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Pauvreté et exclusion
Inégalité du revenu et population à
faible revenu au Canada
Garnett Picot
Statistique Canada
John Myles
Université de Toronto et Statistique Canada
La tendance du niveau de faible revenu et celle de
l’inégalité du revenu au Canada sont deux des indicateurs
de bien-être économique les plus surveillés. Dans
cet article, nous passons en revue les données les plus récentes
concernant ces tendances au Canada.
L’inégalité du revenu des familles
dans une perspective comparative
À des fins de comparaison transnationale, notre choix de pays repose
sur un corpus de recherche comparative désormais bien établi.
Reflets de différences institutionnelles et politiques de longue
date, ces regroupements comprennent les pays scandinaves/ nordiques, qui
sont représentés ici
par la Finlande et la Suède, les pays
de l’Europe continentale (la Belgique, l’Allemagne et les
Pays-Bas) et les pays principalement anglophones
(le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis).
Le tableau 1 résume les résultats récents (1997-2000)
des écarts transnationaux sur le plan de l’inégalité
du revenu dans ces huit pays. Mesurée à l’aide de
l’indice d’inégalité de Gini (qui croît
avec le degré d’inégalité), l’inégalité
du revenu des familles présente une similitude remarquable
à la fin du siècle entre les pays d’Europe centrale
et les pays nordiques.
Le Canada (indice de Gini de 0,29) témoigne d’une plus grande
égalité qu’aux États-Unis (indice de 0,37)
et qu’au Royaume-Uni (indice
de 0,35) mais d’une égalité moindre que dans les pays
d’Europe centrale
et du Nord de l’Europe, ce qui vient répéter un modèle
familier dans
de nombreuses comparaisons transnationales antérieures.
La comparaison des ratios en percentile permet de
saisir ces écarts de manière plus intuitive. Aux États-Unis,
les revenus des familles vers le sommet de la distribution (le 90e percentile)
sont plus de cinq fois supérieurs aux revenus des familles se situant
près du bas de la distribution (le 10e percentile).
Au Canada, ce ratio est d’environ quatre à un, tandis qu’il
est de trois à un en Suède et en Finlande. En ce qui a trait
aux familles se trouvant vers le milieu de la distribution (au 50e percentile), les personnes à faible revenu des pays nordiques ont
des revenus équivalant à 57 % du revenu médian, comparativement
à 47 % au Canada et au Royaume-Uni, et à 39 % aux États-Unis.
Dans le tableau 2, nous présentons l’évolution de
l’inégalité dans ces pays depuis la fin des années
1970. Sans doute l’aspect le plus remarquable de ces résultats
est-il la stabilité dans la place occupée par ces pays en
dépit des changements. Les pays qui présentaient les degrés
les plus élevés d’inégalité entre les
revenus familiaux (dont le Canada) au début de la période
les présentaient également à la fin
de la période. Les pays nordiques (la Finlande et la Suède)
ont conservé leurs degrés d’inégalité
manifestement moins élevés jusqu’au milieu des années
1990, époque à laquelle ils ont commencé à
se rapprocher des degrés d’inégalité propres
à l’Europe centrale. La position du Canada par rapport aux
États-Unis et au Royaume-Uni, cependant, a nettement changé
depuis les années 1970. Au début de la période, l’écart
entre le Canada et les États-Unis était relativement modeste,
et le degré d’inégalité au Canada était
plus élevé qu’au Royaume Uni. À la fin de la
période, cependant, le degré d’inégalité
au Canada était nettement inférieur aux degrés observés
aux É.-U. et au R.-U., en raison de la stabilité relative de la distribution au
Canada en comparaison avec une hausse séculaire à long terme
de l’inégalité tant aux États-Unis qu’au
Royaume-Uni. La stabilité relative de la distribution du revenu au Canada pendant
toutes les années 1980 et le début des années 1990
a fait l’objet de plusieurs études (Beach et Slotsve, 1996;
Wolfson, 1998; Gottschalk et Smeeding, 1997) et reflète le fait
que, tout au long des années 1980 et au début des années
1990, les hausses d’inégalité sur le
plan du revenu du marché ont été compensées
par la hausse des transferts sociaux. Comme nous le démontrons
dans la section suivante, cependant, de nouvelles données
tirées d’études plus récentes indiquent que
l’inégalité du revenu au Canada s’est écartée
de cette tendance stable depuis longtemps et a augmenté
pendant la fin des années 1990.
L’inégalité du revenu des familles
est-elle en hausse au Canada?
Les chiffres présentés au tableau 2
montrent que l’inégalité du revenu, mesurée
à l’aide du coefficient de Gini (qui croît avec le
degré d’inégalité), a peu changé entre
la fin des années 1970 et la fin des années 1990. Ces résultats
sont fondés sur une enquête à laquelle on a mis un
terme en 1997 pour en entreprendre une nouvelle. Cependant, pour évaluer
les tendances récentes, il faut véritablement analyser des
points comparables du cycle conjoncturel et se servir de données
plus récentes. Pour cela, nous nous fions à deux sources :
le recensement et une série qui représente une combinaison
de l’Enquête sur les finances des consommateurs (EFC), à
laquelle on a mis un terme, et celle qui l’a remplacée, soit
l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR).
Nous concentrons notre attention sur les années 1990 et 2000, soit,
en gros, les deux dernières crêtes du cycle conjoncturel1.
D’après les données des deux
enquêtes (EFC et EDTR), le coefficient de Gini a accusé une
hausse de 6 % entre 1990 et 2000, selon le revenu après impôts
et transferts (c.-à-d., le revenu disponible2),
qui constitue la mesure du revenu la mieux indiquée. Pour le recensement,
on ne collecte cepen-dant pas de données sur les impôts payés,
de sorte qu’il faut nous en remettre à une définition
légèrement différente du revenu familial, soit le
revenu avant impôts et après les transferts gouvernementaux.
Sur cette base, les données des enquêtes semblent indiquer
une hausse de 6 % de l’indice de Gini entre 1990 et 2000, alors
que les données du recensement témoignent d’une hausse
de 5 %. Ces deux sources indiquent donc une hausse modérée
de l’inégalité du revenu par rapport aux années
1990.
En utilisant les ratios entre le haut et le bas de
l’échelle, on obtient peut-être une interprétation
plus intuitive de cette hausse. Sur la base des données des enquêtes
(EFC et EDTR), le revenu après impôts et transferts des familles
dans le décile supérieur (les 10 % des familles ayant
les revenus les plus élevés) était 7,5 fois plus
élevé que celui des familles dans le décile inférieur
en 1990. En 2000, on estimait que ce ratio était passé à
8,73, soit une hausse de 15 %. Les
données du recensement laissent entrevoir une hausse similaire
de 14 % de ce ratio (sur la base du revenu avant impôts et après
transferts).
Le graphique 1 indique que la hausse de l’inégalité
résultait essentiellement d’une hausse plus rapide du revenu
dans la tranche supérieure de la distribution du revenu. Selon
les données du recensement, il y a eu peu de changements dans les
revenus des familles dont les revenus sont les plus faibles entre 1990
et 2000, alors que les familles aux revenus les plus élevés
ont connu des hausses comprises entre 7 et 16 %.
Faible revenu
Les mesures de l’inégalité du
revenu indiquent des changements dans la distribution relative des revenus
dans l’ensemble de la population. Par contraste, dans les statistiques
sur le faible revenu, les changements observés dans la partie inférieure
de la distribution du revenu sont beaucoup plus précis. Le taux
de faible revenu mesure la proportion de personnes se trouvant sous un
seuil de faible revenu tandis que l’écart de faible revenu
est une mesure de l’intensité de faible revenu parmi les
personnes tombant sous le seuil4. Les
analystes préoccupés par le problème de l’exclusion
économique se concentrent généralement sur ces deux
mesures, et nous les imiterons lorsque nous examinerons les tendances
propres au Canada. En raison des problèmes que posent les mesures,
cependant, les comparaisons transnationales dans la section ci-dessous
ne portent que sur les différences dans les taux de faible revenu.
Le faible revenu dans une perspective comparative
a. Degrés et tendances
À des fins de comparaison transnationale, nous suivons des méthodes
traditionnelles et mesurons le faible revenu en tenant compte de toutes
les personnes des familles dont le revenu est inférieur à
50 % de la médiane nationale (voir le tableau 3). Nos
résultats sont basés sur ceux de Smeeding (2003).
Le taux de faible revenu pour toutes les personnes,
en utilisant le seuil de 50 %, varie de 5,4 % en Finlande à
17 % aux États-Unis. C’est dans les pays anglophones, qui
présentent aussi les degrés d’inégalité
globale les plus élevés, que l’on trouve les taux
les plus élevés. Si les taux globaux au Canada et au Royaume-Uni
demeurent bien inférieurs à ceux des États-Unis,
la position relative du Canada varie énormément parmi les
sous-groupes. Le taux de faible revenu chez les aînés canadiens,
qui se situe à 5 %, est désormais parmi les plus faibles
de toutes les démocraties riches. Par opposition, jusqu’à
la fin des années 1990, les taux de faible revenu parmi les familles
monoparentales canadiennes (39 %) et les foyers sans enfants (12 %) étaient
proches des niveaux aux É.-U. ou supérieurs à ceux-ci.
Comme nous le soulignons plus bas, cependant, ces degrés historiquement
élevés de faible revenu parmi les familles monoparentales
canadiennes ont accusé une forte baisse après 1997.
b. Le rôle des transferts et des impôts
La mesure dans laquelle les transferts de revenu (et les impôts
sur le revenu) redistribuent le revenu au bénéfice des moins
favorisés varie énormément entre les économies
avancées. Il est intéressant de noter qu’il y a des
écarts entre les pays dans la prestation de services comme l’éducation
ou les soins de santé par les secteurs public ou privé,
de sorte que des évaluations comme celles qui sont présentées
ci-dessous, c.-à-d., fondées sur les prestations en espèces
uniquement, ne rendent pas compte de toute l’ampleur de la redistribution
gouvernementale.
L’approche standard pour mesurer l’effet
des transferts et impôts, que nous utilisons ici, consiste à
comparer le taux de faible revenu avant impôts/ transferts (le revenu
du marché) avec le taux de faible revenu après transferts
et impôts (le revenu disponible)5.
Le tableau 4 résume l’incidence
des impôts et des transferts (y compris ceux des retraités)
sur les niveaux de faible revenu en s’appuyant les travaux de Smeeding
(2003) et Corak et coll. (2003). En dépit de différence
dans les sources de données, les résultats sont remarquablement
conformes6. Parmi les huit pays, c’est
le régime d’imposition/transfert au comptant des États-Unis
qui a entraîné la moins grande réduction du faible
revenu. Les réductions étaient légèrement
plus fortes au Canada et au Royaume-Uni qu’aux États-Unis,
mais moins fortes en général que dans les pays européens.
Taux de faible revenu au Canada
a. Changements dans les niveaux de faible revenu au Canada au cours des
années 1990
Dans la présente section, le taux de faible revenu correspond à
la proportion de personnes se trouvant sous
le seuil de faible revenu (SFR) après impôts et transferts
de Statistique Canada. Comme le montre la figure 2, le taux de faible
revenu suit généralement le taux de chômage. Les taux
ont tendance à augmenter pendant
les récessions et à retomber quand
la reprise s’installe. Cependant, entre 1994 et 1997, le taux de
faible revenu au Canada a augmenté en dépit de l’amélioration
des conditions économiques. Deux études, celles de Osberg,
(2000), et celle de Picot et coll. (2003), en viennent à la conclusion
que cette divergence est liée au fait que, en
dépit de la reprise, les gains n’ont pas augmenté
dans une forte proportion parmi les familles pauvres, tandis que les transferts
sociaux (l’aide sociale et les prestations de l’assurance-emploi)
chutaient. En 2001, cependant, comme l’indique la figure 2, le taux
de faible revenu et celui de chômage sont revenus à leur
relation historique.
Il est surprenant de constater qu’après
des années de stabilité relative, les taux de faible emploi
au sein des familles monoparentales ont nettement chuté vers la
fin des années 1990. D’après les calculs effectués
par Statistique Canada, ils ont baissé de dix points de pourcentage
(de 42 à 32 %) entre 1997 et 20007.
Bien qu’il soit encore mal compris, ce changement résulte
en partie de la hausse des gains. Le revenu moyen du marché au
sein des familles monoparentales dont le chef est une femme a augmenté
de 46 % entre 1996 et 2001, une tendance qui semble résulter
principalement d’une plus grande participation au marché
du travail. Environ 82 % des familles de ce genre avaient des gains
du travail en 2001, alors que le pourcentage correspondant en 1993 s’établissait
à 67 %. Cette hausse peut refléter des changements
dans les prestations fiscales pour enfants (la Prestation nationale pour
enfants), qui ont réduit les facteurs de dissuasion de l’emploi
et certains « réinvestissements » des transferts
de l’aide sociale en programmes d’aide en espèces ou
en nature pour les enfants. En réalité, les tendances des
gains du travail au sein des familles monoparentales représentaient
une exception importante aux tendances observées pour toutes les
familles à faible revenu décrits plus haut.
L’écart du faible revenu donne des
renseignements supplémentaires
sur le bien-être des familles à faible revenu. Parfois désigné
sous le nom d’intensité du faible revenu, il s’agit
de la différence entre le seuil de faible revenu et le revenu moyen
des familles à faible revenu exprimé sous forme
de ratio du seuil.
L’évolution de l’écart
de faible revenu est illustrée à la figure 3, où
l’indice de 100 correspond à l’année 1980. En
dépit d’une baisse des gains parmi les familles à
faible revenu pendant les années 1980, l’écart de
faible revenu a chuté en raison de la hausse des transferts (Picot
et coll., 2003). Par opposition, entre 1993 et 1998, le revenu réel
moyen des familles à faible revenu a connu une baisse, ce qui a
entraîné une augmentation de l’écart de faible
revenu8. Par conséquent, à
l’encontre de la tendance observée dans le taux de faible
revenu, l’écart de faible revenu n’est pas retourné
aux niveaux observés à la fin des années 1980.
b. Tendances de faible revenu parmi les immigrants
récents
Les tendances de faible revenu au
sein de l’ensemble de la population masquent souvent un écart
sous-jacent qui s’est creusé entre les Canadiens
de souche et les immigrants. La baisse du revenu des groupes successifs
d’immigrants arrivés au Canada dans les années 1980
et 1990 a fait l’objet de nombreuses études (Bloom et Gunderson,
1991; Reitz, 2001; Green et Worswick, 2002; Frenette et Morissette, 2003;
Aydemir et Skuterud, 2004).
Cet élargissement du fossé des gains
entre les immigrants récents et les Canadiens de souche se reflète
dans un écart croissant entre les taux de faible revenu. Pour la
plupart des grands groupes de Canadiens de souche, les taux de faible
revenu ont chuté pendant les années 1980 et 1990. Par opposition,
les taux de faible revenu chez les immigrants (en tenant compte des effets
du cycle conjoncturel) ont augmenté. Entre 1980 et 2000, deux années
de crêtes dans le cycle conjoncturel, le taux de faible revenu parmi
les immigrants récents est passé de 25 à 36 %,
alors qu’il baissait chez les Canadiens de souche (passant de 17
à 14 %)9. Même au sein
des groupes traditionnellement vulnérables parmi les Canadiens
de souche, comme les personnes âgées, les chefs de famille
monoparentale et les jeunes ménages, les taux de faible revenu
ont soit baissé ou sont demeurés stables (Picot et Hou,
2003). Parmi les immigrants très récents (au Canada, depuis
cinq ans ou moins), le taux de faible revenu était 1,5 fois supérieur
à celui des Canadiens de souche en 1980, est passé à
2,7 fois supérieur en 1995 et a légèrement baissé
en 2000 pour s’établir à 2,5 fois.
Dynamique du faible revenu
Depuis l’avènement des enquêtes
longitudinales sur les ménages, les analystes sont en mesure d’établir
non seulement les niveaux et les tendances du taux et de l’écart
de faible revenu, mais aussi les profils des personnes qui entrent dans
la catégorie du faible revenu ou en sortent, la durée des
périodes de faible revenu et le mouvement des particuliers au sein de la distribution des revenus.
L’analyse de la dynamique du revenu s’intéresse à
la fluidité du mouvement parmi les différentes situations
de revenu et les facteurs déterminants de ces mouvements.
a. Dynamique du faible revenu en contexte comparatif
Pour beaucoup, une situation de faible revenu est
transitoire. Selon l’analyse de la dynamique du faible revenu au
Canada, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis effectuée
par Corak et coll., entre un tiers et la moitié de toutes les personnes
entrant dans la catégorie du faible revenu en ressortent au bout
d’un an (voir le tableau 5)10.
À l’autre extrême, de 20 à 30 % de toutes les
personnes qui entrent dans la catégorie du faible revenu s’y
trouvent encore au bout de cinq ans. Bien que la comparaison de Corak
et coll. ne porte que sur quatre pays, les résultats de leur étude
indiquent une corrélation entre les différences nationales
concernant le faible revenu persistant et des niveaux élevés
d’inégalité et de faible revenu. Parmi les personnes
entrant dans la catégorie du faible revenu aux États-Unis,
31 % y demeuraient après cinq ans, comparativement à 24 % au Canada et à 18 % en Allemagne et au Royaume-Uni. Étant
donné que le nombre de personnes ayant un faible revenu de façon
persistante dépend non seulement de la durée de cette condition,
mais aussi du nombre de personnes qui entrent dans cette catégorie,
le pourcentage de la population totale tombant dans cette catégorie
sur une longue période représente sans doute un meilleur
indicateur d’exclusion à long terme. Sur la période
étudiée par Corak et coll., 5,4 % de la population a fait
partie de la catégorie du faible revenu pendant les six années
aux États-Unis, 4,4 % au Royaume-Uni, 2,9 % au Canada et seulement
1,9 % en Allemagne.
b. Les plus vulnérables : concentration de
faible revenu persistant au Canada
Si la concentration de faible revenu persistant n’est
élevée que dans un nombre restreint de groupes, il sera
utile d’effectuer des travaux de recherche sur les résultats
atteints par ces groupes. Le fait d’entrer dans la catégorie
du faible revenu ou d’en
sortir ne se résume pas à obtenir un emploi ou à
le perdre. Souvent, les profils des familles (divorce, séparation,
mariage, union de fait) y jouent un rôle important. Et les obstacles
sous-jacents à l’amélioration des
résultats sur le plan de l’emploi peuvent varier énormément
d’un groupe
à l’autre. Ces obstacles et les causes sous-jacentes à
de piètres résultats sur le plan de l’emploi sont
presque certainement différents pour des immigrants récents,
par exemple, que pour des chefs de famille monoparentale ou des personnes
souffrant d’incapacités de travail.
Sur la base de l’Enquête sur la dynamique
du travail et du revenu (EDTR), Michael Hatfield et ses collègues
de l’ancien Développement des ressources humaines Canada
ont cherché à déterminer les groupes constituant
un pourcentage disproportionné de faible revenu persistant (Hatfield,
2003). Ils en sont venus à la conclusion que, tout en ne représentant
que 26 % de la population, 62 % de toutes les personnes dans
la catégorie du faible revenu persistant pendant la période
1996-2000 se retrouvaient dans l’un des cinq groupes suivants (voir
le tableau 6) : chefs de famille monoparentale, personnes seules
de 45 à 64 ans, immigrants récents (au Canada depuis
dix ans ou moins), personnes souffrant d’incapacités de travail
et Autochtones vivant hors réserve11.
Les personnes souffrant d’incapacités de travail représentaient
le groupe le plus important (26 %) de personnes dans la catégorie
du faible revenu persistant pendant la période, suivies des immigrants
récents et des personnes seules âgées de 45 à
64 ans.
Il serait inexact de croire que toutes les personnes
faisant partie de ces cinq groupes se retrouvent au bas de l’échelle
de distribution du revenu pendant de longues périodes. Même
au sein de ces groupes, une minorité est exposés au faible
revenu à long terme ou même de façon temporaire (se
reporter au tableau 7). Entre un quart et un tiers des membres de ces
groupes se retrouvent dans la catégorie du faible revenu persistant
pendant une période de cinq ans12.
Bien que cela ne constitue pas une majorité, les personnes à
faible revenu persis-tant dans ces populations sont environ huit fois
plus nombreuses proportionnellement que la moyenne de 4,2 % que l’on
retrouve dans le reste de la population.
Un grand débat a cours sur la mesure dans
laquelle la concentration de
personnes à faible revenu persistant devrait se traduire par une
stratégie de ciblage de politiques sur des groupes précis.
Ce faisant, on exclurait forcément de nombreuses autres personnes
pouvant se trouver dans exactement
la même situation économique, mais qui ne seraient pas admissibles
à l’aide offerte par les programmes. De plus, un vaste appui
aux programmes de redistribution risque de poser problème si l’admissibilité
à ceux-ci tient en partie à l’appartenance à
un groupe plutôt qu’à une mesure du besoin. L’approche
idéale réside peut-être dans le recours
à l’information sur la concentration des groupes pour déterminer
les causes sous-jacentes à un faible revenu persistant et dans
l’élaboration de stratégies de politiques accessibles
à l’ensemble de la population.
Résumé et conclusion
La conclusion standard des études
sur le revenu au Canada pendant tout le milieu des années 1990
est que, en dépit de certains développements préoccupants,
le Canada est essentiellement parvenu à éviter la forte
hausse de l’inégalité du revenu manifeste tant aux
États-Unis qu’au Royaume-Uni depuis le milieu des années
1970. Parmi les aspects préoccupants on note la baisse du revenu
des jeunes adultes (de moins de 35 ans), surtout chez les hommes, et l’incidence
que cela a eu sur les jeunes ménages, ainsi que la baisse des gains
parmi les immigrants et les hommes peu scolarisés. L’évolution
des gains, combinée aux changements reliés à la participation
au marché du travail et à la structure familiale, ont entraîné
une forte hausse de l’inégalité des revenus du marché
(les gains) des familles. Cependant, pendant le milieu des années
1990, cette évolution a été en grande partie, sinon
en totalité, compensée par la hausse des transferts de revenu.
Les dernières recherches démontrent que cette tendance à
commencé à
se modifier à la fin des années 1990.
Les avantages liés à l’expansion économique
des années 1990 sont principalement allés aux familles
bénéficiant d’un revenu plus élevé alors
que les gains des familles plus pauvres stagnaient et que les transferts
sociaux chutaient. Il en est résulté
une hausse modérée de l’inégalité
du revenu des familles.
À n’importe quel moment dans le temps, le faible revenu persistant
se concentre dans cinq groupes. Si l’on s’attarde toutefois
aux augmentations des taux de faible revenu, c’est manifestement
les immigrants récents qui en ont fait les frais. Alors que les
taux de faible revenu ont chuté au sein de la plupart des groupes
de Canadiens de souche, ils ont connu une augmentation rapide chez les immigrants récents.
Ce recul du bien-être des familles est lié à la baisse
des gains des immigrants récents au cours des années 1980 et 1990
en dépit de leur niveau de scolarisation très élevé.
Contrairement à ces très mauvaises nouvelles, on peut trouver
quelques aspects positifs. La chute spectaculaire des niveaux de faible
revenu chez les Canadiens âgés depuis les années 1970,
résultat de l’arrivée à maturité des
changements législatifs apportés pendant les années
1960, a fait l’objet de nombreuses études depuis un
certain temps. On comprend moins
bien la baisse récente et importante des taux de faible revenu
parmi les familles monoparentales. Elle semble résulter de taux
plus élevés de participation au travail chez les chefs de
famille monoparentale, ce qui pourrait refléter des changements
dans le système de prestations familiales afin
de renverser les puissants éléments
de dissuasion à travailler inhérents
aux modes traditionnels d’aide sociale. Pourquoi ce changement s’est-il
produit et comment la situation évoluera-t-elle? Voilà deux
questions qui méritent beaucoup
d’attention. D’autres bonnes nou-velles ont trait à
la hausse des gains parmi les femmes (surtout les plus
scolarisées), les travailleurs plus âgés
et les familles à revenu (et degré de scolarisation) élevé.
Sur un plan comparatif, on a souvent eu recours à la métaphore
du milieu de l’Atlantique – quelque part entre
les États-Unis et l’Europe – pour décrire
les degrés canadiens d’inégalité du revenu,
de faible revenu et de dépenses sociales. Dans les années
1970, cette métaphore était plutôt trompeuse puisque
les degrés de faible revenu et d’inégalité
au Canada rapprochaient beaucoup ce dernier des côtes américaines.
En fait, avant le milieu des années 1970, les taux de faible revenu
chez les enfants et les personnes âgées étaient plus
élevés au Canada qu’aux États-Unis. Depuis
lors, la métaphore fonctionne mieux, non pas tellement parce que
le Canada s’est rapproché
de l’Europe, mais plutôt parce que les États-Unis,
et à présent le Royaume-Uni, se sont éloignés
de l’Europe.
Renvois
Aydemir, A. et M. Skuterud, 2004.
Explication de la détérioration des gains au niveau d’entrée
des cohortes d’immigrants au Canada, Document de recherche
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Notes
- Pour être plus précis, les crêtes du cycle conjoncturel
sont survenues en 1989 et 2000, mais on ne dispose pas de données
de recensement pour l’année 1989.
- Ce qui comprend tous les gains, le revenu de placements, le revenu
provenant des transferts gouvernementaux, le revenu de retraite, le
revenu d’autres sources en tenant compte des déductions
pour impôts sur le revenu versés.
- En 2000, selon l’EDTR, le ratio réel entre le haut et
le bas de l’échelle était de 9,3. Toutefois, le
passage des données de l’EFC à celles de l’EDTR
en 1996 a entraîné une hausse artificielle de 0,6 de ce
ratio. Par conséquent, pour rendre le ratio de 2000 comparable
à celui de 1990, nous avons estimé que le ratio de 2000
aurait été de 8,7 (9,3 – 0,6) s’il n’y
avait pas eu de changement dans les sources de données.
- C’est-à-dire, la différence de revenu entre le
seuil de faible revenu et le revenu moyen parmi les familles à
faible revenu.
- Ces comparaisons ne servent toutefois qu’à mesurer les
effets directs des transferts de
revenu et ne tiennent pas compte de réactions comportementales,
c.-à-d. indirectes, possibles. Par exemple, les réductions
dans les prestations de transfert peuvent représenter un stimulant
pour les personnes qui cherchent un emploi, ce qui relève le
niveau des gains.
- Corak et coll. (2003) se servent de
données longitudinales pour étudier la dynamique du revenu,
et l’étude de Smeeding (2003) repose sur des données
transversales tirées de la Luxembourg Income Study, un organisme
cherchant à obtenir des données comparables sur le revenu
de plusieurs pays industrialisés occidentaux.
- Pour demeurer cohérents avec le concept de faible revenu utilisé
dans nos tableaux comparatifs, les chiffres donnés reposent sur
le seuil de faible revenu de la mesure de faible revenu, c.-à-d.,
personnes vivant dans des familles dont le revenu rajusté est
inférieur à 50 % du revenu moyen. Les résultats
qui reposent sur les mesures basées sur le SFR, plus courantes,
donnent toutefois une image identique.
- Dans notre analyse, nous prenons comme seuil de faible revenu le SFR
après impôts/transferts de Statistique Canada tout en le
maintenant constant (à l’exception des rajustements tenant
compte de l’inflation) pendant toute la période. Par conséquent,
une augmentation de
l’écart signifie que les revenus familiaux réels
moyens ont baissé au sein des familles à faible revenu.
- Le taux de faible revenu parmi les
immigrants récents est passé de 47 à
35,8 % entre 1995 et 2000, mais cela est essentiellement attribuable
à la forte amélioration des conditions économiques,
qui a entraîné la baisse du taux de faible revenu de tous
les groupes. Si l’on ne tient pas compte des effets du cycle conjoncturel
(les taux augmentent durant les récessions et baissent lorsque
la reprise se fait sentir), le taux de faible revenu parmi les immigrants
récents a augmenté.
- Comme dans d’autres comparaisons transnationales, le seuil de
faible revenu correspond à la moitié du revenu moyen.
- Nous ne disposons pas de données sur les Autochtones vivant
dans les réserves.
- À l’exclusion des autochtones auto-déclarés
vivant hors des réserves, où la proportion a tendance
à être plus faible. Si l’on tenait compte de la population
vivant dans les réserves, cette proportion serait certainement
plus élevée.
Garnett Picot est directeur général
de la section de l’analyse socio-économique et commerciale
à Statistique Canada.
John Myles est professeur au Département de sociologie de
l’Université de Toronto et chercheur universitaire à
Statistique Canada.
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