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Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 56

Le mardi 3 décembre 1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 3 décembre 1996

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Le programme d'échange de pages avec la Chambre des communes

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, avant de passer aux déclarations de sénateurs, je voudrais vous présenter les pages de la Chambre des communes qui participent à notre programme permanent d'échange. Ces pages seront avec nous cette semaine jusqu'au 6 décembre.

Daniel Fisher, de Welland, en Ontario, étudie à la faculté des sciences sociales, à l'Université d'Ottawa, et se spécialise en sciences politiques.

[Français]

Honorables sénateurs, nous avons ici Caroline Leclerc, de la ville d'Aylmer, au Québec. Elle est inscrite à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Elle se spécialise en sciences politiques. Nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat.

 


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le nouveau projet de loi sur les produits du tabac

Félicitations au ministre de la Santé

L'honorable Mira Spivak: Honorables sénateurs, je tiens à féliciter le ministre de la Santé, David Dingwall, qui a présenté un projet de loi visant à restreindre les activités de promotion des produits du tabac. En particulier, son projet de loi tend à éduquer les jeunes et à les protéger contre les risques associés au tabagisme. Nous savons que la publicité des fabricants de produits du tabac vise surtout les jeunes au Canada. Ce projet de loi est vraiment le bienvenu.

Naturellement, je dois dire que j'aurais peut-être fait les choses un peu différemment pour veiller à ce que les produits du tabac soient considérés comme des substances dangereuses. Néanmoins, je félicite sincèrement le ministre. Les circonstances actuelles ont probablement rendu possible la présentation de ce projet de loi. J'espère cependant qu'il est possible d'apporter des améliorations à cette mesure.

Je demande à l'honorable leader du gouvernement au Sénat de transmettre mes félicitations au ministre.

La Journée internationale des personnes handicapées

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, j'attendais que quelqu'un du gouvernement attire l'attention du Sénat sur le fait que c'est aujourd'hui la Journée internationale des personnes handicapées.

Cela fait des années que le Parlement reconnaît les obstacles à l'équité qui frustrent les personnes handicapées et qui les privent de l'égalité des chances que garantit la société canadienne.

Les sénateurs se rappelleront que la législation interne canadienne sur les droits de la personne, aussi bien les textes provinciaux que la loi fédérale, interdit la discrimination à l'égard des personnes handicapées en matière d'emploi, de logement et de services. En outre, au plan constitutionnel, l'article 15 de la Charte des droits et libertés prévoit expressément que la loi ne fait exception de personne et s'applique également à tous et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur les déficiences mentales ou physiques.

Il est important d'avoir des instruments de ce genre pour protéger les droits de la personne, mais il importe tout autant que ces instruments soient tenus à jour. Cela fait des années que la Commission canadienne des droits de la personne recommande dans son rapport annuel que la Loi canadienne sur les droits de la personne soit modifiée de façon à prévoir des logements adéquats pour les personnes handicapées.

Les résultats de nombreuses études ont été publiés ces dernières années - Obstacles, en 1981, Égalité pour tous, en 1985, Un défi, en 1988, S'entendre pour agir, en 1990, la Stratégie nationale pour l'intégration des personnes handicapées, en 1992, et, plus récemment, un comité de l'autre endroit, présidé par le député de Fredericton-York-Sunbury, s'est penché sur les problèmes que rencontrent les personnes handicapées. Honorables sénateurs, les études sont une chose, et l'action en est une autre. Aujourd'hui, il nous faut malheureusement signaler l'inertie du gouvernement dans ce domaine.

(1410)

Honorables sénateurs, il faut que le gouvernement fasse preuve d'initiative dans ce domaine et prenne les mesures qui s'imposent pour assurer, dans la pratique, l'égalité des chances pour les Canadiens handicapés.

En cette Journée internationale des personnes handicapées, je prie le gouvernement fédéral de présenter des modifications à apporter à la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de définir la responsabilité qui est la nôtre d'assurer des logements adéquats aux Canadiens handicapés.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je voudrais moi aussi souligner l'importance de la Journée internationale des personnes handicapées, et je remercie le sénateur d'avoir soulevé la question.

Cependant, je voudrais aussi faire remarquer au Sénat que cette question est actuellement hautement prioritaire au sein du gouvernement. Elle est même un des principaux sujets de discussion du nouveau comité fédéral-provincial-territorial sur le renouvellement de la politique sociale présidé par le ministre du Développement des ressources humaines, l'honorable Pierre Pettigrew, du côté fédéral, et l'honorable Stockwell Day, de la province de l'Alberta.

Le sénateur a fait état de l'engagement du gouvernement à cet égard. Je me souviens en particulier du groupe de travail sur les personnes handicapées, sous la direction de l'honorable David Smith, de Toronto, au début des années 80, qui a déposé ses deux rapports intitulés «Obstacles». C'est de ces rapports qu'ont été tirées nombre d'innovations pratiques qui facilitent la vie quotidienne de personnes handicapées dans toutes les régions du pays.

Il reste toutefois encore beaucoup à faire. C'est ce qui a été souligné, de façon dramatique, dans le plus récent rapport, l'étude de la Chambre des communes dirigée par le député de Fredericton-York-Sunbury, Andy Scott. Le gouvernement fédéral étudiera les constatations, les suggestions et les recommandations de ce groupe de travail et c'est ce que feront aussi les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Cette question ne concerne pas seulement la politique sociale, car tout est lié désormais. Nous ne nous préoccupons pas seulement du bien-être social de ces personnes, mais aussi de leur bien-être économique. La Chambre et la société en général s'intéressent aux questions qui concernent les enfants; parmi les questions les plus importantes qui intéressent les Canadiens, on trouve les perspectives qui s'ouvrent aux personnes handicapées et les défis qu'ils doivent relever.

La proposition du sénateur sera certes transmise. Néanmoins, j'estime qu'il conviendra avec moi qu'il existe une foule d'innovations pratiques susceptibles d'améliorer la qualité de vie de ces personnes qui, dans leur quête de l'égalité des chances dans notre pays, peuvent également profiter de l'aide que ceux d'entre nous sont en mesure de leur offrir.


AFFAIRES COURANTES

Projet de loi sur les océans

Rapport du comité

L'honorable Gerald J. Comeau, président du comité sénatorial permanent des pêches, présente le rapport suivant:

Le mardi 3 décembre 1996

Le comité sénatorial permanent des pêches a l'honneur de présenter son

DEUXIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été déféré le projet de loi C-26, Loi concernant les océans du Canada, a, conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 23 octobre 1996, étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement

Respectueusement soumis

Le président,
GERALD J. COMEAU

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Graham, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

L'ajournement

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit à demain, le mercredi 4 décembre 1996, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi sur les additifs à base de manganèse

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-29, Loi régissant le commerce interprovincial et l'importation à des fins commerciales de certaines substances à base de manganèse.

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Graham, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance dujeudi 5 décembre 1996.)

La Loi sur la gestion des finances publiques

Projet de loi modificatif-Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-270, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (session du Parlement).

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Graham, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance dujeudi 5 décembre 1996.)

Affaires étrangères

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L'honorable John B. Stewart, président du comité sénatorial permanent des affaires étrangères, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement, propose:

Que le comité sénatorial permanent des affaires étrangères soit autorisé à siéger à 15 h 30 aujourd'hui, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les pêches et les océans

La directive du ministre concernant la surveillance des appels téléphoniques de parlementaires-
La position du gouvernement

L'honorable Pat Carney: Honorables sénateurs, j'ai déjà donné avis au leader du gouvernement au Sénat de mon intention de soulever la question. Cependant, j'attire particulièrement son attention et celle des honorables sénateurs sur la directive envoyée par le cabinet du ministre des Pêches aux directeurs régionaux de la région du Pacifique pour les enjoindre de signaler au cabinet du ministre tous les appels téléphoniques de députés et de sénateurs. Le ministre leur ordonne de rapporter le nom de la personne qui appelle, le bureau auquel elle se rattache, son numéro de téléphone et le résumé des renseignements donnés. L'information doit être envoyée par courrier électronique ou par télécopieur au cabinet du ministre dans les 24 heures suivant l'appel.

(1420)

Cette surveillance des appels téléphoniques de sénateurs et de députés, qui travaillent pour la population, fait-elle partie de la nouvelle stratégie de communication du gouvernement? Si oui, j'aimerais savoir quel en est le but.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je remercie ma collègue pour avoir attiré mon attention sur cette situation. J'ignorais que cette directive avait été envoyée. Je verrai de quoi il retourne. Cependant, j'exprime l'espoir que les ministres tiennent à écouter très attentivement les vues des sénateurs et des députés, peu importe leur parti politique, sur les questions d'intérêt public, en tout cas sur les questions aussi importantes que celles qui concernent la côte ouest. Pour répondre à la question posée par l'honorable sénateur, je tenterai d'obtenir plus de détails.

Le sénateur Carney: Honorables sénateurs, je serai heureuse d'obtenir une réponse du leader du gouvernement. Il ne s'agit pas d'une question frivole. Une tentative d'intimidation des députés et des sénateurs qui remplissent leurs fonctions officielles en s'occupant de politiques très controversées n'est pas sans importance. Cela constitue une infraction à notre longue tradition de respect des privilèges parlementaires.

Au leader du gouvernement, qui affirme que le ministre devrait être très intéressé à connaître nos vues, je répliquerai que le ministre ne tient pas du tout à connaître notre opinion. Son cabinet a refusé une rencontre avec les maires de trois centres de pêche importants de la côte ouest: Prince-Rupert, Powell River et Campbell River. Les maires de ces villes ont demandé à rencontrer le ministre pour discuter des politiques qui dévastent les collectivités côtières et leur demande a été rejetée. Des lettres envoyées par mon bureau au cabinet du ministre restent sans réponse pendant des semaines.

Je serai reconnaissante à madame le leader du gouvernement au Sénat de tous les efforts qu'elle fera pour améliorer les communications entre le ministre et les parlementaires - à l'exclusion, bien sûr, de la surveillance de nos appels téléphoniques.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je peux affirmer que je ne prends pas la question à la légère. Je crois qu'elle est très importante. Je ferai part des commentaires de l'honorable sénateur au ministre et je ferai tout ce que je peux pour accélérer les communications.

La surveillance des communications téléphoniques des étrangers-La position du gouvernement

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, pendant que madame le leader du gouvernement au Sénat se renseigne sur cette question, je me demande si elle pourrait vérifier si une note de service du même genre a été envoyée aux employés de Pêches et Océans sur la côte est et à l'intérieur du pays pour leur demander de rapporter au cabinet du ministre tous les appels téléphoniques reçues dans ces régions également.

Tout comme le sénateur Carney, je trouve cela extrêmement grave que le cabinet du ministre s'intéresse tant à ce que font les parlementaires. Au lieu de perdre du temps à surveiller les appels téléphoniques, il serait peut-être plus utile que le ministre parle aux gens dans ces régions.

Madame le leader pourrait-elle vérifier si un système de surveillance de ce genre est en place pour les ressortissants étrangers? Autrement dit, si des étrangers demandent des renseignements à des fonctionnaires du MPO, feront-ils également l'objet du même genre de surveillance?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ajouterai les questions du sénateur Comeau à la liste et je m'efforcerai d'obtenir des réponses.

La surveillance des communications téléphoniques des parlementaires par le personnel du ministre-La possibilité d'obtenir des réponses aux questions de cette façon

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, à ce sujet, il y a quelque chose que je ne comprends pas très bien, et je suis certain que le sénateur Carney se pose la même question que moi. Est-ce qu'avec cette surveillance, si je voulais obtenir une réponse rapide du ministre, au lieu d'inscrire des questions au Feuilleton, où elles restent parfois pendant six mois, je n'aurais qu'à téléphoner à un fonctionnaire du ministère des Transports ou du ministère des Pêches pour que ma question soit transmise au ministre dans les 24 heures et je pourrais peut-être alors avoir une réponse? Est-ce ainsi que le gouvernement entend procéder, à l'avenir?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je prends la question du sénateur Tkachuk très au sérieux, comme je l'ai fait pour les questions des deux autres sénateurs. Je puis assurer au sénateur Tkachuk que le gouvernement s'intéresse au plus au point aux remarques faites dans les deux Chambres du Parlement au sujet des questions importantes.

Je m'excuse, comme je l'ai déjà fait auparavant, que les réponses soient parfois lentes à venir. Mon collègue et moi-même faisons tout ce que nous pouvons pour accélérer ce processus.

La directive du ministre concernant la surveillance des appels téléphoniques des parlementaires-Le dépôt des documents pertinents

L'honorable Pat Carney: Honorables sénateurs, je suis à votre disposition et à la disposition du Président. J'ai ici un exemplaire de la directive du ministre, que je voudrais inscrire au compte rendu afin que tout soit clair. Puis-je lire ce document?

Des voix: Lisez-le.

Le sénateur Carney: La directive est adressée aux directeurs régionaux de la région du Pacifique, elle émane de l'adjoint exécutif du directeur général, région du Pacifique. Elle est datée du 15 octobre 1996. Son objet est «messages téléphoniques provenant de députés et de sénateurs». Elle est signée parL.M.E. McFall et se lit comme suit:

Nous avons reçu du cabinet du ministre l'ordre de lui signaler tous les appels reçus de députés et de sénateurs. Les rapports à cet égard devront indiquer le nom de la personne, le bureau auquel elle se rattache, son numéro de téléphone et l'objet de l'appel et donner aussi un résumé des renseignements qui lui ont été fournis.

Les messages doivent être transmis par courrier électronique ou télécopieur dans les 24 heures suivant l'appel. Vous trouverez ci-joint un exemple de la formule à utiliser, que je pourrai vous faire parvenir par courrier électronique si vous le désirez. Je fournirai au cabinet du ministre un rapport hebdomadaire.

Veuillez faire savoir à tous les membres de votre personnel qu'ils doivent immédiatement vous signaler les appels de ce genre.

Merci.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je tiens à préciser que nous n'avons pas créé un précédent. Si le sénateur Carney avait demandé à déposer la lettre, sa demande aurait été parfaitement recevable, mais il n'est pas acceptable de lire une lettre durant la période des questions. Cependant, elle l'a lue à la demande du Sénat et j'ai accepté qu'elle le fasse, mais ce n'est pas une pratique habituelle.

L'enseignement postsecondaire

L'augmentation des frais de scolarité appliquée par certaines provinces aux étudiants hors province-L'éventualité de l'abrogation des ententes interprovinciales-La position du gouvernement

L'honorable Ethel Cochrane: Honorables sénateurs, l'an dernier le gouvernement de la Colombie-Britannique a imposé une période d'attente de trois mois relativement à l'admissibilité des nouveaux venus à l'aide sociale de la province. Le gouvernement fédéral a refusé de tolérer cet obstacle à la mobilité entre les provinces et a suspendu, en guise de sanction, une partie de sa participation financière au système d'aide sociale de la province.

J'apprends maintenant que le gouvernement du Québec a annoncé qu'à compter de l'an prochain, les étudiants d'autres provinces qui étudient dans des universités ou collèges sur son territoire devront payer des frais de scolarité à peu près deux fois plus élevés que ceux que paient les résidents du Québec.

Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle me dire si le gouvernement entend réagir à cet obstacle à la mobilité interprovinciale en retenant une partie de l'aide financière qu'il accorde au Québec au titre de l'enseignement postsecondaire?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, il va me falloir transmettre cette question au ministre compétent. Le sénateur Cochrane sait probablement que cette question qui concerne le Québec relève peut-être de la compétence provinciale. Je vais vérifier.

Le sénateur Cochrane: Honorables sénateurs, après ce que la ministre vient de dire, je voudrais lui poser une question complémentaire. Nous savons tous que cette hausse de frais ne vise pas la plupart des étudiants étrangers parce que le Québec a signé des ententes de réciprocité avec d'autres pays dans le domaine de l'éducation.

Le gouvernement du Canada va-t-il renouveler ses efforts en vue d'établir des normes nationales d'enseignement postsecondaire qui interdiront la discrimination à l'égard des étudiants hors province?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je vais certainement transmettre la suggestion de l'honorable sénateur aux ministres compétents.

(1430)

Dans le cas de la Colombie-Britannique, l'honorable sénateur doit savoir que la question des droits de mobilité était en cause. Je crois savoir que le gouvernement fédéral et la Colombie-Britannique poursuivent des discussions en vue de résoudre cette question.

Demande de renseignements sur les frais de scolarité dans tous les établissements postsecondaires

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, en toute justice, la ministre va-t-elle nous donner une réponse pour permettre aux sénateurs de mieux comprendre l'issue du problème? Elle pourrait peut-être également déposer les détails sur les frais de scolarité demandés par toutes les universités et tous les établissements postsecondaires dans tout le Canada. Les honorables sénateurs seront alors surpris de voir la modicité des frais de scolarité en vigueur au Québec.

J'ignore si c'est parce que les étudiants des universités du Québec sont plus militants qu'ailleurs au Canada, mais l'écart incite très fortement les étudiants de l'extérieur du Québec à venir étudier dans cette province. Dans certains cas, les frais de scolarité exigés sont deux fois moins élevés que dans les autres universités canadiennes. Les universités de toutes les autres provinces canadiennes imposent des frais de scolarité élevés comparativement au Québec, qui n'a jamais augmenté les siens. Je n'ai malheureusement pas les chiffres en main car je ne m'attendais pas à cette question aujourd'hui.

Je ne veux pas avoir d'affrontement avec le sénateur, mais dans l'intérêt d'un débat éclairé et d'une réponse tout aussi éclairée, je demanderais à la ministre de déposer, en même temps que la réponse à la question qui lui a été posée, l'information concernant les frais que doit payer un étudiant ailleurs au Canada pour une éducation semblable. Il faudra soit réduire le coût de l'instruction dans les autres provinces, soit faire quelque chose au Québec, au grand risque de déclencher un conflit considérable.

J'ai été un leader étudiant dans ma jeunesse, mais nous ne faisions rien comparativement à ce que font les étudiants de nos jours. Ils sont très militants. Le gouvernement a tenté d'imposer une hausse généralisée des frais de scolarité, mais il n'a pas réussi. Je ne dis pas que les mesures prises sont bonnes, mais si nous voulons tenir un débat éclairé, les honorables sénateurs voudront peut-être savoir précisément ce que tous les étudiants canadiens doivent payer en frais de scolarité, dans chaque domaine, que ce soit la médecine, les arts ou les sciences. Vous serez surpris de constater la modicité des frais de scolarité au Québec comparativement au reste du Canada.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le sénateur signale qu'il existe des différences dans les frais de scolarité entre les provinces et même entre les établissements d'enseignement. Je lui signale cependant qu'un sous-comité à l'éducation postsecondaire du comité des affaires sociales, créé sur l'initiative du sénateur Bonnell, poursuit actuellement ses travaux. Ce sous-comité serait la tribune parfaite pour parler de certaines de ces questions à des personnes qui s'en sont occupées directement.

Le sénateur Prud'homme: Sur le même sujet, vous constaterez que chaque fois que des sénateurs parlent de normes nationales, nous nous éloignons un peu plus de l'esprit de l'accord du lac Meech. C'est la raison pour laquelle je suis intervenu. Je tiens à m'assurer que nous savons exactement de quoi nous discutons.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je prends note de ce qu'a dit l'honorable sénateur. La position du gouvernement et de ses ministres qui travaillent en collaboration avec leurs homologues provinciaux est claire. Elle a été clairement définie récemment dans le cadre des discussions sur l'union sociale que tiennent les ministres de toutes les provinces et des territoires et le ministre du Développement des ressources humaines.

Réponses différées à des questions orales

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse à une question posée au Sénat le 29 octobre 1996 par le sénateur Forrestal, concernant le tracé du gazoduc extracôtier de la Nouvelle-Écosse; la réponse à une question posée au Sénat le 26 octobre 1996 par le sénateur St. Germain et le sénateur Bolduc, concernant l'Accord nord-américain de libre-échange sur le bois d'oeuvre; et la réponse aux questions écrites nos 138 et 139 du sénateur Forrestall.

L'énergie

Le tracé du gazoduc extracôtier de la Nouvelle-Écosse-La préférence du premier ministre-
La position du gouvernement

(Réponse à une question posée par l'honorable J. Michael Forrestall le 29 octobre 1996)

Le premier ministre a commenté sur l'importance du processus de réglementation et des facteurs économiques dans la réussite de ces projets.

Le gouvernement reconnaît que deux projets se font la lutte pour amener le gaz naturel extracôtier de l'île de Sable sur les marchés. Les deux recevront le même traitement de la part des organismes de réglementation fédéraux. Les principes d'impartialité, d'équité et d'efficacité sont appliqués à tous les projets pipeliniers.

Les pipelines internationaux et interprovinciaux relèvent de la compétence de l'Office national de l'énergie (ONE), un organisme de réglementation quasi judiciaire indépendant. Les recommandations de l'Office national de l'énergie quant à la construction de gazoducs et aux exportations de gaz sont approuvées par le gouverneur en conseil. Le rôle de ce dernier se limite à approuver ou à refuser les recommandations de l'Office national de l'énergie. Le gouvernement n'a pas le pouvoir de revoir ou de modifier des recommandations.

Le projet énergétique extracôtier de l'île de Sable est tributaire du marché. La dynamique du marché du gaz naturel et les composants économiques dicteront à quel moment le gaz extracôtier sera amené sur le continent, quels marchés seront desservis et quel sera le tracé du gazoduc terrestre.

L'accord de libre-échange Nord-Américain

Le bois-d'oeuvre-L'Accord avec les États-Unis sur les quotas d'exportation-La justification de la durée de cinq ans-L'incidence sur l'emploi dans les provinces productrices-La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorableGerry St. Germain et l'honorable Roch Bolduc le 26 novembre 1996)

Les attributions se fondaient sur les exportations récentes aux États-Unis effectuées par les producteurs primaires et par les entreprises de seconde ouvraison admissibles. Pour appliquer le nouveau régime des prix de licence prévu dans l'accord, le gouvernement fédéral a élaboré un système d'attributions en étroite consultation avec les associations de l'industrie des quatre provinces ainsi qu'avec les provinces elles-mêmes. En particulier:

w les attributions tiennent compte des exportations directes aux États-Unis effectuées par les producteurs primaires et par les entreprises de seconde ouvraison, ainsi que de leurs expéditions aux États-Unis par l'entremise de grossistes;

w elles réservent une certaine quantité pour les nouveaux venus qui ont mis de nouvelles usines en opération, qui ont réalisé des investissements vérifiables ou qui ont entrepris de grands travaux d'expansion de leur capacité;

w elles sont ajustées pour tenir compte des expéditions déjà effectuées par les sociétés dans les six premiers mois de l'année; et

w elles s'appliquent à toute l'année allant du 1er avril 1996 au 31 mars 1997.

Afin d'aider les sociétés à faire la transition au nouveau système, le gouvernement a consenti une attribution spéciale d'ajustement aux sociétés dont les expéditions aux deux premiers trimestres de cette année ont dépassé leur attribution. De plus, une banque d'attributions a été établie pour permettre aux sociétés se trouvant dans cette situation de prélever sur leur attribution de l'an prochain. Le gouvernment a aussi établi une petite réserve pour aider les sociétés qui connaissent des difficultés extrêmes en raison de la transition au régime d'attributions propres à chaque société. Si les sociétés ont déjà utilisé totalement leur attribution pour cette année, c'est parce qu'elles ont expédié une grande quantité de bois dans les six premiers mois. Les prix étaient à la hausse, et elles expédiaient plus intensément que par le passé.

Lorsqu'on ajoute les 14,7 milliards de pieds-planche vendus sous le régime de base aux 650 millions de pieds-planche assujettis au régime de prix inférieur et aux 92 millions de pieds-planche visés par le régime de prix supérieur que nous avons obtenu pour chacun des deux premiers trimestres de l'accord - le gouvernement est aussi bien parti pour obtenir 92 millions de pieds-planche additionnels sous le régime de prix supérieur pour le troisième trimestre - les exportations canadiennes de bois d'oeuvre aux États-Unis seront égales ou supérieures à ses exportations dans les années précédentes.

Le niveau limite des attributions n'empêche pas les sociétés de payer le prix de la licence appropriée et d'expédier davantage si elles le souhaitent. Selon l'évolution des cours du marché, ce pourrait s'avérer une option viable pour certaines sociétés, même si le prix de la licence est de 100 $ US par tranche de mille pieds-planche.

Les producteurs et vendeurs de bois d'oeuvre mènent des opérations profitables cette année en raison du niveau élevé des exportations aux États-Unis à de bons prix. Le prix moyen à ce moment-ci l'an dernier était de 233 $ US. Il est maintenant de 505 $ US. Le gouvernement n'a pas l'intention de renier ses obligations commerciales avec les États-Unis. Il veille à la mise en oeuvre intégrale des engagements qu'il a pris en vertu de l'accord.

L'industrie canadienne et les administrations provinciales ont décidé que la négociation d'un accord acceptable garantissant l'accès sécuritaire au marché américain est préférable aux incertitudes et aux coûts d'un litige sur les droits compensateurs. Si les États-Unis avaient décidé d'instituer une enquête visant l'imposition de droits compensateurs sur les produits canadiens de bois d'oeuvre, les droits imposés et les frais juridiques découlant d'un autre litige sur les droits compensateurs auraient eu des répercussions négatives considérables sur l'industrie canadienne du bois d'oeuvre et ses travailleurs. Les problèmes de démarrage devraient se dissiper au fur et à mesure que les entreprises s'ajusteront aux réalités du marché et aux nouvelles règles d'attribution des contingents.

Cette industrie est importante pour l'économie canadienne. Elle fournit un emploi à quelque 60 000 personnes d'un bout à l'autre du Canada. Les exportations de bois d'oeuvre aux États-Unis ont atteint un niveau record en 1995, se chiffrant à plus de 8 milliards de dollars. Ces exportations représentent environ 60 p. 100 de la production canadienne de bois d'oeuvre. La valeur de ces exportations a progressé considérablement depuis 1990.

Alors, l'accord conclu avec les États-Unis vise par conséquent à éviter une autre bataille juridique, qui s'avérerait longue et coûteuse. L'accord, qui est entré en vigueur le 1er avril 1996, garantit aux exportateurs canadiens de bois d'oeuvre un accès sécuritaire au marché américain pendant cinq ans. En signant cet accord, les États-Unis se sont engagés à ne prendre aucune mesure commerciale contre les exportations canadiennes pendant cette période, un engagement sans précédent.

L'industrie du bois d'oeuvre et les provinces ont non seulement appuyé l'accord, mais l'ont aussi conçu. C'est pourquoi le gouvernement a tenu d'étroites consultations avec les provinces et l'industrie, qui ont d'ailleurs participé à toutes les étapes des pourparlers. Ces consultations se sont poursuivies pour la mise en oeuvre de l'accord.

Dépôt de la réponse à une question inscrite au feuilleton

Les renseignements concernant la Cornwallis Park Development Agency

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse à la question no 138 inscrite au Feuilleton par le sénateur Forrestall.

Le rapport de KPMG sur la Cornwallis Park Development Agency

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse à la question no 139 inscrite au Feuilleton par le sénateur Forrestall.

ORDRE DU JOUR

La Loi électorale du Canada
La Loi sur le Parlement du Canada
La Loi référendaire

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable John G. Bryden propose: que le projet de loi C-63, Loi modifiant la Loi électorale du Canada, la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi référendaire, soit lu une deuxième fois.

-Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que j'entame le débat, en deuxième lecture, sur le projet de loi C-63, Loi modifiant la Loi électorale du Canada, la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi référendaire.

Ce projet de loi apportera des modifications importantes à la façon dont se déroulent les élections fédérales, modifications qui répondent directement aux préoccupations et aux frustrations exprimées par de nombreux Canadiens depuis des années. Il permettra d'assurer que tous les Canadiens aient l'occasion de participer de façon significative au processus électoral fédéral, sachant que leurs voix comptent.

Herman Bakvis, qui a assuré la rédaction de plusieurs des études préparées pour la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, plus connue sous le nom de commission Lortie a écrit ce qui suit:

Exercer son droit de vote lors d'une élection est probablement la forme de participation politique la plus importante dans un démocratie moderne. Pour les citoyens, c'est le moyen le plus direct de faire part à leur gouvernement de leurs intérêts et de leurs préférences, et de contrôler ceux qui cherchent à les gouverner. La mesure dans laquelle les citoyens exercent ce droit fondamental peut être considérée comme un indicateur de la santé de la démocratie.

Au Canada, le taux de participation est élevé, spécialement par rapport à celui d'autres démocraties, les États-Unis en particulier. Mais il est loin d'atteindre 100 p. 100. Il s'établit généralement entre 69 et 76 p. 100.

En particulier, on constate depuis le milieu des années 1980 une insatisfaction croissante des Canadiens à l'égard du processus d'énumération et d'inscription. Notre système d'énumération des électeurs par des visites porte à porte après le déclenchement de la campagne électorale est unique. Nous sommes la seule grande démocratie qui attende que la campagne électorale soit commencée avant d'inscrire les électeurs. Même si cela fonctionnait très bien autrefois, les témoignages entendus par la commission Lortie attestent qu'il y a eu des problèmes ces dernières années.

Une des études préparées pour la commission royale visait en particulier l'inscription des électeurs, elle était intitulée: «Registering Voters: Canada in a Comparative Context». Cette étude constatait, après examen des témoignages:

La principale inquiétude exprimée dans ces documents concerne, sans le moindre doute, la qualité de l'énumération et les déceptions des électeurs, des partis et des candidats, du fait de l'inexactitude des listes ou de l'exclusion de personnes, lesquelles ne peuvent voter en raison du processus d'inscription sur les listes.

Le projet de loi C-63 répond à ces inquiétudes en créant un registre permanent des électeurs. C'est une chose dont on discute depuis des années et qui était recommandée par la commission Lortie. Or, nous avons maintenant les moyens techniques pour que cela devienne réalité. Le projet de loi nous permettra d'utiliser les plus récentes technologies et nous autorisera à profiter de la collaboration entre les gouvernements, de sorte que nous puissions constituer puis tenir à jour, de manière économique, un registre fiable et permanent des électeurs.

(1440)

Le système proposé a beaucoup d'avantages. En plus de supprimer le très coûteux exercice de l'énumération par visites porte à porte et d'éviter les difficultés récemment rencontrées avec ce système, un registre permanent permettra une collaboration entre le fédéral et les provinces, notamment la réduction des dédoublements et des recoupements, ce qui sera une économie supplémentaire pour les contribuables.

La création puis la tenue à jour d'une liste permanente des électeurs sont directement liées au deuxième élément clé du projet de loi C-63, la réduction de la durée de la campagne électorale, laquelle passe de 47 jours à 36 jours. Nous savons que les Canadiens veulent des campagnes plus courtes. En fait, le plus grand nombre de mémoires soumis à la commission Lortie - 120 environ - qui recommandaient une liste permanente des électeurs citaient comme raison principale à cela «le désir de réduire la durée des élections canadiennes». À une époque où les transports et les communications sont ultrarapides, il n'est plus nécessaire d'avoir une campagne aussi longue.

Le troisième grand élément du projet de loi, c'est la modification des heures du scrutin, l'étalement de ces heures de scrutin pour répondre aux préoccupations, que nous connaissons bien, de nombreux Canadiens de l'Ouest qui craignent d'être encore en train de voter alors qu'on a déjà prévu les résultats du vote dans le reste du pays.

Je vais discuter de chacun de ces éléments plus en détail, mais tout d'abord, je veux parler brièvement du processus qui a conduit à ce projet de loi. Cette mesure est le fruit d'une longue période de travail intensif, de consultations et de coopération entre diverses institutions au niveau fédéral, divers ordres de gouvernement et divers partis politiques. Je le répète, de nombreux éléments du projet de loi découlent du travail de la commission Lortie, qui a procédé à une étude détaillée du système d'inscription des électeurs. Ce travail a été complété par celui d'Élections Canada, qui s'est poursuivi pendant plusieurs années durant lesquelles on a longuement consulté les gouvernements provinciaux, le comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de l'autre endroit, le commissaire à la protection à la vie privée et les partis politiques. En fait, le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui englobe un certain nombre d'amendements adoptés à l'autre endroit pour répondre, notamment, aux préoccupations soulevées au comité et par les partis d'opposition. Les dispositions sur l'étalement des heures de scrutin sont le fruit d'une initiative lancée dans un projet de loi d'initiative parlementaire à la Chambre des communes.

Je vais maintenant décrire brièvement certains détails du projet de loi. Tout d'abord, je le répète, le projet de loi va autoriser la création d'une liste permanente d'électeurs pour éliminer la nécessité d'un recensement en règle pour toutes les élections. On procédera avant les prochaines élections à un dernier recensement national en utilisant la méthode traditionnelle du porte-à-porte pour établir cette liste, ce registre des électeurs. En fonction du moment où on va procéder à ce recensement, le Canada pourra passer à une campagne électorale plus courte, qui s'étalera sur 36 jours au minimum, à temps pour les prochaines élections. C'est la deuxième grande initiative prévue dans ce projet de loi.

Le directeur général des élections a déclaré qu'il serait possible d'entreprendre ce dernier recensement d'ici au 1er avril 1997 et de le terminer dans un délai de 21 à 25 jours. Une fois cela fait, le dernier recensement servira à produire la liste préliminaire des électeurs pour les prochaines élections générales. Les candidats recevront la liste préliminaire dans les cinq jours suivant l'émission des brefs d'élection. C'est une amélioration importante par rapport au système actuel.

Dans le cadre du calendrier actuel de 47 jours, comme beaucoup d'entre nous le savent, les listes préliminaires d'électeurs sont distribuées aux candidats et aux partis politiques le vingt-quatrième jour précédant le scrutin, pas plus de trois semaines après le début de la campagne électorale. Dans le cadre du calendrier de 36 jours proposé, la liste préliminaire sera disponible le trente-et-unième jour avant le jour du scrutin, cinq jours après le commencement de la campagne. On fournira ces listes aux partis politiques, ainsi qu'aux divers candidats. De cette façon, si aucun candidat n'a encore été désigné pour une circonscription en particulier, le parti pourra quand même obtenir les listes électorales. Ainsi, les partis et les candidats auront une semaine de plus pour faire la campagne en utilisant les listes préliminaires, même si la campagne électorale minimale sera de 11 jours plus courte qu'à l'heure actuelle.

Cela veut dire qu'on connaîtra les limites des dépenses beaucoup plus tôt. À l'heure actuelle, on les confirme aux candidats et aux partis politiques le vingt-cinquième jour avant la date du scrutin. Dans le cadre du nouveau calendrier, elles seront disponibles le trente-et-unième jour avant le scrutin, cinq jours après l'émission des brefs d'élection.

Ces délais s'appliquent en temps d'élections. Mais un des avantages d'un liste électorale permanente, c'est que les députés et les partis politiques peuvent l'utiliser aussi à d'autres moments. La liste électorale, mise à jour à l'aide des renseignements dont je ferai état tout à l'heure, sera remisele 15 octobre de chaque année aux députés et aux partis politiques pour chacune des circonscriptions dans laquelle un candidat de tel ou tel parti a été désigné officiellement lors des dernières élections.

Un autre amendement adopté aura pour effet que les partis enregistrés recevront une liste électorale préliminaire à l'issue du dernier recensement de porte à porte ayant servi à établir le registre permanent. Cette liste sera disponible 39 jours après que le directeur général des élections aura donné avis dans laGazette du Canada que les renseignements étaient complets. Bien sûr, si des élections sont déclenchées plus tôt, la liste sera disponible dans les cinq jours qui suivent l'émission du bref.

En abrégeant les campagnes électorales, on changerait aussi les délais accordés aux partis pour aviser les radiodiffuseurs du temps d'antenne qu'ils veulent acheter. À l'heure actuelle, la Loi sur les élections prévoit l'octroi de 6,5 heures de publicité gratuite aux partis politiques enregistrés et de 28 jours de publicité payée. Même si on abrège la campagne électorale, ce projet de loi ne modifiera en rien ces dispositions. La période réservée à la publicité gratuite sera maintenue à 6,5 heures et la période réservée à la publicité payée, à 28 jours.

Le seul changement concerne les délais accordés aux partis politiques pour aviser les radiodiffuseurs du temps d'antenne qu'ils veulent acheter en fonction des heures imparties. Dans sa version actuelle, la loi prévoit un délai de 10 jours pour aviser les radiodiffuseurs de ses plans de publicité. Au départ, on avait pensé réduire cette période à trois jours. Mais certains ont fait valoir qu'il serait peut-être difficile pour les partis de prévoir leurs besoins et d'en informer les radiodiffuseurs en l'espace de trois jours. On a donc modifié le projet de loi de façon à donner aux partis un délai pouvant atteindre 10 jours après l'émission des brefs pour présenter leurs plans de publicité aux radiodiffuseurs.

L'autre Chambre a adopté un amendement afin qu'il y ait une plus grande certitude quant au moment où le Canada adoptera ce calendrier électoral réduit. En vertu de cet amendement, le directeur général des élections ne procédera pas au dernier recensement de porte à porte avant le 1er avril 1997.

Comme je l'ai mentionné, une fois terminé, le dernier recensement prendrait entre 21 et 25 jours en tout. Le premier ministre pourrait prendre des mesures menant à l'émission du bref d'élections générales en fonction du calendrier de 36 jours. Bien sûr, des élections pourraient être déclenchées plus tôt, mais il faudrait alors utiliser le calendrier d'au moins 47 jours.

La question concernant les renseignements qui seraient recueillis au cours de ce dernier recensement à domicile, puis maintenus dans le registre permanent des électeurs, a été longuement étudiée, tant dans les discussions qui ont mené à la présentation du projet de loi C-63 que pendant les délibérations qui ont eu lieu à l'autre endroit. Tout au long de cette étude, une question très importante était le respect de la vie privée des électeurs. Les recenseurs devront déterminer si une personne est un citoyen canadien et est âgée de 18 ans ou plus. Ils demanderont également aux électeurs de donner leur nom en entier, leur sexe, leur adresse et leur date de naissance, renseignements qui seront particulièrement utiles lorsque des électeurs changent d'adresse. Cependant, les renseignements sur la date de naissance et sur le sexe de l'électeur ne seront pas fournis aux candidats ou aux partis politiques.

Le projet de loi renferme un certain nombre d'autres dispositions qui visent expressément à protéger la vie privée des électeurs.

(1450)

Comme je l'ai mentionné précédemment, le commissaire à la protection de la vie privée au Canada a été consulté au cours de la préparation de ce projet de loi. En effet, le directeur général des élections a fait participer le bureau du commissaire au processus dès le début de la période de deux ans pendant laquelle le projet de loi a été élaboré. Au cours de cette période, un certain nombre de questions ont été soulevées et résolues pour qu'on tienne pleinement compte des préoccupations concernant la protection de la vie privée. Par exemple, une fois qu'une liste permanente des électeurs sera établie en fonction de ce dernier recensement à domicile, elle sera mise à jour et maintenue à l'aide de certaines bases de données fédérales et provinciales. Un principe clé de la loi fédérale sur la protection de la vie privée, c'est que les renseignements recueillis par le gouvernement auprès de citoyens canadiens à une fin précise ne doivent pas être utilisés à d'autres fins à leur insu et sans leur consentement.

Le projet de loi C-63 tient compte de ce principe afin de garantir que les bases de données soient uniquement utilisées avec le consentement préalable et éclairé de l'intéressé. Par exemple, les renseignements de Revenu Canada concernant un changement d'adresse et les nouveaux électeurs de 18 ans ne peuvent être obtenus qu'avec le consentement du contribuable visé. Une formule de consentement officielle serait élaborée conjointement par Élections Canada et le Commissariat à la protection de la vie privée, et ferait partie de la déclaration de revenus.

Il y a aussi une disposition autorisant les électeurs à ne pas être inscrits sur le registre des électeurs, sans que cela ne nuise à leur droit de vote, ou interdisant la communication de renseignements à leur sujet à d'autres administrations électorales. Par suite d'un amendement apporté à l'autre endroit, le projet de loi oblige maintenant le directeur général des élections à modifier les renseignements concernant un électeur, si ce dernier présente une demande appropriée à cette fin.

Parmi les mesures visant à calmer les inquiétudes quant à la protection de la vie privée, des dispositions garantissent que les renseignements figurant sur le registre des électeurs ne serviront qu'aux fins électorales définies dans le projet de loi. Le registre des électeurs serait communiqué seulement aux organismes chargés, en vertu d'une loi provinciale, d'établir des listes d'électeurs, par exemple des municipalités et des commissions scolaires. Des dispositions interdiraient une mauvaise utilisation de ces renseignements.

En fait, le commissaire à la protection de la vie privée, M. Bruce Phillips, a accordé la note A-plus au projet de loi pour le traitement accordé aux questions qui touchent la protection de la vie privée.

J'ai fait allusion tout à l'heure à la mise à jour du registre des électeurs, grâce à l'utilisation de bases de données fédérales-provinciales. Voici plus de détails à ce sujet: une fois que le registre permanent est constitué, par le traditionnel recensement de porte à porte, il faudra le tenir à jour. À l'aide des nouvelles technologies disponibles, il sera possible de mettre à jour le registre à partir des renseignements puisés dans les banques de données fédérales et provinciales. Plus précisément, les renseignements sur un changement d'adresse, les nouveaux électeurs de 18 ans, les nouveaux citoyens et les décès seraient tous pris en compte afin de garantir la fiabilité du registre. Élections Canada a collaboré étroitement avec les provinces et les territoires pour obtenir les données devant servir à constituer et à tenir le registre; en particulier, à partir des permis de conduire et des bureaux de l'état civil, ainsi que de Revenu Canada et Citoyenneté et Immigration Canada.

Il n'y aurait pas d'interconnexion d'ordinateurs entre Élections Canada et Revenu Canada ou Citoyenneté et Immigration Canada. Les données devront être transmises, par messagers, sous formes de disquettes ou de bandes magnétiques, directement à Élections Canada. Voilà un autre exemple des mesures de protection prévues pour assurer la confidentialité des renseignements concernant chaque électeur.

Une fois lancés les brefs d'élection, on aura également recours à un processus plus rationalisé pour veiller à ce que tous les Canadiens admissibles puissent être inscrits sur les listes électorales et voter. Cela nécessitera une énumération spéciale effectuée de porte en porte et l'envoi et le retour de cartes de révision par la poste dans des zones de forte mobilité et les nouvelles zones résidentielles, des campagnes d'information publique plus soutenues et des stands d'inscription des électeurs. De plus, les électeurs pourront s'inscrire le jour même du scrutin.

Je passe maintenant à la dernière des trois principales mesures proposées dans le projet de loi, l'échelonnement des heures de scrutin. Nous connaissons tous très bien les inquiétudes qu'on a exprimées dans les provinces de l'Ouest et dans les territoires à propos du système actuel. À l'heure actuelle, les Britanno-Colombiens et les Albertains votent encore alors qu'on fait des projections à partir des premiers résultats obtenus dans l'Est pour prédire l'issue des élections.

Le projet de loi propose un système selon lequel les bureaux de scrutin fermeraient à des heures différentes d'un bout à l'autre du pays après une plus longue période de scrutin. La période de scrutin dans chaque fuseau horaire durerait 12 heures au lieu de 11 comme maintenant. Toutefois, l'horaire local de cette période de 12 heures différerait selon les divers fuseaux horaires.

Tel que proposé, les bureaux de scrutin fermeraient aux heures locales suivantes dans chaque fuseau horaire: à 20 h 30 à Terre-Neuve et dans les provinces maritimes; à 21 h 30 au Québec et en Ontario; à 20 h 30 au Manitoba et en Saskatchewan; à 19 h 30 en Alberta et dans les Territoires du Nord-Ouest; et à 19 heures en Colombie-Britannique et au Yukon.

En vertu de l'horaire proposé, les bureaux de scrutin fermeront à Terre-Neuve trois heures avant qu'ils ne ferment en Colombie- Britannique, et, dans les Maritimes, deux heures et demie avant qu'ils ne ferment en Colombie-Britannique. Cependant, en Ontario, au Québec, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et dans les Territoires du Nord-Ouest, ils fermeront en même temps, soit une demi-heure seulement avant qu'ils ne ferment en Colombie-Britannique.

Est-ce la solution parfaite? Non. Dans certaines provinces, comme le Québec et l'Ontario, les bureaux de scrutin devront rester ouverts plus tard, et ils devront fermer plus tôt dans d'autres. Mais il semble bien que, dans ce cas-ci, le meilleur soit l'ennemi du bien. Pour que tous les électeurs aient la même possibilité de voter, la période de scrutin de 12 heures doit être partout identique. Comme je l'ai déjà signalé, le projet de loi allonge d'une heure la durée du scrutin, qui est maintenant de 11 heures.

Le projet de loi ramène de quatre à trois heures la période libre que les employeurs doivent donner à leurs employés, ce qui atténuera les problèmes que cette disposition peut occasionner aux employeurs. Cependant, cela laisse aux employés tout le temps d'aller voter le matin et d'arriver en retard le matin, ou de quitter le travail tôt pour aller voter le soir. L'employé qui commence normalement à 9 heures pourra arriver au travail à midi. Même dans les provinces où les bureaux n'ouvrent qu'à 9 h 30, cela donne amplement le temps d'aller voter. De la même manière, l'employé qui quitte normalement le travail à 17 heures pourrait partir à 14 heures, ce qui lui donne tout le temps, même si les bureaux ferment à 19 heures.

Le projet a été très favorablement accueilli par les médias d'un bout à l'autre du Canada. Les éditorialistes se sont félicités des initiatives clés du projet de loi, de ses dispositions sur le respect de la vie privée et des économies qui en découleront. Le projet de loi C-63 se traduira par une modernisation assez importante de notre système électoral. Il permet la coopération fédérale-provinciale pour mettre en commun de l'information afin de tenir à jour la liste permanente des électeurs, et pour partager les mêmes listes afin d'éviter les doubles emplois et le chevauchement. Grâce à la modification adoptée à l'autre endroit, le directeur général des élections pourra se servir des listes provinciales pour établir et tenir à jour la liste fédérale, pourvu que soient respectées certaines conditions d'exactitude et de qualité.

La modification permettra probablement d'utiliser dès le printemps prochain la liste de l'Île-du-Prince-Édouard et de l'Alberta pour constituer la liste fédérale. On n'aurait donc pas besoin de faire un recensement électoral dans ces deux provinces.

L'adoption du projet de loi permettra de réaliser des économies substantielles. Une fois la liste permanente en place, elles seront d'environ 30 millions de dollars à chaque élection. En abrégeant la période de campagne électorale, on permettra aux contribuables de réaliser des économies d'environ 8 millions de dollars à chaque fois. Dans la mesure où les listes d'électeurs seront partagées avec les provinces, comme on le prévoit, les contribuables réaliseront des économies là aussi.

(1500)

Honorables sénateurs, je crois que le projet de loi est une bonne mesure qui sert les intérêts de tous les Canadiens, et surtout les électeurs, les candidats et les partis politiques. C'est pourquoi je vous invite à vous joindre à moi pour appuyer cette importante initiative.

[Français]

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs,je suis très heureux de ce projet de loi. Il contient, toutefois, deux ou trois petits aspects qui peuvent être troublants. Le premier est celui concernant la question des heures d'ouverture des bureaux de scrutin. Cela a été bien reçu dans certaines parties du pays et non dans certaines autres parties du pays.

Lorsque je siégeais à la Chambre des communes, le ministre responsable ou le whip en chef me nommait toujours pour siéger à cette commission parlementaire.

Au cours des années, j'ai appris la Loi électorale du Canada et la Loi référendaire presque par coeur. Je pense que l'on s'entend tous sur la question de l'énumération. Vous avez souligné le danger qu'il peut y avoir pour la confidentialité des documents comportant, par exemple, le lieu de résidence et l'âge d'un individu, même si ce document ne doit pas être communiqué, cela finira par l'être . J'ai des doutes sur cette question d'obliger les gens à donner leur âge. Les gens sont très susceptibles là-dessus, surtout à une certaine période de notre vie. La première difficulté que je souligne, c'est la question de l'âge.

La deuxième, c'est la question des heures d'ouverture des bureaux de scrutin à travers le Canada. Si j'ai bien compris, le centre du Canada, c'est-à-dire le Québec et l'Ontario principalement, ainsi que quelques provinces de l'Atlantique, sont naturellement très hautement pénalisées par cette question. Nous sommes d'accord qu'il devrait y avoir une fin à cette folie, comme on l'a vu aux États-Unis, où les gens en Californie n'avaient plus envie d'aller voter parce l'élection déjà était finie. On veut corriger cela.

J'ai une suggestion à vous faire, honorables sénateurs. Je souhaiterais la faire au comité qui étudiera ce projet de loi.

[Traduction]

N'y aurait-il pas lieu, du moins si c'est possible, de diviser le projet de loi et d'adopter toutes les dispositions, sauf celles concernant les heures? On parle beaucoup de la question des heures. Je peux vous dire que la question des heures de scrutin dans le centre du Canada commence à intéresser bien des gens et qu'elle suscitera de vives discussions. Malheureusement, cette question retardera l'adoption du projet de loi. Nous voulons tous appuyer le projet de loi, en y apportant ici et là certaines modifications, mais la question des heures demeure très controversée.

Si nous décidons de ne pas diviser le projet de loi, je pourrais proposer au comité de recommander à Élections Canada de mettre un terme au scrutin un peu plus tôt. S'il y a lieu de procéder ainsi, nous pénaliserions uniquement les travailleurs, qui toucheraient alors plus d'argent. Tous les travailleurs seraient sur place, mais je proposerais qu'on attende disons une heure avant d'ouvrir les boîtes de scrutin. Nous pénaliserions alors uniquement les travailleurs politiques, qui ne nous en voudraient pas. Nous pénaliserions seulement les travailleurs des bureaux de scrutin, qui devront attendre avant d'ouvrir les boîtes de scrutin et de compter les bulletins de vote, au lieu de pénaliser 10 millions de personnes en Ontario et 7 millions au Québec.

Les honorables sénateurs veulent tous que le Canada soit différent des États-Unis d'Amérique, pour qu'un vote soit un vote et que chaque vote compte.

[Français]

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Prud'homme, pourriez-vous poser votre question, s'il vous plaît?

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Sénateur Prud'homme, si je comprends bien, vous demandez si le comité examinerait cela à votre demande. Ma réponse est oui.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je me permets de commencer par parler de la question soulevée par le sénateur Prud'homme, car les dispositions concernant les heures d'ouverture des bureaux de scrutin constituent une importante partie du projet de loi, quoiqu'elles aient été ajoutées à la dernière minute - à la toute dernière minute - des audiences du comité. Comme l'a dit le sénateur, la question des heures d'ouvertures échelonnées ne faisait pas partie du projet de loi C-63 tel qu'il a été présenté à la Chambre des communes et renvoyé au comité.

[Français]

L'honorable sénateur Prud'homme a beau dire que les nouvelles heures d'ouverture des bureaux de scrutin proposées dans le projet de loi ont été bien accueillies dans certaines régions du pays...

Le sénateur Prud'homme: Ce n'est pas moi qui ai dit cela!

Le sénateur Murray: Vous avez bien dit que la proposition a été bien reçue dans certaines parties du pays.

Le sénateur Prud'homme: D'accord.

Le sénateur Murray: Force est de constater cependant, que les députés de l'opposition de la Chambre des communes qui viennent de la Colombie-Britannique, sont unanimes pour dire que fermer les bureaux de scrutin à 19 heures dans cette province, c'est trop tôt pour ceux qui veulent voter après leur journée de travail.

[Traduction]

Bien sûr, comme on a pu le lire ces derniers jours dans les éditoriaux du Toronto Star et du Globe and Mail, cela pose en contrepartie un problème au Québec et en Ontario, à savoir que si les bureaux de scrutin ouvrent à 9 h 30, on ne peut plus voter en se rendant au travail. Les deux journaux estiment que le Sénat devraient peser soigneusement ces dispositions. Même sans un appui aussi éminent, c'est ce que nous ferions sans aucun doute. Il ne sert à rien d'essayer de réduire le mécontentement des Britanno-Colombiens et des Albertains dont a parlé le sénateur Bryden avec une formule qui risque de leur causer encore plus de frustrations et d'ennui et de créer des complications pour les électeurs du Québec et de l'Ontario.

Cela étant dit, honorables sénateurs, je tiens à remercier l'auteur du projet de loi, le sénateur Bryden, de nous avoir donné un aussi bon aperçu de l'objet et de la raison d'être du projet de loi et une description aussi complète de ses dispositions.

À l'instar d'un bon nombre d'entre nous, le sénateur Bryden a une longue expérience de l'organisation et de la gestion des campagnes électorales de son parti. Cette expérience nous sera sans doute très utile lorsque le projet de loi sera, comme je m'y attends, lu une deuxième fois et renvoyé au comité. Il faudra résister à tout prix à la tentation d'abuser du temps du comité en racontant des anecdotes sur les nombreuses campagnes que nous avons vécues au fil des années.

(1510)

Honorables sénateurs, de ce côté-ci, nous n'avons absolument rien contre l'idée de raccourcir la campagne électorale, d'échelonner les heures du scrutin et de créer un registre permanent des électeurs. En fait, nous ne nous opposons à aucune des nouvelles idées que l'on veut inclure dans la loi électorale, par l'entremise du projet de loi à l'étude. Comme le sénateur Bryden l'a signalé, un bon nombre d'entre elles s'inspirent des recommandations de la commission royale Lortie, qui a déposé son rapport en 1991.

Nous avons toutefois plusieurs réserves de fond qui pourront être traitées à notre satisfaction, j'imagine, lorsque le projet de loi sera renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m'attends à ce que nous puissions alors discuter du projet de loi avec le ministre responsable, l'honorable Herb Gray, et avec le directeur général des élections, M. Jean-Pierre Kingsley.

Comme l'honorable sénateur l'a mentionné, on s'entend généralement pour dire, à tout le moins ceux qui participent aux campagnes électorales, que celles-ci sont trop longues. Il est vrai que les campagnes de 60 jours que nous avons connues pendant de nombreuses années et celles d'une cinquantaine de jours que nous avons vécues récemment sont assez longues et qu'elles le sont inutilement à une époque où les déplacements et les communications se font beaucoup plus rapidement qu'autrefois.

Nous savons aussi que l'une des tâches qui prend le plus de temps lors des élections fédérales, c'est le recensement de porte en porte qui a lieu une fois les élections déclenchées. En vertu de la loi actuelle, il faut compter 20 jours pour le recensement et prévoir 23 jours supplémentaires pour la révision des listes préliminaires et l'établissement des listes officielles d'électeurs dans chaque province.

J'ai peut-être mal compris le sénateur Bryden, mais je crois l'avoir entendu dire que le recensement de porte en porte laissait à désirer parce que de plus en plus d'électeurs ne sont pas inscrits sur les listes ou que les informations recueillies lors du recensement de porte en porte sont erronées ou inexactes. À notre connaissance, le recensement de porte en porte est, au contraire, très efficace - son principal avantage étant qu'il permet, selon M. Kingsley, de recenser 92 p. 100 des électeurs admissibles lors de l'exercice préliminaire. Quant au processus de révision, il permet de recenser encore 3 p. 100 des électeurs.

Comme le sénateur Bryden l'a dit, il n'y a aucun autre pays dans le monde qui procède de cette manière. Je suis certain qu'il n'y a pas d'autres grands pays dans le monde qui prennent autant de soins pour établir une liste exacte et à jour en vue de leurs élections. C'est certainement tout à notre honneur.

Je dois toutefois reconnaître que le recensement de porte en porte pose un problème. À mon avis, il est juste de dire que ce type de recensement tire à sa fin. Il est de plus en plus difficile à effectuer. Même les partis politiques qui sont invités à soumettre les noms de recenseurs n'arrivent plus, bien souvent, à fournir suffisamment de recenseurs. C'est triste à dire, mais les recenseurs hésitent à accepter cette tâche et, en particulier, à se rendre dans des secteurs de certaines circonscriptions. Par ailleurs, de nombreuses personnes hésitent à répondre à la porte une fois la nuit tombée. Selon le compte rendu d'une séance de comité de la Chambre des communes, une députée a recommandé à ses filles de 19 et 21 ans de ne pas répondre à la porte après 19 heures. À chaque élection, le bureau d'Ottawa entend son lot d'histoires épouvantables ou qui frôlent l'horreur, en provenance des bureaux régionaux, au sujet de recenseurs qui se sont trouvés dans des situations très délicates et épouvantables. Dans certains cas, des recenseurs ont été séquestrés en tentant d'exercer leurs fonctions. Il est juste de dire que le recensement de porte en porte tire à sa fin.

Le grand avantage du remplacement des recensements de porte à porte par une liste électorale permanente c'est la possibilité d'abréger les campagnes électorales et d'en réduire le coût. Cet avantage est cependant directement lié au partage de la liste entre le gouvernement fédéral et les provinces et peut-être les municipalités, et à son utilisation fréquente. Cela pourrait permettre des économies appréciables. Cependant, au moment de l'étude en comité, nous devrons aller au-delà des chiffres et de la documentation que le directeur général des élections a fournis lorsque le projet de loi a été présenté. Nous aurons notamment des questions à poser sur la taille et le coût de la bureaucratie qui sera nécessaire pour tenir la liste à jour.

Le registre permanent aurait un taux de précision d'environ 80 p. 100, mais ses partisans, y compris le directeur général des élections, espèrent que le projet de loi C-63 permettra d'améliorer cette précision. Ils soulignent aussi que, depuis 1993, les électeurs, qu'ils aient été inscrits ou non sur les listes électorales, et peu importe où ils vivent, peuvent s'inscrire et voter le jour même des élections. Auparavant, seuls les habitants des zones rurales pouvaient s'inscrire le jour même des élections. Cela a été changé en 1993. Le gouvernement de l'époque était convaincu que cela était contraire à la Charte parce que cela constituait une discrimination entre les électeurs des zones urbaines. Il fallait donc mettre les électeurs des zones rurales et des zones urbaines sur le même pied. C'est du moins ainsi que, dans mon souvenir, on a justifié la modification de la loi.

En 1991, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, la commission Lortie, recommandait que les campagnes électorales soient d'une durée minimale de 40 jours. La commission croyait que cela laissait le temps de faire un recensement de porte à porte. Le comité de la Chambre des communes qui a étudié la question à l'époque avait recommandé que les campagnes électorales soient d'une durée maximale de 56 jours et d'une durée minimale de 47 jours. Cette recommandation a été adoptée en 1993 et, cette année-là, la campagne électorale a duré 47 jours.

Honorables sénateurs, ce qui me fait hésiter à approuver des campagnes d'une durée minimale de 36 jours et une liste électorale permanente, c'est que je ne suis pas convaincu que nous puissions adopter le projet de loi sans aucun risque de fiasco. On ne peut qu'imaginer avec horreur la possibilité qu'un problème grave surgisse au milieu d'une campagne électorale. Nous devons être certains de ce que nous faisons et le gouvernement veut que le projet de loi ait reçu la sanction royale avant Noël.

Le sénateur Bryden a fait allusion aux consultations très poussées qui ont précédé le projet de loi. Il a raison. Il y a eu de telles consultations et beaucoup de discussions. Les idées mises de l'avant ne sont pas nouvelles. La discussion a porté sur diverses possibilités. Encore là, tout est dans les détails. Au moment où le projet de loi a été présenté, cet automne, les partis d'opposition et plusieurs commentateurs éclairés ont exprimé des avis très favorables. Le projet de loi a été renvoyé à un comité de la Chambre des communes avant la deuxième lecture. Lorsque le projet de loi est retourné à la Chambre, tous les partis de l'opposition étaient contre, et le gouvernement a dû recourir à la clôture à la deuxième lecture, à l'étape du rapport et à la troisième lecture pour le faire adopter. C'est déjà là une source de préoccupation. Dans le passé, on apportait des changements importants à la loi électorale lorsqu'il y avait consensus entre les partis. Ce projet de loi a été imposé par le gouvernement dans la quatrième année de son mandat, malgré l'opposition des autres partis.

(1520)

Le gouvernement est tellement impatient de voir ce projet de loi entrer en vigueur en avril prochain qu'il a apporté un autre amendement à l'étape de l'étude en comité pour soustraire les principales dispositions de ce projet de loi à l'application du paragraphe 331(1) de la Loi électorale du Canada. Ce paragraphe dit expressément qu'aucune modification de la loi ne s'applique à une élection pour laquelle le bref est émis dans les six mois qui suivent l'adoption de cette modification. L'idée était que le directeur général des élections aurait toujours besoin d'un tel délai pour mettre en oeuvre toute modification importante et pour s'assurer, dans le mesure où il est humainement possible de le faire, qu'il n'y a pas d'accrocs, ce qui était très prudent.

Toutefois, en l'occurrence, le gouvernement est très pressé, ce que je ne lui reproche pas. Je suppose que je serais pressé aussi si je jouissais de l'avance dont le gouvernement jouit aujourd'hui dans les sondages d'opinion publique. Cependant, il y a d'autres considérations dont les sénateurs devraient tenir compte, la plus importante étant de s'assurer que notre démocratie électorale continue de fonctionner aussi bien que dans le passé.

En supposant que ce projet de loi reçoive la sanction royale avant Noël, quel serait le calendrier? Le sénateur Bryden nous l'a expliqué. Il y aurait un dernier recensement de maison en maison durant le mois d'avril, sauf dans les provinces où un recensement provincial a eu lieu au cours des douze derniers mois. Dans le moment, cela comprend l'Île-du-Prince-Édouard et l'Alberta. Des élections déclenchées après la fin de la troisième semaine d'avril se feraient en vertu de la loi révisée, et la période électorale serait d'une durée minimale de 36 jours.

Si, comme beaucoup de gens le prédisent, les élections sont annoncées à la fin d'avril ou au début de mai pour un vote au mois de juin, il n'y aurait pas de problème en ce qui concerne la liste électorale. Comme le recensement de maison en maison dans la plupart des provinces aurait eu lieu peu de temps avant le déclenchement des élections, la liste devrait être aussi exacte et complète qu'elle l'a été traditionnellement.

Toutefois, quel sera l'état de la liste électorale si les prochaines élections n'ont lieu qu'à l'automne 1997, au printemps 1998 ou même à l'automne 1998, comme le premier ministre pourrait décider de le faire? En fait, quel sera l'état de la liste électorale lors de n'importe quelles élections à l'avenir? La liste de base sera celle qui sera dressée au moment du recensement de maison en maison en avril 1997. Le sénateur Bryden a décrit de façon générale comment on espère la tenir à jour, mais l'avenir me paraît plutôt incertain.

Lorsqu'il a témoigné devant un comité de la Chambre des communes en 1992, le directeur général des élections a dit que, après un an, la liste n'est plus exacte dans une proportion d'au moins 20 p. 100. Il a expliqué ce qu'il voulait dire par cela dans la documentation qu'il a fournie lorsque le projet de loi C-63 a été déposé. Il voulait dire que les Canadiens sont un peuple très mobile. Chaque année, 3,2 millions de Canadiens déménagent, ce qui représente 16 p. 100 de l'électorat. Il y a 380 000 Canadiens qui atteignent l'âge de 18 ans chaque année et qui obtiennent ainsi le droit de voter, ce qui représente 2 p. 100 de l'électorat. Il y a 200 000 nouveaux citoyens chaque année. Les noms des 195 000 électeurs qui meurent doivent évidemment être rayés de la liste.

Comment Élections Canada fera-t-il pour suivre tous ces changements? Ce bureau espère avoir accès aux listes électorales des provinces. Leur utilité dépendra de la date du dernier recensement provincial. Dans le cas d'électeurs qui viennent de déménager ou d'avoir dix-huit ans, par exemple, Élections Canada espère obtenir l'information pertinente des bureaux des permis de conduire des provinces et des territoires et des dossiers de Revenu Canada, après que les électeurs auront autorisé les ministères provinciaux et Revenu Canada à communiquer ces renseignements au directeur général des élections. Dans les cas de décès d'électeurs, Élection Canada demandera les renseignements du bureau de l'état civil de chaque province. Le ministère fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration communiquera les noms des nouveaux citoyens canadiens.

Les honorables sénateurs constatent que la mise à jour des listes dépendra en grande partie des données fournies par les provinces. Même Revenu Canada, comme le faisait remarquer le sénateur Bryden, ne pourra communiquer de renseignements avant d'avoir obtenu le consentement du contribuable, sans doute dans la déclaration d'impôt sur le revenu qu'il doit produire avant le 30 avril. On peut présumer que les conducteurs se feront demander par les provinces, au moment de renouveler leur permis, s'ils consentent à ce que les renseignements pertinents soient communiqués à Élections Canada. Pour ce faire, il faut aussi présumer que les provinces elles-mêmes ont accepté de communiquer les données pertinentes au gouvernement fédéral, plus précisément au directeur général des élections. M. Kingsley est sûr qu'il obtiendra cette coopération, et le sénateur Bryden se montrait aussi confiant, dans son discours de cet après-midi.

Au comité de la Chambre des communes, le 30 octobre, M. Kingsley a affirmé que «les autorités provinciales et territoriales se sont montrées intéressées et disposées à coopérer», ajoutant:

Nous avons tenu nos collègues des provinces et des territoires au courant des progrès du projet de registre des électeurs, à toute les grandes étapes, au moyen de réunions et de conférences annuelles. Nous avons aussi établi d'étroites relations de travail et rencontré régulièrement des représentants et les membres du Conseil de la statistique de l'état civil du Canada et du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé.

Il a ensuite ajouté ceci:

Mais je dois également dire au comité que tous les systèmes ne sont pas développés au même rythme. Ainsi, nous ne sommes pas en mesure de dire que, pour les permis de conduire, par exemple, le système entrera en vigueur au même moment d'un bout à l'autre du pays.

Honorables sénateurs, un mois a passé depuis le témoignage de M. Kingsley devant le comité de la Chambre des communes. Il se pourrait fort que les accords avec les provinces soient maintenant conclus. J'insiste sur le fait que nous trouvons que ces accords doivent se faire entre gouvernements et qu'ils doivent être conclus avant l'entrée en vigueur de cette loi. Autrement, je crois que nous courons le risque que d'éventuelles élections, et peut-être les prochaines, si elles sont tenues pas mal plus tard que le printemps 1997, soient organisées, du moins dans certaines provinces, sur la base de listes d'électeurs dangereusement désuètes. Il me semble que c'est une possibilité qu'il faut prévoir.

En avril dernier, quand M. Kingsley a pris la parole au comité de la Chambre des communes, il a posé entre autres hypothèses que les prochaines élections se tiendraient conformément à la loi actuelle, quelle qu'en soit la date. Autrement dit, il y aurait un recensement après l'émission des brefs d'élection. La liste rédigée au moyen de ce recensement servirait de base au registre permanent, que l'on garderait à jour et dont on se servirait pour les élections suivantes. Il se pourrait que nous constations, après étude au comité, que cette façon de faire est encore la plus prudente.

Il est une question plus vaste que je n'ai pas soulevée aujourd'hui mais que les sénateurs voudront certainement examiner en détail quand ce projet de loi sera devant le comité. Il s'agit de savoir si les sources, provinciales et fédérales, et le processus envisagé par le Directeur général des élections et dans le projet de loi C-63, sont en fait le meilleur moyen de tenir à jour les listes électorales.

(1530)

La commission Lortie avait proposé, il me semble, quelque chose d'assez différent. Les membres de la commission avaient pensé qu'une liste électorale commune devrait être dressée à partir de listes électorales provinciales, et avaient déclaré, page 136, Volume 2 du rapport:

L'examen attentif de plusieurs éléments clés, aussi bien politiques que techniques, révèle qu'un système de registres électoraux provinciaux pourrait utilement remplacer les recensements fédéraux actuels.

Il est clair quand on lit ce chapitre que la commission Lortie pensaient que ce système était préférable à une liste électorale fédérale, et ce à plusieurs points de vue, y compris le coût de l'opération. À la page 144 du volume 2, la commission recommande:

[...] que la Commission électorale du Canada mette au point et utilise les moyens informatiques nécessaires pour produire des listes électorales fédérales à partir de bases de données provinciales et territoriales constituant un registre électoral ou à partir de listes électorales provinciales issues d'un recensement.

À la page 146, elle recommande:

[...] que la Commission électorale du Canada conclue avec chaque province et territoire une entente l'autorisant à puiser dans les registres électoraux provinciaux, ou dans les listes électorales provinciales, l'information nécessaire pour produire des listes électorales préliminaires correspondant aux sections de vote fédérales.

Enfin, honorables sénateurs, je veux signaler un autre problème sur lequel Jan Brown, députée à la Chambre des communes a attiré mon attention. Il s'agit d'une injustice dont a été apparemment victime une classe de citoyens qui ont été privés du droit de vote en vertu de l'application du paragraphe 51.(1), de l'Annexe IIC de la Loi électorale du Canada. Je veux parler des missionnaires canadiens à l'étranger qui, selon cette disposition, s'ils sont absents du Canada pendant plus de cinq années consécutives, ne peuvent voter. Bien qu'un grand nombre de ces missionnaires reviennent chaque année au Canada pour plusieurs mois, que certains ont leur résidence ici et ont l'intention de revenir au Canada en tant que résidents, ils sont considérés comme étant absents du pays. Cela pourrait être facilement corrigé si l'on précisait que les missionnaires, les fonctionnaires, les membres des forces armées et les employés auprès d'organisations internationales, qui figurent sur la liste ont le droit de voter même étant absents du Canada. J'ai l'intention de revenir sur cette question en comité.

(Sur la motion du sénateur Oliver, le débat est ajourné.)

 

Le Code criminel

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Sharon Carstairs propose: Que le projet de loi S-13, Loi modifiant le Code criminel (protection des soignants), soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, pour commencer, permettez-moi de remercier le sénateur Milne et le sénateur Bernston qui ont appuyé ce projet de loi l'autre jour à l'étape de la première lecture en l'absence du sénateur Keon qui a reçu un appel d'urgence de l'hôpital. Aujourd'hui, il a été appelé à Toronto pour une réunion d'urgence. Il m'a garanti qu'il serait de retour demain et qu'il prendrait alors la parole sur le projet de loi.

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de fierté que je présente le projet de loi S-13. Permettez-moi de dire en guise d'introduction que ce n'est pas le résultat de mon seul labeur, mais des efforts diligents de nombreux sénateurs qui ont consacré des heures innombrables aux travaux du comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide lequel a publié son rapport intitulé «De la vie et de la mort» en juin 1995.

Ce projet de loi fait directement suite à deux recommandations contenues dans deux chapitres du rapport intitulés l'un «L'abstention et l'interruption de traitement de survie» et l'autre«Le traitement de la douleur et la sédation».

Honorables sénateurs, j'aimerais dédier ce projet de loi tout particulièrement à notre ancienne collègue, le sénateur Joan Neiman, qui a présidé à l'époque le comité et qui m'a encouragée à poursuivre l'étude de ce dossier, et au regretté Jean Noël Desmarais. Le sénateur Desmarais, qui n'était pas officiellement membre du comité, a remplacé le sénateur DeWare pendant les mois qu'elle a consacrés à son mari qui avait eu une crise cardiaque très grave. Longtemps après le retour du sénateur DeWare, le sénateur Desmarais a continué à assister aux réunions du comité et à s'intéresser à l'élaboration du rapport. Seul le cancer qui a fini par l'emporter l'a empêché d'être des nôtres jusqu'à sa publication.

Ce projet de loi est également le fruit du dur labeur de notre légiste, Marc Audcent, et plus particulièrement de son assistante, Deborah Palumbo, qui a fait plus que sa part. J'avais demandé à M. Audcent d'assigner Mme Palumbo au projet de loi parce que c'est elle qui a rédigé la version finale du rapport «De la vie et de la mort» et qu'elle a une connaissance intime non seulement de ce dernier, mais aussi des sentiments des sénateurs ayant participé à sa rédaction. Les talents de rédactrice de Mme Palumbo et sa sensibilité aux vues énoncées dans le rapport sont évidents dans ce projet de loi.

Ce projet de loi est aussi le fruit du travail acharné de mon personnel et surtout de mon adjointe à la recherche, Michelle MacDonald, qui a consacré de longues heures à la coordination, non seulement avec le bureau du légiste, mais aussi avec l'ex-sénateur Jean-Louis Roux qui avait proposé de participer à l'élaboration du projet de loi, puis avec le sénateur Keon, coparrain de ce projet de loi.

Cependant, honorables sénateurs, un autre motif beaucoup plus personnel me pousse à présenter ce projet de loi. Je l'ai déjà dit et je le répéterai, il faut réformer cette institution où nous siégeons tous. Contrairement à la plupart des Canadiens toutefois, je connais la tâche indispensable accomplie par les comités du Sénat et j'admire depuis longtemps leur travail. De même, je suis consternée de voir de nombreux rapports de comités spéciaux rester sur les tablettes, servir parfois aux études de certains universitaires, mais jamais se matérialiser dans les lois du pays.

En 1969, mon mari et moi habitions à Calgary en Alberta et nous venions d'avoir notre première fille, Catherine. Mon père, un sénateur de la Nouvelle-Écosse, se trouvait à Vancouver avec le comité sénatorial sur la pauvreté, présidé par le regretté sénateur David Croll. Lorsque, en route vers Ottawa, il s'est arrêté à Calgary pour voir sa toute nouvelle petite-fille, le numéro 12 de la famille, il était épuisé physiquement et mentalement. Il a décrit les témoignages entendus; il était visiblement troublé par l'ampleur de la pauvreté au pays et surtout par l'ampleur de la pauvreté chez les enfants.

Au beau milieu de son explication, il s'est mis à bafouiller, a perdu pied et est tombé sur le plancher de la cuisine. Comme il ne buvait pas, je savais que l'alcool n'était pas à la source du problème et nous avons tous deux conclu qu'il était terriblement épuisé. Il a dormi pendant 12 heures puis s'est levé vraisemblablement en bonne forme. Quelques mois plus tard, il a subi un accident cérébrovasculaire grave qui l'a laissé, à court terme, muet et incapable de contrôler plusieurs de ses fonctions corporelles. Il est resté paralysé du côté droit pour le reste de sa vie. Même s'il est retourné à la Chambre quelques fois après cet accident, il n'a jamais été en mesure de participer pleinement aux travaux. Nous savons maintenant que ce qui s'était produit dans ma cuisine était un incident cardiovasculaire, autrement dit un avertissement, mais personne alors n'en avait saisi l'importance.

(1540)

Pendant le reste de sa vie - il a vécu encore 10 ans - il est resté consterné par l'absence de réponse au rapport sur la pauvreté. Nous ne savons pas si son accident cardiovasculaire était le résultat du surmenage, mais une chose est sûre, cela m'a amené à conclure que ma responsabilité ne s'arrêtait pas avec la publication du rapport auquel j'avais participé. C'est pourquoi, plus tôt cette année, j'ai présenté une interpellation sur les soins palliatifs et pourquoi, aujourd'hui, je propose la deuxième lecture de ce projet de loi.

C'est aussi pourquoi ce projet de loi comporte un préambule. Celui-ci mentionne en particulier les travaux du comité sénatorial spécial de l'euthanasie et de l'aide au suicide. Je suis d'accord avec notre légiste, M. Audcent, que les préambules sont rarement de bons exemples de textes législatifs. Toutefois, il y a un préambule dans ce projet de loi pour deux raisons. Tout d'abord parce que je veux rappeler au public l'excellent travail du comité et, deuxièmement, parce que je veux indiquer qu'en cas de doute sur l'intention du projet de loi on peut trouver des précisions utiles dans le rapport du comité.

Le titre du projet de loi, protection des soignants, sous-entend que le but du projet de loi est principalement de protéger les médecins et les infirmières. Cependant, l'intention du projet de loi, en protégeant les soignants, est de faire en sorte que les malades soient protégés de la douleur dans toute la mesure que la science permet et qu'ils puissent exercer leur volonté en ce qui concerne les traitements qu'ils reçoivent ou l'absence de traitement si tel est leur désir.

Ce projet de loi ne vise pas l'euthanasie ou l'aide au suicide. Ces deux actes sont visés par l'article 241, alinéas a) et b), du Code criminel. Rien dans ce projet de loi ne vient modifier cet article du Code criminel.

Alors, que fait le projet de loi? Honorables sénateurs, il se divise en deux parties. La première vise la non-administration ou l'interruption d'un traitement de survie et la deuxième, l'administration de médicaments capables de soulager ou de supprimer les souffrances.

Dans son rapport intitulé «De la vie et de la mort», le comité sénatorial a défini «l'abstention de traitement de survie» comme «le fait de ne pas amorcer un traitement susceptible de maintenir un patient en vie». Par exemple, ne pas tenter la réanimation cardiorespiratoire (RCR), ne pas donner une transfusion sanguine ou ne pas assurer l'alimentation ou l'hydratation artificielle. Quant à «l'interruption de traitement de survie», il l'a définie comme «le fait de cesser un traitement susceptible de maintenir un patient en vie». Par exemple, débrancher le respirateur.

Il est généralement admis qu'il faut respecter la décision d'une personne lucide de refuser un traitement de survie. Les tribunaux canadiens ont reconnu aux patients le droit en common law de refuser un traitement médical ou d'exiger qu'un traitement, une fois commencé, soit interrompu. Dans l'affaire Mallette c. Shulman en 1990, dans l'affaire Nancy B. c. l'Hôtel-Dieu de Québec en 1992 et dans l'affaire Rodriguez en 1993, ce droit a été expressément reconnu, même si l'interruption ou le refus de traitement risque d'entraîner la mort.

Dans le jugement que la Cour suprême du Québec a rendu dans le cas de Nancy B., le tribunal a accordé à une personne jouissant de toutes ses facultés la permission de mettre fin au traitement de survie à l'aide d'un respirateur. Pour vous rafraîchir la mémoire, je rappelle que Nancy B. est cette femme âgée de 25 ans qui était atteinte du syndrome de Guillain Barré depuis deux ans et demi. Elle ne pouvait respirer qu'à l'aide d'un respirateur. Avec l'appareil, elle pouvait vivre encore très longtemps; sans l'appareil, sa vie serait de courte durée. Ses facultés intellectuelles et mentales n'étaient pas affectées.

Pour établir son droit de refuser un traitement de survie - y compris le branchement continu du respirateur -, elle a intenté une injonction contre l'hôpital et son médecin pour les obliger à respecter sa décision. Le tribunal a statué que la personne est inviolable sauf dans les cas où il y a consentement de l'intéressée ou autorisation légale, et que personne ne devait être soumis de force à un traitement, un examen ou toute autre intervention. On a statué que la mort de la plaignante, une fois le respirateur débranché, serait considérée comme naturelle et non pas un homicide ou un suicide. Comme vous le savez, le respirateur a été débranché et Nancy B. est décédée.

Dans l'affaire Malette c. Shulman, la Cour d'appel de l'Ontario a jugé qu'un adulte capable a généralement le droit de refuser les traitements, même si cette décision peut accélérer sa mort. Dans ce cas-ci, la décision de refuser les traitements était fondée sur des motifs religieux. La patiente était un Témoin de Jéhovah et on lui a fait une transfusion à la suite d'une urgence, même si elle avait sur elle une carte précisant qu'elle ne voulait pas de traitement de ce genre. En fait, on a poursuivi les transfusions, même une fois que sa fille a demandé qu'on y mette un terme. La patiente a récupéré, elle a poursuivi le médecin et elle a gagné.

Dans l'affaire Rodriguez, en 1993, tout en rejetant en fin de compte sa demande d'aide au suicide, la Cour suprême du Canada a reconnu qu'elle avait le droit, à l'instar de tous les autres patients, de refuser de consentir à des traitements et d'exiger que les traitements soient interrompus même si cela pouvait entraîner la mort. Il est clair que la Cour suprême du Canada a fait la distinction entre les deux notions, c'est-à-dire l'abstention et l'interruption des traitements d'une part et l'aide au suicide ou l'euthanasie d'autre part.

Cependant, le comité sénatorial a entendu des témoignages selon lesquels les professionnels de la santé de tout le pays demandent des directives plus claires au sujet de l'abstention et de l'interruption des traitements de survie. Les témoins ont dit que, dans certains cas, on ne respectait pas les souhaits des patients parce que le Code criminel manquait de clarté et les soignants craignaient d'être tenus responsables.

Le comité a reconnu que l'abstention et l'interruption des traitements de survie étaient légales, mais du fait que certains professionnels de la santé hésitent à respecter les souhaits de patients de peur d'être tenus responsables, il a recommandé à l'unanimité qu'on clarifie le Code criminel. Dans son rapport de 1983, la Commission de réforme du droit a également recommandé qu'on clarifie le Code criminel dans ce domaine. Depuis 1992, l'Association médicale canadienne demande qu'on rende le code plus clair pour protéger les soignants.

Ainsi, honorables sénateurs, ce projet de loi cherche à régler les problèmes auxquels sont confrontés les soignants. Il renferme un seul article qui ajoutera un nouvel article 45.1 au Code criminel. Ce nouvel article prévoit qu'un soignant n'est pas coupable d'une infraction au Code criminel, lorsque, à la demande d'un patient, il ne fait que s'abstenir d'administrer un traitement de survie ou en interrompt l'administration.

Les paragraphes 45.1(2), (3) et (4) précisent les formes que peut prendre la demande. Des instructions écrites à l'avance et conformes aux lois d'une province auront toujours la priorité. Malheureusement, au Canada, de nos jours, il n'y a que le Québec, l'Ontario, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique qui ont des lois de ce genre.

En l'absence d'instructions écrites aux termes des lois d'une province, des instructions écrites données à n'importe quel moment auront la priorité. En outre, si le patient n'a pas donné d'instructions écrites immédiatement avant ou pendant l'administration du traitement de survie, il peut demander verbalement ou par signes, en présence d'au moins un témoin, l'abstention ou l'interruption du traitement. Une subrogation peut provenir d'un mandataire, d'un représentant légal ou d'un conjoint, seulement si le patient est incapable et n'a pas, pendant qu'il en était capable, présenté une demande par écrit ou donné des instructions préalables.

(1550)

L'alinéa (1)b) du projet de loi clarifie les questions concernant l'administration de calmants en doses suffisantes, même si, dans certains cas, ces calmants sont susceptibles d'abréger la vie. Le mot clé ici est « susceptibles ». Bien franchement, nous ne le savons pas.

Le docteur Neil Macdonald, directeur du Programme d'éthique sur le cancer à l'Institut clinique de Montréal, et ancien directeur des Soins palliatifs à l'hôpital Royal Alexander d'Edmonton, a dit au comité :

Une autre question qui prête à confusion est de savoir si nous tuons ou non le patient avec ces médicaments. J'ai abordé cette question dans les lettres que j'ai adressées au comité. Les gens pensent, par exemple, que si nous augmentons la dose d'opiacés de sorte qu'un patient devienne stuporeux, nous risquons de le tuer si nous renforçons la dose un peu plus. D'après mon expérience, cela est fort peu probable. Les patients développent rapidement une tolérance à l'effet des opiacés, de la morphine et de médicaments de ce genre sur le système respiratoire. Si nous augmentons la dose, nous risquons de mettre le patient sous sédation, mais il est peu probable qu'il en mourra.

Quant il a témoigné devant le comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, le ministre de la Justice, l'honorable Allan Rock, a dit que les dispositions actuelles de la loi ayant trait à l'administration de médicaments visant à soulager les souffrances d'un patient qui auraient pour effet d'abréger sa vie sont relativement claires. Il a souligné que le Code criminel n'interdit pas les soins palliatifs, même si le décès du patient peut en résulter, pourvu qu'ils soient administrés en conformité avec les pratiques médicales généralement acceptées. Le ministre a cependant ajouté que, même s'il est peu douteux que la pratique soit légale, il semble exister au sein de la profession médicale et du public en général une certaine confusion sur ce qui est légalement permis et ce qui ne l'est pas.

Un certain nombre d'autres témoins ont affirmé devant le comité que les médecins, de crainte d'être tenus responsables, hésitent souvent à administrer des médicaments pour contrôler la douleur en doses suffisantes pour soulager les souffrances du patient si cela risque d'en abréger la vie. Il est tragique de constater qu'à cause de cela, les patients ne reçoivent pas toujours les soins palliatifs et les calmants qui s'imposeraient. Le rapport de la Commission de réforme du droit réclamait en 1983 qu'on apporte plus d'éclaircissements dans ce domaine, comme l'a fait également l'Association médicale canadienne.

Bien que le comité ait reconnu qu'il était actuellement légal d'administrer un traitement visant à soulager les souffrances d'un patient même si cela risquait d'abréger sa vie, il a recommandé à l'unanimité que l'on clarifie les dispositions du Code criminel à cet égard. C'est ce que cherche à faire l'alinéa 45.1(1)b) que le projet de loi propose d'ajouter au Code criminel. Cette disposition prévoit que le soignant n'est pas coupable d'une infraction au Code criminel lorsque, dans l'intention de soulager ou de supprimer les souffrances physiques du patient, il lui administre des médicaments en doses susceptibles d'abréger sa vie.

Voilà en quoi consiste le projet de loi, honorables sénateurs. J'espère de tout coeur que, grâce à son adoption au Sénat et à la Chambre des communes, le droit de tous les Canadiens de contrôler le traitement médical qu'ils reçoivent sera garanti. Et, encore plus, j'espère de tout coeur qu'aucun Canadien ne se verra refuser des calmants en doses suffisantes parce qu'un médecin craindrait des poursuites judiciaires.

Honorables sénateurs, nous souhaitons tous une mort douce et sans douleur, car la plupart des Canadiens craignent davantage l'agonie que la mort elle-même. La mesure à l'étude permettra de faciliter le passage des derniers jours et des dernières heures de la vie. J'exhorte les honorables sénateurs à adopter rapidement le projet de loi. Je serai heureuse de répondre à toutes les questions qu'ils pourraient avoir à poser.

(Sur la motion du sénateur Lavoie-Roux, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi sur la radiodiffusion

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Whelan, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Losier-Cool, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-216, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion (politique canadienne de radiodiffusion).-(L'honorable sénateur Gauthier).

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool: Honorables sénateurs, le sénateur Gauthier a bien voulu me céder son droit de parole aujourd'hui. Je suis heureuse de faire connaître mes préoccupations concernant le projet de loi C-216. Mes commentaires porteront nettement sur le projet de loi et aucunement sur la façon dont on voudrait dicter le travail du Sénat.

Honorables sénateurs, certaines dispositions du projet de loi C-216 me préoccupent. En plus de remédier à la facturation par défaut, ce projet de loi pose des problèmes importants aux communautés francophones du Canada. Le Conseil de radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, n'a jamais réglementé les techniques de commercialisation fondées sur l'abonnement par défaut, pour la simple raison que ces pratiques ont contribué par le passé au succès des nouveaux services spécialisés offerts sur le marché et facilitent l'atteinte des objectifs de développement culturel canadien inscrit dans la Loi sur la radiodiffusion.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-216, dans sa forme actuelle, empêcherait le câblodistributeur d'ajouter tout nouveau service au service de base ou au service déjà offert et à augmenter ses tarifs en conséquence. Il stipule qu'aucun service spécialisé de programmation ne pourra être ajouté à moins d'avoir l'assentiment de l'acheteur. Les consommateurs anglophones vont préférer recevoir les canaux anglais. Avec un tel projet de loi, plus jamais les communautés francophones et acadiennes vivant en milieu minoritaire ne pourront avoir accès à de nouveaux postes spécialisés dans leur langue.

Sachez que le RDI n'est offert qu'à 50 p. 100 des communautés francophones en situation minoritaire. Les régions qui ne le reçoivent pas actuellement ne pourront jamais y avoir accès. La Fédération des communautés francophones et acadiennes défend le principe que ce service devrait être obligatoire et je l'appuie. Les communautés francophones du Canada ont besoin d'infrastructures solides et durables qui leur permettent de s'épanouir et de grandir. Elles ont des besoins qui diffèrent des majorités anglophones. Le Sénat se doit d'étudier les besoins de cette communauté dans l'industrie de la câblodistribution ainsi que les impacts qu'auront ce projet de loi.

Il importe de comprendre pleinement la portée de ce projet de loi. Je tiens à ce que ce projet de loi soit étudié à fond afin que mes honorables collègues saisissent bien la réalité des communautés francophones de notre pays.

La facturation par défaut ne doit pas être éliminée au détriment des besoins des francophones en région minoritaire. Je serai heureuse de voir ce projet de loi étudié en comité afin que les témoins, les experts de la cause, puissent nous donner les faits tels que définis dans le projet de loi, et non par les analyses des médias ou encore de nos boîtes vocales.

Étant native d'une région du Canada où les francophones sont minoritaires, je comprends pleinement la nécessité d'avoir des services spécialisés en français. C'est un avantage qui nous privilégie en tant que francophones minoritaires. Nous devons le préserver et le protéger.

[Traduction]

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je voudrais faire une brève intervention avant que le sénateur Whelan prenne la parole, ce qui aura pour effet de clore le débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-216.

Comme je l'ai mentionné la semaine dernière, j'ai communiqué avec le sénateur Gauthier au nom duquel le débat a été ajourné. Le personnel à son bureau m'a assuré ce matin même que le sénateur Gauthier voudrait sûrement que les choses suivent leur cours normal et que le projet de loi soit renvoyé au comité dès que possible. Je crois que le sénateur Whelan a d'ailleurs l'intention de proposer une motion en ce sens.

[Français]

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Simard, je crois que vous avez déjà pris la parole sur ce projet de loi.

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, je n'avais pas employé tout mon temps. J'avais demandé l'ajournement du débat et l'ajournement a été inscrit au nom du sénateur Bolduc.

Je ne prononcerai pas un long discours. J'appuie la décision du sénateur Gauthier et celle du leadership libéral pour le renvoi en comité de ce projet de loi dans les plus brefs délais. Le comité qui étudiera ce projet de loi sera peut-être le comité des affaires juridiques et constitutionnelles ou celui des affaires sociales.

À tout événement, j'appuie les propos du sénateur Losier-Cool du Nouveau-Brunswick. S'il y a une personne qui connaît les Acadiens et les communautés francophones, c'est bien le sénateur Losier-Cool du Nouveau-Brunswick. J'appuie ses commentaires. En particulier celui qu'elle a fait au début de son discours à l'effet que bien des journalistes et des commentateurs anglophones, pour la plupart, ont tenté dans différents articles parus dans leurs journaux, à la télévision, par lettre et par télécopieur, de nous intimider en nous exhortant de faire notre travail à la vapeur. Je suis un de ceux qui dit à ces journalistes de nous laisser faire notre travail sérieusement et qu'ils ne nous pressent pas trop.

Ce n'est pas parce que ces journalistes, d'après leurs expériences et leurs connaissances, ont jugé sans doute que c'était un bon projet de loi qui exigeait l'attention immédiate du Sénat. Honorables sénateurs, je ne suis pas trop impressionné par les demandes répétées et nombreuses que nous avons reçues. Ce n'est pas aux journalistes de dicter aux sénateurs la façon d'étudier les projets de loi du Sénat. Et d'ailleurs, le sénateur Losier-Cool y a fait allusion tantôt. J'apprécie ses commentaires.

Lorsque je suis intervenu plus tôt, j'ai fait une déclaration qui avait été provoquée par un commentaire que faisait deux députés du Parti réformiste alors qu'ils accusaient le vice-président du CRTC, M. Bélisle, qu'il s'était permis de faire du lobbying. J'ai rectifié ces commentaires et je pense que c'était mon devoir de le faire. Lors de mes deux interventions précédentes, j'ai fait mention du fait que j'ai rencontré le vice-président du CRTC, M. Bélisle, et que je rencontrerais à l'avenir des représentants de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada. Je pense que vous avez reçu une lettre de cette association en date du 27 novembre 1996.

Cette association affiche leur opposition totale à ce projet de loi. Je ne suis pas d'accord avec la position récente de cette association lorsque les membres nous invitent à torpiller ce projet de loi. Ils ne proposent pas de modifications. Je suis en désaccord avec eux.

Le projet de loi sera renvoyé au comité. Je suis confiant que les sénateurs vont faire leur devoir et qu'ils inviteront cette association, ainsi que la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick - c'est notre société nationale - qui a pris position sur ce projet de loi. J'aimerais qu'elle soit également invitée à comparaître devant le comité.

On a accusé les compagnies de câblodistribution de faire du lobbying. Ces journalistes accusaient les compagnies de câblodistribution du Nouveau-Brunswick et de par le Canada, de faire du lobbying pour que ce projet de loi soit torpillé au Feuilleton. J'ai toujours pensé que lorsque des compagnies ou des individus font du lobbying, ils se manifestent. Ils nous envoient des lettres. Ils font des déclarations dans les journaux. Dans le cas qui nous concerne, honorables sénateurs, si les compagnies de câblodistribution ont fait du lobbying, ils ne l'ont certainement pas fait auprès de moi. Je défie aucun des journalistes de prouver qu'ils ont fait du lobbying auprès de mes collègues. Ils ne m'ont pas envoyé de lettre. Ils n'ont pas fait de déclaration en faveur ou contre le projet de loi. C'est un drôle de lobbying!

Je souhaite que le comité qui étudiera ce projet de loi invite les compagnies de câblodistribution ainsi que leur association à comparaître. Je demande que le comité communique avec Fundy Cable qui dessert près de 95 p. 100 des utilisateurs du câble au Nouveau-Brunswick.

(1610)

Eux aussi ne se sont pas livrés à du lobbying. J'ai été obligé de les appeler. Le Nouveau-Brunswick est divisé en 6 régions offrants différents services d'une région à l'autre. Alors ils ont accédé à ma demande et ils m'ont envoyé la liste des services qui sont offerts.

Pour résumer, j'aimerais que le comité invite, et j'en fais une demande formelle à ce moment-ci, la SANB, Canada, la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, l'Association des compagnies de câblodistribution canadiennes et Fundy Cable.

Je suis toujours domicilié au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Gigantès: Vous regardez la télé ?

Le sénateur Simard: Oui quand je suis au Nouveau-Brunswick. Donc je peux expliquer la raison du comité de convoquer la compagnie de câble Fundy Cable parce que le Nouveau-Brunswick est la seule province bilingue. Le représentant de la compagnie, M. McLellan, de Saint-Jean, m'a informé que sa compagnie se présenterait avec plaisir.

Donc je propose et j'appuie le sénateur Losier-Cool à l'effet que le Sénat étudie ce projet de loi à fond. Il est facile d'être d'accord avec un projet de loi qui proposerait d'abolir la facturation par défaut. Nous sommes tous d'accord. Mais empêcher l'accès, la disponibilité aux francophones du Canada n'est pas acceptable. Ma collègue, le sénateur Losier-Cool a fait allusion au fait que dans le moment 50 p. 100 des communautés francophones du Canada ne reçoivent pas RDI.

Déjà cela indique un problème. Mais s'il fallait que le projet de loi C-216 ne soit pas modifié et qu'il soit accepté dans son libellé actuel, le 50 p. 100 pourrait tomber à 40 et 30 p. 100. Et là on ne parle pas des futurs canaux spécialisés de langue française, si on laisse la décision à la majorité des clients et des compagnies de câble.

Je souhaite donc, contrairement à la position de l'Association des Acadiens et des Acadiennes du Canada, que ce projet de loi puisse être modifié, s'il est possible de le modifier sans détruire l'essentiel de la facturation pas défaut. Cela permettra et assurera que les communautés françaises, peut-être 100 p. 100 des communautés françaises au Canada puissent avoir accès un jour à RDI, un poste de télévision payé partiellement par les Canadiens et avoir accès aussi à des nouveaux postes spécialisés en français.

Alors j'espère en terminant, malgré les pressions exigées par certains journalistes alimentés par le parrain du projet de loi, le député Gallaway, que l'on ne soit pas être saisi de panique et qu'il ne soit pas exigé de nous que ce projet de loi soit débattu et approuvé avant Noël.

Donc il reste une semaine ou 10 jours. Je m'inscris en faux contre cette notion qu'il faut l'approuver à la vapeur. En février, mars, avril et mai, on aura suffisamment de temps pour faire un travail sérieux. Ce projet de loi doit être considéré sérieusement. Avec tous nos collègues, on devrait prendre le temps de faire une bonne étude.

L'honorable Philippe Deane Gigantès: Honorables sénateurs, j'appuie le sénateur Losier-Cool et à ma grande surprise le sénateur Simard. Une chose très importante est en jeu ici, l'accès à la télévision francophone pour les communautés francophones du pays en dehors du Québec. Nous sommes une nation bilingue, nous sommes un pays bilingue. Si on abat la télévision francophone à travers le pays, est-ce que la prochaine étape ne sera pas de dire que parce qu'il n'y a pas beaucoup de francophones en Alberta, il ne faut pas y avoir un et demi p. 100 de la Fonction publique fédérale en Alberta et qui peut parler français ? Il faut abolir le un et demi p. 100 des postes fédéraux en Alberta qui sont francophones. On ferait la même chose en Colombie-Britannique. C'est la logique de la chose.

On abolit la télévision, on va abolir les services fédéraux en français après pour les minorités francophones du pays. Comment peut-on se considérer une nation bilingue? Comment peut-on se mettre sur cette pente très glissante au moment où il y a au Québec un parti au pouvoir, qui veut prouver aux francophones Québécois que le reste du Canada n'a aucun intérêt à préserver la langue française.

C'est un énorme danger. Ce projet de loi doit aller au comité et doit être modifié afin de s'assurer que l'accès à la télévision francophone partout dans le pays n'est pas réduit. Il y a des gens qui ne sont pas d'accord avec ce principe. Mais cela ne sera pas la première fois. Le Parlement du Canada n'est pas d'accord généralement avec le public qui veut la peine de mort. Le public, majoritairement, veut la peine de mort. Le Parlement canadien ne vote pas un projet de loi qui remettrait la peine de mort dans les statuts parce que le Parlement du Canada dans sa sagesse n'est pas d'accord avec la majorité des Canadiens. Il n'y a rien de mal là-dedans.

Le Sénat, en particulier, a été fondé pour pouvoir dire non même si les élus disent oui. Et je voudrais m'adresser à quelques collègues de l'autre côté qui disent que l'on n'a pas le droit de dire non parce que l'on n'est pas élu. Ils utilisent des termes très désagréables quand ils parlent de nous. Je voudrais leur demander de réfléchir: Est-ce qu'il doivent vraiment continuer à insulter le Sénat? Est-ce qu'ils veulent faire adopter leur projet de loi de loi privé, pas du gouvernement, ou est-ce qu'ils veulent insulter les sénateurs? Ils ne peuvent pas faire les deux choses en même temps. Ils devraient y réfléchir un tout petit peu.

(1620)

[Traduction]

L'honorable Jean B. Forest: Honorables sénateurs, je viens de l'Alberta où vit, il faut le reconnaître, une faible minorité francophone. Après m'être battue pendant de nombreuses années dans le système d'éducation, y compris au niveau universitaire, pour mettre en oeuvre le bilinguisme, créer des programmes d'immersion et ouvrir des écoles françaises en Alberta, je m'intéresse vivement à la protection du droit des francophones à des émissions de télévision dans leur langue.

J'ai reçu un certain nombre d'appels et de lettres d'Albertains m'exhortant à voter en faveur du projet de loi visant à interdire l'abonnement par défaut. Je suis prête à le faire, car j'estime qu'il s'agit là d'une mesure des plus importantes. J'insiste toutefois pour que nous cherchions en comité à préserver le droit des francophones de l'ensemble du Canada à la télévision dans leur langue.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

L'honorable Eugene Whelan: Je propose que le projet de loi soit renvoyé au comité sénatorial permanent des transports et des communications.

L'honorable Finlay MacDonald: Honorables sénateurs, la motion visant à renvoyer le projet de loi à un comité ne devrait-elle pas préciser que l'article inscrit à l'ordre du jour doit être annulé? J'ai beaucoup de mal à accepter l'avis du sénateur Simard qui nous propose de prendre notre temps, de retarder les choses jusqu'au printemps si possible, alors que l'article sera annulé. Le renvoi du projet de loi au comité annulerait-il automatiquement l'article? Je ne le crois pas.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, il y a malentendu. Le projet de loi a été adopté à l'étape de la deuxième lecture. La prochaine motion vise à renvoyer le projet de loi au comité, comme nous le faisons pour tous les projets de loi.

La motion est donc la suivante: Vous plaît-il, honorables sénateurs, de renvoyer le projet de loi au comité sénatorial permanent des transports et des communications?

Des voix: D'accord.

(La motion et adoptée et le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des transports et des communications.)

Régie interne, budgets et administration

Adoption du onzième rapport du comité

Le Sénat passe à l'étude du onzième rapport du comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration (budget du comité des privilèges, du Règlement et de la procédure), qui a été présenté au Sénat le 2 octobre 1996.

L'honorable Collin Kenny, président du comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, propose: Que le rapport soit adopté.

(La motion est adoptée et le rapport est adopté.)

L'Union interparlementaire

La 96e Conférence, à Beijing, en Chine-
Interpellation-fin du Débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Bosa, attirant l'attention du Sénat surla 96e Conférence de l'Union interparlementaire, quia eu lieu à Beijing, en Chine, du 14 au21 septembre 1996.-(L'honorable sénateur Di Nino).

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, je veux présenter quelques observations au sujet de ce rapport. Je m'efforcerai d'être bref.

En tant que membre de l'UIP, j'ai participé, du 14 au 21 septembre, à la 96e Conférence de l'union, à Beijing, en Chine. Depuis six ans que j'ai l'honneur de servir les Canadiens en qualité de sénateur, c'était la première fois que je participais à une conférence à l'étranger. Le travail de tous les participants canadiens, tant les parlementaires que les membres de leur personnel, m'a impressionné. Les séances débutaient très tôt le matin, soit à 7 heures, avec un breffage et se terminaient par une soirée, habituellement vers 22 heures. Je ne sais pas si d'autres groupes parlementaires ont suivi un horaire aussi éprouvant, mais notre président, le sénateur Bosa, a vu à ce que la délégation canadienne y mette le temps et même plus.

Je ne conteste ni désapprouve le rapport.

Honorables sénateurs, avant, pendant et après cette conférence, j'ai essayé d'évaluer les sommes que les Canadiens investissent dans le financement d'associations parlementaires. Comme c'est la seule conférence à laquelle j'ai participé, mes observations se limitent à cette seule expérience.

Je cite:

L'UIP est l'organisation mondiale des parlements d'États souverains. En tant que centre du dialogue parlementaire international, elle travaille à assurer la paix et la coopération entre les peuples et au ferme établissement de la démocratie représentative. À cette fin:

Elle favorise les contacts, la coordination et l'échange d'expériences entre les parlements et les parlementaires de tous les pays;

Elle examine des questions d'intérêt international et exprime son opinion sur de telles questions afin d'inciter les parlements et les parlementaires à agir;

Elle contribue à la défense et à la promotion des droits de l'homme - un élément essentiel de la démocratie et du développement parlementaires;

Elle contribue à faire mieux connaître le fonctionnement des institutions représentatives et à renforcer et à développer leurs moyens d'action.

Je crois que l'un des principaux et véritables avantages des groupes interparlementaires, c'est l'occasion qu'ils offrent de dialoguer franchement et objectivement avec des collègues du monde entier sur des questions tant nationales qu'internationales et même, au besoin, de formuler des critiques.

La conférence portait sur trois grandes questions: les droits de la personne, l'alimentation et les mines anti-personnel. On a peu, voire pas du tout, consulté les participants avant d'arrêter les positions défendues par la section canadienne de l'UIP, relativement à ces questions. Il s'agissait, de toute évidence, des positions du gouvernement du Canada. Par exemple, notre groupe a recommandé que l'honorable Charles Caccia fasse partie du comité sur l'environnement et le développement durable. C'est notre président qui a proposé son nom sans nous avoir consultés. Je ne mets pas en doute la capacité ou les compétences de M. Caccia pour ce qui est de siéger au sein du comité, mais je pense qu'on aurait dû consulter les participants dans le cadre du processus de sélection.

À Beijing, on m'a dit que, lors de la dernière conférence en Turquie, notre groupe avait hésité à discuter ouvertement du problème kurde, de peur d'embarrasser le gouvernement turc. De plus, lorsque j'ai tenté personnellement de dénoncer publiquement le non-respect des droits de la personne en Chine, y compris l'occupation du Tibet par ce pays, je me suis heurté à une certaine résistance et à l'embarras du sénateur Bosa, notre chef.

Honorables sénateurs, je pense qu'il s'agit de questions importantes. À mon avis, les forums dont je parle sont essentiels et très importants pour que nous puissions présenter des points de vue différents, d'une manière impartiale. Ces conférences devraient-elles ne servir qu'à mettre de l'avant les positions des gouvernements? Ceux qui y prennent part ne devraient-ils pas aussi participer à la rédaction des exposés de principes sur les questions qui y sont abordées? Autrement, cela va à l'encontre de l'objectif poursuivi par une véritable organisation interparlementaire. À mon avis, l'UIP a un rôle utile à jouer pour l'ensemble des Canadiens et pour le monde entier et elle devrait représenter les diverses positions des Canadiens. Le gouvernement qui est en place a d'autres moyens, par l'entremise de l'ONU et d'autres forums, pour exposer sa position.

(1630)

Je m'inquiète aussi des coûts de l'UIP. Je reconnais les efforts du sénateur Bosa à cet égard. Il soulève la question à l'échelle internationale depuis deux ou trois ans. L'UIP semble être le plus onéreux de tous les groupes parlementaires dont fait partie le Canada, c'est pourquoi il faut examiner cette question. Contrairement à d'autres détracteurs, je ne pense pas que nous devrions renoncer aux occasions qui nous sont offertes de nous entretenir avec des parlementaires du monde entier, mais nous devons, au bout du compte, avoir la certitude que l'investissement des contribuables canadiens est avantageux pour le Canada et que la position mise de l'avant lors des conférences de l'UIP n'est pas simplement celle du gouvernement en place. Si l'UIP n'est qu'un autre forum dont le gouvernement se sert pour communiquer ses vues sectaires, je m'interroge alors sur sa valeur et je me demande si les Canadiens ne paient pas simplement pour un exercice redondant. Le moment est venu pour la section canadienne de l'UIP d'examiner son mandat, son but et son rôle et de se réorienter vers les secteurs où elle peut être le plus utile.

L'honorable Peter Bosa: Honorables sénateurs, je suis heureux que le sénateur Di Nino ait parlé de la conférence internationale qui s'est tenue à Beijing en septembre 1996 et qu'il ait exposé son point de vue sur cette conférence au Sénat. En guise d'introduction, il a dit que cette conférence était la première à laquelle il avait participé et que c'était à partir de cette expérience qu'il prenait la parole.

Je tiens à faire remarquer au sénateur Di Nino que le groupe canadien de l'Union interparlementaire n'assiste pas à ces conférences à titre d'instrument servant nécessairement à faire la promotion des orientations du gouvernement. Il peut le faire à l'occasion, s'il partage le point de vue du gouvernement.

L'Union interparlementaire revêt une grande importance en permettant à nos parlementaires de communiquer avec les parlementaires d'autres pays. Elle élargit notre perspective; elle élargit notre compréhension d'autres parlementaires. Nous débattons en général de questions importantes qui intéressent le monde entier. C'est par ces débats et ces échanges que les parlementaires tirent profit de l'Union.

Quand le sénateur dit ne pas avoir été consulté relativement aux droits de la personne, à l'alimentation et aux mines anti-personnel, je tiens à attirer son attention sur le fait que ces sujets ont été choisis à la conférence précédente, qui s'est tenue à Istanbul six mois plus tôt, par consultation auprès des représentants des 135 pays qui composent l'Union interparlementaire.

Les droits de la personne sont en harmonie avec la politique gouvernementale. Nous sommes membres des Nations Unies, et nous souscrivons aux droits et aux libertés universels. En conséquence, nous aurions donné notre accord au choix de ce sujet.

Quant à l'interdiction des mines terrestres, ce sujet a d'abord été proposé par le groupe belge il y a deux ans à titre de point supplémentaire. L'assemblée générale ne l'a pas adopté. Il a été présenté de nouveau par quatre pays - à savoir, la Grande-Bretagne, la Belgique, la Suisse et le Canada - à Istanbul plus tôt cette année en séance plénière. La proposition a été battue par quatre voix.

Lors des préparations pour la conférence de Beijing, j'ai proposé que nous envisagions à nouveau l'interdiction des mines anti-personnel parce que c'est un sujet qui préoccupait beaucoup presque toutes les délégations présentes. Avant de proposer aux organisateurs de la conférence d'inscrire les mines anti-personnel à l'ordre du jour, nous avons envoyé un avis à tous les membres du groupe canadien de l'UIP pour leur demander de recommander des sujets. Nous avons reçu quelques réponses. Donc, lorsque mon honorable ami déclare qu'il n'y a eu aucune consultation, ce n'est pas tout à fait exact. Il y a eu des consultations. Peut-être n'a-t-il pas été consulté directement, et peut-être estime-t-il que le processus devrait être élargi, mais je tiens à lui rappeler certaines choses.

Tout d'abord, lorsque les membres des délégations sont choisis, les sujets des discussions ont habituellement déjà été déterminés. Des fonctionnaires des ministères expliquent ensuite aux délégués les détails des questions à l'étude. Ils ne nous disent pas comment présenter nos opinions.

Personne n'a jamais empêché un membre canadien de l'UIP d'exprimer ses opinions personnelles, à condition que cette personne déclare d'entrée de jeu qu'elle parle en son nom et pas au nom du Canada. Cette pratique est suivie au sein de l'Union interparlementaire depuis l'époque où l'honorable sénateur Molgat l'a présidée, vers la fin des années 1970 et le début des années 1980. Il a toujours été tenu pour acquis que, si vous voulez exprimer une opinion personnelle qui diffère de la position officielle du Canada, vous pouvez le faire, mais vous devez préciser que vous parlez en votre nom personnel.

Honorables sénateurs, il y a autre chose dans la position de mon honorable ami sur le Tibet qui m'a embarrassé. Je lui aidit - et il pourra le confirmer - que s'il voulait parler des violations des droits de la personne au Tibet ou de l'occupation du Tibet, comme il l'a souvent fait, il devait parler en son nom personnel. J'ai été encore plus indisposé par mon honorable collègue lorsqu'il a déclaré qu'il avait présenté au Sénat une motion et un avis d'interpellation sur la violation des droits de la personne au Tibet. Il a déclaré que le Sénat approuvait son intervention. Je reconnais qu'il n'est pas le seul à avoir pris la parole lors du débat sur cette interpellation ou cette motion.

Le fait est que tout sénateur peut soulever une question au Sénat et que n'importe quel autre sénateur peut intervenir dans le débat sur ce sujet. Lorsque plus personne ne désire intervenir dans le débat, l'interpellation est rayée du Feuilleton. Il n'en est plus question, il n'y a pas de vote. Il ne s'agit pas d'une motion officielle présentée par le leader du gouvernement au Sénat. Le Sénat ne prend pas de décision en déclarant que la question doit être renvoyée à l'autre endroit pour adoption. Par conséquent, lorsque l'honorable sénateur m'a dit que le Sénat du Canada avait adopté cette position sur la question des droits de la personne au Tibet, il m'a mis très mal à l'aise. J'ai tenté de lui faire entendre raison et de lui faire savoir que ce n'était pas le cas. Si le sujet est mort au Feuilleton, cela ne signifie pas que le Sénat, le Parlement ou encore le gouvernement approuve la position présentée.

Affirmer qu'une telle interpellation a reçu l'approbation du Sénat équivaut à affirmer que c'est une position officielle du gouvernement. Ce n'est pas le cas. La politique du gouvernement consiste à lutter pour la liberté de tous les peuples. Lorsque le Canada a reconnu la Chine, il a également reconnu les frontières de la Chine. À ce moment-ci, ce n'est pas à nous de déclarer la guerre à la Chine ou de critiquer les Chinois ouvertement. Cela ne veut pas dire que nos diplomates et notre premier ministre ne saisissent pas chaque occasion qui s'offre à eux pour essayer de convaincre les Chinois de respecter davantage les droits de la personne.

(1640)

C'est quelque chose que le sénateur Di Nino devrait comprendre. Il a également parlé de réévaluer les objectifs du groupe canadien de l'UIP. Je suis en faveur qu'on réévalue ces objectifs, si ce n'est que pour permettre aux membres actuels, dont la plupart sont des nouveaux venus au sein de l'UIP, de se familiariser avec l'organisation. Beaucoup d'entre eux, particulièrement ceux de l'autre endroit, ont été élus il y a trois ans et n'ont pas l'expérience que certains sénateurs ont parce qu'ils font déjà partie depuis un certain temps de cette organisation, la plus vieille organisation mondiale, qui a été fondée en 1889. Je ne sais pas si mon collègue est au courant de cela.

L'UIP ne promeut pas nécessairement les politiques du gouvernement. L'UIP regroupe des représentants du gouvernement et des représentants des partis de l'opposition. Les membres peuvent exprimer leurs opinions s'ils précisent qu'ils parlent en leur nom personnel et non au nom du Canada.

Cela étant dit, j'espère que j'ai pu de clarifier, pour la gouverne du sénateur Di Nino, certains points des politiques de l'UPI au sujet desquels il faisait erreur.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, je n'ai pas dit que la motion qui a été adoptée au Sénat était une politique gouvernementale. J'ai dit que le Sénat avait adopté une motion recommandant certaines choses, qui étaient toutes énumérées. C'est consigné au compte rendu, et l'honorable sénateur pourra vérifier cela plus tard.

Le sénateur Bosa n'est-il pas d'accord avec moi pour dire que, si un comité est formé pour représenter certaines positions sur certaines questions - qu'il s'agisse d'un forum national ou international - ces positions devraient au moins faire l'objet de discussions et les participants devraient être mis au courant de ces positions avant qu'on ne leur demande de participer à un débat ou à des votes sur ces questions? N'est-ce pas là une position que mon collègue appuie?

Le sénateur Bosa: Honorables sénateurs, je ne suis pas sûr de comprendre tout à fait la question. Si des sénateurs se réunissent et désirent effecteur une étude sur un sujet donné, ils le font. Ils peuvent tirer des conclusions et soumettre des propositions, et quelles que soient les décisions qu'ils prennent, elles ne représentent pas forcément la politique du Sénat.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je voulais savoir si l'honorable sénateur, en tant que président d'un groupe, n'aurait pas dû s'asseoir avec les autres membres de ce groupe pour savoir comment il fallait réagir, en tant que délégation canadienne de l'Union interparlementaire canadienne, au sujet des droits de l'homme ou de la question alimentaire, ou encore s'il fallait proposer le sénateur Charles Caccia ou une autre personne au poste qui était alors vacant, au lieu d'adopter une position particulière? Je parlais de consultations, cher collègue.

Le sénateur Bosa: Le nom du sénateur Caccia avait été proposé. Tout d'abord, il est bien connu au secrétariat de l'UIP car il a épousé une des employées de cette organisation. En tant qu'ancien ministre de l'Environnement, son nom avait été proposé à l'époque du gouvernement conservateur. Je crois que le docteur Halliday dirigeait alors l'Union interparlementaire canadienne.

Le nom de M. Caccia avait été proposé parce qu'on avait demandé aux douze membres et plus de nommer une personne qui aurait les qualifications voulues pour occuper le poste de membre du comité des ressources renouvelables. Le nom de M. Caccia a été proposé. Une coïncidence a voulu qu'une autre personne du nom de Caccia, originaire de Suisse, soit également proposée. En fait, ces deux personnes se connaissaient. Le délégué suisse a proposé la candidature de Charles Caccia comme membre du comité. Ce n'est pas une décision que moi-même ou un groupe de l'Union interparlementaire aurions prise sans consulter les autres.

En ce qui concerne l'autre question, j'ai déjà dit que les sujets de l'alimentation et des droits de la personne avaient été choisis à Istanbul par tous les participants de la conférence au cours d'une réunion plénière.

Des fonctionnaires du ministère ont tenu une séance d'information à notre intention et nous ont éclairé. Nous n'étions pas tenus d'approuver leurs propositions ou les faits qu'ils avançaient. Le sénateur Di Nino était présent à ces séances d'information. Voilà en quoi consistaient les consultations que j'ai eues sur cette question.

Quiconque s'intéresse à un sujet et désire l'approfondir peut le faire. L'honorable Warren Allmand, par exemple, s'intéresse beaucoup aux droits de l'homme. Il a déjà pris la parole à plusieurs reprise au sujet du Tibet. Toute personne qui s'intéresse de près à cette question peut l'approfondir autant qu'elle le veut. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que nous devons nous consulter les uns les autres lorsque nous ne sommes pas saisis de la question.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu aux questions du sénateur Di Nino.

Le sénateur Di Nino: Vous patinez, sénateur Bosa.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si aucun autre sénateur désire prendre la parole sur cette interpellation, le débat est terminé.

[Français]

 

Réflexions sur le Sénat

interpellation

L'honorable Maurice Riel, conformément à son avis d'interpellation du lundi 25 novembre 1996:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur ses expériences au Sénat depuis les 23 années qu'il occupe un siège.

- Honorables sénateurs, je vous remercie de votre patience. Il y a 23 ans, j'entrais au Sénat. Comme je vais m'en retirer bientôt, frappé par la limite d'âge imposée par la loi, j'ai cru devoir jeter un regard en arrière et vous faire part de certaines réflexions que j'ai faites durant cette période de près d'un quart de siècle. J'emploie le mot «siècle» à dessin, car je le ressens dans mes os et dans mes muscles. Je vous renvoie aux vers bien connu, que nous apprenions au collège, d'un poète du XVIIe siècle:

Tircis, il faut penser à faire la retraite
La course de nos jours est plus qu'à demi faite.

On dit que lorsque les gens sentent venir leur mort, ils repassent dans leur mémoire, comme dans un film, les événements de leur propre vie. Au terme de ma vie sénatoriale, je suis donc ce modèle antique et traditionnel! Je trouve également bien appropriée l'expression anglaise de «swan song» pour désigner un discours de fin de carrière parce que le cygne ne chanterait, dit-on, qu'une fois durant sa vie, soit juste avant sa mort, et d'une très mauvaise voix d'ailleurs, selon la légende.

(1650)

Le 12 mars 1974, ayant passé les six premiers mois de ma vie sénatoriale comme coprésident d'une commission mixte de la Chambre des communes et du Sénat sur l'immigration, je fis mon «maiden speech» lors d'un débat sur la motion d'adoption de l'Adresse en réponse au discours du Trône de cette session-là.

J'ai alors traité des sujets suivants: la promotion de la plus grande participation des femmes dans la vie publique, la possible abolition du Sénat prônée dans certains médias, l'influence des médias dans la vie publique et l'identité canadienne.

J'ai alors fait le souhait que le Sénat trouve une définition ou au moins une description de l'Homo canadensis, c'est-à-dire du type canadien avec ses qualités, ses caractéristiques, ses idéaux. Je concluais en disant:

... il faut que tous les Canadiens puissent s'identifier dans une idée commune.

Au sujet de la participation des femmes dans la vie publique, je disais:

... que c'est avec grand plaisir qu'en prenant ma place parmi vous au Sénat, j'ai trouvé dans votre assemblée un certain nombre de femmes dont j'ai écouté avec attention la participation aux débats, et cela pour mon plus grand enrichissement intellectuel. J'ai toujours cru que la sagesse des femmes, qui s'est développée au cours des millénaires de l'histoire humaine au sein du foyer, avait une profondeur pragmatique unique et bien fous ceux qui ont négligé de l'utiliser au cours des siècles passés.

J'ajoutais:

Quand le gouvernement dit qu'il a pris, et qu'il va continuer de prendre des mesures pour l'amélioration du statut de la femme au Canada, j'applaudis.

Je montrais à ce moment-là mes couleurs, et je suis bien heureux de voir que le gouvernement Trudeau a continué dans cette voie, tout comme les gouvernements de M. Mulroney et de M. Chrétien.

Les femmes sont beaucoup plus nombreuses au Sénat que lors de mon arrivée il y a 23 ans. Je crois que cela marque une amélioration dans la qualité de vie des travaux, des recherches et dans le résultat des travaux du Sénat. J'ai constaté au cours de mes 23 ans au Parlement que les femmes impliquées dans la vie parlementaire sont plus persistantes, tenaces, et qu'elles s'accrochent davantage à la poursuite de leurs idées que les hommes. Le sénateur MacEachen, dans son dernier discours au Sénat le 19 juin 1996, disait la même chose en des termes à peine différents:

[Traduction]

La nomination de femmes en plus grand nombre est également une amélioration pour le Sénat...

Les femmes sénateurs ont maintenant le pouvoir d'améliorer sensiblement l'image du Sénat dans l'ensemble du pays. Elles peuvent exercer une puissante influence sur les habitudes et les orientations du Sénat. Je crois que c'est là un aspect positif majeur.

[Français]

Venant d'un célibataire endurci, ces paroles sont un éloge remarquable et confirment ce que j'ai toujours pensé et dit de la contribution éminemment positive des femmes à la vie politique de notre pays, ce que j'avais exprimé lors de mon intervention de mars 1974 au Sénat.

Je parlais récemment au sénateur Keon, et je déplorais la maigre retraite accordée aux sénateurs. Le sénateur Keon me fit la remarque qu'avec l'arrivée de plus en plus nombreuse des femmes au Sénat, la situation de la pension de retraite des sénateurs s'améliorera car, me dit-il, les femmes sont plus persistantes que les hommes et quand elles y mettront de la pression et seront en plus grand nombre, le gouvernement du jour finira bien par céder et par accorder une retraite plus adéquate aux sénateurs à cause des femmes sénateurs. C'est un témoignage que j'apprécie car il vient d'un homme dont j'estime hautement le jugement. Un grand médecin est bien souvent doublé d'un grand psychologue.

Je crois qu'il vaut la peine de distinguer, parmi les femmes remarquables qui ont occupé une fonction importante dans la politique de notre pays, Mme Jeanne Sauvé, Gouverneur général du Canada, première femme chef de l'État. Mme Sauvé, qui m'honorait de son amitié, était une ardente propagandiste des droits de la femme et de leur amélioration. Elle se fit toujours un devoir d'exceller dans l'exercice de ses fonctions et ainsi, elle pouvait accéder à tout poste sans que l'on puisse alléguer que c'était à cause de son état de femme. Comme on dit aux États-Unis, c'était de l'«affirmative action».

Je me souviens que lors de la visite du pape Jean-Paul II au Canada, elle, ancienne présidente de la Jeunesse étudiante catholique, lui avait parlé de la possible accession des femmes à la prêtrise dans l'Église catholique. Je ne crois pas qu'elle ait converti Jean-Paul II à son idée, mais elle considérait que c'était son devoir, sa conviction intime de faire cette démarche auprès du pape et en raison de sa position de chef d'État du Canada, elle le fit, et Dieu sait qu'elle était persuasive. Elle lui avait aussi parlé du mariage des prêtres catholiques, idée qu'elle approuvait. C'était s'attaquer à de gros morceaux. À ceux qui demandaient des changements politiques ou sociaux trop draconiens ou trop rapides, M. Duplessis répondait: «Pas de mon vivant.»

Le sénateur Grimard se souvient sans doute de cela.

L'avenir donnera sans doute la réponse à ces questions, mais on n'arrête pas les développements raisonnables, surtout quand ce sont les femmes qui militent en leur faveur et qui dirigent les croisades.

Depuis mon arrivée au Sénat, nous avons donc eu une femme Gouverneur général qui, de plus, avait été auparavant ministre des Sciences, puis Présidente de la Chambre des Communes. Depuis, nous avons eu une femme premier ministre, nous avons eu des femmes au premier plan partout. Présentement, notre ambassadeur canadien à Moscou est une femme, tout comme notre consul général à Los Angeles. Combien en avons-nous eu dans la haute fonction publique? On dit que les femmes sont d'excellentes administratrices.

Cela me rappelle que lors de la grande dépression des années 30, alors que la Ville de Montréal était menacée de faillite, on avait suggéré d'en confier l'administration aux Soeurs Grises parce qu'elles avaient des dirigeantes bien avisées, au sens québécois du terme. La situation financière de Montréal à cette époque était si mauvaise qu'on avait même édicté un règlement décrétant une taxe spéciale pour les célibataires, règlement qui fut annulé par les tribunaux. C'est soeur Bonneau qui dirigeait les secours aux miséreux et distribuait la soupe aux nécessiteux à Montréal. Il faut se rappeler qu'à cette époque, l'assurance-chômage n'existait pas. Ce pouvoir ne fut transféré au gouvernement fédéral qu'en 1942, comme M. Duplessis nous l'a rappelé si souvent par la suite. Mais c'est une autre histoire. Je ne ferai jamais assez l'éloge des femmes, nos collaboratrices et nos égales de toujours et, j'irais même jusqu'à dire, dans bien des cas, nos supérieures.

Quand je suis arrivé au Sénat, Mme Fergusson en était la Présidente et quelques années plus tard, ce fut Mme Lapointe, deux femmes d'un grand tact et d'une grande sagesse, unanimement respectées.

(1700)

Je constate qu'il y a eu bien du chemin parcouru depuis 23 ans, alors que la femme apparaissait au rang des êtres mineurs et des interdits au Code civil du Québec.

Cette ignominie a été effacée, il reste à reconnaître l'égalité de compensation pour travail égal dans toute entreprise. Le XXe siècle aura été le siècle de la reconnaissance des droits de la femme, en Occident, et ce sera sans doute la plus grande gloire de notre siècle, qui n'en a pas mérité beaucoup d'autres, hélas, dans le domaine du traitement des humains.

Le deuxième point que je voulais évoquer est l'abolition du Sénat.

Quelqu'un avait alors fait, comme cela arrive périodiquement, une publicité dans les journaux prônant l'abolition du Sénat, invoquant cela que les sénateurs canadiens ne sont pas élus et qu'est contraire à la démocratie. Je répondais à cette attaque en nommant quelques professions où les gens ne sont pas élus, tels les juges de nos cours de justice nommés par les gouvernements, et qui sont inamovibles. Aux États-Unis, les juges de plusieurs juridictions sont élus. Est-ce que cela en fait des juges plus impartiaux puisqu'ils doivent leur élection à des électeurs et sont obligés de se soumettre à une élection auprès des mêmes électeurs qui votent pour les sénateurs, pour les «congressmen», les maires et autres représentants publics et qui votent aussi dans des référendums sur les emprunts publics?

J'ajoutais qu'il y a, parmi les contrôleurs, dirigeants ou manipulateurs de l'opinion publique, les gens des médias, qui occupent des fonctions de grande responsabilité, exerçant sur les ondes, sur les écrans de télévision ou dans les journaux les mêmes fonctions que nos prédicateurs d'autrefois dans les chaires de nos églises - rappelez-vous l'influence qu'exerçaient autrefois les prédicateurs, par les sermons tous les dimanches et lors des fêtes religieuses, l'influence des retraites paroissiales prêchées par des professionnels de la prédication - rappelez-vous les effets politiques de ces prédications jusqu'à la Révolution tranquille.

Aujourd'hui, les commentateurs de la télévision, les présentateurs des nouvelles quotidiennes, les animateurs de tribunes téléphonique, tous ceux qui peuvent apparaître dans un rôle ou une fonction quelconque d'une manière régulière à la télévision ou à la radio, n'ont-ils pas remplacé les prêtres et les prédicateurs d'autrefois? René Lévesque, commentateur hors pair, est devenu premier ministre du Québec et son entrée en politique fut une conséquence directe de son talent et de ses succès à la télé; actuellement, Jean-François Lépine et Bernard Derome exercent plus d'influence par leurs commentaires que tous les archevêques du Québec réunis.

Pourtant, ces commentateurs ne sont pas élus. Leurs opinions et leurs déclarations sont admises, reçues comme dogmes ou paroles de l'Évangile par un grand nombre d'auditeurs, en fait leurs cotes d'écoute, scientifiquement étudiées chaque mois ou presque, leur assurent un auditoire qu'aucun religieux d'aucune congrégation ou église ne possède. Qu'est-ce qu'un homme politique, même de premier rang, à côté d'un commentateur possédant de bonnes cotes d'écoute ou d'un populaire meneur de jeu de «hotline» apparaissant régulièrement à la télé ou sur les ondes? Et pourtant, ces commentateurs ne sont pas élus.

Je disais, dans mon discours du 12 mars 1974:

Écoutez votre radio, regardez votre télévision, à toute heure du jour, et vous constaterez qu'un problème politique, social, ou même religieux est traité avec la dernière autorité par une personne non élue politiquement. Toutes sortes de gens, avec les idées les plus disparates, certaines sérieuses, d'autres sentant le préjugé et le biaisé à plein nez, ont accès aux médias d'information, alors que le député, régulièrement élu, ne pourra se faire entendre, parce que, précisément, il est élu et que, pour les partis politiques reconnus, il y a des heures limitées, et qu'on les surveille.

La démonstration est faite par ce jeune commentateur de Montréal, Jean Lapierre. Du temps où il occupait le poste de député ou même de ministre, ses paroles ne sortaient pas beaucoup du Parlement. Maintenant devenu commentateur à la radio, il a une cote d'écoute faramineuse!

Le pouvoir réel aujourd'hui est celui de la communication...

Disait Roger Lemelin dans une conférence et il ajoutait:

...et le pouvoir du Québec est à Radio-Canada.

C'est-à-dire à ceux qui manipulent et contrôlent vraiment Radio-Canada (et je ne crois pas que c'était alors, ni aujourd'hui, les fédéralistes). Et quelques phrases plus loin, il illustrait son propos en disant:

Un nombre incroyable de personnes se sont plaintes que durant la crise d'octobre de 1970, les terroristes furent traités à l'écran comme des Robin des Bois beaucoup plus que comme des assassins.

Est-ce que l'esprit qui règne à Radio-Canada a bien évolué depuis, si l'on considère ses performances récentes? Il semble que les médias en général, mais surtout le radio et la télévision et Radio-Canada s'ingénient, surtout en période de tension, à créer une psychose de nervosité et de déstabilisation. Comme dans ce passage de l'Évangile où les faux prophètes annoncent la fin du monde et rendent la population affolée.

Y a-t-il des règlements? Pour les nouvelles, quels sont les règlements? Tout va tellement vite.

«Rien n'est plus vieux que le journal du matin», disait Péguy, et cela fait déjà plus de 80 ans. Une nouvelle en chasse une autre et une plus mauvaise chasse la dernière. D'ailleurs, les procédures de plainte sont-elles à la portée de tout le monde? Elles paraissent si compliquées ou longues pour le petit citoyen qu'il ne se hasarde pas dans leurs arcanes. D'ailleurs, quand les médias reconnaissent leurs erreurs, les milieux populaires disent que la rectification qu'ils font augmente ordinairement l'injure ou l'inexactitude des propos reprochés. C'est toujours la preuve de la moralité d'Ésope que «la langue est la meilleure et la pire chose du monde». Elle peut vous faire blanc ou noir, sans que vous n'y soyez pour rien.

Mais il n'y a pas que les médias qui soient coupables. Dans le cas du grand public, sauf dans le cas de citoyens vigilants ou d'associations de citoyens, tout passe sans autre forme de procès. Mais s'agissant du Sénat et du mal qu'on en dit, est-ce que le Sénat fait bien connaître son utilité et sa crédibilité? Les gens, le public en général et les journalistes ne connaissent les pouvoirs ni les devoirs du Sénat et des sénateurs. Tout ce qui concerne le Sénat ne reçoit que peu de publicité. À moins que ce ne soit pour un rare dérapage, les journalistes ne rapportent à peu près rien sur le Sénat. Combien de citoyens croient que les sénateurs sont une espèce de députés privilégiés qui n'ont pas besoin d'être élus, qui ne font rien, puisqu'ils n'ont pas d'électeurs, ni de bureaux de comté et ne sont que des partisans de partis politiques à qui ils doivent rendre des services en retour de leur nomination?

Quel est le rôle du sénateur? Je me permets de partager avec vous quelques réflexions que je me suis faites depuis près d'un quart de siècle. Le rôle du sénateur est un rôle de réflexion et de révision. Il revoit les projets de loi - et le sénateur MacEachen a dit cela aussi le 16 juin dernier - qui lui arrivent des Communes, les étudie, y réfléchit et les révise au besoin. Certains auteurs ont défini ce rôle comme une quasi-magistrature. Pour remplir ce rôle judicieusement et efficacement, la Constitution a assuré aux sénateurs la permanence de leur fonction et l'absence d'électeurs. La Constitution ne leur impose aucun devoir ni obligation de représentation locale. N'ayant pas de responsabilité vis-à-vis d'électeurs, ils n'ont pas de bureaux ni de personnel dans les collèges sénatoriaux. Leurs bureaux sont uniquement au Sénat d'Ottawa.

(1710)

N'étant pas élu, il ne fait pas de différence qu'un sénateur soit nommé à un siège ou un autre. Cette désignation est fortuite, et dépend du siège à occuper et de la disponibilité de la personne à nommer. Le nom du siège n'implique au Québec que le vestige historique de la qualification foncière fixée en 1867, qui est devenue symbolique, surtout depuis que l'origine ethnique des citoyens entre en considération dans la nomination des sénateurs.

Il est impérieux et normal que les citoyens sachent que les fonctions de sénateur et de député ne sont pas les mêmes, car si elles étaient les mêmes, il y aurait concurrence, double emploi ou compétition entre les sénateurs et les députés, surtout s'ils n'étaient pas dans la même région ou du même parti.

Il faut savoir que leurs responsabilités ne sont pas identiques, bien que les services rendus à l'État par les deux Chambres se complètent et ne sont pas inférieurs en qualité les uns aux autres.

Le député, lui, a la responsabilité directe d'électeurs. Il est élu et responsable de ses électeurs. C'est pour cela qu'il a, en plus de son bureau du Parlement, un bureau de comté et un personnel payé par le gouvernement. Il doit se faire élire, recevoir et rencontrer ses électeurs et leur rendre des comptes à chaque élection. Le député est le seul représentant et mandataire de ses électeurs, et c'est pour cela qu'il doit repondre de ses actes.

La fonction de sénateur peut se comparer à celle de juge des cours supérieures des provinces et du pays. La fonction de sénateur implique une responsabilité aussi grande. Les décisions du Sénat ont une influence décisive sur la vie sociale, morale et économique du pays. L'exemple de la Loi sur l'avortement, qui fut laissée à un vote libre non partisan des sénateurs, indique bien la responsabilité morale et sociale des sénateurs, et donc de leur fonction.

Ce vote fut l'un des plus beaux moments du Sénat ces dernières années. Sans partipris et après mûre réflexion, les sénateurs votèrent en nombre égal pour ou contre le projet de loi, empêchant ainsi son adoption. Lors de ce votre historique, on vit le chef de l'opposition voter pour la loi du gouvernement et l'ancien whip du gouvernement voter contre la loi proposée par son gouvernement.

C'est avec raison que le sénateur Dandurand, au début du siècle, tout comme plusieurs auteurs par la suite, avait qualifié le Sénat de quasi-magistrature. En fait, les sénateurs étudient les lois et leur philosophie avant de les voter, comme les juges les étudient avant de les appliquer. Le bon jugement des uns correspond au bon jugement des autres.

J'avais, en 1985, dans un discours au Sénat, recommandé d'utiliser la clause qui permet au gouvernement de nommer huit sénateurs supplémentaires - deux pour chaque région du pays, tel que défini par la Constitution - d'utiliser ou modifier cette clause pour faire accéder automatiquement au Sénat, en tant que sénateurs non inscrits, les anciens premiers ministres du Canada et les anciens premiers ministres des provinces à la fin de leur mandat et d'en faire des sénateurs non affiliés aux caucus des partis. Cela veut dire des sénateurs indépendants ou «cross benchers», comme on dit Angleterre et ne siégeant ni à la gauche du Président, ni à sa droite, mais dans l'allée centrale, comme

cela se fait à la Chambre des lords, ce qui, selon moi, aurait constitué un noyau de sénateurs indépendants et donc dénués de la partisanerie qui se glisse parfois dans nos débats. J'avais reçu les encouragements de M. Trudeau, mais le sénateur MacEachen trouvait difficile de croire qu'un premier ministre verrait d'un oeil sympathique la présence de son prédécesseur au Sénat. Le sénateur Flynn, à l'époque, n'y croyait pas non plus. Amener des «cross benchers» dans notre Chambre était une idée chère au sénateur Molson qui l'avait proposée, mais elle ne fut pas retenue ni dans son temps ni dans le mien. J'avais fait le rêve de voir les Trudeau, Mulroney, Lévesque, Davies, Parizeau, Lougheed et autres participer à des débats au Sénat, mais mon rêve s'est envolé en fumée.

Par ailleurs, je dois reconnaître qu'un premier ministre doit toujours compter sur une majorité au Sénat, sinon il ne serait jamais assuré de l'adoption de ses projets de loi. À la Chambre des lords, on a contourné cet hiatus par un «gentleman's agreement» qui présume et confère toujours une majorité au gouvernement au pouvoir sur une mesure qui fait partie de son programme gouvernemental, et en tout cas, les lords ne peuvent pas retarder une mesure financière pour plus de 30 jours. Quelle que soit la recommandation des lords, la Chambre des communes britannique est libre de passer outre après un délai de 30 jours.

Quant à la façon de nommer les sénateurs, j'y ai aussi réfléchi. J'ai dit et répété souvent, notamment à l'occasion de ma participation au débat de la Chambre sur l'Entente de Charlottetown, que le Sénat se rapprocherait du peuple si la proportion des sénateurs était mieux équilibrée entre les citoyens venant de l'extérieur des villes et ceux venant des centres urbains.

Cela est sûr. Nous sommes beaucoup de sénateurs au Québec.

Son Honneur le Président: Sénateur Riel, je regrette de devoir vous interrompre, mais votre période de 15 minutes est écoulée.

Des voix: Continuez.

Son Honneur le Président: La permission vous est accordée.

Le sénateur Riel: Je vous remercie. Beaucoup de sénateurs québécois sont originaires de centres urbains, mais aucun ne vient d'une exploitation agricole. J'admets que ce serait sans doute plus difficile dans une Chambre des minorités, une Chambre multiculturelle, avec un Sénat élu par des électeurs locaux comme en France par les délégués des conseils municipaux.

Il faut, comme je l'ai dit, que le premier ministre contrôle toujours son Sénat, sinon il ne serait pas assuré de faire adopter sa législation. Vous vous rappellerez que le premier ministre Mulroney avait été obligé de se servir d'une clause jamais utilisée de la Constitution et de nommer huit sénateurs supplémentaires pour faire adopter la loi de la TPS au Sénat, pourtant votée aux Communes, mais que l'opposition libérale du temps au Sénat bloquait par un «filibuster» persistant et bruyant et peut-être pas très judicieux, comme les événements subséquents l'ont démontré! C'est un cas où la partisanerie, hélas, l'avait emporté contre la réflexion. Rien n'est parfait en ce monde.

Par ailleurs, dans toutes les plus belles choses du monde, il y a des effets inattendus. Des effets «sérendipes», comme aime à le dire le premier ministre Chrétien. Cela se produit surtout pour les sénateurs qui n'ont pas pour profession permanente que la politique à plein temps et doivent garder leur métier ou profession pour vivre. Il arrive que le travail du sénateur empiète sur les heures requises par la pratique professionnelle privée et vice versa. Il y a collision, conflit et c'est un conflit d'intérêt dont on ne parle jamais, mais dont le sénateur est victime. Le sénateur politicien donne tout son temps à sa charge de sénateur. C'est une prolongation de son métier. Cela ne change rien à sa vie, mais le praticien de la médecine, du droit, de l'ingénierie ou de toute autre profession, quand il devient sénateur, se voit partagé entre ces deux activités qui le réclament à plein temps.

Il souffre donc d'une maladie du travail, non encore reconnue par le Code du travail, qui se nomme la discontinuité. Comme le dit l'Évangile: «Nul ne peut servir deux maîtres.» Et la poursuite par le même homme d'une activité nuit à l'autre activité qu'il veut poursuivre. De ces deux activités, la vie du sénateur souffre gravement. On ne peut progresser dans l'une qu'aux dépens de l'autre. Vouloir se maintenir dans les deux, c'est au mieux les neutraliser.

(1720)

Pas plus que le député, le sénateur ne peut pratiquer avec aise et succès une profession, à part sa fonction de sénateur. Sur ce, j'ai tout de même une profession à part la profession de sénateur. Je sais donc de quoi de parle.

Peut-on trouver une solution à cette situation? Je laisse ce problème aux sénateurs qui restent. Mais une solution sérieuse serait, je crois, de mieux rémunérer les sénateurs en leur donnant le même traitement et les mêmes avantages qu'aux juges de la Cour supérieure du Québec ou de la Cour supérieurs dans chacune des autres provinces.

Je ne veux pas abuser de votre patience, mais je voudrais dire quelques mots sur un sujet que j'avais déjà évoqué en 1974, soit l'identité canadienne, l'Homo canadensis, sa définition, son caractère et ses qualités.

On prête à Marshall McLuhan l'aphorisme suivant:

Canada is the only country in the world that knows how to live without an identity.

Qu'est-ce que l'identité des habitants d'un pays? Est-ce qu'elle ne peut pas se manifester par certaines pratiques imposées par la vie quotidienne, par le climat, par la géographie, par les coutumes et par les contacts avec les autres habitants de notre pays?

On a depuis longtemps, au Canada, défini le Canadien par le nationalisme ethnique des uns et des autres, les caractères ethniques, linguistiques, et même par les antagonismes.

Pourquoi nous diviser quand nous vivons dans la même enveloppe géographique, que nos façons de vivre sont les mêmes et nos besoins aussi? Le climat nous conditionne tous. Le général de Gaulle, citant, je crois, Napoléon, faisait du cadre géographique d'une population le facteur le plus important dans la destinée de cette dernière. Qui pourrait contredire que nous sommes prisonniers du cadre géographique où nous vivons, et le nôtre, l'Amérique du Nord, est actuellement le plus important du monde. Nous sommes situés dans le voisinage immédiat d'un pays riche qui absorbe presque toute notre production, nos marchandises et qui nous fournit les produits qui nous manquent en hiver.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur, je dois vous interrompre. Il n'y a pas d'interprétation, et il semble que le discours peut être seulement entendu en français à la Chambre.

Le sénateur Riel: Il nous fournit des produits qui nous manquent en hiver en même temps qu'un refuge au soleil. C'est le pays des inventions techniques les plus utiles et avancées.

La géographie nous a été favorable alors que le climat l'est moins. Nous avons tiré le meilleur parti de cette situation. Nous avons trouvé notre équilibre et nous nous en portons bien.

Plus riches sommes-nous de posséder deux langues et plus riches encore d'en parler trois - comme le propose une résolution adoptée au dernier congrès péquiste et comme le veut une loi française récente - car limiter les citoyens à une seule langue, c'est comme forcer tout citoyen à se servir d'un seul bras alors que la nature lui en a donné deux. Au temps de l'ALENA et de la mondialisation, il faut être à la hauteur de nos ambitions.

Enrichissons-nous de nos différences. Ne pourrions-nous pas penser à une appartenance canadienne au-dessus des nationalismes, par l'adhésion de chacun à un code de valeurs que l'on pourrait appeler le code des valeurs canadiennes, valeurs traditionnelles et en même temps code de conduite de notre vie de citoyens? Dans les religions, les gens ne parlent pas tous la même langue mais on s'entend pour appartenir à une religion quelle que soit sa langue ou son origine ethnique, en adhérant à des dogmes communs.

J'ai tenté d'établir une liste de ces valeurs canadiennes. Elle se lirait comme un Décalogue: la bonne foi, le sens commun, le respect du droit, l'éthique du travail, l'esprit d'entreprise, la générosité, la tolérance, l'humour, le sens civique, la persévérance.

Souscrire à une liste commune de valeurs civiques, de valeurs morales pratiques serait une façon de donner une image concrète de l'identité canadienne, qui pourrait être à la base de son unité. Nous devons voir au respect de nos valeurs avant que d'autres valeurs nous soient imposées par les médias, les agences de publicité ou les vendeurs de brocante ou de vent.

L'idée de ce code m'est venue après avoir lu le livre de Michael Ignatieff, Blood & Belonging, et celui de Luigi Barzini, The Europeans. Cela a activé ma pendule. S'il y a un embryon d'idée dans ma suggestion, peut-être le Sénat pourra-t-il la poursuivre. Je reviendrai voir dans 23 ans.

Enfin, je voudrais dire quelques mots au sujet de Pierre Trudeau puisque je me trouve à la fin de ma carrière sénatoriale. Comme vous le savez, Pierre Trudeau m'a nommé au Sénat. C'était un confrère d'université avec lequel j'avais développé des relations amicales. J'étais un militant libéral de longue date. Nos familles venaient de la même région au sud de Montréal, entre le fleuve et la frontière américaine. Il avait étudié à Brébeuf et habitait Outremont, il était le voisin de mes cousins Pager quand je l'ai connu, et plus tard, mon ami Georges Lapalme devint son voisin.

Nous étions assez amis pour qu'en octobre 1968, devenu premier ministre, il m'invite à l'accompagner à Regina dans l'avion gouvernemental pour l'inauguration du monument que le gouvernement de la Saskatchewan, dirigé par Ross Thatcher, avait fait élever, à la mémoire de Louis Riel.

Tous les sénateurs éprouvent des sentiments de reconnaissance, d'admiration et même de vénération pour le premier ministre qui les a nommés. Je les comprends. À l'endroit de Pierre Trudeau, il m'est facile d'éprouver tous ces sentiments. Il a été, quant à moi, le Périclès de notre génération. Partout où il a travaillé, voyagé, il a occupé la première place. À l'université, il était déjà hors classe, il dépassait tous ses confrères par son esprit profond, sa dialectique aiguë, son intelligence d'une vivacité et d'une vitesse prodigieuses et aussi par sa réserve. En un mot, à l'université comme en politique, il était partout supérieur, d'une classe spéciale que tous ceux qui l'approchaient lui ont reconnue d'emblée.

Je me rappelle avoir lu, dans une line sur l'histoire de la dernière guerre, le récit d'une séance de la Chambre des communes britannique vers la fin des années 1940 ou 1941. Lloyd George, encore vivant, se dirigeait vers la sortie de la Chambre. Churchill, alors premier ministre, se leva du banc du gouvernement pour aller prendre le bras de son ancien premier ministre, Lloyd George, dont le poids des ans ralentissait les pas.

Geste attendrissant, respectueux et spectaculaire. Voilà un geste auquel aurait pensé Pierre Trudeau car, à l'occasion, comme vous le savez, il pratiquait le geste spectaculaire, et il le faisait avec élégance, style et un certain panache. Il le fait d'ailleurs encore aujourd'hui.

Il avait un courage qui frisait la témérité. Quand il avait décidé quelque chose après mûre réflexion, il agissait avec détermination et froideur, prisonnier de sa logique. Il aimait les Québécois et ne voulait pas que nous soyions des marginaux, des inégaux et des plaignards. Il avait la conviction que nous étions pleins de talents et que nous devions les utiliser pour notre promotion collective, que nous avions tous les moyens intellectuels pour réussir, à l'égal des soi-disant anglophones de notre province et des autres provinces, bien que pour de nombreuses raisons, nous soyions partis en retard. Quand on part en retard, il est nécessaire d'y mettre plus d'efforts.

Comme nos ancêtres les Gaulois, nous, les Québécois, sommes en état de division et d'indiscipline permanentes. Le premier ministre Bouchard le reprochait à ses troupes encore récemment, et tous ses prédécesseurs péquistes en ont souffert et en ont même été victimes.

(1730)

Dans le même ordre d'idées, Robert Bourassa a rejeté la Charte de Victoria que notre collègue, le sénateur Beaudoin, considère comme la meilleure proposition constitutionnelle jamais faite au Québec et le sénateur Beaudoin d'ajouter: «Cela nous aurait évité 25 ans de disputes constitutionnelles improductives.»

Pierre Trudeau a fait sa part avec talent, imagination et éclat, pour accomplir l'aggiornamento du Québec et du Canada. Je suis heureux d'avoir été l'un des participants de l'époque Trudeau. Maintenant, après tant d'années, après tant de chefs qui n'ont pas vu la réalisation de leurs espoirs, je parle des Trudeau, des Lévesque, des Bourassa, des Parizeau, des Mulroney et de quelques autres, je suis sûr que dans notre pays, nous en arriverons à un modus vivendi où tous seront heureux de vivre ensemble et de récolter les fruits de la Pursuit of Happiness.

Je ne puis terminer ces réflexions sans rendre hommage à notre premier ministre Jean Chrétien, une personnalité à la Harry Truman mêlée d'Antoine Pinay, deux des plus grands hommes d'État de l'après-guerre, des hommes de campagne, terre-à-terre et connaissant la température du temps et des hommes. Je dirais qu'il y a aussi du Harry Hays dans notre premier ministre, homme pratique et plus profondément philosophe et psychologue qu'on ne le réalise. Le penseur français Vauvenargues disait:

[...] les vrais politiques connaissent mieux les hommes que ceux qui font le métier de philosophie. Je veux dire qu'ils sont plus vrais philosophes.

Jean Chrétien est de ceux-là et il est efficace en diable.

Le Canada se porte actuellement bien économiquement et socialement malgré la grave secousse du référendum du 30 octobre 1995 au Québec, grâce à la gouverne politique sage de Jean Chrétien.

Il y a deux semaines, j'étais à Paris et M. Barre, ancien premier ministre de la France, dans une importante interview d'une heure à la télé avec plusieurs journalistes réputés, citait M. Chrétien en exemple aux Français pour sa réussite dans son combat pour la réduction du déficit et des dépenses de l'État et du nombre de fonctionnaires, et ce en maintenant la paix sociale. Comme vous le savez, le gouvernement français éprouve actuellement beaucoup de difficultés à cet égard.

Les voyages d'Équipe Canada, que M. Chrétien a entrepris en devenant premier ministre, ont connu un immense succès et celui qu'il complète s'annonce, si l'on se fie aux bonnes nouvelles déjà publiées, comme un autre immense succès, au point que le premier ministre du Québec, M. Bouchard, s'apprête à s'y joindre.

On ne peut demander mieux. J'aurais aimé être plus jeune pour servir plus longtemps sous ses ordres, mais je puis vous assurer, honorables sénateurs, que c'est avec orgueil que j'ai partagé avec lui le nom de Shawinigan dans la désignation de mon collège sénatorial, malgré le peu de visites que j'y ai faites. Après ma retraite, j'aurai, je l'espère, le loisir de m'y rendre plus souvent.

Avant que l'on ne commence à parler de moi au passé, je voulais vous exprimer à vous tous, honorables sénateurs, ma gratitude pour les bonnes relations que j'ai entretenues avec chacun et chacune d'entre vous. Veuillez croire que je n'emporterai et ne garderai, de vous tous et de mon passage au Sénat, que de bons souvenirs.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si aucun autre sénateur ne désire prendre la parole, cette interpellation sera considérée terminée.

[Traduction]

Affaires juridiques et constitutionnelles

autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Sharon Carstairs, conformément à l'avis donné le 28 novembre 1996, propose:

Que le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à siéger à 15 h 15 le mercredi 4 décembre 1996, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 4 décembre 1996, à 13 h 30.)


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