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Inégalité du revenu et population à faible revenu au Canada
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Decembre 2004 Volume 7 Numéro 2


Pauvreté et exclusion

Inégalité du revenu et population à faible revenu au Canada

Garnett Picot
Statistique Canada

John Myles
Université de Toronto et Statistique Canada

La tendance du niveau de faible revenu et celle de l’inégalité du revenu au Canada sont deux des indicateurs de bien-être économique les plus surveillés. Dans cet article, nous passons en revue les données les plus récentes concernant ces tendances au Canada.

L’inégalité du revenu des familles dans une perspective comparative

À des fins de comparaison transnationale, notre choix de pays repose sur un corpus de recherche comparative désormais bien établi. Reflets de différences institutionnelles et politiques de longue date, ces regroupements comprennent les pays scandinaves/ nordiques, qui sont représentés ici par la Finlande et la Suède, les pays
de l’Europe continentale (la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas) et les pays principalement anglophones (le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis).

Le tableau 1 résume les résultats récents (1997-2000) des écarts transnationaux sur le plan de l’inégalité du revenu dans ces huit pays. Mesurée à l’aide de l’indice d’inégalité de Gini (qui croît avec le degré d’inégalité), l’inégalité du revenu des familles présente une similitude remarquable à la fin du siècle entre les pays d’Europe centrale et les pays nordiques. Le Canada (indice de Gini de 0,29) témoigne d’une plus grande égalité qu’aux États-Unis (indice de 0,37) et qu’au Royaume-Uni (indice de 0,35) mais d’une égalité moindre que dans les pays d’Europe centrale et du Nord de l’Europe, ce qui vient répéter un modèle familier dans de nombreuses comparaisons transnationales antérieures.

Tableau 1 - Mesures de l?inégalité du revenu des familles : comparaison internationalea

La comparaison des ratios en percentile permet de saisir ces écarts de manière plus intuitive. Aux États-Unis, les revenus des familles vers le sommet de la distribution (le 90e percentile) sont plus de cinq fois supérieurs aux revenus des familles se situant près du bas de la distribution (le 10e percentile). Au Canada, ce ratio est d’environ quatre à un, tandis qu’il est de trois à un en Suède et en Finlande. En ce qui a trait aux familles se trouvant vers le milieu de la distribution (au 50e percentile), les personnes à faible revenu des pays nordiques ont des revenus équivalant à 57 % du revenu médian, comparativement à 47 % au Canada et au Royaume-Uni, et à 39 % aux États-Unis.

Dans le tableau 2, nous présentons l’évolution de l’inégalité dans ces pays depuis la fin des années 1970. Sans doute l’aspect le plus remarquable de ces résultats est-il la stabilité dans la place occupée par ces pays en dépit des changements. Les pays qui présentaient les degrés les plus élevés d’inégalité entre les revenus familiaux (dont le Canada) au début de la période les présentaient également à la fin de la période. Les pays nordiques (la Finlande et la Suède) ont conservé leurs degrés d’inégalité manifestement moins élevés jusqu’au milieu des années 1990, époque à laquelle ils ont commencé à se rapprocher des degrés d’inégalité propres à l’Europe centrale. La position du Canada par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni, cependant, a nettement changé depuis les années 1970. Au début de la période, l’écart entre le Canada et les États-Unis était relativement modeste, et le degré d’inégalité au Canada était plus élevé qu’au Royaume Uni. À la fin de la période, cependant, le degré d’inégalité au Canada était nettement inférieur aux degrés observés aux É.-U. et au R.-U., en raison de la stabilité relative de la distribution au Canada en comparaison avec une hausse séculaire à long terme de l’inégalité tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni. La stabilité relative de la distribution du revenu au Canada pendant toutes les années 1980 et le début des années 1990 a fait l’objet de plusieurs études (Beach et Slotsve, 1996; Wolfson, 1998; Gottschalk et Smeeding, 1997) et reflète le fait que, tout au long des années 1980 et au début des années 1990, les hausses d’inégalité sur le plan du revenu du marché ont été compensées par la hausse des transferts sociaux. Comme nous le démontrons dans la section suivante, cependant, de nouvelles données tirées d’études plus récentes indiquent que l’inégalité du revenu au Canada s’est écartée de cette tendance stable depuis longtemps et a augmenté pendant la fin des années 1990.

Tableau 2 - Inégalité du revenu (Gini) entre la fin des années 1970 et la fin des années 1990 dans huit pays

L’inégalité du revenu des familles est-elle en hausse au Canada?

Les chiffres présentés au tableau 2 montrent que l’inégalité du revenu, mesurée à l’aide du coefficient de Gini (qui croît avec le degré d’inégalité), a peu changé entre la fin des années 1970 et la fin des années 1990. Ces résultats sont fondés sur une enquête à laquelle on a mis un terme en 1997 pour en entreprendre une nouvelle. Cependant, pour évaluer les tendances récentes, il faut véritablement analyser des points comparables du cycle conjoncturel et se servir de données plus récentes. Pour cela, nous nous fions à deux sources : le recensement et une série qui représente une combinaison de l’Enquête sur les finances des consommateurs (EFC), à laquelle on a mis un terme, et celle qui l’a remplacée, soit l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR). Nous concentrons notre attention sur les années 1990 et 2000, soit, en gros, les deux dernières crêtes du cycle conjoncturel1.

D’après les données des deux enquêtes (EFC et EDTR), le coefficient de Gini a accusé une hausse de 6 % entre 1990 et 2000, selon le revenu après impôts et transferts (c.-à-d., le revenu disponible2), qui constitue la mesure du revenu la mieux indiquée. Pour le recensement, on ne collecte cepen-dant pas de données sur les impôts payés, de sorte qu’il faut nous en remettre à une définition légèrement différente du revenu familial, soit le revenu avant impôts et après les transferts gouvernementaux. Sur cette base, les données des enquêtes semblent indiquer une hausse de 6 % de l’indice de Gini entre 1990 et 2000, alors que les données du recensement témoignent d’une hausse de 5 %. Ces deux sources indiquent donc une hausse modérée de l’inégalité du revenu par rapport aux années 1990.

En utilisant les ratios entre le haut et le bas de l’échelle, on obtient peut-être une interprétation plus intuitive de cette hausse. Sur la base des données des enquêtes (EFC et EDTR), le revenu après impôts et transferts des familles dans le décile supérieur (les 10 % des familles ayant les revenus les plus élevés) était 7,5 fois plus élevé que celui des familles dans le décile inférieur en 1990. En 2000, on estimait que ce ratio était passé à 8,73, soit une hausse de 15 %. Les données du recensement laissent entrevoir une hausse similaire de 14 % de ce ratio (sur la base du revenu avant impôts et après transferts).

Le graphique 1 indique que la hausse de l’inégalité résultait essentiellement d’une hausse plus rapide du revenu dans la tranche supérieure de la distribution du revenu. Selon les données du recensement, il y a eu peu de changements dans les revenus des familles dont les revenus sont les plus faibles entre 1990 et 2000, alors que les familles aux revenus les plus élevés ont connu des hausses comprises entre 7 et 16 %.

Figure 1 - Évolution (en %) du revenu total des familles par vingtilea, 1990-2000, données du recensement

Faible revenu

Les mesures de l’inégalité du revenu indiquent des changements dans la distribution relative des revenus dans l’ensemble de la population. Par contraste, dans les statistiques sur le faible revenu, les changements observés dans la partie inférieure de la distribution du revenu sont beaucoup plus précis. Le taux de faible revenu mesure la proportion de personnes se trouvant sous un seuil de faible revenu tandis que l’écart de faible revenu est une mesure de l’intensité de faible revenu parmi les personnes tombant sous le seuil4. Les analystes préoccupés par le problème de l’exclusion économique se concentrent généralement sur ces deux mesures, et nous les imiterons lorsque nous examinerons les tendances propres au Canada. En raison des problèmes que posent les mesures, cependant, les comparaisons transnationales dans la section ci-dessous ne portent que sur les différences dans les taux de faible revenu.

Le faible revenu dans une perspective comparative

a. Degrés et tendances

À des fins de comparaison transnationale, nous suivons des méthodes traditionnelles et mesurons le faible revenu en tenant compte de toutes les personnes des familles dont le revenu est inférieur à 50 % de la médiane nationale (voir le tableau 3). Nos résultats sont basés sur ceux de Smeeding (2003).

Tableau 3 - Taux relatifs de faible revenu dans huit pays

Le taux de faible revenu pour toutes les personnes, en utilisant le seuil de 50 %, varie de 5,4 % en Finlande à 17 % aux États-Unis. C’est dans les pays anglophones, qui présentent aussi les degrés d’inégalité globale les plus élevés, que l’on trouve les taux les plus élevés. Si les taux globaux au Canada et au Royaume-Uni demeurent bien inférieurs à ceux des États-Unis, la position relative du Canada varie énormément parmi les sous-groupes. Le taux de faible revenu chez les aînés canadiens, qui se situe à 5 %, est désormais parmi les plus faibles de toutes les démocraties riches. Par opposition, jusqu’à la fin des années 1990, les taux de faible revenu parmi les familles monoparentales canadiennes (39 %) et les foyers sans enfants (12 %) étaient proches des niveaux aux É.-U. ou supérieurs à ceux-ci. Comme nous le soulignons plus bas, cependant, ces degrés historiquement élevés de faible revenu parmi les familles monoparentales canadiennes ont accusé une forte baisse après 1997.

b. Le rôle des transferts et des impôts

La mesure dans laquelle les transferts de revenu (et les impôts sur le revenu) redistribuent le revenu au bénéfice des moins favorisés varie énormément entre les économies avancées. Il est intéressant de noter qu’il y a des écarts entre les pays dans la prestation de services comme l’éducation ou les soins de santé par les secteurs public ou privé, de sorte que des évaluations comme celles qui sont présentées ci-dessous, c.-à-d., fondées sur les prestations en espèces uniquement, ne rendent pas compte de toute l’ampleur de la redistribution gouvernementale.

L’approche standard pour mesurer l’effet des transferts et impôts, que nous utilisons ici, consiste à comparer le taux de faible revenu avant impôts/ transferts (le revenu du marché) avec le taux de faible revenu après transferts et impôts (le revenu disponible)5.

Le tableau 4 résume l’incidence des impôts et des transferts (y compris ceux des retraités) sur les niveaux de faible revenu en s’appuyant les travaux de Smeeding (2003) et Corak et coll. (2003). En dépit de différence dans les sources de données, les résultats sont remarquablement conformes6. Parmi les huit pays, c’est le régime d’imposition/transfert au comptant des États-Unis qui a entraîné la moins grande réduction du faible revenu. Les réductions étaient légèrement plus fortes au Canada et au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, mais moins fortes en général que dans les pays européens.

Tableau 4 - Pourcentage de réduction des taux de faible revenu, du revenu avant impôts et transferts, par rapport au revenu après impôts et transferts, pour toutes les personnes

Taux de faible revenu au Canada

a. Changements dans les niveaux de faible revenu au Canada au cours des années 1990

Dans la présente section, le taux de faible revenu correspond à la proportion de personnes se trouvant sous le seuil de faible revenu (SFR) après impôts et transferts de Statistique Canada. Comme le montre la figure 2, le taux de faible revenu suit généralement le taux de chômage. Les taux ont tendance à augmenter pendant les récessions et à retomber quand la reprise s’installe. Cependant, entre 1994 et 1997, le taux de faible revenu au Canada a augmenté en dépit de l’amélioration des conditions économiques. Deux études, celles de Osberg, (2000), et celle de Picot et coll. (2003), en viennent à la conclusion que cette divergence est liée au fait que, en dépit de la reprise, les gains n’ont pas augmenté dans une forte proportion parmi les familles pauvres, tandis que les transferts sociaux (l’aide sociale et les prestations de l’assurance-emploi) chutaient. En 2001, cependant, comme l’indique la figure 2, le taux de faible revenu et celui de chômage sont revenus à leur relation historique.

Figure 2	 - Taux de faible revenua et taux de chômage (axe de gauche), Canada, 1980 ? 2002

Il est surprenant de constater qu’après des années de stabilité relative, les taux de faible emploi au sein des familles monoparentales ont nettement chuté vers la fin des années 1990. D’après les calculs effectués par Statistique Canada, ils ont baissé de dix points de pourcentage (de 42 à 32 %) entre 1997 et 20007. Bien qu’il soit encore mal compris, ce changement résulte en partie de la hausse des gains. Le revenu moyen du marché au sein des familles monoparentales dont le chef est une femme a augmenté de 46 % entre 1996 et 2001, une tendance qui semble résulter principalement d’une plus grande participation au marché du travail. Environ 82 % des familles de ce genre avaient des gains du travail en 2001, alors que le pourcentage correspondant en 1993 s’établissait à 67 %. Cette hausse peut refléter des changements dans les prestations fiscales pour enfants (la Prestation nationale pour enfants), qui ont réduit les facteurs de dissuasion de l’emploi et certains « réinvestissements » des transferts de l’aide sociale en programmes d’aide en espèces ou en nature pour les enfants. En réalité, les tendances des gains du travail au sein des familles monoparentales représentaient une exception importante aux tendances observées pour toutes les familles à faible revenu décrits plus haut.

L’écart du faible revenu donne des renseignements supplémentaires sur le bien-être des familles à faible revenu. Parfois désigné sous le nom d’intensité du faible revenu, il s’agit de la différence entre le seuil de faible revenu et le revenu moyen des familles à faible revenu exprimé sous forme de ratio du seuil.

L’évolution de l’écart de faible revenu est illustrée à la figure 3, où l’indice de 100 correspond à l’année 1980. En dépit d’une baisse des gains parmi les familles à faible revenu pendant les années 1980, l’écart de faible revenu a chuté en raison de la hausse des transferts (Picot et coll., 2003). Par opposition, entre 1993 et 1998, le revenu réel moyen des familles à faible revenu a connu une baisse, ce qui a entraîné une augmentation de l’écart de faible revenu8. Par conséquent, à l’encontre de la tendance observée dans le taux de faible revenu, l’écart de faible revenu n’est pas retourné aux niveaux observés à la fin des années 1980.

Figure 3 - 	Écart du faible revenua, 1980 ? 2001 indice : 1980 = 100

b. Tendances de faible revenu parmi les immigrants récents

Les tendances de faible revenu au sein de l’ensemble de la population masquent souvent un écart sous-jacent qui s’est creusé entre les Canadiens de souche et les immigrants. La baisse du revenu des groupes successifs d’immigrants arrivés au Canada dans les années 1980 et 1990 a fait l’objet de nombreuses études (Bloom et Gunderson, 1991; Reitz, 2001; Green et Worswick, 2002; Frenette et Morissette, 2003; Aydemir et Skuterud, 2004).

Figure 4 - 	Taux de faible revenu des immigrants par rapport aux non-immigrants, par période de 5 ans d?immigration, 1980-2000

Cet élargissement du fossé des gains entre les immigrants récents et les Canadiens de souche se reflète dans un écart croissant entre les taux de faible revenu. Pour la plupart des grands groupes de Canadiens de souche, les taux de faible revenu ont chuté pendant les années 1980 et 1990. Par opposition, les taux de faible revenu chez les immigrants (en tenant compte des effets du cycle conjoncturel) ont augmenté. Entre 1980 et 2000, deux années de crêtes dans le cycle conjoncturel, le taux de faible revenu parmi les immigrants récents est passé de 25 à 36 %, alors qu’il baissait chez les Canadiens de souche (passant de 17 à 14 %)9. Même au sein des groupes traditionnellement vulnérables parmi les Canadiens de souche, comme les personnes âgées, les chefs de famille monoparentale et les jeunes ménages, les taux de faible revenu ont soit baissé ou sont demeurés stables (Picot et Hou, 2003). Parmi les immigrants très récents (au Canada, depuis cinq ans ou moins), le taux de faible revenu était 1,5 fois supérieur à celui des Canadiens de souche en 1980, est passé à 2,7 fois supérieur en 1995 et a légèrement baissé en 2000 pour s’établir à 2,5 fois.

Dynamique du faible revenu

Depuis l’avènement des enquêtes longitudinales sur les ménages, les analystes sont en mesure d’établir non seulement les niveaux et les tendances du taux et de l’écart de faible revenu, mais aussi les profils des personnes qui entrent dans la catégorie du faible revenu ou en sortent, la durée des périodes de faible revenu et le mouvement des particuliers au sein de la distribution des revenus. L’analyse de la dynamique du revenu s’intéresse à la fluidité du mouvement parmi les différentes situations de revenu et les facteurs déterminants de ces mouvements.

a. Dynamique du faible revenu en contexte comparatif

Pour beaucoup, une situation de faible revenu est transitoire. Selon l’analyse de la dynamique du faible revenu au Canada, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis effectuée par Corak et coll., entre un tiers et la moitié de toutes les personnes entrant dans la catégorie du faible revenu en ressortent au bout d’un an (voir le tableau 5)10. À l’autre extrême, de 20 à 30 % de toutes les personnes qui entrent dans la catégorie du faible revenu s’y trouvent encore au bout de cinq ans. Bien que la comparaison de Corak et coll. ne porte que sur quatre pays, les résultats de leur étude indiquent une corrélation entre les différences nationales concernant le faible revenu persistant et des niveaux élevés d’inégalité et de faible revenu. Parmi les personnes entrant dans la catégorie du faible revenu aux États-Unis, 31 % y demeuraient après cinq ans, comparativement à 24 % au Canada et à 18 % en Allemagne et au Royaume-Uni. Étant donné que le nombre de personnes ayant un faible revenu de façon persistante dépend non seulement de la durée de cette condition, mais aussi du nombre de personnes qui entrent dans cette catégorie, le pourcentage de la population totale tombant dans cette catégorie sur une longue période représente sans doute un meilleur indicateur d’exclusion à long terme. Sur la période étudiée par Corak et coll., 5,4 % de la population a fait partie de la catégorie du faible revenu pendant les six années aux États-Unis, 4,4 % au Royaume-Uni, 2,9 % au Canada et seulement 1,9 % en Allemagne.

Tableau 5 - Statistiques portant sur la dynamique du faible revenu sur une période de six ans dans les années 1990

b. Les plus vulnérables : concentration de faible revenu persistant au Canada

Si la concentration de faible revenu persistant n’est élevée que dans un nombre restreint de groupes, il sera utile d’effectuer des travaux de recherche sur les résultats atteints par ces groupes. Le fait d’entrer dans la catégorie du faible revenu ou d’en sortir ne se résume pas à obtenir un emploi ou à le perdre. Souvent, les profils des familles (divorce, séparation, mariage, union de fait) y jouent un rôle important. Et les obstacles sous-jacents à l’amélioration des résultats sur le plan de l’emploi peuvent varier énormément d’un groupe à l’autre. Ces obstacles et les causes sous-jacentes à de piètres résultats sur le plan de l’emploi sont presque certainement différents pour des immigrants récents, par exemple, que pour des chefs de famille monoparentale ou des personnes souffrant d’incapacités de travail.

Sur la base de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR), Michael Hatfield et ses collègues de l’ancien Développement des ressources humaines Canada ont cherché à déterminer les groupes constituant un pourcentage disproportionné de faible revenu persistant (Hatfield, 2003). Ils en sont venus à la conclusion que, tout en ne représentant que 26 % de la population, 62 % de toutes les personnes dans la catégorie du faible revenu persistant pendant la période 1996-2000 se retrouvaient dans l’un des cinq groupes suivants (voir le tableau 6) : chefs de famille monoparentale, personnes seules de 45 à 64 ans, immigrants récents (au Canada depuis dix ans ou moins), personnes souffrant d’incapacités de travail et Autochtones vivant hors réserve11. Les personnes souffrant d’incapacités de travail représentaient le groupe le plus important (26 %) de personnes dans la catégorie du faible revenu persistant pendant la période, suivies des immigrants récents et des personnes seules âgées de 45 à 64 ans.

Tableau 6 - Pourcentage de la population à faible revenu se retrouvant dans cinq groupes

Il serait inexact de croire que toutes les personnes faisant partie de ces cinq groupes se retrouvent au bas de l’échelle de distribution du revenu pendant de longues périodes. Même au sein de ces groupes, une minorité est exposés au faible revenu à long terme ou même de façon temporaire (se reporter au tableau 7). Entre un quart et un tiers des membres de ces groupes se retrouvent dans la catégorie du faible revenu persistant pendant une période de cinq ans12. Bien que cela ne constitue pas une majorité, les personnes à faible revenu persis-tant dans ces populations sont environ huit fois plus nombreuses proportionnellement que la moyenne de 4,2 % que l’on retrouve dans le reste de la population.

Tableau 7 - Taux de faible revenu parmi les cinq groupes : toutes les personnes et les faibles revenus persistants

Un grand débat a cours sur la mesure dans laquelle la concentration de personnes à faible revenu persistant devrait se traduire par une stratégie de ciblage de politiques sur des groupes précis. Ce faisant, on exclurait forcément de nombreuses autres personnes pouvant se trouver dans exactement la même situation économique, mais qui ne seraient pas admissibles à l’aide offerte par les programmes. De plus, un vaste appui aux programmes de redistribution risque de poser problème si l’admissibilité à ceux-ci tient en partie à l’appartenance à un groupe plutôt qu’à une mesure du besoin. L’approche idéale réside peut-être dans le recours à l’information sur la concentration des groupes pour déterminer les causes sous-jacentes à un faible revenu persistant et dans l’élaboration de stratégies de politiques accessibles à l’ensemble de la population.

Résumé et conclusion

La conclusion standard des études sur le revenu au Canada pendant tout le milieu des années 1990 est que, en dépit de certains développements préoccupants, le Canada est essentiellement parvenu à éviter la forte hausse de l’inégalité du revenu manifeste tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni depuis le milieu des années 1970. Parmi les aspects préoccupants on note la baisse du revenu des jeunes adultes (de moins de 35 ans), surtout chez les hommes, et l’incidence que cela a eu sur les jeunes ménages, ainsi que la baisse des gains parmi les immigrants et les hommes peu scolarisés. L’évolution des gains, combinée aux changements reliés à la participation au marché du travail et à la structure familiale, ont entraîné une forte hausse de l’inégalité des revenus du marché (les gains) des familles. Cependant, pendant le milieu des années 1990, cette évolution a été en grande partie, sinon en totalité, compensée par la hausse des transferts de revenu.

Les dernières recherches démontrent que cette tendance à commencé à se modifier à la fin des années 1990. Les avantages liés à l’expansion économique des années 1990 sont principalement allés aux familles bénéficiant d’un revenu plus élevé alors que les gains des familles plus pauvres stagnaient et que les transferts sociaux chutaient. Il en est résulté une hausse modérée de l’inégalité du revenu des familles.

À n’importe quel moment dans le temps, le faible revenu persistant se concentre dans cinq groupes. Si l’on s’attarde toutefois aux augmentations des taux de faible revenu, c’est manifestement les immigrants récents qui en ont fait les frais. Alors que les taux de faible revenu ont chuté au sein de la plupart des groupes de Canadiens de souche, ils ont connu une augmentation rapide chez les immigrants récents. Ce recul du bien-être des familles est lié à la baisse des gains des immigrants récents au cours des années 1980 et 1990 en dépit de leur niveau de scolarisation très élevé.

Contrairement à ces très mauvaises nouvelles, on peut trouver quelques aspects positifs. La chute spectaculaire des niveaux de faible revenu chez les Canadiens âgés depuis les années 1970, résultat de l’arrivée à maturité des changements législatifs apportés pendant les années 1960, a fait l’objet de nombreuses études depuis un certain temps. On comprend moins bien la baisse récente et importante des taux de faible revenu parmi les familles monoparentales. Elle semble résulter de taux plus élevés de participation au travail chez les chefs de famille monoparentale, ce qui pourrait refléter des changements dans le système de prestations familiales afin de renverser les puissants éléments de dissuasion à travailler inhérents aux modes traditionnels d’aide sociale. Pourquoi ce changement s’est-il produit et comment la situation évoluera-t-elle? Voilà deux questions qui méritent beaucoup d’attention. D’autres bonnes nou-velles ont trait à la hausse des gains parmi les femmes (surtout les plus scolarisées), les travailleurs plus âgés et les familles à revenu (et degré de scolarisation) élevé.

Sur un plan comparatif, on a souvent eu recours à la métaphore du milieu de l’Atlantique – quelque part entre les États-Unis et l’Europe – pour décrire les degrés canadiens d’inégalité du revenu, de faible revenu et de dépenses sociales. Dans les années 1970, cette métaphore était plutôt trompeuse puisque les degrés de faible revenu et d’inégalité au Canada rapprochaient beaucoup ce dernier des côtes américaines. En fait, avant le milieu des années 1970, les taux de faible revenu chez les enfants et les personnes âgées étaient plus élevés au Canada qu’aux États-Unis. Depuis lors, la métaphore fonctionne mieux, non pas tellement parce que le Canada s’est rapproché de l’Europe, mais plutôt parce que les États-Unis, et à présent le Royaume-Uni, se sont éloignés de l’Europe.



Renvois

Aydemir, A. et M. Skuterud, 2004. Explication de la détérioration des gains au niveau d’entrée des cohortes d’immigrants au Canada, Document de recherche no 225, Études analytiques, Statistique Canada.

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Corak, M., W-H. Chen., A. Demanti et D. Butler, 2003. « Social Cohesion and the Dynamics of Income in Four Countries », Direction des études analytiques, série de documents de recherche, Études analytiques, Ottawa, Statistique canada.

Frenette, M. et R. Morissette, 2003. Convergeront-ils un jour ? Les gains de travailleurs immigrants et de ceux nés au Canada au cours des deux dernières décennies, Document de recherche no 215, Études analytiques, Ottawa, Statistique Canada.

Gottschalk, P. et T.M. Smeeding, 1997. « Cross-National Comparisons of Earnings and Income Inequality », Journal of Economic Literature, vol. XXXV (juin 1997), p. 633-687.

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Hatfield, M., 2003. « Persistent Low-Income: A Key Barrier to Social Inclusions », Direction de la recherche appliquée, Développement des ressources humaines Canada, document polycopié.

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Notes
  1. Pour être plus précis, les crêtes du cycle conjoncturel sont survenues en 1989 et 2000, mais on ne dispose pas de données de recensement pour l’année 1989.


  2. Ce qui comprend tous les gains, le revenu de placements, le revenu provenant des transferts gouvernementaux, le revenu de retraite, le revenu d’autres sources en tenant compte des déductions pour impôts sur le revenu versés.


  3. En 2000, selon l’EDTR, le ratio réel entre le haut et le bas de l’échelle était de 9,3. Toutefois, le passage des données de l’EFC à celles de l’EDTR en 1996 a entraîné une hausse artificielle de 0,6 de ce ratio. Par conséquent, pour rendre le ratio de 2000 comparable à celui de 1990, nous avons estimé que le ratio de 2000 aurait été de 8,7 (9,3 – 0,6) s’il n’y avait pas eu de changement dans les sources de données.


  4. C’est-à-dire, la différence de revenu entre le seuil de faible revenu et le revenu moyen parmi les familles à faible revenu.


  5. Ces comparaisons ne servent toutefois qu’à mesurer les effets directs des transferts de revenu et ne tiennent pas compte de réactions comportementales, c.-à-d. indirectes, possibles. Par exemple, les réductions dans les prestations de transfert peuvent représenter un stimulant pour les personnes qui cherchent un emploi, ce qui relève le niveau des gains.


  6. Corak et coll. (2003) se servent de données longitudinales pour étudier la dynamique du revenu, et l’étude de Smeeding (2003) repose sur des données transversales tirées de la Luxembourg Income Study, un organisme cherchant à obtenir des données comparables sur le revenu de plusieurs pays industrialisés occidentaux.


  7. Pour demeurer cohérents avec le concept de faible revenu utilisé dans nos tableaux comparatifs, les chiffres donnés reposent sur le seuil de faible revenu de la mesure de faible revenu, c.-à-d., personnes vivant dans des familles dont le revenu rajusté est inférieur à 50 % du revenu moyen. Les résultats qui reposent sur les mesures basées sur le SFR, plus courantes, donnent toutefois une image identique.


  8. Dans notre analyse, nous prenons comme seuil de faible revenu le SFR après impôts/transferts de Statistique Canada tout en le maintenant constant (à l’exception des rajustements tenant compte de l’inflation) pendant toute la période. Par conséquent, une augmentation de l’écart signifie que les revenus familiaux réels moyens ont baissé au sein des familles à faible revenu.


  9. Le taux de faible revenu parmi les immigrants récents est passé de 47 à 35,8 % entre 1995 et 2000, mais cela est essentiellement attribuable à la forte amélioration des conditions économiques, qui a entraîné la baisse du taux de faible revenu de tous les groupes. Si l’on ne tient pas compte des effets du cycle conjoncturel (les taux augmentent durant les récessions et baissent lorsque la reprise se fait sentir), le taux de faible revenu parmi les immigrants récents a augmenté.


  10. Comme dans d’autres comparaisons transnationales, le seuil de faible revenu correspond à la moitié du revenu moyen.


  11. Nous ne disposons pas de données sur les Autochtones vivant dans les réserves.


  12. À l’exclusion des autochtones auto-déclarés vivant hors des réserves, où la proportion a tendance à être plus faible. Si l’on tenait compte de la population vivant dans les réserves, cette proportion serait certainement plus élevée.

Garnett Picot est directeur général de la section de l’analyse socio-économique et commerciale à Statistique Canada.

John Myles est professeur au Département de sociologie de l’Université de Toronto et chercheur universitaire à Statistique Canada.

 

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Aperçu de la recherche sur les politiques publiques


 

Mis à jour:04/01/2005

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