de la Couronne. Ils ont été reconnus coupables, et le juge O'Driscoll établira leur sentence et leur admissibilité à la libération conditionnelle le 24 juin 1996.

La petite Sara Olsen, âgée de six mois, qui pesait environ six livres à la naissance, ne pesait que 10 livres lorsqu'elle est morte. L'autopsie a révélé qu'elle avait énormément souffert avant sa mort. Parmi les blessures de Sara, on notait 15 côtes fracturées à divers stades de guérison, ce qui laissait supposer plusieurs incidents distincts de mauvais traitements. Son bras droit avait été fracturé à un endroit, et le bras gauche à deux endroits. Les deux fémurs étaient fracturés. On dénombrait un total de 20 fractures. Il y avait eu épanchement de sang au niveau de la moelle épinière et dans ses poumons, et elle avait souffert d'une infection de l'oreille.

Le docteur Paul Babyn, radiologiste pour enfants qui s'y connaît en traumatismes non accidentels chez les enfants, a témoigné au procès pour meurtre au deuxième degré des parents en disant notamment:

Quand je pense à toutes les blessures, je n'ai vu cela que dans un dramatique accident d'automobile où l'enfant décède ou encore dans un cas où l'enfant avait été broyé dans un compacteur de déchets ménagers.

Le docteur Marcellina Mian, qui participe au programme sur les cas présumés d'enfants victimes de négligence ou de mauvais traitements, à l'hôpital pour enfants de Toronto, a témoigné que Sara présentait également un retard staturo-pondéral, en disant:

De toute évidence, un enfant qui n'est pas alimenté comme il faut est victime de négligence [...]. La négligence, c'est un mauvais traitement par omission.

Dans le rapport d'autopsie, le médecin légiste de l'hôpital pour enfants, le docteur Charles Smith, a décrit la cause du décès, survenu le 28 octobre 1994, de la façon suivante:

Je certifie avoir autopsié le corps, l'avoir ouvert pour examiner les cavités et les organes notés ci-dessus. Je suis d'avis que le décès a été causé par une broncho-pneumonie aiguë compliquée par un traumatisme thoracique.

Honorables sénateurs, le décès a été causé par la pneumonie, mais la petite était dans un état physique tellement pitoyable qu'elle aurait pu mourir de causes multiples.

Au procès, le procureur de la Couronne, Mme Lesley Baldwin, a déclaré dans sa déclaration liminaire que:

Bref, elle était décédée depuis un bon bout de temps quand on a communiqué avec le personnel médical [...] elle avait de nombreuses fractures du type qui sont infligées intentionnellement avec force et elle est finalement morte d'une pneumonie causée par les blessures qu'elle avait subies à la poitrine.

La petite Sara aurait craché du sang pendant des jours avant son décès. Malgré sa souffrance, malgré tous les signes apparents de maladie, ses parents, qui cherchaient à se protéger et à éviter tout soupçon, n'ont pas demandé d'aide médicale pour ce bébé sans défense.

Honorables sénateurs, je vais passer en revue certaines des pathologies et autres difficultés de cette famille. Lisa Olsen et Michael Podniewicz sont des cocaïnomanes qui consomment du crack. Ils ne travaillent pas, mais vivent de l'aide sociale. Ils ne sont pas mariés, mais vivent ensemble depuis 1987, et leur relation est chaotique et instable. Ils ont sept enfants, dont six à eux deux et un que Lisa a eu avec un autre homme. Le septième est né pendant ce procès et le sixième, pendant les audiences préliminaires.

Au moins un de ces sept enfants - et le bébé Sara aussi, probablement - a été conçu pendant les visites conjugales faites par Olsen à Podniewicz, qui purgeait une peine de cinq ans pour voies de faits, après avoir gravement blessé son fils le plus âgé, Mikey, le 14 juin 1988. Mikey, qui n'avait alors que 10 semaines et est maintenant âgé de huit ans, a subi de graves lésions au cerveau à cause de cette agression. Mikey est aveugle, sourd, partiellement paralysé, et son âge mental est celui d'un bébé de dix semaines. Il est placé dans une famille d'accueil, et il aura besoin de soins constants pendant le reste de sa vie, qui sera brève, car, selon les pronostics, il ne devrait pas atteindre la vingtaine.

Kalev Helde, de la Catholic Children's Aid Society, a témoigné au procès des parents pour le meurtre de Sara et dit que les blessures infligées à Mikey sont parmi les pires, dans les 300 cas qu'il a vus jusqu'en 1988. Il a dit:

Le cas de Mikey m'a particulièrement frappé, car sa qualité de vie avait été très gravement compromise.

Par suite de cet incident, la Catholic Children's Aid Society a pris une ordonnance de surveillance et inscrit Olsen et Podniewicz au registre ontarien des agresseurs d'enfants. En outre, elle a pris en charge deux des autres enfants d'Olsen et les a placés.

La Catholic Children's Aid Society a ensuite rendu les enfants à leur mère, Lisa Olsen. À ce propos, Christie Blatchford a écrit ceci, dans un article publié le 1er mars 1996 dans le Toronto Sun et intitulé «Tears for Sara Aren't Enough»:

... la société a conclu qu'elle (la mère) serait en mesure de protéger les enfants de tout risque qui pourrait survenir si Michael Podniewicz était libéré...

Michael Podniewicz a obtenu une libération conditionnelle et, selon l'une des conditions de sa libération, il ne devait jamais se trouver seul avec les enfants. Peu après sa libération, la petite Sara était morte.

Honorables sénateurs, personne n'a protégé Sara de ses parents.

Le 21 mars 1996, j'ai mentionné au Sénat les préoccupations du juge Thomas Gove en ce qui concerne les services de protection de l'enfant et certaines lacunes qu'il a observées dans ce domaine en Colombie-Britannique. On peut d'ailleurs lire les opinions du juge dans un ouvrage intitulé: Report of the Gove Inquiry into Child Protection in British Columbia. Sara Olsen est un exemple poignant d'un autre échec des services de protection de l'enfant au Canada, cette fois-là à Toronto, en Ontario.

La travailleuse sociale de la Catholic Children's Aid Society chargée de cette famille s'appelait Susan Demelo Grant. Son rôle consistait à collaborer avec la famille pour veiller à ce qu'on s'occupe bien des enfants et à ce qu'on ne les maltraite d'aucune façon. Dans les quinze mois qui ont précédé janvier 1993, dix mois avant la naissance de Sara, Susan Demelo Grant a visité la famille à douze reprises. Elle n'a jamais mis les pieds dans les chambres des enfants.

Pendant sa deuxième visite, Susan Demelo Grant a aperçu Michael Podniewicz seul avec les enfants, ce qui constituait clairement une infraction aux conditions de sa libération. Au cours de son témoignage, elle a expliqué qu'elle n'était pas intervenue parce que M. Podniewicz n'était pas officiellement en liberté conditionnelle à ce moment-là, puisqu'il vivait dans une maison de transition, à Toronto. De plus, à la demande de la mère, Lisa, Mme Demelo Grant a cherché, en janvier 1994, à faire annuler cette condition de la libération de Michael Podniewicz.

C'est le 6 avril 1994 que Mme Demelo Grant a rendu visite à la famille pour la dernière fois. Remarquant que Sara avait le bras dans le plâtre, elle a commencé à craindre que Sara ne soit victime de mauvais traitements. Sara est décédée quelques jours plus tard, soit le 25 avril 1994.

À propos du bras cassé, Mme Demelo Grant a déclaré, au cours de son témoignage, qu'il était:

... fort possible que Sara ait été blessée par ses parents.

Bien qu'elle savait que M. Podniewicz avait été reconnu coupable et condamné à une peine d'emprisonnement pour avoir agressé son fils aîné, Mikey, elle s'est contentée de demander à un spécialiste de la santé de la Catholic Children's Aid Society d'examiner le cas. Son témoignage a aussi révélé qu'elle ne savait pas qu'Olsen et Podniewicz figuraient tous deux sur le registre des cas d'enfants maltraités de l'organisme.

Dans l'article intitulé «Gardienne inconsciente d'un avertissement de mauvais traitements» qu'il a publié, le 3 mai 1996, dans le Toronto Sun, Sam Pazzano rapporte ceci:

Mme Demelo Grant a expliqué hier au juge John Driscoll que l'information concernant le registre était «dans le dossier sur microfiche, mais je ne l'ai pas gardée en mémoire».

Honorables sénateurs, le fait que le nom de ces agresseurs figurait dans le registre provincial des cas d'enfants maltraités n'a pas empêché que cette enfant soit maltraitée et tuée parce que la travailleuse sociale de la Children's Aid Society n'en a tout simplement pas tenu compte.

Je rappelle aux sénateurs le cas similaire de Kim Anne Popen, qui est décédée le 11 août 1976, où les travailleurs sociaux de la Children's Aid Society n'ont pas consulté le registre des cas d'enfants maltraités. Dans le rapport de l'enquête judiciaire sur les soins donnés à Kim Anne Popen par la Children's Aid Society de la ville de Windsor et du comté de Lambton, qu'il a publié en 1982, le juge Ward Allen fait savoir que le registre n'a pas permis de protéger Kim Anne Popen, car:

[...] l'information contenue dans le registre est rarement employée par les sociétés locales d'aide à l'enfance.

Honorables sénateurs, ces mêmes tragédies d'enfants battus et tués se répètent sans cesse et comportent souvent les mêmes caractéristiques.

La Catholic Children's Aid Society n'a pas été le seul organisme à ne pas pouvoir protéger la petite Sara. Un autre organisme, la Canadian Mothercraft Society, a été appelé, par la Catholic Children's Aid Society, à intervenir dans l'affaire Podniewicz. Martha McKay, une thérapeute pour enfants au service de la Canadien Mothercraft Society, a travaillé avec la famille. Sa première visite auprès de la famille remonte à quatre mois avant la naissance de Sara.

Pendant ses visites, elle n'est jamais montée à l'étage pour voir où les enfants vivaient. Martha KcKay n'a jamais posé de questions au sujet de Mikey ni de l'endroit où il se trouvait. Dans un article paru dans le Toronto Sun le 26 avril 1996, Christie Blatchford a écrit que, durant son témoignage, McKay a dit d'elle-même qu'elle était:

«une personne non autoritaire et compatissante de la communauté», chargée d'offrir son aide à la famille.

Cela fait écho aux propos du juge Thomas Gove, qui a écrit dans son rapport sur le décès de Matthew Vaudreuil en Colombie-Britannique que le problème avec les services de protection de la jeunesse et les organismes de secours était qu'ils n'étaient pas assez centrés sur les enfants et qu'ils confondaient souvent les intérêts des parents, habituellement les mères, avec ceux des enfants. Dans les conclusions de son rapport, le juge Gove a dit que, dans le cas de Matthew Vaudreuil, un grand nombre des décisions prises étaient:

[...] fondées sur les intérêts des travailleurs sociaux, de Verna Vaudreuil ou du ministère plutôt que sur ceux de Matthew. Si ces décisions avaient été axées sur l'enfant, il est probable que Matthew aurait été pris en charge, soit avec l'accord des intéressés, soit à la suite d'une ordonnance.

Le procès des Olsen et Podniewicz a été très troublant. Il a fait ressortir un fait qu'on a passé sous silence, c'est-à-dire que l'octroi de subventions de l'État les empêchait de s'affranchir de leur vice et de régler leurs difficultés et les ancrait dans leur inaptitude comme parents. Il a fait ressortir l'accumulation d'erreurs commises par les sociétés d'aide et les organismes gouvernementaux, y compris les services de protection de l'enfance, les organismes de soutien à la famille, les autorités responsables de l'aide sociale et celles responsables des libérations conditionnelles et des services correctionnels.

Le Sénat du Canada devrait être informé des activités de la Commission nationale des libérations conditionnelles et des Services correctionnels canadiens dans cette affaire, puisqu'il s'agit de deux organismes fédéraux.

Honorables sénateurs, tous ces organismes sont aux prises avec des problèmes troublants. Habituellement, on entend davantage parler de leurs problèmes ou échecs que de leurs réussites. Nous devrions être attentifs aux deux.

Quoi qu'il en soit, le compte rendu le plus révélateur des mauvais traitements dont Sara a été victime est celui de sa soeur aînée. La fillette de huit ans, Jasmine, avait été interrogée par la police au sujet de sa vie chez les Podniewicz. Le 3 avril 1996, un article de Gary Oakes, paru dans le Toronto Star et intitulé «Mauvais traitements infligés à un bébé mimés et présentés sur vidéo aux jurés relatait l'échange entre la fillette de huit ans et la police:

La fillette de huit ans [...] a dit à la police [...] qu'elle était fâchée contre son père «parce que s'il n'avait pas fait cela, rien ne serait arrivé.»

Cela brise le coeur. On peut entendre sa colère.

L'enquêteur Jim Vaughan-Evans a demandé:

S'il n'avait pas fait quoi?

«Rien», répondit la fillette, qui devait ajouter plus tard: «S'il n'avait pas lâché Sara en la faisant tomber sur la tête.»

Fait intéressant, tout au long de son témoignage, la fillette a parlé de «secrets» qu'elle n'était pas autorisée à dévoiler.

Le juge de première instance, John O'Driscoll, lorsqu'il a donné ses instructions au jury, a dit ceci:

Il ne fait pas de doute que ces faits ont ébranlé votre confiance dans certains organismes et certaines institutions [...] mais il ne s'agit pas ici d'une enquête devant coroner, ni de l'évaluation d'un employé ni d'une audience pour décider de congédier ou de promouvoir quelqu'un. Vous n'êtes pas ici pour envoyer des messages ni pour en recevoir.

Le jury a écouté et a trouvé Lisa Olsen et Michael Podniewicz coupables de meurtre au deuxième degré.

Honorables sénateurs, il est très impressionnant de voir la force et l'endurance des nombreuses personnes qui se sont occupées de ces affaires, y compris les agents Brian Gill et Robert Guptill du service de police du Grand Toronto, le technicien médical Ian McClelland, le docteur Charles Smith, le pathologiste qui a pratiqué l'autopsie, Lesley Baldwin, procureur de la Couronne, le docteur Jim Cairns, coroner adjoint de l'Ontario, le docteur James Young, coroner en chef de de l'Ontario ainsi que toutes les autres personnes qui ont exprimé leurs préoccupations à l'égard des infanticides. Ces gens méritent notre respect et notre appui pour avoir obtenu un verdict de culpabilité pour ces deux parents.

En plus des défis que présente l'enquête, ces personnes se heurtent au tribunal à de nombreux obstacles qui peuvent les empêcher d'obtenir un verdict de culpabilité dans de tels cas. À la barre des témoins, ces professionnels, particulièrement les pathologistes, sont souvent contre-interrogés par des avocats de la défense qui cherchent par tous les moyens à détruire la carrière, la crédibilité et la réputation des témoins. De nombreux médecins et professionnels, essentiellement des scientifiques, sont mal à l'aise lors des contre-interrogatoires à cause des tactiques déplaisantes employées par beaucoup d'avocats de la défense pour détruire leurs preuves médicales. De plus, le recours à des témoins experts par la défense devient de plus en plus fréquent devant les tribunaux canadiens.

On m'a dit qu'un des obstacles à la justice dans ces cas est que le témoignage des témoins experts n'est pas soumis à la règle de la communication préalable de la preuve. Il est ainsi plus difficile d'obtenir un verdict de culpabilité. Un autre facteur dans ces cas est le fait que les divers organismes en cause font parfois passer leurs propres intérêts avant ceux de la justice.

Je sais que la Catholic Children's Aid Society veut en appeler de cette décision. Un tel appel retarderait évidemment l'enquête devant coroner. Honorables sénateurs, je crois qu'une enquête devant coroner est critique dans cette affaire et devrait être tenue. Si la Catholic Children's Aid Society n'en appelle pas de la décision, j'exhorte le coroner en chef à ordonner la tenue d'une enquête. Si l'organisme interjette appel de la décision, j'encourage Bob Runciman, solliciteur général de l'Ontario, à ordonner la tenue d'une enquête immédiatement.

Son Honneur le Président: Je regrette, honorable sénateur Cools, mais le temps qui vous était alloué est écoulé.

Y a-t-il consentement unanime pour permettre au sénateur Cools de conclure?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, ce procès sera marquant parce qu'il n'excuse pas la mère d'avoir joué le rôle qu'elle a joué dans ce crime, contrairement à ce qui arrive dans tant de procès au criminel. Les deux parents, la mère et le père, ont été reconnus coupables du décès.

Si Lisa Olsen avait été tenue responsable dans le cas de Mikey, peut-être la vie de la petite Sara aurait-elle pu être épargnée.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si aucun autre sénateur ne désire prendre la parole, le sujet est clos.

L'ajournement

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement:

L'honorable Richard J. Stanbury: Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat, et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit à lundi prochain, le 10 juin 1996, à 20 heures.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

La Société de développement du Cap-Breton

Motion visant à repousser la date du rapport final du comité spécial

L'honorable Richard J. Stanbury (leader adjoint suppléant du gouvernement), au nom du sénateur Rompkey, et conformément à l'avis donné le mardi 4 juin 1996, propose:

Que, par dérogation à l'ordre adopté par le Sénat le 25 avril 1996, le comité sénatorial spécial du Sénat sur la Société de développement du Cap-Breton soit habilité à présenter son rapport final au plus tard le 18 juin 1996, et que le comité conserve les pouvoirs nécessaires à la diffusion de son rapport final, et ce, jusqu'au 30 juin 1996.

(La motion est adoptée.)

Les pêches

Autorisation accordée au comité
pour engager du personnel

L'honorable Noël A. Kinsella, au nom du sénateur Comeau, et conformément à l'avis donné le mercredi 5 juin 1996, propose:

Que le comité sénatorial permanent des pêches soit habilité à retenir les services de conseillers, techniciens, employés de bureau ou autres éléments nécessaires pour examiner les projets de loi, la teneur des projets de loi et autres matières concernant les pêches en général, qui lui sont déférés.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au lundi 10 juin 1996, à 20 heures.)

 


Haut de la page