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Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 51

Le jeudi 7 novembre  1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 7 novembre 1996

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le jour du Souvenir

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le Sénat ne siégera pas le jour du Souvenir et beaucoup d'entre nous participeront à des cérémonies dans leurs provinces respectives. Je voudrais donc saisir cette occasion pour rendre hommage à tous les Canadiens qui ont si vaillamment donné leur vie durant les deux guerres mondiales, la guerre de Corée et d'autres conflits. Je tiens également à remercier tous les hommes et toutes les femmes de nos forces armées qui participent aux missions de maintien de la paix dans les régions troublées du monde.

Plus d'un million et demi de Canadiens ont servi pendant les deux guerres mondiales et 116 000 d'entre eux y ont perdu la vie. Il est extrêmement important pour les Canadiens de tous âges de rendre hommage, le jour du Souvenir, au courage, au dévouement et aux sacrifices de ces combattants qui ont défendu la paix, la liberté et la démocratie.

Honorables sénateurs, le jour du Souvenir est également une occasion pour les anciens combattants de raconter leurs souvenirs. Ce jour-là, lorsque les Canadiens participent aux cérémonies commémoratives un peu partout au Canada, c'est non seulement pour rendre hommage à ceux qui ne sont pas revenus du combat, mais aussi pour honorer les anciens combattants qui en sont revenus.

[Français]

Et avec chaque année qui passe, il est de plus en plus important de garder leur mémoire bien vivante.

[Traduction]

Honorables sénateurs, le nombre d'anciens combattants qui participent aux cérémonies diminue d'année en année et ils sont de moins en moins nombreux à parler de leurs expériences vécues, de leurs sacrifices et de leurs amis et camarades.

Donnons l'exemple aux jeunes Canadiens en nous assurant que l'histoire des anciens combattants continuera d'être racontée et consignée. Il est important de conserver dans la mémoire collective des Canadiens les leçons que nous ont apprises les générations qui ont défendu notre avenir.

Afin de garder ces souvenirs vivants, honorables sénateurs, le gouvernement a dévoilé cette semaine un projet de plusieurs années qui vise à ériger un monument en hommage à la contribution extraordinaire des Canadiens autochtones dans le cadre des deux guerres mondiales et de la guerre de Corée aussi bien que des missions de paix du Canada. Ce nouveau monument servira à commémorer les anciens combattants autochtones.

Conjointement à cette annonce, un fonds fiduciaire de bourses d'études a été créé pour améliorer les possibilités d'éducation des jeunes autochtones.

Honorables sénateurs, ces mesures faisaient partie des recommandations faites par le sous-comité sénatorial des anciens combattants qui, sous la direction de l'ancien sénateur Jack Marshall, avait fait une étude et un rapport exceptionnels sur cette question.

Enfin, honorables sénateurs, il nous incombe de toujours défendre la paix partout dans le monde où elle est menacée. N'oublions jamais ceux qui ont donné leur vie pour nous et témoignons notre profonde reconnaissance à ceux qui ont survécu à la guerre et qui en sont revenus avec des souvenirs de fierté, de tristesse et de courage.

Des voix: Bravo!

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, nous devons nous souvenir, à cette époque de l'année, que le soldat auquel on a rendu le plus d'honneurs dans l'histoire de notre monde, c'est le soldat inconnu. Il repose près d'une grille de l'abbaye de Westminster, dans un sol auquel on a ajouté quelques pelletées prélevées avec vénération à la Somme, Passchendaele, Ypres et Vimy, soit sur tous les grands champs de bataille de la guerre qui était censée être la dernière de toutes. Sur cette tombe, des rois, des reines et des empereurs vont déposer leurs couronnes de fleurs en parlant de sacrifice et d'honneur. C'est l'endroit par excellence pour dire avec Lawrence Binyon:

Quand viendra l'heure du crépuscule et celle de l'aurore,
nous nous souviendrons d'eux.

Au Canada, à Ottawa, le monument commémoratif national est une immense structure de pierre et de fer érigée à la mémoire d'un trop grand nombre de Canadiens qui sont morts lors de cette première grande guerre, puis à la Seconde Guerre mondiale qui a suivi après un répit scandaleusement court. Pas loin de là, dans la tour de la Paix qui domine la ville, se trouve le livre du Souvenir, où sont inscrits les noms de tous ceux qui sont tombés au champ d'honneur. Le jour du Souvenir, on peut entendre le timbre de la trompette, le roulement du tambour et le vrombissement des avions s'unir dans un salut. C'est le moment de répéter ces paroles de John McRae:

Nous vous passons le flambeau de nos mains défaillantes,
À vous de le porter bien haut.

Mains défaillantes? On en compte plus de 460 000 qui sont toujours vivants, parmi tous ceux qui se sont battus pour le Canada au cours de la Seconde Guerre mondiale. On compte encore 19 000 Canadiens qui se sont battus en Corée. De tous les braves de la guerre de 14-18, il n'y en a plus que 1 900 qui sont encore parmi nous.

Honorables sénateurs, nous avons la responsabilité de perpétuer ces symboles et ces sons qui rappellent les tragédies des victoires et des honneurs, mais ici, au Canada, ce pays pacifique malgré toutes ses décorations de guerre, nous risquons fort d'entendre nos plus touchants souvenirs dans des lieux moins célèbres et de les exprimer en mots plus simples. Il n'y a peut-être pas d'hymne plus puissant que le choeur des voix des militaires dans les mess, ni souvenirs plus éloquents que ceux qui sont racontés à la taverne ou dans les salles de la Légion.

Chers collègues, permettez-moi de prendre quelques instants pour décrire l'un des meilleurs souvenirs de la Deuxième Guerre mondiale. Il est relaté par George Ignatieff, ce remarquable diplomate, dans son livre intitulé, croyez-le ou non, The Making of the Peacemonger. En 1941, il accompagnait Mackenzie King en Grande-Bretagne. Voici ce qu'il écrit:

La visite débuta sous de biens mauvais augures. En ma qualité de secrétaire personnel du haut-commissaire, j'avais pris les dispositions nécessaires pour qu'une garde d'honneur attende le premier ministre à l'aéroport de Prestwick et j'avais promis au commandant que je lui ferais signe lorsque le moment serait venu de lui présenter les armes. Ce que j'ignorais, c'est que, au lieu d'emprunter la porte, M. King sortirait par la soute à bombes du Liberator converti dans lequel il avait traversé l'Atlantique. Le premier ministre se laissa doucement glisser à terre et s'éloigna de l'avion, le dos à la garde d'honneur, sans qu'un seul fusil ne bouge.

Le prochain passager à sortir de l'avion fut le général Georges Vanier, alors conseiller militaire de Mackenzie King. Il avait perdu une jambe pendant la Première Guerre mondiale; il se débrouillait remarquablement bien avec sa jambe artificielle, mais il en avait toujours une de rechange, juste au cas où. En sortant de l'avion il me demanda de trouver sa jambe. Il était suivi de Norman Robertson, sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures. Je lui demandai donc où se trouvait la jambe du général, ce à quoi il me répondit que ce n'était pas la peine de crier, qu'il était sourd de cette oreille et qu'il n'entendait rien de ce que je lui disais. Le quatrième membre de la délégation, Jack Pickersgill, chef de cabinet du premier ministre, se révéla être sourd de l'autre oreille et ne rien entendre non plus de mes propos. Je me suis alors dit que cet étrange groupe n'allait certainement pas ajouter autre chose que la plus grande confusion à un effort de guerre déjà pas mal désordonné.

Honorables sénateurs, il y a eu beaucoup de confusion avant que ce sanglant conflit ne prenne fin, mais nous ne devons jamais laisser les problèmes d'antan nous hanter. Nous ne devons jamais oublier que les hommes, jeunes et vieux, qui se sont battus, et les femmes qui à leurs côtés ont partagé des risques pris sans hésiter, étaient à l'image de leur pays, notre pays: jeunes, déterminés et plein d'espoir. Je suis sûr que c'est ainsi qu'ils veulent qu'on se souvienne d'eux.

Des voix: Bravo!

 

Les compressions budgétaires touchant le Fonds du Souvenir

L'honorable Erminie J. Cohen: Honorables sénateurs, alors que nous nous arrêterons le 11 novembre pour commémorer ceux qui ont combattu pour la liberté et ont sacrifié leur vie pour défendre nos valeurs, je dois absolument faire état du grand désappointement des anciens combattants et de bien des Canadiens devant les plus récentes compressions budgétaires qui serviront à réduire le déficit. Les coupes les plus cruelles sont celles qui ont touché le fonds du Souvenir, qui payait les frais d'inhumation des anciens combattants possédant moins de 24 030 $ au moment de leur décès. Dorénavant, seuls les anciens combattants dont la succession vaut moins de 12 015 $ auront droit à ces fonds et je crois même que cette somme inclut, pour la première fois, les biens du conjoint.

Au cours des années, bon nombre d'anciens combattants ont économisé en vue des funérailles de leur conjoint en pensant que leurs propres obsèques seraient payées par le fonds du Souvenir; c'est bien le moins qu'on puisse leur offrir pour leurs nombreuses années de service. J'ai récemment été témoin de la consternation et des difficultés que cette mesure a causées à des anciens combattants octogénaires, qui avaient du mal à comprendre pourquoi il n'y avait plus d'argent pour leurs funérailles alors qu'ils auraient pu économiser à cette fin lorsqu'ils travaillaient s'ils avaient su à l'avance que tel serait le cas. Le gouvernement aurait certainement pu trouver un autre programme à couper et ne pas toucher ces quelques dollars qui assurent aux anciens combattants les funérailles qu'ils méritent.

Nous vivons certainement à une bien singulière époque lorsque l'argent devient plus important que les êtres humains.

 

Les enfants-soldats

L'honorable Landon Pearson: Honorables sénateurs, alors que nous rendons hommage aux Canadiens qui se sont battus, ont souffert et sont morts pendant les guerres de ce siècle, je voudrais me pencher sur un groupe dont on parle rarement, alors que nous devrions y porter attention: les enfants-soldats. Pendant les Première et Deuxième Guerres mondiales, des centaines de Canadiens qui n'avaient pas l'âge se sont enrôlés, la plupart du temps en prétendant être plus vieux qu'ils n'étaient, mais d'autres étaient effectivement des recrues, selon la tradition et la pratique héritées de l'armée britannique.

De ce fait, l'armée canadienne avait de nombreux garçons pendant la Première Guerre mondiale qui étaient regroupés en bataillons de jeunes. Même s'ils devaient rester dans la réserve, un grand nombre d'entre eux sont allés en France et beaucoup furent blessés ou tués. D'autres ont survécu, mais ont grandi en conservant des souvenirs traumatisants. Ces garçons méritent le respect pour leur courage et une grande compassion pour leurs souffrances prématurées. Ces soldats en dessous de l'âge légal n'étaient qu'un petit pourcentage, bien sûr, de toutes les forces armées engagées dans les guerres mondiales. Cependant, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la nature de la guerre a beaucoup changé. Aujourd'hui, des enfants de plus en plus jeunes sont recrutés ou contraints de s'enrôler. Le 11 novembre, l'Assemblée générale de l'ONU à New York discutera d'un rapport sur les conséquences des conflits armés pour les enfants, qui a été récemment présenté au secrétaire général par Mme Graça Machel. Il s'agit d'un document percutant qui a un chapitre émouvant sur la tragédie des enfants-soldats obligés de se livrer à des activités dangereuses et privés, s'ils survivent, de tout ce qui est naturel pendant l'enfance et essentiel pour devenir un adulte responsable.

En tant que Canadiens, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour changer cette pratique, qui a des conséquences si lourdes pour les enfants en cause et pour le reste d'entre nous qui sommes vulnérables à la violence irrationnelle de jeunes combattants dont la seule école est la guerre.

Pour continuer à exercer une influence dans ce domaine, je pense que le Canada doit se joindre aux autres pays et appuyer le protocole optionnel de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, qui fait passer l'âge de recrutement dans les forces armées de 15 à 17 ans. Ne pas le faire, c'est ne pas honorer le sacrifice de nos soldats, jeunes et moins jeunes, qui sont morts pour que nous puissions vivre en paix.

 

Les anciens combattants autochtones

L'honorable Raymond J. Perrault: Honorables sénateurs, plus tôt cette semaine, j'ai eu l'occasion de rencontrer un groupe d'anciens combattants autochtones. Aujourd'hui, on a annoncé la création d'un fonds de bourses d'études pour les descendants des anciens combattants autochtones. C'était très émouvant de voir ces hommes, dont certains sont très vieux maintenant, un ou deux ayant même combattu durant la Première Guerre mondiale. Ils sont très touchés par la décision de créer ce fonds.

Dans toutes les réunions et les audiences que j'ai eues avec eux, je ne me souviens pas de les avoir entendus réclamer une énorme indemnisation. Ils ont plutôt demandé qu'on les respecte et qu'on reconnaisse qu'ils ont apporté leur contribution et fait une différence durant la guerre.

Lorsqu'on regarde les états de service de ceux qui ont combattu durant la Première et la Seconde Guerres mondiales, on s'aperçoit que les autochtones ont combattu avec beaucoup de courage et se sont vu décerner de nombreuses médailles pour la bravoure dont ils ont fait preuve sous le feu ennemi. Comme un ancien combattant indien me l'a dit: «Nous étions tous égaux sur le champ de bataille. Nous étions tous égaux lorsque nous tombions sous les balles à Dunkerque et durant l'invasion de l'Europe. Nous avions une camaraderie inégalée. Cependant, à notre retour au Canada, nous n'étions plus égaux. Nous n'avions même pas le droit de vote.»

Je dois rappeler que John Diefenbaker a accordé aux Indiens et aux autochtones du pays le droit de vote, ce qui est tout à son honneur et à l'honneur du gouvernement de l'époque, cet autre grand parti historique. Je ne peux croire qu'on ait pris tant de temps à réparer cette injustice. Durant la Seconde Guerre mondiale, il suffit de lire la liste des pertes canadiennes au cours de l'invasion de l'Europe pour comprendre que les autochtones constituaient un pourcentage presque disproportionné de ces pertes. Certains avaient conservé les grands instincts d'éclaireurs de leurs ancêtres et leur habilité, et on leur a accordé une place spéciale dans nos forces armées, car ils avaient justement ces talents spéciaux.

J'ai rencontré un groupe d'anciens combattants plus tôt dans la semaine. Ils ne demandaient pas un énorme dédommagement, mais simplement qu'on reconnaisse la contribution qu'ils ont apportée à notre grand pays. Il s'agit de construire, ici, à Ottawa, un monument commémoratif, et la contribution financière de chacun d'entre nous sera la bienvenue. C'était une expérience très touchante. À la fin de la cérémonie, on a distribué du foin d'odeur aux anciens combattants qui avaient survécu à la guerre et à d'autres qui avaient fait tout ce qu'ils avaient pu pour faire avancer la cause des Indiens.

Honorables sénateurs, certains d'entre vous ont lu l'article d'hier au sujet du grand nombre de morts subies durant la Première Guerre mondiale: 300 000 morts au cours des cinq premiers jours de la campagne de la Somme. Au Vietnam, il y a eu 30 000 morts. La publicité entourant les énormes pertes subies durant ce tragique conflit était répandue.

Je me rappelle d'une occasion, celle de la visite de Lester B. Pearson à Vancouver. Il s'adressait alors à un petit groupe de gens dans un salon. Il leur a dit:

Après une de ces batailles, la zone disputée était couverte de morts et de mourants, allemands, français, canadiens, etc. Je me suis dit à l'époque que l'humanité avait été créée dans un but beaucoup plus noble que celui-là.

Honorables sénateurs, c'est une bonne raison pour nous de poursuivre notre mission traditionnelle qui consiste à maintenir la paix dans le monde.

Cela a été un grand privilège et un plaisir de rencontrer les anciens combattants autochtones cette semaine. Sur cette question, les sénateurs des deux côtés ont coopéré pour produire ce rapport qui recommande qu'on prenne des mesures concrètes. C'était un excellent rapport.

Des voix: Bravo!

[Français]

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, je voudrais certainement me joindre à tout ce qui a été dit par mes honorables collègues des deux côtés de la Chambre, à l'occasion de cette journée du Souvenir. Je pourrais personnaliser mon intervention en disant que j'ai des raisons de parler ainsi.

(1430)

[Traduction]

Mon frère aîné était un brillant étudiant en dernière année de collège. En 1939, il n'a pas hésité un instant à se porter volontaire. Il n'a pas attendu la conscription pour aller se battre. Comme il était l'aîné d'une grande famille, cela a brisé à jamais le coeur de ma mère. Pendant les 20 années qui ont suivi, ma mère n'a plus été la même.

Je voudrais rendre hommage à ces gens d'une manière différente. Je songe à toutes les personnes courageuses qui ont donné leur vie, aux familles qui ont souffert, aux familles qui étaient divisées. Cependant, je préfère parler de nous, parlementaires de l'heure. Un jour, un étudiant m'a demandé, ici même au Sénat, lorsque je prenais la parole devant une association d'étudiants du Commonwealth: «Quelle est votre définition de la guerre?» La question était venue très spontanément. J'ai répondu: «La guerre est souvent, sinon toujours, le résultat de l'échec des politiciens.»

Je songe aujourd'hui à tous les foyers de tension qui existent dans le monde. Je me demande si nous, parlementaires de l'heure, accordons suffisamment d'attention à l'étude, à l'examen minutieux et à l'analyse des événements qui risquent de conduire encore une fois à la guerre. Ces jeunes pages que nous accueillons si chaleureusement ici risquent d'être appelés à faire la guerre en notre nom, car nous n'y avons pas encore trouvé de solution.

Au cours des six ou sept dernières années, c'est le jour du Souvenir où je réfléchis davantage à l'avenir et à mon rôle en tant que parlementaire. C'est une des nombreuses raisons pour lesquelles, par exemple - et je pense que c'est directement lié à cela - je défends les relations parlementaires contre l'opinion publique. Les relations parlementaires permettent aux membres de différentes origines de se connaître les uns les autres.

Le sénateur Bosa, président actuel de l'Union interparlementaire, sait que, à l'époque où il existait réellement des tensions, j'ai causé des difficultés à certains d'entre nous, même auprès des services de sécurité du Canada, en m'entretenant avec des gens de ce qu'on appelait «l'autre camp». Le sénateur Perrault et moi étions en Corée du Nord. Les sénateurs auraient dû voir ce qu'une seule visite en Corée du Nord avait apporté à des gens qui étaient complètement isolés du reste du monde.

Parfois, nous hésitons et avons peur de ce que les gens vont dire ou faire. Mais si nous croyons faire la chose honorable, nous ne devrions pas hésiter. Nous, parlementaires de l'heure, qui ne serons pas appelés à nous battre, devrions accorder plus d'attention aux affaires internationales. Il faudrait améliorer notre connaissance des affaires internationales et ne jamais hésiter à nous rendre dans des «villes ou des contrées interdites» si nous estimons que cela permettra de promouvoir la paix et la bonne entente sur la terre.

Cette journée est bien choisie non seulement pour réfléchir à ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie en notre nom et en celui de nos jeunes, pour les remercier chaleureusement et pour prier pour eux, mais également pour nous rappeler l'énorme responsabilité qui nous incombe. Sans le savoir, chacun de nous ici peut changer les choses. Nous ignorons où et quand, mais nous pourrions changer les choses. Nous ne devrions pas avoir honte, au moment de notre mort, qu'on dise de nous: «Au moins, non seulement il a rendu hommage à ceux qui sont morts, mais il a fait son devoir pour tâcher d'éviter que l'histoire se répète.»

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si cela met fin aux observations en hommage à nos anciens combattants, je propose que nous observions une minute de silence à la mémoire des vaillants Canadiens qui ont donné leur vie pour nous.

(Les honorables sénateurs observent un moment de silence.)

(1430)

 

L'économie

L'honorable Jack Austin: Honorables sénateurs, maintenant que le quatrième trimestre de 1996 est entamé, le moment est venu, ce me semble, d'examiner certaines caractéristiques clés pouvant expliquer le rendement de l'économie canadienne. La première caractéristique est, bien sûr, le succès que le gouvernement, à l'avantage de l'économie canadienne, continue de remporter dans sa lutte contre le déficit fédéral qui ne cesse de baisser année après année, passant de 45 milliards de dollars qu'il était en 1993, à la fin du gouvernement Mulroney, à environ 25 milliards de dollars à la fin de l'exercice 1996. Le gouvernement est résolu à maintenir le cap sur son objectif déficit zéro d'ici la fin du siècle, soit dans quatre ans. Cette réduction constante du déficit est l'indice que la structure des dépenses au Canada passe de plus en plus du secteur public au secteur privé qui devient le principal moteur de la croissance économique.

La deuxième caractéristique est le degré de confiance qui n'a jamais été aussi grand chez les gens d'affaires et qui ne cesse de s'intensifier chez les consommateurs canadiens. La réduction des taux d'intérêt, qui n'ont jamais été si bas depuis 40 ans, et celle des taux hypothécaires, les plus bas en 30 ans, entraîneront une augmentation annuelle d'environ 4 p. 100 des dépenses réelles que les ménages consacreront aux biens de consommation durables tels que les maisons et les autos neuves.

En ce qui a trait aux taux d'intérêt, le Financial Post d'aujourd'hui signale que le taux applicable à un prêt hypothécaire pour cinq ans n'a jamais été aussi bas depuis 31 ans, soit 6,95 p. 100. Robert Fairholm, économiste en chef chez DRI Canada, aurait déclaré que, compte tenu de la morosité de l'économie canadienne, les taux peuvent encore être considérés comme élevés. Selon Fairholm, les taux réels de rendement, c'est-à-dire le taux d'intérêt nominal moins le taux d'inflation, correspondent à peu près aux moyennes historiques. Par exemple, les bons du Trésor de trois mois rapportent maintenant un peu moins de 2,9 p. 100. Vu que le taux d'inflation se situe à 1,5 p. 100, cela donne un taux réel de rendement de 1,4 p. 100.

Le Groupe économique de la Banque Royale du Canada estime que l'économie canadienne fonctionne à un rythme d'environ 3 p. 100 inférieur à sa capacité. Il s'ensuit donc que la troisième caractéristique de l'économie canadienne à la fin de 1996 est que ce stimulus monétaire ne risque pas de faire hausser le taux d'inflation.

Il importe aussi de remarquer qu'un taux de chômage de l'ordre de 9,5 p. 100 est nettement supérieur à ce que les économistes appellent le niveau de plein emploi. Le Canada a donc aussi des possibilités de croissance sur le marché de l'emploi, sans devoir ranimer l'inflation.

La Banque Royale du Canada prévoit en moyenne un taux de croissance économique de 1,4 p. 100 en 1996, de 3 p. 100 en 1997 et de 3,5 p. 100 en 1998.

Le sénateur Doody: Quelle est la part de chance?

Le sénateur Austin: J'en arrive aux chiffres sur la création d'emplois.

Le sénateur Doody: J'ai été ravi d'entendre que les données sur le chômage laissent de la latitude à la croissance.

Le sénateur Austin: Oui, pour ce qui est du marché de l'emploi, évidemment.

Le sénateur Doody: C'est incroyable!

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Austin, je regrette de vous informer que la période de trois minutes dont vous disposez est écoulée.

Des voix: Qu'on l'autorise à continuer.

Son Honneur le Président: Permission est-elle accordée au sénateur Austin de continuer?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Austin: La quatrième caractéristique est la remarquable croissance des exportations du Canada vers les États-Unis et les autres pays. De 1991 à 1996, la valeur de nos exportations a presque doublé. Nos exportations et nos échanges commerciaux atteignent des niveaux records. Le gouvernement canadien prévoit une croissance des exportations de 5,3 p. 100 en 1997 et de 6,1 p. 100 en 1998. En comparaison, les importations devraient augmenter de 4,8 p. 100 et de 5,5 p. 100 respectivement. La morosité de l'économie canadienne devrait disparaître au cours des deux prochaines années en raison de la croissance du logement, des ventes d'automobiles et des immobilisations. Les emplois devraient augmenter de 255 000 en 1997 et de 315 000 en 1998. L'appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain stimulera la demande de consommation au Canada, même si cela pourrait aussi nuire dans une certaine mesure à nos exportations.

Enfin, j'en arrive à la question de l'inflation considérée comme un stimulant nécessaire de la croissance économique. Ce sujet a été traité par Gordon Thiessen, gouverneur de la Banque du Canada, dans un discours qu'il a prononcé hier, à Toronto. Comme nous l'avons maintes fois entendu de la part du gouverneur Thiessen, la première politique de la banque consiste à mettre l'accent sur une devise forte qui assure la stabilité des prix dans l'économie canadienne. La principale critique que soulève cette politique, c'est qu'elle condamne l'économie canadienne à un rendement constamment sous la normale. Le gouverneur Thiessen rejette catégoriquement la thèse voulant que l'inflation soit un lubrifiant nécessaire à la croissance économique. Il est convaincu que l'inflation ne fait qu'amener les gens à croire à tort que leur argent a plus de valeur qu'il n'en a réellement, de sorte qu'ils prennent des décisions de dépense malavisées quant à la valeur et au risque, ce qui entraîne inévitablement des distorsions dans l'économie qui exigent des mesures correctrices radicales.

Honorables sénateurs, il ne s'agit pas de la fin, mais du début d'un grand débat sur la façon de gérer la croissance de l'économie canadienne au cours des prochaines années. Pouvons-nous réaliser une véritable croissance sans le stimulant de l'inflation? Quelle est la façon d'accroître la productivité au Canada? Je compte revenir sur ces questions.

[Français]

 

Politique canadienne de radiodiffusion

Démenti des allégations
contenues dans les médias

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, suite à une déclaration que je faisais dans cette Chambre, le 29 octobre dernier, au sujet du projet de loi C-216, le Toronto Star, dans son édition du lundi 4 novembre 1996, sous la plume de David Vienneau, publiait des informations erronées. Un député de l'autre Chambre en faisait autant le même jour à la période des questions. Il en va de même pour le mardi 5 novembre.

Quand je parle d'informations erronées, je veux dire que le vice-président Fernand Bélisle, du CRTC, ne s'est jamais rendu coupable, lors d'une entrevue que nous avons eue récemment, de lobbying en faveur du projet de loi C-216, comme le rapportait le Toronto Star et certains députés du Parti réformiste.

Honorables sénateurs, il est de notre devoir de scruter les projets de loi qui sont acheminés au Sénat afin de nous assurer que ceux-ci n'aient pas d'incidences négatives et ne dévient pas de leur objectif. C'est le cas du projet de loi C-216. Je poursuivrai l'étude de ce projet de loi en consultation avec des groupes, des individus et des agences gouvernementales, que cela plaise ou non aux députés du Parti réformiste, pour déterminer de quelle façon ledit projet de loi pourrait être modifié de façon à le rendre acceptable aux Canadiens francophones, entre autres, et à tous les Canadiens et Canadiennes.

J'ai même dit, le 29 octobre dernier, que l'intention du parrain de ce projet de loi était louable et acceptable. J'ai demandé à M. Fernand Bélisle, vice-président du CRTC, de me rencontrer pour m'éclairer sur certaines questions que je me posais. Comme un bon fonctionnaire doit le faire, M. Bélisle a acquiescé à ma demande. En aucune façon, il ne s'est prêté à du lobbying.

M. Bélisle s'est contenté de répondre à mes nombreuses questions et de faire suivre la documentation demandée. Ce n'est pas à la suite de la rencontre avec M. Bélisle que j'en suis venu à la conclusion que le projet de loi C-216, tel que libellé, est un mauvais projet de loi.

[...] après consultation avec les spécialistes en la matière, et suite à des réunions avec la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, après avoir reçu et lu la lettre de l'honorable sénateur Gauthier à ce sujet, et après une rencontre avec un haut dirigeant du CRTC, j'en suis venu à la conclusion...

Il me semble que cela est suffisamment clair. Je ne puis donc passer sous silence les accusations injustes portées à l'égard de M. Fernand Bélisle, un serviteur de l'État dévoué et responsable.

Je poursuis mon travail sur ce projet de loi. J'aurai l'occasion de participer au débat une fois ma réflexion plus avancée.

 


[Traduction]

 

AFFAIRES COURANTES

Le Code criminel

Projet de loi modificatif - Rapport du comité

L'honorable Sharon Carstairs, présidente du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant:

Le jeudi 7 novembre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son

 

SEIZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel (accord sur le chef d'accusation), a, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 2 mai 1996, étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport.

Le comité recommande que le Sénat ne poursuive pas davantage l'étude de ce projet de loi, pour la raison suivante:

Cette recommandation fait écho à la crainte du comité que le projet de loi S-3 ne porte atteinte aux droits protégés par l'alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés, en permettant qu'un accusé soit puni plus d'une fois pour la même infraction.

Respectueusement soumis,

 

La présidente,
SHARON CARSTAIRS

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Carstairs, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

 

La sécurité des transports

Présentation du rapport du comité des transports et
des communications demandant l'autorisation
de se déplacer afin de poursuivre son étude

L'honorable Lise Bacon, présidente du comité sénatorial permanent des transports et des communications a l'honneur de présenter le rapport suivant:

Le 7 novembre 1996

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications a l'honneur de présenter son

 

SIXIÈME RAPPORT

Votre comité, autorisé par le Sénat le 2 octobre 1996 à examiner, afin de présenter des recommandations, l'état de la sécurité des transports au Canada et à mener une étude comparative des considérations techniques et des structures juridiques et réglementaires, dans le but de vérifier que la sécurité des transports au Canada est d'une qualité telle qu'elle répondra aux besoins du Canada et des Canadiens au prochain siècle et de présenter son rapport au plus tard le 31 décembre 1997, demande respectueusement que le comité soit autorisé à voyager à l'intérieur et à l'extérieur du Canada et à retenir les services d'avocats, de conseillers techniques et de tout autre personnel jugé nécessaire aux fins de son enquête.

Conformément à l'article 2:07 des Directives régissant le financement des comités du Sénat, le budget présenté au comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration ainsi que le rapport s'y rapportant, sont annexés au présent rapport.

Respectueusement soumis,

 

La présidente,
LISE BACON

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

Le sénateur Bacon: Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 58(1)g) du Règlement, je propose que le rapport soit adopté maintenant.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée?

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Non.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission n'est pas accordée, nous reviendrons à cet article plus tard. Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour que nous revenions à cette question plus tard dans la journée ?

Des voix: D'accord.

[Traduction]

 

Régie interne, budgets et administration

Présentation du douzième rapport du comité

L'honorable Colin Kenny: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter le douzième rapport du comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration concernant la proposition visant à accorder des avantages sociaux et des allocations aux personnes qui travaillent actuellement à contrat pour des sénateurs.

Je demande que le rapport soit imprimé en appendice aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui.

(Pour le texte du rapport, voir les Journaux du Sénat d'aujourd'hui. )

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Kenny, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance du Sénat.)

 

Projet de loi de mise en oeuvre de l'Accord De libre-échange Canada-Israël

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-61, Loi portant mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-Israël.

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Graham, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance du mardi 19 novembre 1996.)

 


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les relations entre le Canada et la Chine

Le procès et l'incarcération du dissident
wang Dan-La position du gouvernement

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, avant de poser ma question, je souhaite la bienvenue à madame le leader du gouvernement, qui est de retour parmi nous. J'espère qu'elle se sent mieux et que nous ne l'obligerons pas à trop parler aujourd'hui.

La semaine dernière, les autorités chinoises ont condamné à 11 ans de prison un courageux dissident chinois. Le seul crime de Wang Dan est d'avoir consacré sa vie à la défense des droits de la personne, pour lui et ses concitoyens chinois. Cette mesure du gouvernement chinois a suscité une réprobation universelle.

Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le gouvernement canadien a-t-il communiqué avec le gouvernement chinois au sujet de cet acte barbare? Dans l'affirmative, quel a été le contenu de cette communication?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, si ma mémoire est fidèle, le gouvernement canadien a exprimé son opinion sur cette affaire. Je tâcherai de trouver une réponse plus exacte pour le sénateur.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, le secrétaire d'État américain et le président allemand ont tous deux déclaré publiquement qu'ils aborderaient cette question avec les dirigeants chinois lorsqu'ils se rendront en Chine le mois prochain. Madame la ministre peut-elle nous donner l'engagement que le gouvernement canadien va suivre cet exemple, à l'occasion de la visite du premier ministre en Chine le mois prochain, et qu'on rendra compte de la démarche au Sénat?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je vais transmettre la question du sénateur aux intéressés afin de lui obtenir une réponse.

Je répète ce que j'ai déjà dit à quelques reprises. Le gouvernement fédéral, par l'entremise du premier ministre, du ministre des Affaires étrangères et d'autres personnes, continue de faire valoir avec force auprès des autorités chinoises son opinion sur les violations des droits de la personne. Je vais leur transmettre la question du sénateur.

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, je voudrais demander à madame le leader du gouvernement au Sénat s'il est possible d'obtenir la transcription du procès qui a eu lieu. Ainsi, tous les sénateurs seraient en mesure de se former leur propre opinion de la situation en Chine concernant ce procès.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je le répète, le premier ministre et le gouvernement ont exprimé des réserves en ce qui a trait à la tenue de ce procès. Je crois comprendre qu'un appel du jugement est envisagé. Je tenterai de donner suite à la suggestion de mon honorable collègue. Je ne sais pas s'il est possible d'obtenir la transcription qu'il exige.

 

Énergie atomique du canada

La vente de réacteurs nucléaires à la Chine-Demande de renseignements sur les sauvegardes

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, pour permettre à madame le leader du gouvernement de reposer sa voix, je lui demanderais de nous expliquer à une date ultérieure les résultats obtenus grâce à la diplomatie discrète. Pourrait-elle nous dire, par exemple, dans quel domaine la diplomatie discrète, comparativement à une politique plus sévère concernant le respect des droits de la personne, a obtenu des résultats assez probants pour faire accepter au gouvernement canadien la vente de réacteurs nucléaires à ce stade-ci?

(1450)

Pour ce qui est du contrat qui devrait être conclu bientôt, peut-on avoir l'assurance qu'il contiendra, le cas échéant, des sauvegardes autres que les assurances et sauvegardes insérées dans les accords précédents signés avec la Roumanie, l'Inde et d'autres pays?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Avant de répondre à l'honorable sénateur, je voudrais remercier mes collègues des deux côtés de cette Chambre pour les bons voeux qu'ils m'ont transmis hier. Grâce à leurs voeux, j'ai pu retrouver un filet de voix aujourd'hui, ce que je n'avais pas hier. Je remercie tous mes collègues, et en particulier le sénateur Corbin.

Pour revenir à la question que posait mon honorable collègue, je tenterai de lui obtenir une réponse écrite contenant tous les renseignements sur les sauvegardes nucléaires offertes.

En ce qui a trait à la façon dont les autorités chinoises réagissent aux réserves que nous exprimons concernant la situation des droits de la personne dans leur pays, l'honorable sénateur sait déjà que nous avons abordé avec le gouvernement chinois la question de la primauté du droit et de la réforme du système judiciaire chinois. Cela demeure l'un des grands sujets de préoccupation du Canada, l'un des grands sujets de discussion entre les deux pays, tout comme la question de la formation des juges, et nous espérons que la poursuite de ces discussions entraînera la réforme du système judiciaire en Chine.

Je comprends les préoccupations qu'exprime mon honorable collègue et je lui transmettrai par écrit tous les autres renseignements que je pourrai obtenir.

 

L'alphabétisation

Le refus de supprimer la TPS sur les imprimés-
L'incidence sur les défavorisés-
La position du gouvernement

L'honorable Consiglio Di Nino: La semaine dernière, le ministre des Finances a annoncé que certains établissements municipaux et d'enseignement n'auront plus à payer la TPS sur les livres qu'ils achètent. Ce qu'il ne nous a pas dit, c'est que la plupart de ces livres sont déjà visés par une importante remise.

Honorables sénateurs, dans ce monde où règne la technologie de pointe, les Canadiens doivent absolument savoir lire pour être concurrentiels, et l'annonce de M. Martin n'aidera pas beaucoup les centaines de milliers de Canadiens qui ne fréquentent pas l'école et qui s'efforcent d'améliorer leurs connaissances. En ne supprimant pas la TPS sur tous les imprimés, M. Martin ne reconnaît pas la nécessité pour ces Canadiens d'améliorer leur aptitude à lire.

La ministre responsable de l'alphabétisation reconnaîtra-t-elle que, en ne prenant pas cette décision, le gouvernement prive ces Canadiens d'une occasion d'améliorer leur situation économique et leur qualité de vie?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai maintes fois partagé les préoccupations exprimées au sujet de l'imposition des livres au Canada. Je ne suis cependant pas d'accord avec ce que dit mon collègue concernant la déclaration du ministre des Finances. Cette déclaration s'applique non seulement aux établissements d'enseignement, mais aussi aux bibliothèques publiques et aux organismes bénévoles comme ceux qui s'occupent d'alphabétisation.

Le ministre a bien affirmé son attachement et celui du gouvernement à la cause que le sénateur et moi défendons tous les deux, et le ministre et moi continuerons de chercher d'autres moyens d'atteindre les objectifs.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, je conviens que la ministre a défendu cette cause avec un dévouement que je respecte et admire. J'ai cependant une question complémentaire. Madame la ministre, en tant que ministre responsable de l'alphabétisation, êtes-vous pour la suppression de la TPS sur les imprimés?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, j'ai toujours favorisé la suppression de la TPS sur les imprimés. En outre, je collabore à cet égard avec mon collègue, le ministre des Finances. Il a travaillé très fort, avec beaucoup de diligence et, certes, dans un grand esprit de collaboration pour faire avancer les choses comme il l'a fait. Il fonctionne dans un certain cadre qui suppose des contraintes. Il a déployé des efforts considérables, dont il est fait mention dans l'annonce qu'il a faite il y a trois semaines environ. J'appuie ces efforts et je collabore avec lui pour promouvoir la cause de l'alphabétisation.

Le sénateur Lynch-Staunton: Martin a contribué à la rédaction du livre rouge.

Le sénateur Doody: Il a reçu le prix Pulitzer pour le roman.

 

Réponses différées à des questions orales

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse à une question posée au Sénat le 11 mai 1995 par le sénateur Spivak concernant l'usine de panneaux de particules orientées en Saskatchewan; la réponse à une question posée au Sénat le 5 décembre 1995 par le sénateur Spivak concernant l'évaluation environnementale fédérale des projets forestiers; la réponse à une question posée au Sénat le 13 juin 1996 par le sénateur Spivak concernant la réduction du financement pour la région des lacs expérimentaux; la réponse à une question posée au Sénat le 30 octobre 1996 par le sénateur Jessiman concernant l'échec du plan d'action Canada-Union européenne; la réponse à une question posée au Sénat le 21 octobre 1996 par l'honorable sénateur Gustafson concernant la destruction des cultures par des chutes de neige prématurées; et la réponse à une question posée au Sénat le 12 décembre 1995 et aussi le 5 novembre 1996 par le sénateur Balfour concernant la vente d'avions Airbus à Air Canada.

 

L'environnement

L'usine de panneaux de particules orientées-
L'ajout à l'étude environnementale des conséquences pour le Manitoba-La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorable Mira Spivak le 11 mai 1995)

La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale s'applique dans les cas où les organismes fédéraux ont une responsabilité directe de prise de décision. En ce qui concerne les projets mentionnés par le sénateur Spivak, il n'existe pas de responsabilité directe de prise de décision susceptible de déclencher le processus fédéral d'évaluation environnementale.

L'évaluation environnementale de ces projets est menée en vertu des législations provinciales respectives. Des spécialistes provenant de ministères fédéraux participent aux processus provinciaux.

Le gouvernement actuel reconnaît l'existence de préoccupations relatives aux effets cumulatifs et transfrontaliers des projets dans cette région. Le ministre de l'Environnement s'est vu assuré de la continuité des discussions entre le Manitoba et la Saskatchewan au sujet des effets des activités forestières dans ces provinces.

 

Le Manitoba

L'évaluation environnementale fédérale des
projets forestiers- La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorable Mira Spivak le 5 décembre 1995)

La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale s'applique dans les cas où les organismes fédéraux ont une responsabilité directe de prise de décision. En ce qui concerne le projet d'exploitation forestière de la Louisiana Pacific, il n'existe pas de responsabilité directe de prise de décision susceptible de déclencher le processus fédéral d'évaluation environnementale.

La Commission de protection de l'environnement du Manitoba a mené des audiences publiques dans le cadre de l'évaluation d'impact environnemental du projet, conformément à la Loi sur l'environnement du Manitoba. Les audiences publiques, auxquelles ont participé les ministères fédéraux, ont pris fin en janvier. La Commission a transmis son rapport au ministère de l'Environnement du Manitoba le 22 mars.

Dans une lettre adressée à son homologue provincial, la précédente ministre de l'Environnement a indiqué qu'elle devra considérer le rôle éventuel du fédéral face à l'examen des questions non résolues si, à la fin du processus provincial, on prévoit toujours des effets environnementaux négatifs importants qui touchent aux champs de compétence fédérale.

Le ministère de l'Environnement du Manitoba a délivré une licence pour ce projet en décrivant les conditions générales dans lesquelles doivent s'effectuer les activités d'exploitation forestière. Le Ministre de l'Environnement a examiné attentivement les conditions décrites en fonction des domaines de compétence fédérale et a décidé de ne pas soumettre le projet à une évaluation environmentale par une commission.

 

L'environnement

La réduction du financement pour la région des
lacs expérimentaux-La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorable Mira Spivak le 13 juin 1996)

Les compressions initiales de l'Examen des programmes au programme des sciences de l'eau douce du ministère des Pêches et des Océans s'appuyaient sur l'hypothèse d'une délégation totale des responsabilités de gestion de l'habitat du Ministère aux provinces intérieures. Après cette délégation, le Ministère n'aurait plus eu besoin de maintenir un programme de sciences de l'eau douce pour appuyer l'exercice de ses fonctions de gestion de l'habitat dans les provinces intérieures. Cependant, depuis que les décisions initiales de l'Examen des programmes ont été prises, le rôle du ministère en matière de gestion de l'habitat du poisson dans les provinces intérieures a changé. Le Ministère continuera de jouer un rôle appréciable dans l'examen des grands projets d'aménagement qui risquent d'avoir d'importantes répercussions environnementales. Ce changement, conjugué avec d'autres initiatives scientifiques fédérales de plus grande envergure et avec la perte des fonds du Plan vert en 1997, a amené le Ministre à réévaluer les réductions initiales au programme des sciences de l'eau douce de son Ministère. Il a décidé que les compressions initiales étaient trop considérables et a annoncé une réaffectation de 1,8 million de dollars aux budgets de la recherche sur l'habitat du poisson et des autres recherches sur les eaux douces.

La correction de 1,8 million au programme des sciences de l'eau douce permettra de maintenir 23 emplois de plus que ce qui avait été prévu dans le plan initial résultant de l'Examen des programmes. Malgré des réductions au programme des sciences de l'eau douce qui représenteront environ 40 %, ce qui correspond au taux de réduction général du Ministère, le programme des sciences de l'eau douce conservera une masse critique de scientifiques à l'Institut des eaux douces du Ministère. Le correctif de

financement permettra de poursuivre des projets dans le cadre de l'initiative Région des lacs expérimentaux de l'Institut des eaux douces et de lancer de nouvelles expériences conformément au mandat que conserve le Ministère dans le domaine des sciences de l'eau douce. Il faut noter qu'il n'y a jamais eu de danger que l'on ferme l'Institut des eaux douces à la suite des compressions de l'Examen des programmes, puisque les sciences de l'eau douce ne sont qu'un élément, parmi d'autres, des activités menées à l'Institut.

 

Les pêches et les océans

L'échec du plan d'action Canada-Union européenne-
Le refus d'abroger la Loi sur la protection des
pêches côtières-La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorable Duncan J. Jessiman le 30 octobre 1996)

Le projet de loi sur les pêches déposé au Parlement le 3 octobre 1996 pourvoit à l'intégration de la Loi sur la protection des pêches côtières à la Loi sur les pêches.

Les dispositions contenues dans le projet de loi C-29 en relation avec l'exécution de mesures en haute mer ont simplement été déplacées d'une loi à une autre. Il s'ensuit donc qu'il n'y a aucun changement sur le plan juridique.

L'engagement du Canada reste ferme en ce qui concerne la conclusion d'un plan d'action avec l'Union européenne.

Le Canada est ouvert aux suggestions européennes pour mettre la touche finale au plan d'action ou, à cet égard, à toute autre approche pour consolider la relation transatlantique.

 

L'agriculture

La destruction des cultures par des chutes de
neige prématurées - L'aide aux agriculteurs
des Prairies - La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorable Leonard J. Gustafson le 21 octobre 1996)

En date du 25 octobre 1996, environ 90 - 95 p. 100 des récoltes étaient terminées dans les Prairies. Par province, les pourcentages sont les suivants: Manitoba - récolte terminée, Saskatchewan - 9 p. 100; et Alberta - 85 p. 100.

Malgré les tempêtes récentes, la production atteindra un chiffre record de 65,1 millions de tonnes cette année. Les Prairies avaient atteint un dernier chiffre record en 1986, soit une récolte de 62,1 millions de tonnes. Les conditions météorologiques ont retardé quelque peu les travaux. Toutefois, dans l'ensemble, le retard n'est que de 10 p. 100 par rapport à la moyenne des dix derniers années.

Les gouvernements fédéral et provinciaux, dans le cadre de leurs programmes de protection du revenu, viennent en aide aux producteurs canadiens en leur accordant une protection financière importante en cas de perte de récolte due à des intempéries. Le Programme fédéral-provincial d'assurance-récolte est spécifiquement conçu pour protéger les producteurs contre les pertes comme celles qui ont eu lieu dans les Prairies. L'assurance-récolte assure une indemnisation directe aux producteurs participants qui voient leurs recettes diminuées par suite d'une baisse de rendement ou de qualité.

Outre l'assurance-récolte, la plupart des producteurs participent au programme Compte de stabilisation du revenu net (CSRN). Ce programme incite les producteurs à accumuler des fonds en prévision des périodes difficiles. Pour ce faire, il verse dans leur compte de stabilisation une contribution de contrepartie et leur consent un bond de 3 p. 100 pour chaque année où les contributions du producteur vent gardées dans le compte. Le producteur peut puiser dans son fonds du CSRN lorsque ses recettes, à cause de pertes causées par les intempéries (ou d'autres facteurs), tombent au-dessous de la moyenne des cinq années précédentes. À l'heure actuelle, les producteurs des Prairies détiennent environ 1 milliard de dollars dans leur compte de stabilisation

En plus des mesures décrites ci-dessus, le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire peut autoriser la Commission canadienne du blé à verser des avances pour le grain non criblé. D'après la législation, cette décision ne doit pas être prise avant le 15 novembre 1996.

L'idéal serait que la récolte puisse se terminer cet automne. Toutefois, si ce n'est pas possible, les programmes de protection du revenu existants aideront à éponger les pertes qui pourraient en résulter.

 

La justice

La vente d'avions Airbus à Air Canada -
Les allégations concernant un complot visant à escroquer le gouvernement fédéral -
La connaissance qu'en avaient certains ministres-Demande de précisions

(Réponse à la question posée par l'honorable R. James Balfour le 12 décembre 1995)

Le solliciteur général a eu connaissance que la lettre de demande avait été envoyée le 9 novembre 1995.

 


ORDRE DU JOUR

La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif-Troisième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bryden, appuyée par l'honorable sénateur Stollery, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence.

Et sur la motion en amendement de l'honorable sénateur Nolin, appuyée par l'honorable sénateur Doody, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié,

a) à l'article 4, page 3,

(i) par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit:

approbation du Conseil.,

(ii) par substitution, à la ligne 15, de ce qui suit:

titre du paragraphe (1), le juge en chef ou le juge,

(iii) par suppression des lignes 23 à 31;

b) à l'article 5, par substitution aux lignes 12 à 43, page 4, et aux lignes 1 à 26, page 5, de ce qui suit:

56.1 (1) Le juge auquel un congé a été accordé en vertu du paragraphe 54(1) peut, avec l'autorisation du Conseil accordée en vertu du paragraphe (2), exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale d'États ou l'une de ses institutions et être indemnisé, par le gouvernement du Canada, à l'égard de ses fonctions, de ses frais de transport et des frais de séjour et autres frais raisonnables.

(2) Lorsque le juge demande un congé en vertu du paragraphe 54(1) afin d'exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale d'États ou l'une de ses institutions, le Conseil peut, à la demande du ministre de la Justice du Canada, autoriser l'exercice de ces fonctions.

L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs, l'article 5 du projet de loi C-42 est une modification d'application générale qui concerne les activités internationales des juges canadiens. Il vise à clarifier les conditions que doivent respecter les juges pour pouvoir s'engager dans des activités à l'étranger, par exemple, dans des programmes d'assistance technique dans des pays en développement. Il modifierait la loi actuelle en permettant aux juges qui ont participé à de telles activités de se faire rembourser leurs dépenses, avec l'autorisation du Canada, directement par l'organisme international. Il établirait aussi une structure qui permettrait aux juges de travailler, avec l'autorisation du Canada, pour une organisation internationale d'États ou une de ses institutions. Un juge pourrait ainsi, avec l'autorisation du gouverneur en conseil et après consultation du président du Conseil canadien de la magistrature, demander un congé non rémunéré afin d'être rétribué directement par l'organisation internationale.

Honorables sénateurs, pendant l'étude du projet de loi C-42 au Sénat et au sein du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, quelques réserves ont été exprimées au sujet des répercussions de certains aspects de l'article 5 sur l'indépendance de la magistrature. Il est devenu évident que, pour faire adopter le projet de loi dans les plus brefs délais, le gouvernement devra accepter que l'article 5 soit amendé de manière à restreindre son application à un cas particulier, celui de madame le juge Arbour, actuellement procureur au tribunal international chargé de juger les crimes de guerre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Illégalement, d'ailleurs.

Le sénateur Bryden: Après avoir discuté avec les sénateurs d'en face, nous avons accepté un amendement en ce sens, de préférence aux amendements proposés par l'honorable sénateur Nolin. En vertu de l'amendement que je dépose aujourd'hui, l'article 5 se limiterait à permettre à madame le juge Arbour de prendre congé pour agir comme procureur en chef au tribunal de l'ONU chargé de juger les crimes de guerre commis dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda. Il lui permettrait aussi de prendre un congé non rémunéré et de recevoir directement de l'ONU son traitement et le remboursement de ses dépenses dans l'exercice de ses fonctions de procureur en chef. En d'autres termes, avec cet amendement, l'article 5 cesserait d'être un amendement général visant la mise à contribution de juges canadiens dans le cadre d'activités internationales.

J'ajouterai que, hier, le ministre de la Justice a écrit au Conseil canadien de la magistrature pour savoir s'il avait quelque raison que ce soit de s'opposer à un tel amendement. Le conseil a répondu qu'il ne s'opposait nullement à ce genre de disposition.

 

Motion d'amendement

L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs, je propose donc que le projet de loi C-42 ne soit pas lu maintenant une troisième fois, mais qu'il soit modifié comme suit:

1. Que le projet de loi C-42 soit modifié par substitution, à la ligne 1, page 1, de ce qui suit:

Préambule:

Attendu que le Conseil canadien de la magistrature a été consulté sur certaines dispositions de la présente loi, notamment l'article 5, et est d'accord sur l'objet de cet article,

Sa Majesté, sur l'avis et avec le consente-

Pages 4 et 5, Article 5

Que le projet de loi C-42, à l'article 5, soit modifié par substitution, aux lignes 11 à 45, page 4, et aux lignes 1 à 35, page 5, de ce qui suit:

 

Autorisation
56.1 (1) Par dérogation à l'article 55, madame le juge Louise Arbour, de la Cour d'appel de l'Ontario, est autorisée à exercer les fonctions de procureur du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et du Tribunal international pour le Rwanda.

 

Frais
(2) Elle peut être indemnisée, dans le cadre de ses fonctions de procureur, de ses frais de transport et des frais de séjour et autres frais raisonnables par les Nations Unies.

 

Congé non rémunéré
(3) Elle peut choisir de prendre un congé non rémunéré pour exercer ses fonctions de procureur, auquel cas elle n'a pas droit au traitement et aux indemnités prévus par la présente loi pendant la durée de son congé; toutefois, elle a le droit d'être rémunérée par les Nations Unies.

 

Non-versement des cotisations
(4) Si elle choisit de prendre un congé non rémunéré, elle ne peut pas continuer de verser la cotisation prévue à l'article 50 pendant la durée de son congé; cet article ne lui est pas alors applicable et il n'est pas tenu compte de la durée de son congé pour déterminer, dans le cadre des articles 28, 29 et 42, la durée d'exercice de ses fonctions judiciaires.

 

Présomption
(5) Pour l'application des paragraphes 44(1) et (2), de l'article 46.1 et du paragraphe 47(3), en cas de décès de madame le juge Louise Arbour au cours de son congé non rémunéré, elle est réputée recevoir, au moment du décès, un traitement égal à celui qu'elle aurait reçu en l'absence du congé.

J'ai des exemplaires à distribuer.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?

[Français]

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, j'ai eu le privilège de prendre connaissance du texte de l'amendement proposé par l'honorable sénateur Bryden. Je vous avoue que je me rallie au texte de cet amendement. Si celui-ci est approuvé par cette Chambre, je retirerai en conséquence ma motion.

Honorables sénateurs, nous avons, de part et d'autre de cette Chambre, examiné avec beaucoup d'intérêt le projet de loi soumis par le gouvernement. Je pense rallier l'opinion de tous en disant que les questions soulevées lors de l'examen de ce projet de loi se sont avérées beaucoup plus fondamentales que prévues à l'origine. Je crois comprendre que c'est, entre autres, pour cette raison que le gouvernement a accepté de présenter cet amendement.

L'indépendance de la magistrature est un des éléments que tous les parlementaires canadiens doivent s'appliquer à protéger et à défendre. L'indépendance de la magistrature est un des derniers remparts du respect des valeurs démocratiques de ce pays. De part et d'autre de cette Chambre, nous avons tenté de rechercher la solution la plus intéressante, compte tenu des réalités nationales et internationales auxquelles le Canada est confronté. Pour cette raison, je pense que nous devons appuyer cet amendement.

Nous n'avons jamais de ce côté-ci voulu empêcher le Canada de remplir ses responsabilités internationales, loin de là. Par contre, nous avons été confrontés à un conflit de juridiction. Comment réglons-nous ces conflits de loi lorsque les règles constitutionnelles canadiennes contredisent les règles des autorités internationales? Nous avons eu à examiner les pour et les contre. Je pense que le compromis soumis est valable. Mme le juge Arbour doit mettre ses compétences à profit, pour et dans l'intérêt de tous les peuples qui croient et qui travaillent au respect des valeurs démocratiques dans le monde.

Comme l'a souligné le sénateur Bryden pendant l'élaboration de ce compromis, nous avons suggéré que le nouvel article 5 du projet de loi, soit soumis au Conseil de la magistrature pour des raisons évidentes. Nous croyons qu'il est opportun que toute modification à la Loi sur les juges obtienne l'approbation du Conseil de la magistrature. Comme j'ai eu la chance de vous le dire précédemment, cette création du Parlement du Canada, le Conseil de la magistrature, est une entité très utile. Nous devons l'utiliser. Il s'agit d'un regroupement de juges qui voit à la bonne administration du pouvoir judiciaire au Canada. Nous avons cru opportun et nous croyons qu'il serait opportun dans l'avenir de s'assurer que le Conseil de la magistrature intervienne dans les modifications à apporter à la Loi sur les juges au Canada.

Je pense avoir couvert les éléments importants de l'amendement proposé aujourd'hui. Je vous suggère et je vous propose de l'adopter. S'il est adopté, je retirerai en conséquence ma motion d'amendement.

[Traduction]

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, j'appuie l'amendement que le sénateur Bryden a proposé. Depuis que le Sénat a été saisi de cette question, nous sommes convenus qu'il ne s'agissait pas d'un projet de loi d'ordre administratif. Ce projet de loi renferme nombre de dispositions valables et nécessaires.

D'aucuns se demanderont pourquoi une mesure prévoyant un supplément de 3 000 de dollars pour les juges devrait être présentée au Parlement. C'est la Constitution qui l'exige. Ce n'est pas le montant d'argent qui est important.

(1510)

Ce qui importe, c'est que ce genre d'examen parlementaire soit exigé et qu'il y ait un tampon entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

Quand j'ai lu le projet de loi, j'ai constaté que la plupart de ses dispositions étaient valables, sauf l'article 5 parce qu'il violerait l'indépendance judiciaire. À mon avis, c'est non seulement une question constitutionnelle, une question d'indépendance judiciaire, mais aussi une question liée à l'intégrité du Canada sur la scène internationale. En ce qui concerne l'indépendance judiciaire, je souscris aux propos de madame le sénateur

Carstairs, qui a dit que le gouvernement doit toujours exercer une responsabilité générale à l'égard du bien-être du Canada, notamment les aspects financiers. Or, il ne convient pas qu'il ait le dernier mot sur l'administration des tribunaux - et c'est ici qu'intervient la notion d'indépendance judiciaire. C'est pour cette raison que, depuis 30 ans, nous nous sommes évertués à obtenir l'établissement d'un conseil judiciaire qui servirait d'intermédiaire entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Je pense que ce conseil fonctionne assez bien. Il y a certes place à l'amélioration, mais l'idée d'un conseil judiciaire chargé de se pencher sur les aspects administratifs des tribunaux est extrêmement importante.

À l'origine, l'article 5 était une tentative faite pour contourner le mécanisme tampon qu'est le Conseil de la magistrature dans les cas des affectations de juges aux fonctions internationales. Je ne crois pas avoir entendu beaucoup de voix - à quelques notables exceptions près - affirmer que les juges ne devaient pas contribuer à la réputation du Canada relativement aux affaires internationales. Le sénateur Fairbairn a parlé notamment d'envoyer des juges en Chine aider les Chinois à comprendre la primauté du droit. C'est là un rôle louable et important pour des juges canadiens.

La question n'est pas de savoir s'il faut affecter des juges aux fonctions internationales, mais de savoir dans quels cas et à quelles conditions. Nous ne devons pas compromettre l'indépendance de notre magistrature et nous devons veiller à ce que le processus d'affectation des juges à l'étranger ne viole pas nos propres lois. Quel exemple donnons-nous aux Chinois et au reste du monde si nous enfreignons nos propres lois?

Si nous n'adoptons pas l'amendement proposé par le sénateur Bryden, le risque demeure présent dans le projet de loi. Par conséquent, je suis heureuse que le gouvernement, après les commentaires entendus ici, ait sagement choisi de ne pas adopter de règle générale, mais plutôt de se limiter au cas de madame le juge Arbour et de reporter l'inclusion d'une règle d'application générale à plus tard.

Je crois savoir que le Conseil de la magistrature a été consulté avant la rédaction du projet de loi, mais je ne sais pas en quoi consistaient ces consultations. Je crois que c'est au Conseil de la magistrature qu'il appartient de décider si des fonctions internationales sont légitimes. En l'occurrence, si je me fie au préambule ajouté à l'article 5, je présume que le Conseil de la magistrature a fait son travail et accepte que Mme le juge Arbour participe au tribunal créé pour juger des criminels de guerre. Je présume également, toujours d'après le préambule proposé, que nous avons pesé, d'une part, l'indépendance de la magistrature et, d'autre part, la contribution et la réputation internationales du Canada, et que nous sommes arrivés à la conclusion que c'était un bon compromis.

J'ignore comment madame le juge Arbour s'est retrouvée en Europe. J'ignore également comment le Conseil de la magistrature voit son rôle. Toutefois, il est important que, à compter de maintenant, l'intégrité du Canada ne soit pas menacée et que nous nous soyons effectivement conformés aux règles.

Est-ce une réponse valable aux questions posées? Je le crois. Est-ce la meilleure réponse possible? Je n'en suis pas convaincue. J'aurais espéré que les règles soient déjà en place et que nous ne soyons pas prisonniers de l'exemple que nous avons sous les yeux. Quoi qu'il en soit, la chose était déjà un fait accompli. Madame le juge Arbour avait accepté son poste, bien que nous n'ayons pas su précisément selon quelles modalités.

On nous a dit qu'elle se trouve là-bas en vertu d'un décret. Je crois que nous devrions laisser d'autres instances se prononcer sur la pertinence de ces modalités. Les choses qui se sont produites avant que nous ne soyons saisis de ce projet de loi pourront faire l'objet de discussions au sein d'autres organismes et institutions.

Nous avons dû résoudre une énigme, soit défendre le Canada, sa réputation internationale et les lois humanitaires, tout en violant l'indépendance judiciaire et l'article 100. Grâce à cette modification, nous avons trouvé une façon acceptable d'assurer le respect de nos lois nationales et de nos obligations sur la scène internationale.

J'espère que nous en avons tiré une leçon, que nous ne sommes pas en train de fixer des normes de preuve pour d'autres pays, que nous n'avons pas l'air d'avoir les mains sales aux yeux du monde, que le Conseil canadien de la magistrature, le gouvernement du Canada et, en particulier, le ministre de la Justice - qui est le ministre responsable de la justice dans notre pays, responsabilité prestigieuse et tâche exigeante - réfléchiront à ce problème. Si l'on accepte que nos juges prennent des congés pour aller travailler à l'étranger, dans des situations semblables ou particulières, j'espère que l'indépendance judiciaire des juges sera respectée, que le Conseil de la magistrature fera un examen complet et pertinent de cette question - qui touche non seulement les juges en chef membres du conseil, mais aussi les juges qu'ils représentent ainsi que le ministère et le ministre -, et qu'il consultera l'ensemble de la population avant d'adopter une règle générale.

Je pourrais dire bien d'autres choses à cet égard, parce que c'est important et que j'ai à coeur de garder notre réputation aussi blanche que possible, à l'étranger autant qu'au Canada.

Je ne peux que répéter les paroles de l'honorable Charles Dubin, dans sa récente décision au sujet du juge Isaac et de M. Thompson, du ministère de la Justice. Je crois que tous les sénateurs ont reçu une copie du rapport, qui s'intitule «Rapport sur les communications entre représentants de la justice et tribunaux».

À la page 31 du rapport, l'honorable Charles L. Dubin, CR, LLD, affirme:

Le préambule de notre Constitution établit que l'un des principes de base de notre société démocratique au Canada est la primauté du droit. Mais la primauté du droit n'est pas la loi en soi, c'est un idéal. Au cours des siècles, depuis Aristote, les gens cherchent le moyen de ne pas être gouvernés par la loi d'un tyran ni par un rassemblement d'individus sans foi ni loi, mais selon la primauté du droit et suivant des lois qui s'appliquent autant aux puissants qu'aux faibles, aux riches qu'aux pauvres, sans discrimination.

Comme la primauté du droit ne constitue pas la loi en soi, cela se fait par la volonté populaire, et non par la force. Son fonctionnement s'appuie sur le principe que, une fois un enjeu réglé et tous les recours légaux ayant été employés, la décision doit être acceptée, ceux qui ne sont pas satisfaits pouvant tenter, par des moyens légaux et démocratiques, de changer la loi ou la façon dont la loi est administrée, s'ils la croient injuste.

Toutefois, notre système de justice pénale ne peut fonctionner que s'il continue de jouir de la confiance de la population qu'il sert. La confiance de la population face à l'administration de la justice est essentielle pour l'efficacité du système, et on ne peut présumer de cette confiance - il faut la gagner.

Pour avoir confiance, la population doit être sûre de l'impartialité du juge. Or, son impartialité ne peut être assurée que s'il est complètement indépendant.

L'indépendance de la magistrature n'est pas un avantage qui vient avec le poste de juge ou quelque chose qui fait honneur au juge. Ce principe vise à garantir l'impartialité des juges.

(1520)

Honorables sénateurs, je pense que cet amendement aura pour effet d'éliminer le sens général de l'article 5. Par conséquent, nous avons préservé la confiance face à notre système de justice pénale au Canada, en évitant de contrevenir à des règles ou de violer la Constitution. Surtout, si nous restreignons le sens de cette disposition à Mme le juge Arbour, je crois que nous lui conférons cette impartialité à l'étranger, de telle manière que ceux qu'elle jugera pourront vraiment comprendre ce qu'un système impartial apporte à leur système. Ceux qui se préoccuperont de l'issue des procès, les victimes de Bosnie et du Rwanda, sauront qu'on peut servir la justice en appliquant la primauté du droit. J'appuie cet amendement.

L'honorable Dalia Wood: Honorables sénateurs, j'aimerais faire part de mes préoccupations. Je commencerais par dire que je suis heureuse que le gouvernement ait présenté un amendement au projet de loi précisant les modalités de la participation des juges canadiens à des activités internationales. Cet amendement répond à certaines de mes préoccupations. Je trouve toutefois qu'il ne va pas assez loin. L'article 3 du projet de loi C-42 aurait également dû être modifié pour qu'il reflète l'engagement continu du Parlement à l'égard de l'indépendance judiciaire et de la perception qu'a le public de l'impartialité judiciaire.

Cette réforme de la pension de retraite des juges ne pourrait pas venir à un pire moment. Le juge en chef de la Cour suprême et son épouse semblent être, pour le moment, les seuls bénéficiaires de cette réforme. Le fait qu'elle se fasse plusieurs mois avant que la Cour suprême ne se prononce sur la demande du ministre de la Justice concernant la sécession est complètement inacceptable.

Cela risque de porter atteinte à la perception qu'a le public de l'impartialité du juge en chef, car beaucoup de Canadiens vont se demander comment un individu qui va recevoir des centaines de milliers de dollars en prestations de retraite peut demeurer impartial et indépendant. Comment peut-on croire que les Québécois prendront la décision de la Cour suprême au sérieux, alors que le juge en chef vient de recevoir un tel cadeau?

Honorables sénateurs, je me demande comment le ministère de la Justice, lors de la rédaction de ce projet de loi, a pu ne pas voir cette menace directe contre l'indépendance judiciaire, la pierre angulaire de l'impartialité judiciaire. Le professeur Ted Morton, qui a comparu devant le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, lorsque celui-ci a étudié le projet de loi C-42, s'est posé la même question.

Avec l'article 3, nous sapons l'un des piliers de base de notre système judiciaire. L'indépendance judiciaire est plus qu'une simple règle, c'est une doctrine qui a été mise en place pour que les citoyens puissent faire confiance aux juges qui les jugent, eux et leurs causes. Nous ne devrions pas être si prompts à mettre de côté des mesures de protection immémoriales dans l'intérêt d'une poignée d'individus. Pour ces raisons, lorsque nous serons appelés à nous prononcer, je m'abstiendrai.

[Français]

Son Honneur le président: Honorable sénateur Nolin, est-ce que vous demandez le retrait de votre amendement?

Le sénateur Nolin: Honorables sénateurs, le retrait de ma motion d'amendement sera conditionnel à l'approbation de l'amendement déposé par le sénateur Bryden. Je m'en remets à votre décision quant à la façon d'atteindre cet objectif.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, l'idéal serait que vous demandiez le retrait de votre amendement à ce moment-ci.

Le sénateur Nolin: Je demande le retrait de mon amendement.

Son Honneur le Président: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, à ce que le sénateur Nolin puisse retirer son amendement?

Des voix: D'accord.

 

 

[Traduction]

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, nous sommes saisis de la motion d'amendement de l'honorable sénateur Bryden. Désirez-vous que je lise l'amendement?

Une voix: Inutile!

Son Honneur le Président: Est-ce qu'un autre sénateur désire intervenir à ce sujet?

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, avant le vote, j'aimerais souligner que, encore une fois, le Sénat a été amené à jouer le rôle pour lequel il a été créé, c'est-à-dire réfléchir et procéder à un examen objectif. Ce projet de loi a été adopté à la Chambre des communes en moins d'une demi-journée, le 18 juin dernier. Les parlementaires étaient très pressés de retourner chez eux. Ce projet de loi avait été adéquatement présenté à la Chambre. Le gouvernement a, à bon droit, insisté pour qu'il soit adopté et les députés de l'opposition ont, à tort, adopté ce projet de loi sans l'étudier, sans réfléchir, sans penser à autre chose qu'à leurs projets de voyage pour l'été.

Heureusement, les sénateurs des deux côtés ont examiné le projet de loi en juin et ils ont déclaré qu'ils voulaient le revoir à l'automne. Nous voilà donc aujourd'hui et le gouvernement réalise maintenant qu'il s'était attaqué à des garanties constitutionnelles. Qu'il ait admis cela ou non, il a accepté qu'un changement important soit apporté au projet de loi, et nous convenons tous que ce changement est positif et qu'il règle un cas en particulier, bien embarrassant pour nous tous. Le gouvernement aurait dû procéder ainsi dès le début. C'est ce qu'il a décidé, à l'époque. Heureusement, le Sénat a réussi à apporter les modifications qui auraient dû paraître dans le texte original.

Honorables sénateurs, je crois que nous avons raison d'être fiers de notre contribution au processus parlementaire. De même, nous devrions déplorer l'absence de responsabilité de la part de l'opposition à l'autre endroit.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, est-ce qu'un autre sénateur désire prendre la parole?

Dans ce cas, la question dont le Sénat est saisi est l'amendement proposé par le sénateur Bryden et appuyé par le sénateur Milne, que le projet de loi C-42 soit modifié par substitution...

Le sénateur Graham: Inutile.

Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter l'amendement du sénateur Bryden?

Des voix: D'accord.

(La motion d'amendement est adoptée.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, revenons à la motion principale. Y a-t-il un honorable sénateur qui souhaite prendre la parole au sujet de la motion principale ainsi modifiée?

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, les vieux soldats ne meurent pas. Ils reviennent constamment à la charge.

Je veux toucher un mot sur la motion principale ainsi modifiée et m'attarder sur certains aspects qui me semblaient importants et qui n'ont pas été abordés par le gouvernement dans le cadre du débat d'aujourd'hui.

Pour faite suite à mes interventions du ler octobre et du 27 octobre, je me dois maintenant de faire valoir les principes que sont l'autonomie des juges, qui commande l'intérêt public, la souveraineté du Parlement et l'autonomie des sénateurs et du Parlement.

L'article 3 du projet de loi C-42, soit l'amendement Lamer, se lit comme suit:

Le paragraphe 44(3) de la même loi est remplacé par ce qui suit:

(3) Le conjoint survivant n'a droit, au titre du présent article, qu'à une seule pension.

(4) Le conjoint survivant n'a pas droit à la pension prévue au présent article s'il a épousé le juge après la cessation de fonctions de celui-ci et ce, quelle que soit la date du mariage.

L'article 3 autorise le conjoint d'un juge à toucher plus d'une pension quand ledit conjoint est également juge. Le ministère de la Justice m'informe qu'il n'existe qu'un couple dans ce cas, soit le juge en chef Antonio Lamer, de la Cour suprême du Canada, et madame la juge Danielle Tremblay-Lamer, de la Section de première instance de la Cour fédérale, qu'ils se sont mariés en 1987 et que madame Tremblay-Lamer a été nommée juge le 16 juin 1993.

Honorables sénateurs, je vais exposer les avis de grands experts canadiens du système judiciaire en vigueur au Canada concernant l'article 3 du projet de loi C-42. Le professeur Peter Russel, qui vient de prendre sa retraite de l'Université de Toronto et qui est l'auteur du livre bien connu intitulé The Judiciary in Canada: The Third Branch of Government, a dit ceci:

Le fait qu'un des bénéficiaires de la modification est le juge en chef est tout à fait troublant. Cela soulève la question de savoir s'il y a eu communication de quelque nature que ce soit entre lui et le gouvernement. Je crois que le public a besoin de savoir.

Et le professeur Russell d'ajouter:

En quoi cette modification profite-t-elle au bien public? Une pension est suffisante pour tout Canadien et tout juge canadien. Deux, c'est une de trop.

Christopher Manfredi, professeur de science politique à l'Université McGill, disait que l'amendement Lamer ne devrait pas s'appliquer aux juges actuellement en fonction. Il concluait:

C'est la seule façon d'éviter toute impression d'inconvenance.

Guy Laforest, professeur de science politique à l'Université Laval, disait de cet article:

Il est imprudent [...] de bonifier la pension de Lamer...

Ces universitaires sont cités dans un article intitulé «All in the Family: Rock's Amendments to the Judges Act Seem Tailor-made for Lamer and Arbour», paru dans l'Alberta Report du 28 octobre 1996, sous la signature de Peter Verburg.

Le 17 octobre 1996, F.L. (Ted) Morton, professeur de science politique à l'Université de Calgary, témoignait devant le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles à propos de ce projet de loi et disait:

Sans prêter d'intentions illicites à qui que ce soit, je dois signaler que le moment n'aurait pu être plus mal choisi. Le Sénat est saisi de cette modification aux pensions au moment même où M. Rock demande à la Cour suprême...ce qui invite les observateurs à postuler que les prestations de pension attribuables au juge en chef, ou plus vraisemblablement à sa femme, dont les paiements pourraient représenter des millions de dollars, compromettent l'obligation relative à l'apparence d'impartialité.

... Les sceptiques diront [...] qu'il est inacceptable pour un juge en chef qui vient de bénéficier de la modification proposée par M. Rock d'entendre la cause constitutionnelle la plus délicate de la décennie. En fait, on pourrait étoffer cet argument, aussi injuste que ce soit, en ressuscitant la question de la nomination de la juge Tremblay-Lamer à la Cour fédérale en 1993.

Le professeur Morton continuait en disant:

[...] derrière les «modifications techniques» du projet de loi C-42, il semble y avoir toute une série de jugements douteux et d'indiscrétions.

Ces quatre universitaires étaient unanimes. Ils condamnaient l'article 3 du projet de loi C-42 pour la même raison, celle de l'indépendance et de l'impartialité de la magistrature, et la perception du public en ce qui concerne la Cour suprême du Canada.

Honorables sénateurs, les Canadiens sont inquiets de l'avenir du Canada en tant que nation. Le communiqué de presse du ministre de la Justice, Allan Rock, en date du 26 septembre 1996, annonçait que le gouvernement fédéral «renverra à la Cour suprême du Canada des questions juridiques fondamentales concernant la sécession du Québec du Canada». À la Chambre des communes, ce même jour, le ministre Rock disait qu'il poserait trois questions à la cour parce que la Cour suprême était l'endroit approprié pour ce genre de décisions, et parce que ces questions doivent être soulevées «au lieu même où elles peuvent le mieux être résolues: devant le plus haut tribunal du Canada». Anticipant la décision de la Cour suprême, le ministre Rock disait:

J'ai bon espoir que les tribunaux entérineront et accepteront la position que j'ai mise de l'avant.

Je répète: le ministre nous a dit que la Cour suprême appuierait et accepterait sa position. En même temps, le projet de loi C-42 augmente les pouvoirs et les avantages personnels du juge en chef de ce même tribunal, Antonio Lamer.

Honorables sénateurs, alors que nous attendons la décision de la Cour suprême, j'ai jugé bon de me baser sur l'histoire pour nous guider et d'examiner le dernier renvoi constitutionnel à la Cour suprême du Canada, soit la décision du premier ministre libéral de l'époque, Pierre Elliott Trudeau, de soumettre à la Cour suprême du Canada le rapatriement de la Constitution, en 1981. Il était question du rapatriement de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique par la voie d'une résolution adressée à Sa Majesté la reine Elizabeth.

Dix ans plus tard, en 1991, M. Trudeau a parlé de la décision de la Cour suprême de façon franche, réfléchie et rétrospective. Il a prononcé ce discours remarquable à l'occasion de l'ouverture de la bibliothèque juridique Bora Laskin, à l'Université de Toronto, en 1991. M. Trudeau a parlé avec franchise et sans réserve de la décision de 1981. Parlant en tant qu'ancien premier ministre, ainsi qu'un éminent avocat et juriste spécialisé en droit constitutionnel, il a dit que c'était une décision décisive de la Cour suprême au sujet du rapatriement de la Constitution. Il a ajouté que la Cour suprême avait joué le rôle d'arbitre politique. M. Trudeau a critiqué en profondeur la décision majoritaire des juges de la Cour suprême Jean Beetz, Julien Chouinard, Brian Dickson, Ronald Martland, Roland Ritchie, et Antonio Lamer, du Québec, qui est maintenant juge en chef de la Cour suprême. Il a déclaré que les motifs invoqués par les juges dissidents Willard Estey, Bora Laskin et William McIntyre reflétaient une meilleure loi, un plus grand bon sens et une plus grande sagesse. Son discours était brillant et nous en a appris beaucoup sur la question. Il a apporté une aide bienvenue à l'étude de la récente évolution de la société et des institutions judiciaires. M. Trudeau a expliqué les différences entre des questions justiciables et non justiciables. Il a fait la distinction entre les questions qui sont du ressort du pouvoir judiciaire et celles qui sont de la compétence du Parlement. Il a distingué le rôle judiciaire des tribunaux du rôle politique du Parlement en disant:

Dans le passé, les tribunaux ont souvent refusé de répondre à des questions qui, selon eux, ne relevaient pas du pouvoir judiciaire.

Au sujet des réponses de la Cour suprême à certaines questions, M. Trudeau a déclaré:

En choisissant de répondre à la question, il ne fait pratiquement aucun doute que la Cour suprême du Canada elle-même s'est, pour reprendre les termes du professeur Hogg, «laissée entraîner dans un rôle purement politique» allant au-delà des fonctions jurisprudentielles que, selon le droit moderne, la cour doit nécessairement exercer.

Au sujet du «rôle purement politique» de la Cour suprême, M. Trudeau a ajouté:

...le tribunal avait l'intention de forcer les intervenants politiques à accepter comme exécutoire une règle que seuls les politiques peuvent établir et que seul le processus politique devrait sanctionner.

Il a noté que les juges majoritaires ont cédé aux pressions politiques, mais que les juges minoritaires n'en ont rien fait. Il a dit ceci à ce sujet:

En refusant d'aller au-delà de son rôle qui consiste à interpréter la loi, la minorité a évité de céder à la tentation à laquelle la majorité a succombé, celle d'essayer d'agir à titre d'arbitre politique en période de crise politique. Même s'il y a, sans aucun doute, des points de vue divergents sur la façon dont la cour s'est acquittée de son rôle dans le cas du renvoi touchant le rapatriement de la Constitution, ce n'est pas un rôle auquel un tribunal essayant de ne pas être influencé par les courants politiques devrait aspirer.

M. Trudeau a dit que ce n'est pas un rôle auquel un tribunal «devrait aspirer». Cela avait été une pratique et une coutume chez les juristes canadiens. M. Trudeau a dit que, en succombant à ce rôle politique, les juges de la majorité:

... ont manipulé de manière flagrante les éléments de preuve dont ils étaient saisis pour parvenir au résultat désiré. Ils ont ensuite rédigé un jugement qui tentait de donner un semblant de légalité à leur conclusion préconçue.

M. Trudeau a fait une mise une garde sur les dangers que le tribunal ne s'interpose «... en médiateur dans une bataille politique...», notamment entre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial, et sur les conséquences qui en découleraient. M. Trudeau nous a dit que «... l'avenir du Canada aurait été davantage assuré», n'eut été de la décision majoritaire de la Cour suprême en 1981.

M. Trudeau nous a informés que, malheureusement, la décision de la Cour suprême avait eu des conséquences politiques désastreuses, dont l'une était que cette décision accordait au Québec - alors dirigé par un gouvernement séparatiste, comme aujourd'hui - «... un moyen de se soustraire du giron constitutionnel canadien.»

Honorables sénateurs, c'étaient là les réflexions de M. Trudeau.

M. Trudeau a longuement parlé des conventions constitutionnelles, qui sont des règles établies par les politiciens et qui dépendent des institutions politiques. Ce ne sont pas des lois que les tribunaux doivent appliquer. Les conventions constitutionnelles sont des règles qui régissent l'exercice des pouvoirs discrétionnaires de l'État et du Parlement. M. Trudeau nous a dit que:

... les conventions sont applicables par le processus politique; les tribunaux n'auraient même pas dû se mêler d'en déclarer l'existence.

M. Trudeau a soutenu fermement que les tribunaux n'ont rien à faire dans les conventions constitutionnelles et qu'ils devraient laisser «... aux politiciens, qui [...] sont les seuls responsables des conventions», le soin de les créer, de les modifier et de les appliquer.

L'indépendance de l'appareil judiciaire est une convention constitutionnelle de ce genre qui est cruciale pour le projet de loi C-42. L'indépendance de l'appareil judiciaire est cette règle des politiciens qui protège le pouvoir judiciaire contre une ingérence politique dans les décisions prises par les juges. L'article 3 du projet de loi C-42 menace l'indépendance de l'appareil judiciaire en général et, en l'occurrence, de la Cour suprême du Canada en particulier. Dans l'affaire R. contre Lippe, instruite en 1991, le juge en chef Antonio Lamer a dit :

... l'indépendance de l'appareil judiciaire n'est qu'un «moyen» d'arriver à cette «fin» [...] elle est cruciale à la perception d'impartialité que doit avoir le public.

Honorables sénateurs, je passe maintenant à l'alinéa 2(3)h) et à l'article 6 du projet de loi C-42, qui sont connus sous le nom des modifications Strayer. Le projet de loi prévoit la création, au Conseil canadien de la magistrature, d'un siège pour le juge Barry Strayer, de la Cour fédérale du Canada, qui est également juge en chef de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, et lui donne droit à l'indemnité de 5 000 $ pour frais de réception, qui n'est pas imposable et dont il n'a pas à rendre compte, dont jouissent les membres du Conseil de la magistrature.

Honorables sénateurs, je me suis renseignée sur les sources des modifications Strayer. M. Harold Sandell, conseiller juridique, a informé mon bureau que le juge Strayer et le juge en chef Antonio Lamer avaient tous deux écrit au ministre de la Justice pour demande d'ajouter un siège au Conseil de la magistrature pour le juge Strayer ainsi que le droit à des frais de représentation. Puisque le juge en chef Lamer a donné son opinion, je me demande pourquoi l'on n'a pas demandé l'opinion du juge en chef du juge Strayer, le juge en chef Julius Isaac. On a signalé au comité sénatorial que le juge Strayer avait passé trois mois à Hong Kong, du 1er octobre au 31 décembre 1989, dans le cadre de fonctions non judiciaires en vertu du décret no 1989-1855 en date du 21 septembre 1989.

J'ignore si c'est la vérité, mais j'ai entendu dire qu'il est de nouveau à Hong Kong actuellement. M. le juge Strayer semble très proche des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement, et, honorables sénateurs, je crois vraiment qu'une certaine réserve s'impose.

Honorables sénateurs, je voudrais rappeler une expérience passée du Sénat. En mai et juin 1989, le juge Strayer, de la section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a été saisi de l'affaire Southam Incorporated et Charles Rusnell c. le procureur général du Canada, le Sénat, le comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, Sa Majesté la Reine. Le litige portait sur le droit et le pouvoir d'un comité sénatorial de mener ses propres travaux. Le comité sénatorial permanent de la régie interne avait refusé l'accès à Charles Rusnell, journaliste au Ottawa Citizen de Southam, à une réunion à huis clos du comité. M. Rusnell n'avait pas apprécié ce refus et avait poursuivi le Sénat et le comité sénatorial. M. le juge Strayer devait déterminer si la Cour fédérale avait compétence pour examiner, selon les termes du juge Strayer, «... la façon [dont les comités et et les sénateurs] au Sénat exercent les privilèges parlementaires». Le juge Strayer a jugé que la Cour fédérale du Canada avait cette compétence.

De plus, puisque le Sénat et le comité sénatorial n'étaient pas en eux-mêmes des entités poursuivables, il a conclu que les sénateurs l'étaient individuellement et que, par conséquent, les membres du comité sénatorial devraient faire l'objet de poursuites afin de fournir à un journaliste un recours contre des sénateurs individuels.

Le juge Strayer a jugé que Southam et Charles Rusnell «devraient avoir le droit de poursuivre les membres du comité sénatorial...». Je répète que les journaux pourraient poursuivre «les sénateurs qui faisaient partie du comité à ce moment-là.» En accordant ce recours au journaliste Charles Rusnell, le juge Strayer a fait remarquer que les sénateurs:

[...] semblaient s'enorgueillir du fait que les séances de ce comité se tiennent toujours à huis-clos, et il est juste de penser que, faute d'un jugement condamnant cette pratique, elle se poursuivra.

Le juge Strayer a justifié son expansion de la compétence du tribunal et son incursion dans les affaires du Sénat en disant:

[...] l'adoption de la Charte a modifié fondamentalement la nature de la Constitution canadienne [...] Notre Constitution n'est donc plus «similaire en principe à celle du Royaume-Uni».

Honorables sénateurs, en appel, le juge Frank Iacobucci, de la Division d'appel de la Cour fédérale, a cassé le jugement du juge Strayer, le 23 août 1990, en disant:

Le juge Strayer était d'avis que les tribunaux avaient une telle compétence [...] Le juge Strayer ratisse plutôt large.

Il a donc annulé l'incursion du juge Strayer dans l'exercice par le Sénat de ses propres privilèges et pouvoirs et de son contrôle de ses propres travaux. Le juge Iacobucci a dit:

[...] l'examen des délibérations parlementaires n'est pas une question à prendre à la légère, étant donné la tradition d'égards judiciaires envers le Parlement et de respect envers l'organe législatif du gouvernement en général.

Avant que le juge Iacobucci ne casse le jugement du juge Strayer, cependant, le jugement de ce dernier sur le privilège parlementaire avait déjà été adopté dans la cause de Radio-Canada c. Arthur Donahoe, Président de la Chambre d'assemblée de la Nouvelle-Écosse. Le juge Hilroy Nathanson, de la Division de première instance de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, s'est prononcé contre le privilège parlementaire dans la cause de la New Brunswick Broadcasting Co. Ltd. et autres c. Donahoe et autres, le 25 mai 1990. Ce jugement a, heureusement, été annulé lui aussi. Les privilèges du Parlement ont été confirmés. À l'époque, en 1989, de nombreux honorables sénateurs, comme moi, considéraient l'incursion du juge Strayer comme une grave atteinte aux privilèges du Parlement et un outrage au Parlement. La sagesse, la retenue et la magnanimité du Sénat ont cependant prévalu, de sorte qu'aucune poursuite pour outrage au Parlement n'a été intentée contre le juge Strayer. Parmi les membres du comité sénatorial contre lesquels le juge Strayer estimait qu'on pouvait intenter des poursuites, on notait le Président du Sénat de l'époque, le sénateur Guy Charbonneau et le sénateur Roméo LeBlanc, l'actuel Gouverneur général du Canada, qui devra donner la sanction royale au projet de loi C-42.

Honorables sénateurs, l'étude du projet de loi C-42 a montré à quel point le pouvoir judiciaire joue un rôle de législateur qui n'est pas le sien et qui menace son indépendance. La population canadienne s'attend à ce que le pouvoir judiciaire s'abstienne à participer à l'activité politique. Selon le principe d'indépendance judiciaire, les juges n'interviennent pas dans le processus décisionnel du Parlement. Cette convention se fonde sur la doctrine politique de la courtoisie entre institutions, qui incite les institutions visées par la Constitution, c'est-à-dire le pouvoir exécutif, le Parlement et le pouvoir judiciaire, à travailler sous le signe de l'harmonie et de la courtoisie. Tout accroc à cette doctrine est inquiétant et nuit à l'administration de la justice au Canada et particulièrement à la convention constitutionnelle qui prévoit l'indépendance du pouvoir judiciaire. Le projet de loi C-42 mine l'indépendance et l'impartialité du pouvoir judiciaire. Le Parlement doit protéger la population, le pouvoir judiciaire, l'indépendance du pouvoir judiciaire et spécialement la suprématie du Parlement.

Je suis heureuse de constater, honorables sénateurs, que le gouvernement a fait preuve de souplesse à l'égard du projet de loi C-42. J'aurais aimé qu'il modifie d'autres dispositions. J'aurais été ravie. Toutefois, comme le mentionnait le sénateur Lynch-Staunton, on a réussi à faire valoir un point. On a protesté assez vigoureusement pour s'assurer que le ministère de la Justice n'enverra plus au Sénat des prétendus projets de loi d'ordre administratif en s'attendant à ce que les sénateurs les adoptent sans les étudier à fond.

Son Honneur le Président: Y a-t-il d'autres honorables sénateurs qui désirent intervenir?

L'honorable sénateur Bryden, appuyé par l'honorable sénateur Stollery, propose que le projet de loi modifié soit lu une troisième fois. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: Oui.

(La motion est adoptée et le projet de loi, modifié, est lu une troisième fois et adopté.)

 

La Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères

Projet de loi modificatif-Troisième lecture

L'honorable Lise Bacon propose: Que le projet de loi C-54, Loi modifiant la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères, soit lu une troisième fois.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)

[Français]

 

Le Code canadien du travail

Projet de loi modificatif-deuxième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bosa, appuyée par l'honorable sénateur Adams, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-35, Loi modifiant le Code canadien du travail (salaire minimum).

L'honorable Thérèse Lavoie-Roux: Honorables sénateurs, vous me permettrez de prendre quelques minutes de votre précieux temps pour vous livrer quelques réflexions à l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi C-35, Loi modifiant le Code canadien du travail (salaire minimum).

Il s'agit d'un simple projet de loi d'ordre administratif qui alignera le salaire minimum fédéral sur le taux de salaire minimum général établi par les provinces et les territoires. Le Cabinet conserve toutefois le pouvoir de fixer dans une province ou un territoire un taux de salaire minimum fédéral différent de celui établi par la province ou le territoire.

Cette disposition que l'on retrouve dans le projet de loi est un peu embarrassante; probablement aurons-nous l'occasion, au moment de l'adoption article par article du projet de loi, de clarifier cette disposition qui semble être en contradiction avec l'esprit même de la loi.

La majorité des travailleurs au Canada sont employés dans des entreprises régies par le Code du travail de leur province respective.Un petit pourcentage de la population représentant environ 700 000 travailleurs se trouve toutefois dans des industries interprovinciales ou internationales assujetties aux lois du travail fédérales. Pensons, par exemple, aux employés des compagnies de transport aérien, de transport de marchandises, des chemins de fer, de la radiotélédiffusion, des banques et de certaines sociétés d'État fédérales.

Le salaire minimum fédéral est de quatre dollars l'heure depuis 1986. Je pense que l'on est en droit de s'étonner du fait qu'il soit le plus bas salaire minimum au pays. En vertu du présent projet de loi, il sera égal au salaire minimum en vigueur dans la province ou le territoire où le travail est effectué. Le projet de loi aura pour effet de relever le taux minimum de 75 sous à trois dollars l'heure, selon la province où la personne travaille. L'amendement s'appuie sur le principe que les lois provinciales sur le salaire minimum reflètent les conditions du marché local et les conditions économiques régionales.

[Traduction]

Nous approuvons les grandes lignes du projet de loi. Je crois qu'il ne visera qu'un très petit nombre de personnes. Beaucoup de gens des catégories que j'ai mentionnées touchent le salaire minimum. Si le gouvernement veut vraiment faire quelque chose pour les gagne-petit, il devrait s'attaquer au chômage. Il devrait aussi mettre en place des mesures concrètes pour alléger la pauvreté dans laquelle beaucoup de nos compatriotes vivent à l'heure actuelle.

En septembre, plus de 1,5 million de Canadiens étaient officiellement sans travail. Le taux de chômage a grimpé de 9,4 p. 100 en août à 9,9 en septembre. Il y a 78 000 chômeurs de plus et 47 000 emplois de moins. Au cours de la dernière année, il y avait des emplois pour moins de la moitié des Canadiens qui entraient sur le marché du travail. La situation est grave.

Le chômage chez les jeunes tourne autour des 17 p. 100. Quatre cent trois mille jeunes Canadiens sont sans travail. Inutile de dire que la situation est encore pire au Québec. Je n'ai pas les statistiques pour Terre-Neuve et les autres provinces.

(1550)

[Français]

En terminant, honorables sénateurs, mes collègues et moi-même sommes d'accord avec le projet de loi C-35. Nous sommes même étonnés que la question n'ait pas été réglée plus tôt. Maintenant que ce sera un fait accompli, j'espère que le gouvernement va s'attaquer plus énergiquement et avec plus de détermination au problème de la création d'emplois, sans oublier les mesures concrètes qui devraient être mises de l'avant pour lutter contre la pauvreté.

Il ne faut pas oublier que le Conseil canadien du bien-être social, lors de son dernier rapport, établissait à 1 Canadien sur 6, soit 16 p. 100 de la population canadienne, le nombre de personnes qui vivaient dans la pauvreté; c'est-à-dire 4,8 millions d'enfants et d'adultes. Allons-nous nous satisfaire de cette petite amélioration qui va faciliter les concordances entre les provinces et le fédéral? Je suis pourtant assez assidue dans cette Chambre, mais jamais on n'entend parler de pauvreté et jamais on n'a amené devant nous, depuis fort longtemps, des mesures qui amélioreraient en particulier le sort des pauvres de notre société. Le fait qu'il y ait au Canada 4,8 millions de gens qui vivent dans la pauvreté dans une société telle que la nôtre devrait nous inciter à nous poser des questions et, en dehors de la partisanerie, à essayer d'influencer le gouvernement pour que des actions soient prises.

Nous appuyons le projet de loi C-35 comme une mesure positive, mais une mesure marginale par rapport aux mesures beaucoup plus énergiques dont je viens de parler relativement au chômage, à la création d'emplois et au grave problème de la pauvreté qui sévit dans trop de familles canadiennes.

[Traduction]

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quelqu'un d'autre veut-il parler de cette question?

L'honorable Peter Bosa: Honorables sénateurs...

Son Honneur le Président: Si l'honorable sénateur Bosa prend maintenant la parole, son intervention aura pour effet de clore le débat sur le projet de loi C-35 à l'étape de la deuxième lecture.

Le sénateur Bosa: Honorables sénateurs, je suis certain que nous souscrivons tous à ce que le sénateur Lavoie-Roux a dit au sujet de l'emploi, de la création d'emplois, des difficultés des chômeurs et, en particulier, des jeunes chômeurs. Le projet de loi à l'étude est toutefois très explicite et vise à hausser le salaire minimum.

Cela étant dit, je propose que le projet de loi soit renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

(La motion est adoptée, et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

 

Renvoi au comité

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Bosa, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

[Français]

 

La sécurité des transports

Adoption du rapport du comité des transports et des communications l'autorisant à se déplacer afin de poursuivre son étude

Le Sénat passe à l'étude du sixième rapport du comité sénatorial permanent des transports et des communications, présenté au Sénat le 7 novembre 1996.

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, j'ai présenté au début de la séance le sixième rapport du comité sénatorial des transports et des communications qui demande l'autorisation de faire des dépenses spéciales conformément aux directives régissant le financement des comités du Sénat, je demande maintenant l'adoption de ce rapport.

Son Honneur le Président: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

 

[Traduction]

 

Terre-Neuve

Les changements apportés au système scolaire-
La modification de la clause 17 de la Constitution-
Le rapport du comité-Motion d'amendement-
Ajournement du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Rompkey, c.p., appuyée par l'honorable sénateur De Bané, c.p., tendant à l'adoption du treizième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (modification de la Constitution du Canada, clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve avec le Canada), déposé auprès du greffier du Sénat le 17 juillet 1996.

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Doody, appuyé par l'honorable sénateur Kinsella, que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit modifié par substitution aux mots «sans amendement, mais avec une opinion dissidente», des mots:

Supprimer le passage de l'alinéa b) de la clause 17 qui précède le sous-alinéa i) et le remplacer par les mots «là où le nombre le justifie»;

Et sur le sous-amendement de l'honorable sénateur Cogger, appuyé par l'honorable sénateur Bolduc: Que la motion d'amendement soit modifiée par substitution au mots «avec l'amendement suivant:» des mots «avec les amendements suivants: a)», par suppression du point à la fin de l'amendement et par adjonction des mots suivants:

b) Supprimer les mots «d'y régir» à l'alinéa c) de la clause 17 et y substituer les mots «d'y déterminer et d'y régir»

L'honorable Michael Kirby: Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour reprendre le débat sur la modification proposée à la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve avec le Canada.

En guise d'introduction, je voudrais souligner que mon intérêt dans cette affaire est très personnel. Mon père et ma mère sont tous les deux nés à Terre-Neuve et y ont fait leurs études. Presque tous les parents vivent encore à Terre-Neuve. En fait, parmi mes nombreux parents terre-neuviens, mon oncle Lorne Kirby a été, jusqu'à tout récemment, principal de l'école de Harbour Grace. Mon oncle, Fred Kirby, a servi de secrétaire au sein de la Commission royale sur l'éducation et la jeunesse de Terre-Neuve en 1967.

Cette commission a fortement recommandé que le ministère de l'Éducation de Terre-Neuve soit réorganisé d'une manière fonctionnelle plutôt que confessionnelle. En fait, le système scolaire intégré qui comprend actuellement des écoles anglicanes, presbytériennes, de l'Église unie et de l'Armée du salut est directement issu de la commission royale au sein de laquelle mon oncle Fred faisait office de secrétaire.

Je voulais vous donner ces détails concernant ma famille pour faire ressortir le fait que le débat sur l'éducation dure depuis très longtemps à Terre-Neuve.

Je souligne aussi en passant mon rôle personnel dans les changements constitutionnels survenus au Canada. En 1980 et 1981, j'étais le plus haut fonctionnaire impliqué dans les négociations constitutionnelles qui ont abouti au rapatriement de notre Constitution et à l'inclusion de la Charte canadienne des droits et libertés dans cette Constitution. Si je ne savais pas ce qu'était un droit constitutionnel avant d'occuper ce poste, je le savais certainement en le quittant, particulièrement lorsqu'on parle du droit d'une minorité à l'éducation. L'expérience acquise pendant cette période m'a également enseigné les avantages et les inconvénients des mots «là où le nombre le justifie» dans le domaine de l'éducation.

Honorables sénateurs, mon intervention d'aujourd'hui s'appuie sur ma longue expérience des affaires de Terre-Neuve, des affaires constitutionnelles et des affaires liées aux droits des minorités.

J'ai suivi le débat avec beaucoup d'intérêt. Si l'on écarte le discours politique et tous les à-côtés, les tenants de la nouvelle clause 17 ont présenté cinq arguments. Tout d'abord, le système scolaire de Terre-Neuve a besoin d'une réforme. Deuxièmement, la réforme nécessaire ne pourra être réalisée que si la Constitution est modifiée. Troisièmement, puisque la législature de Terre-Neuve a voté en faveur de la modification de la clause 17 et puisque cette modification porte sur un domaine de responsabilité provinciale, à savoir l'éducation, le Parlement du Canada n'a pas d'autre choix que d'approuver la proposition sans y toucher. Quatrièmement, puisque la majorité des Terre-Neuviens ont voté pour la modification dans le cadre d'un référendum, le Parlement du Canada doit l'approuver sans y toucher. Cinquièmement, puisque le processus suivi était juste, en ce sens que les minorités visées ont eu la possibilité de se faire entendre avant que la modification soit mise sous forme définitive, le Parlement devrait adopter la modification proposée à la clause 17.

Honorables sénateurs, pratiquement tous les partisans de la modification de l'article 17 ont défendu au moins deux ou trois des cinq arguments que je viens d'énumérer. Je voudrais maintenant étudier chacun de ces arguments. Après cela, je dirai quelques mots au sujet de l'amendement du sénateur Doody, qui veut ajouter les mots «là où le nombre le justifie».

Les honorables sénateurs ne seront pas étonnés si je dis qu'il me faudra plus de 15 minutes pour mon intervention. J'espère que les sénateurs m'accorderont une prolongation pour que je puisse dire tout ce que j'ai à dire, car je crois que le sujet est très important, non seulement pour le Sénat et pour Terre-Neuve, mais aussi, comme je l'expliquerai, pour tous les Canadiens.

Je parlerai donc maintenant du premier argument, à savoir que le système scolaire de Terre-Neuve a besoin d'une réforme. Je crois qu'il est absolument faux de dire que le système scolaire de Terre-Neuve nécessite une réforme parce qu'il ne répond pas aux besoins des élèves. Certains partisans de la clause 17 modifiée voudraient nous faire croire que cette question a été soulevée parce que le système scolaire de Terre-Neuve est dépassé et ne satisfait pas aux exigences d'aujourd'hui en matière d'éducation. Autrement dit, les partisans de la modification proposée soutiennent que le système scolaire de Terre-Neuve doit être structuré exactement de la même façon que ceux de la plupart des autres provinces pour que les élèves terre-neuviens puissent recevoir une éducation adéquate. Cet argument est fondé sur l'hypothèse selon laquelle les systèmes scolaires des autres provinces sont des modèles dont devrait s'inspirer Terre-Neuve.

(1600)

Quoique j'admette que la structure du système scolaire de Terre-Neuve n'existe dans aucune autre province, je rejette la notion implicite selon laquelle ce système scolaire ne fonctionne pas tout simplement parce qu'il est différent. Terre-Neuve a produit et produit encore certains des plus brillants élèves au Canada. En fait, j'ai enseigné à beaucoup d'entre eux durant les années où j'étais professeur à l'université Dalhousie.

Bien qu'il soit tout à fait justifiable de débattre de l'efficience du système scolaire de Terre-Neuve, c'est une erreur que de mettre en doute la qualité des écoles dans cette province. Comme le sénateur Doody l'a dit au Sénat en parlant de ce point précis:

Je n'entends pas les parents se plaindre de la qualité de l'éducation à Terre-Neuve.

Je suis d'accord avec le sénateur Doody.

D'ailleurs, c'est la même opinion qui se dégage des lettres que j'ai reçues sur ce sujet. Aucune de ces lettres ne met en doute la qualité du système scolaire de Terre-Neuve. C'est plutôt la question des droits des minorités qui est au premier plan dans toutes les lettres que j'ai reçues.

En fait, honorables sénateurs, même ceux qui appuient la modification de la clause 17 telle que proposée semblent admettre que le principal motif de cette modification n'est pas la qualité du système scolaire de Terre-Neuve. Ils passent rapidement sur ce point pour discuter plutôt de l'efficacité du système scolaire. Ils affirment que le système scolaire de Terre-Neuve est dispendieux, inefficace, source de gaspillage et que les habitants de la province ne peuvent plus s'offrir un tel système.

Le sénateur Rompkey, dans ses discours au Sénat, a vigoureusement exposé certaines lacunes du système. En sa qualité d'ancien directeur et administrateur d'école dans sa province, il sait probablement mieux que quiconque ici à quels genres de défis Terre-Neuve est confrontée.

J'ajouterai que le sénateur Rompkey est très convaincant à ce sujet. En fait, honorables sénateurs, je suis d'accord avec la plupart de ses propos quant au manque d'efficacité du système scolaire de Terre-Neuve. Je crois que ce système devrait être plus efficace.

Je crois qu'on peut dire sans crainte que les arguments habiles du sénateur Rompkey, sur ce seul aspect du premier point parmi les cinq points présentés, rejoignent tous les sénateurs en cette Chambre. Il est évident que l'éducation est l'une des clés de la réussite du Canada. De même, il est évident que nos systèmes d'éducation doivent être aussi efficaces que possible pour répondre aux attentes d'une société moderne.

Cependant, cet argument ne signifie pas que nos systèmes scolaires doivent être identiques d'une province à l'autre. Aucun des arguments présentés au comité ou en cette Chambre ne m'a convaincu que Terre-Neuve, en proposant la modification de la clause 17, veut seulement un système scolaire comme ceux des autres provinces, que Terre-Neuve a vraiment besoin de ce qui existe ailleurs au pays ou même qu'elle doit avoir ce que les autres provinces possèdent. Honorables sénateurs, cet argument est, au mieux, hors de propos et, au pire, trompeur.

Le système scolaire de Terre-Neuve a peut-être besoin de réformes, mais les besoins de Terre-Neuve n'ont rien à voir avec le système d'éducation des autres provinces. Les systèmes d'éducation n'ont pas à être identiques pour être aussi bons et aussi efficaces. D'ailleurs, honorables sénateurs, il n'y a pas dans ce pays deux systèmes d'éducation qui soient identiques. Que l'on pense au simple fait que l'Ontario est la seule province où il y a une treizième année et que le système scolaire du Québec, où je suis allé à l'école élémentaire et à l'école secondaire, est notablement différent du système scolaire de toutes les autres provinces.

Par conséquent, honorables sénateurs, même si je suis d'accord avec le premier argument des défenseurs de la modification proposée à la clause 17, à savoir que l'efficacité est souhaitable et que, par conséquent, il est nécessaire de réformer le système scolaire de Terre-Neuve, je ne suis pas d'accord avec une grande partie du raisonnement qui a permis d'arriver à cette conclusion.

Honorables sénateurs, dans mes remarques préliminaires, j'ai dit que les défenseurs de la modification avaient fait valoir cinq points et que je leur avais concédé le premier, à savoir que la réforme est souhaitable. Je vais maintenant passer aux quatre autres points qu'ils soulèvent et leur montrer, dans chacun des cas, en quoi ils ont totalement tort.

Passons donc au deuxième argument des défenseurs de la modification proposée à la clause 17, à savoir que la réforme ne peut être effectuée qu'après une modification constitutionnelle. Je vous demande, honorables sénateurs, si c'est effectivement vrai. En ce qui me concerne, je prétends que c'est catégoriquement faux.

Le 5 octobre de cette année, dans cette Chambre, le sénateur Doody parlait de la Commission Williams, en 1992, à Terre-Neuve. Cette commission royale a reçu 1 041 présentations écrites et orales représentant 3 677 particuliers et 384 groupes de l'ensemble de la province. Un total de 128 pétitions portant 8 728 noms ont été présentées à la commission. Le sénateur Doody nous a exposé tout cela dans son discours, sans que ce soit contesté ni dans cette Chambre, ni aux audiences du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur ce sujet au cours de l'été.

Le sénateur Doody a dit également que la Commission Williams avait recommandé un certain nombre de réformes majeures du système scolaire. Ce que les défenseurs de la modification proposée à la clause 17 ont soigneusement choisi de négliger ou de passer sous silence, c'est que 90 p. 100 de ce que la Commission Williams a recommandé a déjà été adopté par les confessions religieuses qui participent au système scolaire de Terre-Neuve. Ce point a été reconnu lors des audiences du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et par le ministre de l'Éducation de Terre-Neuve.

Le fait qu'une modification constitutionnelle est sollicitée de la sorte devrait laisser entendre cependant qu'il n'y avait pas d'autres moyens de procéder à cette réforme. Or, c'est faux; il suffit de connaître un tant soit peu l'acceptation et le soutien dont ont bénéficié les recommandations de la commission Williams pour savoir qu'il n'en est rien.

Il est on ne peut plus clair que des progrès importants sont faits encore aujourd'hui en vue de réformer le système scolaire de Terre-Neuve et de le rendre plus efficace. Les parties prenantes à ce processus ont fait clairement connaître leur volonté de collaboration, alors même que les partisans de la proposition de modification continuent d'insister pour qu'on aille de l'avant.

Chose certaine, honorables sénateurs, nous sommes en droit de nous interroger sur le pourquoi de leur démarche. Quand le gouvernement de Terre-Neuve peut obtenir au moins 90 p. 100 de ce qu'il veut par la voie des négociations, qu'y a-t-il dans les 10 p. 100 des recommandations de la Commission Williams qui soit si important pour nécessiter l'adoption d'une modification constitutionnelle? Pas un seul partisan de la proposition de modification, soit dans cette Chambre, soit dans l'autre, soit lors des audiences tenues devant le comité sénatorial, n'a répondu à cette question.

Les partisans de cette modification s'efforcent d'éviter de répondre directement et clairement à la question de savoir pourquoi une modification constitutionnelle s'impose si presque tout ce que recommandait la Commission Williams a été obtenu par voie de négociations.

Honorables sénateurs, je ne suis pas le seul à me poser la question. Le sénateur Carstairs, dans un éloquent discours prononcé en cette Chambre le 1er octobre, a posé la question. Le sénateur Doody a fait de même. Devant le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Colin Irving, un éminent constitutionnaliste, a exprimé l'avis que non seulement une modification constitutionnelle n'était pas nécessaire dans ce cas, mais que la modification proposée ne résisterait pas à une contestation judiciaire devant nos tribunaux.

Honorables sénateurs, il s'agit d'une affaire très sérieuse. On demande à cette Chambre d'appuyer une modification constitutionnelle qui touchera les droits accordés aux minorités, droits qui, selon les minorités, devraient être protégés et qui sont en fait protégés dans la constitution. On nous demande de souscrire à une modification qui touche ces droits sans apporter la moindre preuve de la nécessité absolue d'en priver les minorités.

Je demande aux partisans du projet de modification de la clause 17: où est la preuve qu'une modification constitutionnelle s'impose? Où est la preuve qu'il s'agit là du seul moyen d'atteindre l'objectif souhaité? Aucun partisan du projet de modification de la clause 17 n'a présenté d'argument irréfutable qu'une modification constitutionnelle est le seul moyen d'atteindre l'objectif qui vise à améliorer l'efficacité du système scolaire de Terre-Neuve.

L'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés dit que ces droits peuvent être restreints par:

[...] une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Les partisans du projet de modification ne font valoir aucun argument de ce genre. Ils n'ont présenté aucune preuve que cette modification constitutionnelle s'impose.

Par conséquent, honorables sénateurs, je rejette l'affirmation voulant que seule une modification constitutionnelle permettrait d'obtenir la réforme souhaitée du système scolaire de Terre-Neuve. En effet, les éléments de preuve indiquent clairement que pratiquement tous les objectifs de la réforme du système scolaire peuvent être atteints sans qu'une modification constitutionnelle soit nécessaire.

Cela m'amène au troisième argument qu'ont fait valoir les partisans du projet de modification. Selon cet argument, comme l'Assemblée législative de Terre-Neuve a voté en faveur de la modification et que cette dernière touche l'enseignement, qui relève de la province, le Parlement du Canada est tenu d'approuver cette proposition. Cet argument élude entièrement la question de savoir ce que signifie l'insertion d'un droit de la minorité dans la Constitution.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le temps accordé au sénateur Kirby est écoulé. A-t-il la permission de continuer son discours?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kirby: Le troisième point consiste essentiellement à dire que le Sénat et, en fait, le Parlement du Canada, devraient approuver sans discussion la position de l'Assemblée législative de Terre-Neuve. Je répète que cette position nous amène à nous demander pourquoi la Constitution accorde des droits à une minorité. Si, comme les partisans de la modification proposée le prétendent, l'assemblée législative peut, à elle seule, modifier certaines dispositions de la Constitution, pourquoi alors insérer ces dispositions dans la Constitution au départ?

En 1949, aux termes des conditions établies dans la clause 17, Terre-Neuve a inséré dans la Constitution une protection qu'aucune autre province n'avait. Ces conditions ont joué un rôle très important dans les discussions qui ont conduit à l'adhésion de Terre-Neuve à la Confédération. La clause 17, sous sa forme initiale et actuelle, reflète une partie importante du tissu culturel de Terre-Neuve. Son importance à cet égard n'a pas diminué.

De plus, on a placé la clause 17 dans la Constitution pour une raison bien précise, à savoir pour éviter que l'assemblée législative de la province ne puisse modifier ces conditions. En 1949, les Terre-Neuviens voulaient obtenir la protection du gouvernement du Canada contre toute tentative de l'Assemblée législative de Terre-Neuve de supprimer les droits à l'éducation qu'ils détenaient depuis longtemps.

Maintenant, en 1996, les partisans de la modification proposée à la clause 17 disent au Parlement que nous devrions faire fi de l'histoire, que l'éducation est un domaine de compétence provinciale exclusive et qu'il appartient donc seulement à Terre-Neuve de modifier les dispositions touchant l'éducation. On nous dit que la protection du Parlement du Canada que les Terre-Neuviens souhaitaient - et ont obtenue - en 1949 ne vaut plus rien en 1996, que notre rôle consiste simplement à approuver sans discussion cette proposition, parce que l'Assemblée législative de Terre-Neuve le souhaite. Je rejette catégoriquement cette interprétation de l'importance qu'on doit apporter au fait qu'un droit est protégé par la Constitution.

Si le rôle du Sénat consiste simplement à approuver sans discussion une proposition venant d'une assemblée législative provinciale, pourquoi alors le Parlement du Canada participe-t-il à tout ce processus? Si on en croit ce scénario, comme suite logique de la position défendue, l'Assemblée législative de Terre-Neuve n'a qu'à nous écrire une lettre pour nous dire qu'elle a modifié la Constitution. Les sénateurs peuvent-ils trouver cela acceptable? Je dis que non.

En 1867, on a créé cette institution, le Sénat du Canada, justement pour préserver les droits des minorités et des provinces. La question en jeu dans ce débat, c'est justement les droits des minorités. Il est question, chose encore plus importante, de supprimer les droits accordés à des minorités dans la Constitution. Nous avons un rôle à jouer dans cette affaire.

L'article 93 de notre Constitution de 1867, qui correspond essentiellement à la clause 17 concernant Terre-Neuve, a été inscrit dans la Constitution justement pour protéger les minorités. Il n'y a aucun doute à cet égard. Il suffit de lire les débats de l'époque. En 1867, en Ontario, la minorité catholique faisait face à une majorité protestante. L'article 93 a été inscrit dans la Constitution pour que les catholiques de l'Ontario puissent établir leur propre système d'écoles séparées.

Évidemment, en 1867, les catholiques de l'Ontario auraient pu bénéficier de ce pouvoir en vertu d'une loi provinciale. Les lois provinciales ne peuvent être modifiées que par l'assemblée législative de la province. Donc, en 1867, les catholiques de l'Ontario voulaient la protection du Parlement du Canada. Au lieu d'être inscrit dans une loi provinciale, l'article 93 l'a été dans la Constitution précisément dans le but de retirer à l'assemblée législative provinciale le pouvoir de modifier le système. On peut dire la même chose de l'article 22 de la Loi sur le Manitoba, de l'article 17 de la Loi sur la Saskatchewan et de la Loi sur l'Alberta, et de la clause 17 de Terre-Neuve.

Pour contourner ces faits, pour éviter de reconnaître que la clause 17 a été inscrite dans la Constitution précisément pour empêcher l'Assemblée législative provinciale de Terre-Neuve de décider unilatéralement de retirer les droits des minorités, les partisans de la modification de la clause 17 ont fait valoir que les droits des minorités ne sont, en réalité, pas vraiment touchés dans ce cas. Ils soutiennent que la Constitution continue de garantir fermement les droits des minorités de gérer leurs propres écoles en vertu de la modification proposée de la clause 17. D'ailleurs, honorables sénateurs, ils soulignent que le libellé de la modification proposée qui dit que les écoles dont la création, le maintien et le fonctionnement sont soutenus par les deniers publics sont confessionnelles.

De plus, les partisans de la modification proposée de la clause 17 passent le plus rapidement possible sur le fait que le droit à une école confessionnelle bénéficiant de fonds publics, en vertu de la nouvelle clause 17 qui est proposée, est visé par le libellé suivant:

[...] sous réserve du droit provincial d'application générale prévoyant les conditions de la création ou du fonctionnement des écoles.

Les mots clés de cette disposition sont «sous réserve du droit provincial». Qu'est-ce que cela veut dire? Que l'octroi d'un droit constitutionnel d'établir une école confessionnelle sous le régime de la nouvelle clause 17 proposée est assujetti aux lois instituées par l'assemblée législative provinciale.

Autrement dit, en vertu de la modification que l'on propose d'apporter à la clause 17, il serait nettement possible à un futur gouvernement de Terre-Neuve de faire adopter une loi qui rendrait presque impossible d'avoir une école confessionnelle. Il n'existerait aucun recours aux tribunaux pour les minorités que protège actuellement la clause 17. Les droits qui leur ont été accordés en 1949 s'en trouveraient éteints. La garantie constitutionnelle qui leur a été donnée au moment de l'union de Terre-Neuve au Canada cesserait essentiellement d'exister.

Les tribunaux ne pourraient que dire à la minorité affligée qu'elle a effectivement le droit d'établir ses propres écoles, mais sous réserve du droit provincial. La seule question qui se pose par la suite est de savoir si le droit provincial en question est d'application générale à toutes les écoles. Dans ce cas, les tribunaux ne pourraient pas venir en aide à la minorité affligée.

Les partisans du projet de modification de la clause 17 ont un devoir qu'ils ont absolument négligé de remplir jusqu'ici, à mon avis. Ils ont le devoir de dire à cette Chambre ce qu'ils pensent que cela veut dire que d'avoir un droit à la protection constitutionnelle.

Nous avons besoin de savoir de la part de ceux qui sont favorables à l'adoption de cette modification ce que cela veut dire, à leur avis, qu'avoir un droit prévu par la Constitution, d'avoir un droit de la minorité protégé par la Constitution. Cela veut-il dire que ce droit est à l'abri des législateurs et des politiciens provinciaux, ou non? Ou cela veut-il dire, comme le laissent entendre les adeptes de la modification, que ce droit est à la merci des caprices du gouvernement provincial du moment?

(1620)

Les droits constitutionnels sont-ils permanents, ou les minorités ne les possèdent-elles qu'aussi longtemps qu'il plaira à l'assemblée législative actuelle?

Je vais vous dire bien clairement ce que je pense à ce sujet. Je crois qu'une Constitution devrait avoir pour objet fondamental d'établir et de protéger des droits, non de les diminuer. C'est un principe que n'importe quel étudiant de première année en droit connaît bien; et j'ajouterais même que, bien que je ne sois pas un juriste, je prononce souvent des conférences devant des étudiants en droit sur le thème de la Constitution, et jamais les étudiants ni leur professeur n'ont exprimé de désaccord fondamental avec cette position. Il est absolument vrai de dire qu'aucun droit n'existe isolément d'autres droits, mais nous nous adressons aux tribunaux, non aux membres d'une assemblée législative provinciale ou du Parlement du Canada pour établir un équilibre entre eux. Nous avons recours aux tribunaux pour établir cet équilibre, non à une assemblée législative provinciale ni au Parlement du Canada agissant unilatéralement, pour découvrir en quoi consistent ces droits.

Je ne peux que conclure que, si l'Assemblée législative de Terre-Neuve tient à préserver ou à acquérir le pouvoir, comme le lui conférerait la clause 17 modifiée, de décider unilatéralement un jour de modifier le système scolaire, c'est qu'elle veut pouvoir être en mesure d'exercer ce pouvoir. Sinon, pourquoi voudrait-elle ce pouvoir?

Je veux prendre bien garde de ne pas insinuer que le gouvernement ou l'Assemblée législative de Terre-Neuve fait preuve de mauvaise volonté. Je veux simplement signaler l'hypothèse qui sous-tend tout exercice constitutionnel, soit le fait que ceux qui détiennent un pouvoir peuvent, à un moment donné, décider de l'exercer. Sinon, ils n'en auraient pas besoin. Si, dans les faits, les autorités de Terre-Neuve n'ont pas l'intention d'exercer ce pouvoir, elles n'en ont pas besoin, alors je ne comprends pas pourquoi les partisans du projet de modification de la clause 17 le réclament si vigoureusement.

Si les sénateurs devaient se prononcer en faveur du projet de modification de la clause 17 simplement parce que l'Assemblée législative de Terre-Neuve le désire, ils se soustrairaient, à mon avis, à leurs devoirs. Nous avons un rôle important à jouer dans ce processus et je ne suis pas disposé à entériner automatiquement cette proposition simplement parce que l'Assemblée législative de Terre-Neuve le souhaite.

Par conséquent, je rejette la troisième argumentation des auteurs de la modification que l'on propose d'apporter à la clause 17 selon laquelle nous, sénateurs, et l'ensemble du Parlement canadien, en fait, n'avons qu'à approuver sans discussion lorsqu'il s'agit de protéger les droits constitutionnels des minorités à Terre-Neuve.

Cela m'amène à la quatrième argumentation des auteurs de la modification à la clause 17, à savoir que cette modification a l'appui non seulement des représentants élus de l'Assemblée législative de Terre-Neuve, mais aussi des Terre-Neuviens. Les Terre-Neuviens se sont prononcés en faveur de celle-ci dans le cadre d'un référendum, disent-ils, et le Parlement fédéral n'a pas d'affaire à contrarier la volonté des Terre-Neuviens. Honorables sénateurs, c'est une puissante argumentation. Les constitutions et le droit constitutionnel sont certes au service des citoyens et non des gouvernements. Cela ne fait aucun doute.

Toutefois, les droits des minorités sont ici en jeu. Nous devons donc nous demander ce que cela signifie. Il est clair que si les droits des minorités n'existent que selon le bon vouloir de la majorité, ce ne sont pas des droits. Ce ne sont que des privilèges que la majorité accorde à la minorité et qu'elle peut lui enlever quand bon lui semble.

Honorables sénateurs, s'agit-il, dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, de droits ou de privilèges? C'est un fait historique très clair qu'il s'agit de droits.

En 1949, lorsque Terre-Neuve est entrée dans la Confédération, les habitants de Terre-Neuve et du Labrador ont estimé avoir le droit d'envoyer leurs enfants dans des écoles qui reflétaient leur éthique, leurs valeurs et leurs cultures diverses. Avec l'accord du gouvernement du Canada, ce droit des Terre-Neuviens a été constitutionnalisé, et cela justement pour empêcher que des législateurs provinciaux ne prennent la décision arbitraire de le leur enlever.

Si le Sénat adopte la modification proposée, le gouvernement terre-neuvien, l'Assemblée législative de Terre-Neuve et le Parlement canadien se trouveront à dire aux groupes qui ont négocié et obtenu ces droits en 1949 que, contrairement à ce que croyaient les minorités, la clause 17 n'était pas garantie pour toujours, mais était plutôt l'objet d'un accord administratif susceptible de prendre fin par suite d'un vote majoritaire lors d'un référendum. Ces groupes vont, en fait, apprendre, de la bouche des sénateurs et des membres de l'autre endroit, que ce qu'ils ont négocié en 1949 était un privilège, et non pas un droit.

Soyons clairs. Je tiendrais un discours bien différent cet après-midi si on pouvait montrer que tous les groupes dont les droits ont été protégés en vertu de la clause 17 acceptent que leurs droits soient modifiés par l'amendement proposé ou tout autre moyen. Il est clair que les droits des minorités garantis par la Constitution peuvent être changés, mais seulement si les changements sont approuvés par ceux dont les droits sont touchés.

Est-ce le cas avec l'amendement dont nous sommes saisis aujourd'hui? Je crois très fermement que ce n'est pas le cas. Nous n'avons absolument aucune preuve que les minorités en cause appuient les changements proposés. En fait, c'est tout le contraire.

Lors d'un référendum provincial, 52 p. 100 des Terre-Neuviens ont voté sur le sujet. De ce nombre, 55 p. 100 ont voté en faveur des changements. Si on fait un simple calcul, comme je suis porté à faire parce que je suis mathématicien, on constate clairement que la seule chose dont on peut être sûr, c'est que seulement 29 p. 100 de ceux qui ont voté au référendum ont appuyé la modification. Vingt-neuf pour cent, honorables sénateurs, c'est loin d'être déterminant.

En outre, la correspondance que j'ai reçue de groupes et de personnes comme le Catholic Education Council, le Pentecostal Education Council et même l'archevêque de Terre-Neuve, qui s'opposent tous à la proposition de modification de la clause 17, laisse clairement entendre que les minorités dont les droits seront touchés n'approuvent pas les changements proposés.

Le sénateur Rompkey, à l'instar d'autres sénateurs qui appuient la proposition de modification, a fait valoir à maintes reprises que la majorité des minorités touchées étaient favorables à la modification. Or, nous savons hors de tout doute, d'après la campagne de lettes, que la majorité des fidèles de l'Église pentecostale s'opposent sans équivoque à la modification.

La preuve voulant qu'une majorité de catholiques soient favorables au changement qu'on nous a présenté était, au mieux, anecdotique. Par exemple, M. Loyola Sullivan, le chef de l'opposition et chef du Parti conservateur à Terre-Neuve, a dit, dans son témoignage devant le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, que sa circonscription était à quelque 90 p. 100 catholique et qu'il n'avait reçu que deux ou trois appels sur cette question depuis trois ans. Le sénateur Rompkey a déclaré le 26 septembre, dans cette enceinte, qu'il s'était entretenu avec des catholiques de sa province qui se disaient en désaccord sur la position officielle de l'Église.

Pour être justes envers ces deux intervenants, il faut dire que ni l'un ni l'autre n'a présenté ces éléments anecdotiques comme des preuves concluantes. Ils ont bien fait, car les anecdotes ne sont pas des preuves. Elles n'auraient pas de valeur devant un tribunal et ne devraient pas en avoir ici.

Ce qui est certain - et c'est là l'aspect clé en ce qui concerne le résultat du référendum provincial -, c'est que le fardeau de la preuve incombe à ceux qui veulent supprimer des droits reconnus à la minorité, pas à ceux qui veulent les maintenir. Le fardeau de prouver sans l'ombre d'un doute que les minorités sont prêtes à accepter les modifications proposées qui affaibliraient les droits que leur reconnaît la Constitution incombe à ceux qui veulent modifier ces droits. En l'espèce, on présume que les minorités ont les droits. Elles n'ont rien à prouver.

Sans une preuve claire et irréfutable que la majorité des minorités visées par le changement proposé appuie vraiment celui-ci, nous, sénateurs, ne devrions et ne devons pas voter en faveur de la modification proposée.

Le droit d'une minorité subsiste même lorsque la majorité ne veut plus qu'il existe. Si notre Constitution ne s'appuyait que sur la règle de la majorité, si les droits étaient simplement assujettis à la règle de la majorité, personne d'entre nous n'aurait ici un rôle à jouer. Il nous suffirait de tenir une série de référendums nationaux ou provinciaux sur la grande question politique du jour.

Or, ce n'est pas ainsi qu'on procède à des changements dans notre pays. En vertu de notre Constitution, une majorité simple ne peut tout simplement pas exiger la tenue d'un vote et supprimer les droits d'une minorité. Voilà le sens véritable de l'insertion d'une disposition dans la Constitution, c'est pour empêcher qu'elle puisse être modifiée par l'assemblée législative et la majorité de la population d'une province.

(1630)

Par conséquent, honorables sénateurs, il faut rejeter l'argument voulant que l'amendement proposé doive être appuyé parce qu'il a été appuyé par la majorité dans le cadre d'un référendum. Accepter le résultat de ce référendum, accepter cet argument, c'est accepter le principe selon lequel tous les droits garantis dans la Constitution, qu'il s'agisse de la clause 17 des conditions d'adhésion de Terre-Neuve à l'union ou de tout autre droit, ne sont pas des droits, mais de simples privilèges.

En 1980 et 1981, j'ai passé sept jours par semaine pendant 18 mois à négocier les éléments de la Charte des droits et libertés et je peux vous affirmer catégoriquement que de tels instruments visent précisément à protéger les minorités lorsque leurs droits ne sont plus acceptés ou souhaités ou lorsque la majorité a décidé qu'elle ne voulait plus de ces droits, peu importe pour quelle raison. Des droits ont été inscrits dans la Charte des droits et libertés précisément pour les mettre hors d'atteinte de petits groupes d'hommes et de femmes politiques ou d'une majorité qui décide un jour de prendre une mesure unilatérale.

Cela m'amène, honorable sénateurs, au cinquième et dernier argument des tenants de la modification de la clause 17. Cet argument est tout à fait trompeur et intriguant parce qu'il permet à ceux qui l'avancent d'écarter tous les autres aspects liés à la modification.

Ce cinquième argument dit que, puisque le système scolaire de Terre-Neuve a besoin d'une réforme et que le processus conduisant à la proposition de modification était juste - puisque les minorités touchées ont eu la possibilité de se faire entendre avant la rédaction finale de la modification -, le Parlement devrait adopter et mettre en vigueur la modification proposée à la clause 17. Lors de son témoignage devant le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le ministre de la Justice a insisté sur ce point. Il a déclaré qu'il était important de prendre note du fait que:

Le processus suivi par la province était juste.

Dans le rapport majoritaire du comité, on a accordé beaucoup d'importance à cette affirmation et à la question du processus suivi. D'ailleurs, ce rapport majoritaire, qui pourrait être analysé sous bien des angles, citait deux experts des affaires constitutionnelles. L'un d'eux, une certaine Kathy Brock, de l'Université Wilfrid Laurier, déclarait que, essentiellement, les droits des minorités peuvent être modifiés sans le consentement de celles-ci si l'atteinte à ces droits est compensée par un gain pour l'ensemble de la société.

C'est une notion plutôt intrigante, c'est le moins qu'on puisse dire. Selon le rapport majoritaire, Mme Brock a déclaré:

[...] vous devez établir un juste équilibre entre les droits des minorités et les droits des parents d'avoir leur mot à dire quant à l'établissement scolaire que fréquentent leurs enfants.

Cela n'a aucun rapport avec la question à l'étude. Ce n'est vraiment pas pertinent, mais, essentiellement, le reste de cette partie du rapport majoritaire vise simplement à établir qu'on peut priver une minorité de ses droits pourvu qu'on ne lui cause pas trop de tort. Autrement dit, on mesure le tort causé à la minorité en la privant de ses droits et on décide ensuite, au lieu que ce soit elle qui décide si le tort est acceptable.

Le rapport majoritaire cite ensuite Mme Anne Bayefsky, de l'Université d'Ottawa, une autre constitutionnaliste qui dit que, en vertu de la modification proposée à la clause 17, les minorités à Terre-Neuve «conserveront beaucoup plus de pouvoir et de contrôle que n'en ont les minorités dans de nombreuses autres provinces.»

C'est un autre argument intéressant, honorables sénateurs, parce que, essentiellement, l'argument dit que c'est bien d'enlever certains droits à quelqu'un si on se trouve à le laisser dans une meilleure situation par rapport à d'autres personnes. Encore une fois, qu'est-ce qui constitue le droit d'une minorité dans ce contexte?

Essentiellement, l'argument que la majorité a essayé de faire valoir sur cette question de l'équité du processus dans le rapport majoritaire est le suivant: premièrement, Terre-Neuve a besoin d'un nouveau système scolaire; deuxièmement, les minorités ont eu la chance de se faire entendre; troisièmement, en bout de ligne, personne ne perd beaucoup; et, quatrièmement, il peut donc y avoir réforme. Autrement dit, pourvu que le processus soit juste et équitable, la fin justifie les moyens.

Honorables sénateurs, quel que soit le poids des arguments en faveur de la réforme du système scolaire de Terre-Neuve, je ne puis donner mon appui au précédent incroyablement dangereux que constitue une telle interprétation des droits constitutionnels. Si les droits constitutionnels, individuels et collectifs, tenaient simplement à leur nécessité ou à l'équité des modalités utilisées, il ne serait pas nécessaire d'obliger les tribunaux à statuer sur leur portée et leur application. Il suffirait simplement de démontrer empiriquement la nécessité d'une modification constitutionnelle.

Dans ce contexte, le rôle du Sénat en tant que protecteur des droits des minorités serait aisé en vertu de la formule d'amendement. Il nous suffirait d'examiner la nécessité et les modalités, d'examiner les nombres. Ce serait très simple.

Honorables sénateurs, j'ai lu le rapport majoritaire à plusieurs reprises et il fait précisément valoir cet argument incroyablement simpliste. Il s'agit bien d'un argument simpliste et franchement erroné.

L'argument de l'équité est un faux-fuyant complet et passe à côté de la question pour deux raisons majeures. Premièrement, l'équité est une notion purement subjective. Ce qui est juste pour une personne ne l'est pas nécessairement pour une autre. Deuxièmement, et cela constitue le point le plus important, l'abolition du droit d'une minorité n'est pas un processus, mais un résultat. Le processus utilisé pour abolir les droits d'une minorité ne peut pas justifier l'abolition de ces droits sans qu'on ait clairement démontré l'approbation de ceux dont les droits sont affectés.

Tenter, comme l'ont fait les défenseurs de la modification proposée à la clause 17, de justifier leur façon de faire en disant que cela donne à tous la chance d'être entendus, puis aller de l'avant et faire à leur guise, honorables sénateurs, c'est faire totalement fi de ce qu'est vraiment la notion de droit des minorités.

Franchement, c'est un argument très insultant, dans le sens que cela suppose que tout processus donnant à tous le droit d'être entendus est considéré par les partisans de l'amendement proposé comme une manière juste et équitable de modifier la Constitution. Cette formule ne donne pas grand chance aux minorités. Il faut convaincre ou perdre.

C'est pourquoi, honorables sénateurs, je rejette le cinquième argument des défenseurs de cet amendement à la clause 17, celui qui se fonde sur le processus lui-même.

Ayant discuté de ces cinq arguments et montré comment les quatre derniers non seulement sont résolument erronés, mais constitueraient de dangereux précédents si notre Chambre les appuyaient, je me penche un moment sur l'amendement proposé par le sénateur Doody, celui qui dit «là où le nombre le justifie».

Je suis d'accord avec le sénateur Doody sur le fait que, idéalement, la Chambre ne devrait appuyer aucune modification de la clause 17. J'estime que la modernisation du système scolaire devrait et doit se faire par la négociation. Comme je l'ai indiqué plus tôt, le fait que près de 90 p. 100 des recommandations de la Commission d'enquête Williams aient été acceptées et mises en oeuvre aux termes de négociations prouve clairement qu'il n'est pas nécessaire de modifier la clause. Toutefois, si les partisans du projet d'amendement, tant ici qu'à l'autre endroit, sont absolument déterminés à aller de l'avant avec cette initiative, permettez-moi de dire que la Chambre devrait au moins appuyer l'amendement du sénateur Doody, qui propose de remplacer «là ou le nombre le justifie» par les mots «sous réserve du droit provincial».

Pourquoi? Parce que les mots «là où le nombre le justifie» ont pour effet de faire des tribunaux, et non de l'assemblée législative de Terre-Neuve, le protecteur ultime des droits des minorités en vertu de la nouvelle clause 17. Cela garantirait au moins aux minorités de Terre-Neuve la protection de leurs droits par une tierce partie indépendante et neutre, ce qu'elles pensaient avoir obtenu lorsqu'elles l'avaient fait inclure dans la Constitution, protection dont beaucoup de membres de la Chambre semblent maintenant prêts à les priver de façon tout à fait cavalière. S'il est vrai que nous allons l'éliminer, le moins que nous puissions faire est de nous assurer que cette protection par une tierce partie vient d'une autre source, auquel cas nous devons adopter l'amendement du sénateur Doody et donner aux tribunaux la possibilité d'être cette tierce partie chargée de veiller sur les droits des minorités, comme le veut la Constitution.

Honorables sénateurs, voici le point crucial du débat. Il ne sied pas qu'un organisme législatif accorde des droits à une minorité en vertu de la Constitution pour les lui enlever des années plus tard. Les droits évoluent et sont façonnés au fil des ans par les décisions des tribunaux qui les raffinent et les équilibrent, mais ils n'apparaissent pas et ne disparaissent pas simplement parce qu'une assemblée législative provinciale décide qu'ils sont gênants.

Par conséquent, même si on insère les mots «là où le nombre le justifie», j'estime qu'on devrait faire une exception pour l'Église adventiste du septième jour, qui risque de ne pas être protégée du fait du petit nombre de ses adeptes. Comme cette question est discutable - il s'agit de savoir si cette Église est protégée par les mots «là où le nombre le justifie», il faudrait ajouter une clause de droits acquis pour protéger les adventistes du septième jour. Les droits de cette minorité méritent d'être protégés, par le Parlement et par les tribunaux, tout autant que les droits des autres groupes qui réuniront presque certainement la condition «là où le nombre le justifie».

(1640)

Le principal argument formulé en cette Chambre contre l'amendement du sénateur Doody, c'est que cinq ou six personnes pourraient se présenter devant le tribunal et exiger leur propre école. Je conviens, avec les opposants à l'amendement, que c'est là une perspective alarmante. Si jamais l'amendement était adopté, il pourrait être préjudiciable même pour le présent système scolaire de Terre-Neuve.

Il est cependant intéressant de voir que ceux qui attaquent l'amendement du sénateur Doody proposant la condition «là où le nombre le justifie» ont très habilement omis de mentionner que les tribunaux canadiens n'ont pas l'habitude d'accorder trop facilement des droits aux minorités. La Charte étant entrée en vigueur en 1982, nous avons pratiquement 15 ans d'expérience. Historiquement, nos tribunaux ont été très prudents en ce qui concerne l'interprétation des droits constitutionnels. Ils ont été très sensés et pratiques dans leur interprétation de la signification de l'expression «là où le nombre le justifie».

Je suis confiant que, dans la mesure où les modifications proposées au système scolaire de Terre-Neuve sont pratiques et efficaces et où elles ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux d'avoir des écoles confessionnelles, elles seraient acceptées par les tribunaux.

Les opposants à l'amendement du sénateur Doody n'ont pas fait remarquer que, techniquement, la clause 17 protège les confessions religieuses, mais pas les particuliers. En tant que tel, il n'est pas clair du tout que les particuliers auraient le droit de contester en cour un amendement portant l'expression «là où le nombre le justifie». Étant donné que les églises intéressées, c'est-à-dire les confessions en cause ici, ont déjà accepté 90 p. 100 des recommandations de la Commission Williams, il me semblerait hautement improbable qu'elles contestent l'amendement du sénateur Doody devant les tribunaux.

Si elles le faisaient, il serait plus logique de s'occuper de la situation à ce moment-là que de retirer des droits maintenant parce que nous craignons une contestation devant les tribunaux à un moment donné.

Je reconnais que ni moi ni personne ne peut prévoir avec certitude ce qu'un tribunal déciderait dans une situation donnée.

L'inclusion de l'expression «là où le nombre le justifie» a fait l'objet d'un intense débat lors des négociations constitutionnelles qui ont eu lieu en 1980 et 1981. Ceux d'entre nous qui ont participé à ces négociations comprenaient très bien que, ce faisant, c'est aux juges, plutôt qu'aux politiques, qu'on accordait le pouvoir de décider concrètement de l'interprétation à donner aux droits des minorités. Nous avons délibérément, consciemment, débattu la question avec tous les gouvernements provinciaux de l'époque, sauf le Québec, et tous les partis siégeant au Parlement du Canada. Une décision délibérée a été prise pour que les droits des minorités touchés par la disposition «là où le nombre le justifie» soient protégés et déterminés par une tierce partie impartiale, à savoir les tribunaux, plutôt que par une assemblée législative provinciale ou le Parlement du Canada.

Un bon nombre d'entre nous qui ont pris part à ces négociations sont toujours actifs à l'une ou l'autre des deux Chambres. Nous avons soutenu passionnément alors, et j'en ferais encore autant, le bien-fondé du recours à l'expression «là où le nombre le justifie». Il est clair, honorables sénateurs, que si cette expression était valable en 1981, elle l'est tout autant dans ce cas.

Je tiens à demander aux sénateurs siégeant de mon propre côté, qui ont défendu avec vigueur, en 1981, l'amendement «là où le nombre le justifie», de bien vouloir m'expliquer ceci maintenant. Si vous avez jugé que cette expression avait autant de poids en 1981, quelle est la différence maintenant? Dites-moi pourquoi cela ne fonctionne pas à Terre-Neuve alors que cela s'applique aux francophones hors Québec et aux anglophones du Québec? Je m'adresse plus particulièrement aux libéraux qui ont défendu et appuyé cet amendement. Nous avons connu de terribles luttes politiques durant cette période de 1980-1981. Cette expression «là où le nombre le justifie» était l'une des pierres angulaires sur lesquelles reposait la solidarité de tout notre parti. Si elle était bonne et efficace alors, on ne peut simplement la rejeter maintenant sans expliquer pourquoi.

Il n'y a pas un seul adversaire de la position du sénateur Doody qui a bien expliqué la raison pour laquelle il s'opposait à l'amendement «là où le nombre le justifie», à l'exception du sénateur Carstairs qui a précisé à juste titre qu'elle était contre, car il ne protégeait pas assez bien les adventistes. Je le répète, je crois que nous devrions élargir l'amendement du sénateur Doody pour garantir la protection voulue à cette Église.

En terminant, honorables sénateurs, je tiens à dire qu'il ne fait aucun doute que notre Constitution est un document évolutif. Si elle n'est pas tenue à jour de façon à répondre aux besoins des Canadiens, elle devient un carcan: inflexible et impraticable. Il n'est pas vrai de dire - et je n'ai aucunement laissé entendre dans mes observations aujourd'hui - que les droits qui ont été inscrits jusqu'ici sont à jamais inscrits et ne peuvent être modifiés. Tous les jours, nos tribunaux concilient des droits opposés. Cependant, dans le cas qui nous occupe, on nous demande de créer un précédent extrêmement dangereux que, à mon avis, nous, en tant que sénateurs, devons rejeter vigoureusement.

On ne nous a présenté aucune preuve que ce projet de modification de la clause 17 est nécessaire. On ne nous a présenté aucune preuve que ce projet de modification de la clause 17 est appuyé par les minorités qui sont actuellement protégées par la clause 17. Supprimer leurs droits sans leur consentement créerait un précédent qui risquerait en théorie d'amener d'autres provinces à demander des changements analogues.

Honorables sénateurs, nous devons certes tenir compte de cette possibilité. Notre institution, le Sénat du Canada, a été créée en 1867 pour protéger les droits des provinces et des minorités. Bien que nous reconnaissions tous sans doute que le système scolaire de Terre-Neuve a besoin d'être réformé, une question d'une portée beaucoup plus large se pose dans ce cas-ci.

Cette question est essentielle dans toutes les sociétés démocratiques: comment concilier les intérêts de la minorité et ceux de la majorité? C'est la seule question qui se pose ici. Toutes les autres questions, processus, équité et qui a voté en faveur de quoi dans quelle circonstance - et même la nécessité d'une réforme - se trouvent reléguées derrière la question fondamentale: comment concilier les intérêts de la minorité et ceux de la majorité?

Il existe un droit de la minorité, même si la majorité s'y oppose peut-être. Il s'agit là de l'essence des droits de la minorité. Il est certes notre rôle, dans cette Chambre, de rejeter toute tentative de la majorité de modifier les droits de la minorité sans son consentement. Par conséquent, je demande à tous mes collègues de se joindre à moi et de voter contre le projet de modification de la clause 17. Je demande leur appui pour le motif que le projet de modification crée un précédent extrêmement dangereux que nous, en tant que sénateurs et citoyens, devrions rejeter.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, j'ai quelques questions à poser.

En réponse à la question que j'ai posée au sénateur Kinsella, et que le sénateur Doody a développée par la suite, j'ai soulevé la question concernant l'absence de protection constitutionnelle des habitants de Terre-Neuve qui ne déclarent pas appartenir à une confession religieuse.

Pour bien situer le contexte, je rappelle aux sénateurs que l'article 15 de la Constitution porte sur les droits à l'égalité. Nous sommes confrontés à cette question complexe. Il se peut qu'en se fondant sur ses tests, le sénateur puisse nous aider en précisant comment nous pouvons équilibrer les droits des habitants de Terre-Neuve qui ne sont pas visés par la clause 17, qui traite d'une minorité distincte, ni par les dispositions sur l'égalité qui sont inscrites dans la Constitution.

Le sénateur Kirby: Comme le sénateur Grafstein le sait, je ne suis pas constitutionnaliste. De toute façon, la question qu'il soulève n'est pas celle dont nous sommes saisis. Nous devons décider si nous allons appuyer cette modification.

En toute justice envers le sénateur Grafstein, je dirai que nous avons traité de cette question plus tôt. Il soutient qu'au départ, la clause 17 n'aurait pas dû être inscrite dans la Constitution, pour des raisons qu'il expliquera lorsqu'il interviendra. Toutefois, la question cruciale ici se rapporte au fait que maintenant les gens ont des droits. Des groupes précis ont des droits qui, en l'occurrence, sont clairement prévus dans notre Constitution. J'ai pris grand soin de dire que le système actuel n'était pas parfait. J'ai dit qu'on nous avait demandé de modifier les droits d'une minorité sans nous avoir donné la moindre preuve établissant, premièrement, qu'une modification constitutionnelle était nécessaire ou, deuxièmement, que la minorité acceptait la modification. Je suis d'avis que nous devons centrer notre attention sur cette question en étudiant la clause 17.

(1650)

Le sénateur Grafstein: Je voudrais des éclaircissements sur une observation que le sénateur Kirby a faite. J'envisage la possibilité d'intervenir dans le débat. Avant de prendre ma décision, je voudrais examiner les propos du sénateur ainsi que ceux que le sénateur Doody a tenus ces derniers jours, parce que je comprends que la question est complexe.

Si je ne m'abuse, le sénateur Kirby a situé l'observation que je lui ai faite avant son discours hors contexte.

Le sénateur Kirby: Si c'est vrai, je m'excuse, sénateur Grafstein.

L'honorable C. William Doody: J'ai une question à poser au sénateur Kirby à propos de cette épineuse question concernant les adventistes du septième jour, dont les droits sont touchés par ce projet de modification.

Le sénateur Kirby sait-il que les adventistes du septième jour ont écrit à la présidente du comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour faire savoir qu'ils préféreraient voir inclure l'expression «là où le nombre le justifie» dans la modification plutôt que de la laisser telle quelle? Ils disent qu'ils seraient beaucoup plus à l'aise s'ils avaient à plaider leur cause devant les tribunaux plutôt que d'essayer de défendre leur position devant l'Assemblée législative de Terre-Neuve.

Le sénateur Kirby: Honorables sénateurs, si je ne me suis pas bien fait comprendre dans mon intervention, je m'en excuse. Je croyais avoir été très clair. Je suis au courant de la position des adventistes du septième jour. Il est très clair qu'ils préfèrent un texte précisant «là où le nombre le justifie» plutôt que le texte de la modification proposée. Il n'est pas très clair - et personne n'est en mesure de prédire avec une certitude absolue - qu'ils répondent au critère «là où le nombre le justifie» devant une cour de justice. Je disais que, pour être absolument juste, il faudrait, en plus d'ajouter «là où le nombre le justifie», leur reconnaître un droit acquis en précisant qu'ils constituent un cas spécial n'ayant pas à répondre au critère du nombre. Ils ont négocié pour avoir ces droits et ceux-ci méritent d'être protégés.

L'honorable M. Lorne Bonnell: Honorables sénateurs, nous sommes en train d'anéantir les droits des minorités. Nous avons autorisé le dépassement du temps de parole pour un discours qui, du moins je le pensais, devait se terminer une ou deux minutes plus tard. Il a continué pendant 15 minutes. Je pense, Votre Honneur...

Son Honneur le Président: Sénateur Bonnell, est-ce que vous invoquez le Règlement ou est-ce que vous parlez de l'amendement?

Le sénateur Bonnell: Je parle de l'amendement.

J'aime à penser qu'il est possible de protéger les droits des minorités. Par bonté d'âme, nous autorisons une prolongation du temps de parole pour qu'un sénateur puisse terminer son discours. Nous n'avons jamais pensé que le discours durerait plus de 30 minutes, avec les questions et les réponses, ce qui dépasse largement le temps de parole normal.

L'article pertinent du Règlement devrait être examiné par le comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure. Il faudrait faire en sorte que, lorsqu'un sénateur demande à dépasser son temps de parole, il précise qu'il prendra une ou deux minutes, et non pas un quart d'heure.

C'était une très belle intervention, très intéressante, mais le sénateur aurait pu ajourner le débat à un autre jour.

Le sénateur Berntson: Vous auriez dû refuser la permission.

Le sénateur Bonnell: Selon moi, il faut modifier le Règlement du Sénat pour dire que les sénateurs doivent préciser la durée de la prolongation et que, lorsqu'il y a prolongation, il n'y a pas possibilité de poser des questions.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pourquoi n'avez-vous pas soutenu ce point de vue pendant le débat sur la TPS?

Le sénateur Doody: Le sénateur Bonnell a exercé son droit de parole dans ce débat, et il a parlé de l'amendement. Je ne vois pas très bien s'il est pour ou contre. De toute façon, je me demande s'il veut concéder l'extrême importance de la question. Si des sénateurs veulent s'exprimer un peu plus longuement que d'habitude, il ferait peut-être bien, si occupé soit-il, de trouver le temps d'écouter et de se renseigner un peu sur ce qui se passe dans d'autres régions.

Le sénateur Bonnell: Sénateur Doody, si 20 minutes ne suffisent pas à un orateur pour dire tout ce qu'il a à dire sur un sujet, c'est qu'il ne maîtrise pas tellement le sujet.

L'honorable Marcel Prud'homme: Je suis un ami de longue date du sénateur Bonnell, mais je ne suis vraiment pas d'accord avec son affirmation. J'ai été député pendant 33 ans. Dans le cadre de l'examen de cette question, l'une des deux Chambres a joué pleinement son rôle. Nous avons vécu une journée remarquable grâce à l'intervention du sénateur Kirby. Même lorsque nous ne partageons pas l'avis de nos collègues, nous devrions être assez honnêtes pour dire: «Nous avons vécu une journée remarquable.»

Le seul regret que je peux exprimer en tant que sénateur, c'est que nos débats ne soient pas télévisés. S'il y a une partie de ce débat qui aurait dû, à mon avis, être télédiffusée partout au Canada, c'est bien l'intervention de l'honorable sénateur Kirby. Ceux qui l'ont écouté ont compris ce que c'est qu'être Canadien. Être Canadien, c'est sympathiser avec ses concitoyens et comprendre l'importance des droits des minorités. C'est ce qui caractérise le Canada pour moi, en français comme en anglais, au Québec comme dans le reste du Canada. C'est ce qui rend le Canada si exceptionnel.

Je ne dois rien au sénateur Kirby, mais cela a été un honneur de l'écouter. J'avais dit à tous les pages, qui sont tous des étudiants d'université, qu'ils allaient entendre un bon discours. Cela a été pour eux une expérience extraordinaire d'entendre parler le sénateur Kirby, même s'ils ne sont pas d'accord avec lui.

Toutefois, je ne trouve pas qu'il a parlé trop longtemps.

Je répète que je prendrai peut-être la parole là-dessus vers la fin du débat. Je me réjouis de constater que beaucoup de sénateurs sont restés ici pour suivre le débat.

Lorsqu'on commence à toucher aux droits des minorités, il faut se demander à qui sera le tour ensuite. Je regarde des amis de longue date, les sénateurs Adams et Watt. Le présent débat est important. Je suis heureux de savoir que nous pourrons l'influencer dans un sens ou dans l'autre. C'est exactement à cela que doit servir le Sénat.

(Sur la motion du sénateur Grafstein, le débat est ajourné.)

 

Adoption de la motion d'attribution de temps au débat

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, des discussions ont eu lieu des deux côtés à cet égard et nous en sommes venus à un accord avec l'opposition sur la façon de procéder pour l'étude de la motion qui est inscrite au Feuilleton au nom du sénateur Rompkey concernant la clause 17.

En conséquence, conformément à l'article 38 du Règlement, je propose:

Qu'au plus tard le mercredi 27 novembre 1996, à 17 heures, les délibérations du Sénat soient interrompues et que soient mises aux voix immédiatement, sans autre débat ni amendement, toutes questions nécessaires pour disposer de la motion de l'honorable sénateur Rompkey, c.p., tendant à l'adoption du treizième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (modification de la Constitution du Canada, clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve avec le Canada), et qu'aucun vote relativement à ces questions ne soit reporté.

Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

(1700)

 

La situation du système financier

Adoption du rapport du comité des banques
et du commerce demandant l'autorisation de voyager pour poursuivre une étude

Le Sénat passe à l'étude du dixième rapport du comité sénatorial permanent des banques et du commerce (autorisation de voyager), présenté au Sénat le 5 novembre 1996.

L'honorable Michael Kirby, président du comité sénatorial permanent des banques et du commerce, propose l'adoption du rapport.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

 

La sécurité des transports

Autorisation au comité des transports et de communications de siéger pendant les séances du Sénat

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement), au nom de l'honorable Lise Bacon, conformément à l'avis du mercredi 6 novembre 1996, propose:

Que le comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à siéger à 15 h 30 le mardi 26 novembre 1996 dans le cadre de son étude sur l'état de la sécurité des transports au Canada, même si le Sénat siège à ce moment-là et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

(La motion est adoptée.

L'ajournement

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit au lundi 25 novembre 1996, à 20 heures.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au lundi 25 novembre 1996, à 20 heures.)

 


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