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Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Prononcée à Wellington, Nouvelle-Zélande, dans le cadre de la « Lord Cooke Lecture » de 2005
Le 1er décembre 2005

Il y a quelques années, un nouveau sujet est apparu sur la liste des questions brûlantes discutées dans les milieux universitaires juridiques : les principes constitutionnels non écrits. Son apparition a été accueillie avec intérêt et optimisme chez les uns, perplexité et scepticisme chez les autres. De quels principes s’agit-il? L’expression « principes constitutionnels non écrits » n’est-elle pas un oxymoron, les constitutions étant généralement considérées comme des documents écrits? Et lors même qu’on surmonterait ces difficultés, comment et par qui ces soi-disant principes constitutionnels non écrits devraient-ils être mis au jour? Par les juges, me direz-vous? Mais qu’est-ce qui donnerait aux juges le droit d’invoquer des principes constitutionnels susceptibles d’invalider des lois et des actes de l’exécutif, alors que le législateur n’a pas jugé bon de les énoncer par écrit dans la constitution du pays?

Et pourtant, malgré ces murmures peu favorables, le sujet a suscité la réflexion de juges, de parlementaires et d’universitaires dans des pays aussi divers qu’Israël, l’Australie et les États-Unis. On en a débattu aussi bien dans des États possédant une constitution écrite que dans d’autres où il n’y en a pas. En fait, pour bon nombre de politologues et de juristes, la participation à la « révolution des droits » ne concerne pas tant la formulation précise des textes constitutionnels — ou même des déclarations de droits — qu’une réflexion sur une certaine culture juridique et politique sous-jacente1. Quelle qu’en soit la raison, il ne fait aucun doute que la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale peut à juste titre être qualifiée d’« âge des droits2 ». De toute évidence, il se passe quelque chose — quelque chose qui ne saurait être rejeté d’un simple revers de la main par l’ordre judiciaire. Ce soir, je me propose d’examiner la question. D’où le titre de mon exposé : « Les principes constitutionnels non écrits : Qu’est-ce qui se passe dans ce domaine? »

Je tenterai de montrer qu’il se passe effectivement plein de choses, et des choses importantes. Ce qui se passe, c’est l’idée qu’il existe des normes de justice d’un caractère si fondamental qu’elles font partie de la structure juridique de gouvernance et doivent être soutenues par les tribunaux — qu’elles soient ou non exprimées dans des textes constitutionnels. Cette idée est importante, car elle touche au coeur même de la juste gouvernance et à la façon dont nous définissons les rôles respectifs du législatif, de l’exécutif et du judiciaire.

Lord Cooke, en l’honneur de qui cette conférence est nommée, a joué un rôle central dans le débat sur ces principes en Nouvelle-Zélande et, plus généralement, dans les pays de common law. Dans la décision Taylor c. New Zealand Poultry Board, il a dégagé une limite inhérente à la capacité du Parlement d’adopter des textes législatifs exécutoires : [traduction] « Je ne pense pas », a-t-il écrit, « que le recours à la contrainte au sens littéral du terme, au moyen de la torture par exemple, fait partie des pouvoirs légitimes du Parlement. Certains droits prévus par la common law ont visiblement des assises si profondes que même le Parlement ne saurait les écarter3. »

Il a développé cette idée dans un article rédigé en 1988 pour le New Zealand Law Journal, dans lequel il concluait :

[traduction] Dans des limites très larges, le Parlement a le rôle constitutionnel d’établir les politiques, et les tribunaux ont assurément l’obligation correspondante de soutenir et de respecter le rôle du Parlement. Cependant, [. . .] il n’est plus possible de parler de « quelque droit vague et indéterminé fondé sur la justice naturelle » ou de recourir à des concepts lénifiants du même acabit. Il faut peut-être accepter que l’élaboration de droits et obligations de nature véritablement fondamentale incombe en dernière analyse inéluctablement aux tribunaux4.

Cette conception du rôle des juges à l’égard des droits fondamentaux ne dépendait pas d’une déclaration des droits écrite, même si l’on ne s’étonnera pas que lord Cooke fût aussi en faveur d’inscrire la protection des droits dans un texte constitutionnel, selon le modèle de la Charte canadienne des droits et libertés5.

Avec prescience, lord Cooke mettait ainsi le doigt sur une question qui se poserait avec de plus en plus d’insistance dans les pays de common law au cours des années ultérieures : Les juges ont-ils le droit d’invoquer des normes fondamentales pour passer outre à des lois écrites? Et, dans le style direct qui le caractérisait, il y a répondu en termes non équivoques. Il a fait valoir que l’indépendance de l’ordre judiciaire est la garantie de la démocratie parlementaire, exhortant les tribunaux à ne pas avoir peur d’assumer leur rôle dans la protection de certains principes fondamentaux, essentiels à la primauté du droit et à l’expression de la volonté démocratique, même si ces « droits profonds » ne sont pas énoncés sous une forme écrite.

Bien évidemment, tout le monde ne s’est pas rallié à cette thèse, défendue si éloquemment par lord Cooke. Selon certains, le recours à des normes non écrites confère un pouvoir illégitime à des juges non élus et non tenus de rendre compte, en plus d’aller à l’encontre du principe de la suprématie parlementaire tel qu’il a, selon eux6, été exposé par l’estimé juriste Dicey7. Il appartient au Parlement et à lui seul, a-t-on soutenu, d’énoncer les principes constitutionnels fondamentaux de la nation. D’aucuns sont allés jusqu’à prétendre que la notion de principes constitutionnels non écrits constituait une usurpation de pouvoirs à peine dissimulée de la part de juges activistes.

Alors, qui a raison? Lord Cooke, qui affirme que le maintien de normes fondamentales, même non écrites, constitue un aspect inhérent et légitime du rôle du juge? Ou ses adversaires, selon qui il n’appartient d’aucune façon aux juges d’aller au-delà du texte écrit de la constitution?

Mais j’anticipe. L’issue de ce débat dépend en fait de la réponse donnée à des questions plus profondes. À quoi pensons-nous au juste, lorsque nous parlons de principes constitutionnels non écrits? Existe-t-il certaines normes, certains principes à ce point importants, à ce point fondamentaux pour l’histoire et l’identité d’une nation, que le consensus de citoyens raisonnables exigerait qu’ils soient respectés par ceux qui exercent le pouvoir étatique? Qu’entendons-nous par « constitution »? L’idée qu’il existe des principes constitutionnels non écrits est-elle vraiment une idée nouvelle ou simplement la réinvention d’une notion juridique établie?

À ces questions, je répondrais de la façon suivante. Premièrement, les principes constitutionnels non écrits renvoient à des normes non écrites essentielles à l’histoire, à l’identité, aux valeurs et au système juridique d’une nation. Deuxièmement, pour bien comprendre les constitutions, il convient d’y voir la source du cadre normatif de la gouvernance. Si on les envisage sous cet angle fonctionnel, il n’y a pas de raison de croire qu’elles ne peuvent embrasser des normes à la fois écrites et non écrites. Troisièmement — et cette observation a son importance en raison du ton que prend souvent ce débat — la notion de principes constitutionnels non écrits n’est pas nouvelle et il n’y a pas lieu d’y voir un rejet de l’héritage constitutionnel que nos deux pays ont en commun.

Le concept contemporain de principes constitutionnels non écrits peut être considéré comme une réincarnation moderne des anciennes doctrines du droit naturel. À l’instar de ces conceptions de la justice, la détermination de ces principes semble présupposer l’existence d’un certain ordre naturel. Mais, contrairement à ce qui se passe dans le cas du droit naturel, ce n’est pas dans la théologie que réside la source des principes non écrits qui transcendent l’exercice du pouvoir étatique. Ils trouvent leur origine dans l’histoire, les valeurs et la culture de la nation, envisagée dans son contexte constitutionnel.

Comme l’a soutenu le professeur Walters dans le contexte canadien :

[traduction] Dans la mesure où le droit fondamental non écrit est considéré comme une assertion de la suprématie du droit naturel, de la droite raison ou des principes universels de la moralité politique et des droits de la personne sur les textes législatifs, il s’inscrit dans une riche tradition intellectuelle qui a orienté la réflexion de la common law dès l’époque médiévale, puis pendant l’âge des révolutions anglaise et américaine, et enfin à la grande époque victorienne impériale dont a émergé la constitution écrite du Canada8.

Si le professeur Walters a raison, ce qui est le cas à mon avis, cette idée n’est ni américaine ni britannique. Elle procède des deux traditions juridiques et d’un héritage commun qui remonte bien plus loin.

Cette « riche tradition intellectuelle » du droit naturel entend conférer au droit un contenu moral minimal. Elle repose sur l’idée que les règles et le droit sont deux choses différentes. Les règles et les systèmes de règles peuvent être de bonnes choses, mais peuvent aussi en être de mauvaises. La simple existence de règles données, fait-on valoir, n’est pas suffisante pour que ces règles commandent le respect : il faut, en résumé, que les règles deviennent droit. La distinction entre « gouverner à coup de lois » (« rule by law ») — situation qui existe dans certains pays en voie de développement — et « primauté du droit » (« rule of law ») — principe auquel adhèrent les démocraties développées — décrit succinctement la différence entre un simple système de règles et un système de droit digne de ce nom, fondé sur certaines valeurs minimales. Le débat sur les principes constitutionnels non écrits peut dès lors être abordé comme un débat sur la nature du droit lui-même et sur les raisons pour lesquelles il réclame notre allégeance9.

La théorie démocratique moderne, telle qu’épousée par la plupart des démocraties occidentales, conjugue deux doctrines intrinsèquement contradictoires. Suivant la première, souvent attribuée à Dicey, il appartient au Parlement, et à lui seul, d’établir le droit et, par incidence, les normes fondamentales sur lesquelles il repose. La seconde consiste dans l’idée — très largement acceptée depuis la Seconde Guerre mondiale dans les démocraties modernes développées — que les systèmes de droit doivent respecter certaines normes fondamentales. Au minimum, les systèmes permettre aux citoyens d’élire leurs dirigeants, et ils ne doivent tuer aucun de leurs citoyens (ou, selon l’État en cause, ne pas en tuer un grand nombre). C’est un point sur lequel on insiste particulièrement depuis l’Holocauste. Au delà, les exigences peuvent varier, bien que certaines règles suscitent un solide assentiment. Ainsi, on estime généralement que les États ne doivent pas soumettre leurs citoyens à la torture. Ils ne devraient pas non plus exercer de discrimination fondée sur le sexe, la race ou la religion. Finalement, d’autres assertions sont faites, celles-là aux confins du nouveau droit naturel qui est en train de se développer, et qui relève des droits de la personne. Non seulement les États ne doivent pas tuer directement leurs citoyens, mais ils doivent aussi éviter de les tuer indirectement par la famine, le manque de soins médicaux, la dégradation de l’environnement.

Quoique formulées en termes religieux, les premières théories du droit naturel percevaient la manifestation du divin dans une chose qui allait devenir le fondement même de la conception que le monde occidental se fait de lui-même : la raison humaine. Pour Thomas d’Aquin, c’était la raison humaine qui permettait aux individus d’acquérir, d’une certaine façon, une compréhension plus profonde de la justice. Le droit naturel était, selon lui, [traduction] « établi par la raison10 ». Mais à cause des limites de cette raison, le droit écrit était incomplet à deux égards importants. D’une part, les législateurs peuvent abuser de leur pouvoir, en déviant de la raison et en promulguant des lois iniques. D’autre part, des lois justes deviendront forcément injustes dans certains circonstances, parce que les législateurs ne pourront jamais imaginer toutes les circonstances dans lesquelles leurs lois pourraient éventuellement s’appliquer11 .

Les normes fondamentales sont aujourd’hui formulées plus clairement et plus exclusivement dans des termes relevant de la raison, et imprégnées d’une certaine idée de la dignité humaine fondamentale. Toutes les normes que j’ai mentionnées tout à l’heure (gouvernement fondé sur le consentement, protection de la vie et de la sécurité, absence de discrimination) peuvent certes être avancées au nom d’un argument moral. Il y a cependant lieu de signaler qu’elles peuvent aussi s’appuyer sur un argument démocratique ayant ses assises dans les conceptions de l’État et de la dignité humaine fondamentale que nous avons élaborées depuis John Stuart Mill.

Si, comme nous le pensons, l’État existe en tant qu’expression de ses citoyens, il s’ensuit que sa légitimité et son pouvoir doivent être fondés sur le consentement de ces mêmes citoyens. Ces derniers doivent donc avoir le droit d’élire et de défaire leurs gouvernements. De même, comme l’indique, au Canada, le Renvoi sur la sécession12, le passage d’une forme de citoyenneté à une autre doit être basé sur des normes démocratiques. Et cela, que le droit en cause soit écrit ou non; c’est une conséquence de notre conception de l’État démocratique. Dans le même ordre d’idées, si l’on convient que la raison d’être de l’État moderne consiste à favoriser les intérêts de ses citoyens, il s’ensuit que les États ne devraient pas être autorisés à exterminer des pans entiers de la société. De plus, nous acceptons l’égalité fondée sur la dignité fondamentale de tout être humain, il en découle que les États ne devraient pas avoir la possibilité de soumettre à la torture ou à la mort des groupes ou des individus innocents. Ces préceptes peuvent être considérés comme l’expression de principes constitutionnels non écrits ayant leur fondement dans la structure même de la démocratie.

Par conséquent, la légitimité de l’État démocratique moderne pourrait dépendre de son adhésion à des normes fondamentales qui transcendent le droit et l’action de l’exécutif. Cela vaut pour les trois branches de la gouvernance de l’État — le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Par exemple, à l’article 1 des Commonwealth Principles on the Accountability of and the Relationship Between the Three Branches of Government, qui découlent des Latimer House Guidelines de 1998 et ont été approuvés par les chefs de gouvernement en 2003, on trouve l’énoncé suivant :

[traduction] Les parlement, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire de chaque État du Commonwealth sont les garants, dans leur champ d’autorité respectif, de la primauté du droit, de la promotion et de la protection des droits fondamentaux de la personne et de l’établissement de la bonne gouvernance en fonction des normes les plus élevées d’honnêteté, de probité et de reddition de comptes13.

La primauté du droit. Les droits de la personne. La bonne gouvernance. Des principes que chacun des pouvoirs de l’État, y compris le pouvoir judiciaire, doit s’efforcer de maintenir. Des principes qui peuvent, dans une certaine mesure, être couchés par écrit dans certains pays, mais qui, de l’avis des pays du Commonwealth, devraient être observés partout.

Pour confirmer le lien entre les normes fondamentales et notre conception de l’État et du droit, on peut notamment examiner le travail accompli par les tribunaux dans des systèmes où il n’existe pas de déclaration des droits écrite et constitutionnalisée. Car même en l’absence de pouvoirs d’exécution constitutionnels clairs et énoncés par écrit, des tribunaux ont trouvé des façons de faire régner la justice fondamentale14.

Au Canada, plusieurs décennies avant l’entrée en vigueur de la Charte, le juge Rand de la Cour suprême a parlé de normes d’équité susceptibles d’être invoquées devant les tribunaux — bien que non écrites —, en affirmant que [traduction] « [d]ans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une “discrétion” absolue et sans entraves » et que la bonne foi doit toujours être présumée15. Affirmer le contraire, a-t-il ajouté, serait « le signe avant-coureur de la désintégration du principe de légalité comme un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle16. » Près de quatre-vingts ans avant le juge Rand, les tribunaux de la Colombie-Britannique, appelés à se prononcer sur une série de lois provinciales et locales anti-Chinois, les avaient annulées en se fondant sur le partage des pouvoirs17. Les membres de la Cour suprême de la Colombie-Britannique — à laquelle je siégerais cent ans plus tard, à l’époque de l’entrée en vigueur de la Charte — se sont fondés sur le texte de la Constitution, mais aussi sur les principes du droit anglais qui la sous-tendent18 . En 1938, dans la cause Reference re Alberta Statutes19, la Cour suprême a déclaré que, en l’absence de garantie écrite, il convient de reconnaître que la liberté d’expression politique est inhérente à la nature de la démocratie.

Vous ne serez pas surpris si, à ce point-ci de mon exposé, je vous fais part de mon point de vue. En tant qu’adepte d’une conception moderne du droit naturel, je suis d’avis que le monde a eu raison, après les horreurs commises par l’Allemagne nazie et l’Holocauste, de déclarer qu’il existe certaines normes fondamentales que nulle nation ne devrait transgresser. Je crois qu’il était juste de poursuivre, dans le cadre des procès de Nuremberg, les juges allemands qui avaient appliqué des lois ayant envoyé des gens innocents dans des camps de concentration et vers une mort probable. J’estime que la rédaction et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ont marqué un gigantesque pas en avant du point de vue de la réflexion juridique et sociétale. J’estime aussi que les juges ont le devoir d’exiger des pouvoir législatif et exécutif qu’ils se conforment à certaines normes établies et fondamentales, même pendant des périodes troublées. En résumé, je suis du côté de lord Cooke sur cette question.

Le véritable débat, me semble-t-il, ne porte pas sur la question de savoir si les juges devraient parfois avoir la possibilité d’invoquer des normes fondamentales pour neutraliser de mauvaises lois ou des actes répréhensibles de l’État. Car, dans certaines circonstances du moins, il est indispensable qu’ils puissent le faire. Si, par exemple, un État adoptait une loi favorisant le génocide, il serait clairement du devoir des juges, à mon avis, de ne pas en reconnaître la validité, puisqu’elle contreviendrait à la norme fondamentale suivant laquelle les États ne doivent pas exterminer leurs citoyens. Si nous tombons d’accord là-dessus — et je me doute bien que c’est le cas de la plupart d’entre nous — la question n’est pas de savoir si les juges ne devraient en aucun cas recourir à des normes constitutionnelles non écrites pour invalider des lois, mais bien de savoir quelles normes peuvent justifier une telle intervention.

L’argument que j’ai développé permet sans doute de réfuter la proposition suivant laquelle les juges ne sauraient par principe se fonder sur des normes constitutionnelles non écrites, si en l’occurrence on donne au mot « constitutionnelles » le sens d’un principe supérieur susceptible d’invalider des lois et des actes de l’exécutif. Il ne permet cependant pas de venir à bout de la contradiction, déjà évoquée, entre la théorie voulant que le Parlement soit la source de toutes les règles de droit et l’idée selon laquelle le droit peut comporter des principes qui n’ont pas été établis par le Parlement. Le professeur David Dyzenhaus y voit une contradiction centrale dans les démocraties modernes, qu’il expose en se référant aux juges :

[traduction] D’une part, s’ils ne donnent pas un contenu concret au principe de la primauté du droit, ils sembleront chercher davantage à maintenir le sens de leur rôle qu’à accomplir la tâche qui explique pourquoi ils devraient avoir ce rôle. D’autre part, s’ils donnent un contenu à ce principe, ils risqueront de paraître usurper le rôle du législateur...20

D’une façon comme de l’autre, les juges sont perdants.

Le même dilemme a été décrit par le professeur Benjamin Berger, qui fait observer que, depuis l’adoption de la Charte canadienne en 1982, [traduction] « [à] tort ou à raison [...] quand les Canadiens entendent le mot “Constitution”, ils entendent la promesse d’une société juste. La Constitution postérieure à la Charte est présentée comme un document qui cherche à réaliser la justice21 ». Ce que fait clairement ressortir le professeur Berger, c’est que si les Canadiens ont adhéré à leur Constitution en y voyant un moyen d’arriver à la justice, ils ne sont pas encore parvenus à un consensus sur l’origine et le fondement de cette justice. Je le cite :

[traduction] Mais si ce changement symbolique est manifeste, nous sommes loin d’être arrivés à une conclusion sur ce qui serait la source légitime de la justice dans notre structure politique. Une société juste est-elle le fruit de la raison, ou de la volonté? Notre adhésion à des institutions démocratiques qui représentent les vues de la population — un engagement profond ancré dans notre histoire de la suprématie du Parlement — donne à penser que la justice tient à la représentation authentique de la volonté. Par contre, notre foi moderne dans les droits de la personne (dont la Charte constitue notre manifestation nationale) semble indiquer que la justice ne réside pas dans un débat populaire ou fondé sur l’opinion de la majorité, mais bien dans l’expression d’un engagement raisonné envers la dignité de tous les êtres humains.

Ce que nous voyons dans les débats [...], c’est une expression de cette tension.

La résolution du dilemme entre la justice comme expression de la volonté du Parlement et la justice comme expression de principes fondamentaux parfois non écrits tient à la façon dont on répond à trois problèmes de nature plus particulière découlant du concept des normes constitutionnelles non écrites sous-jacentes. Le premier consiste à savoir comment des normes non écrites peuvent être conciliées avec le principe suivant lequel le droit doit être établi avant d’être appliqué. Le deuxième consiste à déterminer quels sont ces principes non écrits susceptibles de l’emporter sur des textes législatifs et des actions de l’exécutif. Le troisième a trait à la légitimité judiciaire. J’aborderai chacun de ces problèmes successivement. Mais il deviendra vite évident que les trois sont liés à une question centrale : celle de la légitimité des normes constitutionnelles non écrites.

Voyons tout d’abord le principe suivant lequel le droit doit au préalable être connu des intéressés avant de pouvoir leur être appliqué, principe auquel contreviennent — à première vue — des normes constitutionnelles non écrites. L’une des assises du droit est, dit-on, l’importance que ses règles soient « consignées par écrit » (« law on the books »). La primauté du droit signifie que tous les acteurs de la société — publics et privés, individuels et institutionnels — sont soumis au droit et régis par lui. La primauté du droit exclut l’exercice du pouvoir arbitraire sous quelque forme que ce soit. Elle requiert que les lois soient connues des citoyens ou déterminables par ceux-ci, et garantit l’application uniforme de ces lois à chaque citoyen, sans favoritisme, assurant ainsi la légitimité de l’exercice par l’État de son pouvoir.

Le problème se pose plus sérieusement dans certains États que dans d’autres. De nombreux pays ont adopté des déclarations des droits écrites, dans lesquelles on peut voir une tentative en vue d’indiquer clairement aux citoyens, comme aux autres États, quel est le droit en vigueur sur leur territoire. À bien des égards, la Magna Carta du 13e siècle constitue sans doute la première des déclarations de ce type, et naturellement les révolutionnaires du 18e siècle aux États-Unis et en France ont rédigé des documents remarquables qui entendaient saisir l’essence des valeurs de leurs mouvements politiques et des mécanismes destinés à les exprimer. Aux États-Unis, les textes constitutionnels ont atteint un statut mythique du fait qu’ils exprimaient non seulement les limites du pouvoir gouvernemental, mais aussi les valeurs fondamentales de l’État. On a recommencé, au siècle dernier, à s’intéresser à la formulation écrite de principes fondamentaux, pour réagir aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale et pour répondre au besoin que l’on ressentait d’énoncer avec clarté les principes fondamentaux inviolables. Même dans les pays fortement imprégnés des traditions de la common law, on a de plus en plus senti, tant au sein des élites que des masses, le besoin d’exprimer par écrit les principes fondamentaux.

Le souci de coucher par écrit des principes juridriques n’est certes pas négligeable, mais il ne devrait pas servir à cautionner une simplification excessive du problème complexe de la place que tiennent les normes non écrites dans nos constitutions. À cet égard, deux points méritent qu’on s’y arrête.

Premièrement, dans les pays de common law, il serait clairement faux de dire que toutes les règles de droit doivent être « consignées par écrit ». L’attitude de l’Angleterre quant à l’importance du droit écrit est pour le moins ambivalente. D’une part, la Magna Carta est un texte fondateur dont l’objet est de garantir par écrit des principes fondamentaux. D’autre part, la common law a donné corps à ces principes et les a complétés au moyen d’un ensemble de règles, qui sont pour une large part prétoriennes, c’est-à-dire établies par les juges. La présomption d’innocence, le rejet du recours par l’État à la violence contre les citoyens (implicite dans la règle des confessions), le principe de la liberté d’expression politique ne sont que quelques unes des contraintes fondamentales imposées au pouvoir exécutif par les juges. Le Parlement avait en théorie le pouvoir d’atténuer, voire d’annuler ces règles émanant des juges, mais le fait qu’il se soit en général abstenu de le faire montre qu’il n’accordait pas une si grande importance à la nécessité d’énoncer les règles de droit par écrit pour que le citoyen sache à quoi s’en tenir. On dit souvent, du reste, que le génie de la common law réside dans sa faculté d’élaborer, a posteriori, des réponses à de nouvelles situations.

Cette absence de règles écrites n’a bien entendu pas été considérée comme souhaitable par tout le monde. Jeremy Bentham a critiqué les règles de la common law en matière de droit criminel, les assimilant, en 1792, à du « droit pour les chiens ». « Quand votre chien fait une chose que vous voulez l’empêcher de faire », expliquait-il, « vous attendez qu’il la fasse, et alors vous lui infligez une correction. Voilà comment vous faites les règles destinées à votre chien — or c’est aussi la façon dont les juges établissent le droit qui s’applique à vous et à moi22. »

La deuxième observation qui s’impose à l’égard du point de vue suivant lequel toutes les règles de droit devraient être exprimées par écrit, c’est que même dans les cas où le législateur se donne la peine de rédiger des règles de droit, le résultat est presque toujours incomplet. Les lois sont nécessairement énoncées en termes généraux, car elles doivent s’appliquer à un large éventail de situations. Or, le législateur ne saurait prévoir toutes les situations auxquelles une disposition légale peut s’appliquer, ni comment celle-ci devrait s’appliquer. Les juges doivent ramener le caractère général de la loi à une situation particulière. Voilà pourquoi, tant qu’une décision judiciaire n’a pas été rendue à ce sujet, il s’avère souvent impossible, et ce, même avec des règles de droit écrites, de prédire avec précision comment la loi s’appliquera à une situation donnée. Cela vaut aussi bien dans les pays ayant édicté un code civil, où toutes les règles de droit sont écrites, que dans les pays de common law. En ce sens, on peut dire qu’une bonne partie du droit n’est jamais « consigné par écrit ».

Cela est vrai également des constitutions . . . Commentant la constitution canadienne, Benjamin Berger a écrit ceci :

[traduction] Quand nous pensons à ce qui compose le droit constitutionnel, nous ne considérons en général que deux sources : le texte de la Constitution et les décisions de la Cour suprême du Canada. Mais il y a autre chose, comme l’apprennent les étudiants de première année dans leur cours de droit constitutionnel.

Depuis la Confédération, bon nombre des arrangements essentiels à la forme et au fonctionnement de notre gouvernement ont pris l’aspect de conventions et de constructions politiques23.

En d’autres termes, même les constitutions écrites sont loin d’être exhaustives, ce qui nous oblige à tenir compte des conventions et des usages. En outre, les documents constitutionnels sont rédigés en termes larges et ouverts et se prêtent par le fait même à plusieurs interprétations. Pour résoudre les problèmes d’interprétation qui risquent ainsi de surgir, les juges peuvent avoir à recourir à des conventions et à des principes non formulés dans les textes constitutionnels eux-mêmes.

Qu’entend-on exactement, alors, quand on dit que le droit doit être « consigné par écrit »? Cela veut dire, il me semble, que l’application du droit doit être liée à des règles généralement reconnues. Il n’est pas nécessaire que le droit prédise des résultats précis. Il suffit qu’il donne une idée générale du type de résultat auquel on pourrait arriver, et que ce résultat, une fois établi par des décisions judiciaires, soit justifiable eu égard aux textes ainsi qu’aux conventions ou usages juridiques.

Les principes constitutionnels fondamentaux, écrits ou non écrits, satisfont à ces exigences. Les normes constitutionnelles non écrites de la common law, comme le droit de ne pas être puni sans procès, d’avoir recours à l’assistance d’un avocat ou de jouir de la présomption d’innocence, sont si profondément ancrées dans les conventions et les usages que toute décision judiciaire fondée sur ces normes sera bien comprise et considérée juste. J’en conclus que, bien qu’il soit utile de formuler par écrit les normes constitutionnelles fondamentales dans toute la mesure du possible, le fait qu’un principe ou son application ne soit pas énoncé par écrit ne saurait justifier d’écarter la possibilité que les tribunaux puissent l’utiliser.

Cela nous amène au second problème, soit la détermination de ces principes constitutionnels non écrits qui sont susceptibles de l’emporter sur des dispositions légales et des actes de l’exécutif. On peut discerner au moins trois sources de principes constitutionnels non écrits : l’usage coutumier; les déductions tirées de principes constitutionnels écrits; les normes établies ou implicites dans les instruments juridiques internationaux auxquels l’État a adhéré.

Traditionnellement, en common law, les principes fondamentaux non écrits d’importance constitutionnelle ou quasi constitutionnelle ont été dégagés à partir de l’usage, principalement des décisions judiciaires. Les jugements qui établissent ou clarifient des normes constitutionnelles s’appuient normalement sur une culture dans laquelle le Parlement et l’exécutif reconnaissent le caractère approprié de la norme et acceptent qu’elle subsiste. Les exceptions occasionnelles, comme les états d’urgence, ne contredisent pas l’acceptation générale de ces normes. Comme le souligne le doyen Palmer de votre faculté, dans un article à paraître, les acteurs de la fonction publique et les acteurs politiques ne font pas seulement que réagir à l’interprétation constitutionnelle, ils y participent également eux-mêmes lorsqu’ils reconnaissent et respectent les contraintes légitimes s’exerçant sur leurs sphères décisionnelles24. L’usage ne concerne par conséquent pas seulement la façon dont les juges conçoivent la constitution, mais également la façon dont les décideurs, d’une façon plus générale, comprennent leur rôle dans un système de gouvernance plus large.

Le recours à l’usage, en matière d’orientation constitutionnelle, est admis d’une manière manifeste dans des pays post-coloniaux comme le Canada et la Nouvelle-Zélande. Par exemple, dans le préambule du texte constitutionnel canadien de 1867 on parle de « une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni25 », envisageant ainsi le recours à des normes constitutionnelles non écrites découlant de l’histoire britannique.

Je vais maintenant traiter de la deuxième source des principes constitutionnels non écrits — les déductions tirées des valeurs et des principes constitutionnels qui sont exprimés par écrit. Bien que les tribunaux aient le pouvoir d’interpréter les constitutions écrites de leur pays, ils ne peuvent cependant jamais en faire abstraction. Face à une situation nouvelle exigeant une nouvelle norme, les juges doivent chercher dans la constitution écrite les valeurs par lesquelles se définit la nation. Au Canada, le Renvoi sur la sécession26 de 1998 constitue un exemple instructif de la façon dont les tribunaux peuvent dégager des principes constitutionnels non écrits des dispositions écrites de la constitution. Ce renvoi découlait d’un référendum provincial tenu en 1995 et lors duquel une proposition de sécession du Québec avait été rejetée par les citoyens de cette province, mais par une marge d’à peine un peu plus de 1 %. Le gouvernement canadien, sous le choc, avait décidé de soumettre à la Cour suprême la question de la légalité d’une sécession unilatérale.

Les textes de la constitution canadienne sont muets sur la possibilité pour une province de se séparer de la fédération. Il n’existe donc pas de principes écrits fixant le cadre juridique qui régirait une tentative de sécession. Pour répondre à la question dont elle était saisie, la Cour suprême s’est penchée sur l’histoire et les conventions du Canada, de même que sur les valeurs que les Canadiens, par l’intermédiaire de leurs gouvernements, avaient inscrites dans leur constitution écrite. Elle a procédé à cet examen à la lumière de la notion, reconnue depuis longtemps, suivant laquelle la constitution du Canada évolue et doit être considérée comme un « arbre vivant27 ».

La Cour a dégagé quatre « principes constitutionnels directeurs fondamentaux28 » pertinents : le fédéralisme; la démocratie; le constitutionnalisme et la primauté du droit; le respect des minorités. Elle a conclu que, bien qu’ils ne soient pas écrits, « il serait impossible de concevoir notre structure constitutionnelle sans eux29 », et qu’ils « ne sont pas simplement descriptifs [...] [mais] sont aussi investis d’une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements30 ». En explorant les fondements et les implications de chacun de ces principes, la Cour a répondu ainsi à la question posée par le gouvernement : selon le droit canadien, la sécession unilatérale d’une province n’est pas possible. Elle a toutefois ajouté que les mêmes principes directeurs imposaient aux gouvernements fédéral et provincial l’ouverture de négociations devant « l’expression claire d’une majorité claire31 » de citoyens québécois sur la question de la sécession. En examinant les textes constitutionnels à la lumière des principes sous-jacents qui les sous-tendent et qui donnent un sens à leur contenu, la Cour a su combler une lacune juridique importante. Elle a ainsi pu suggérer les étapes concrètes qui devraient être suivies, dans un processus propre à assurer la certitude, la stabilité et la prévisibilité qui forment les pierres d’assise de la primauté du droit.

La troisième source propre à révéler et préciser des principes constitutionnels non écrits, c’est le droit international. Tous reconnaissent que le droit international coutumier constitue un élément légitime de la common law, dans une large mesure parce qu’il est fondé à la fois sur l’usage et sur l’acceptation d’un sens de l’obligation — ce que nous appelons opinio juris. Dans le cas des traités signés par la Couronne, cependant, le « dualisme » traditionnel de la common law exige généralement l’incorporation expresse des normes internationales au droit interne. Mais, comme le soulignait récemment l’avocat britannique Rabinder Singh, il semble ressortir de jugements rendus au Royaume-Uni que l’on reconnaît de plus en plus que même les traités non incorporés au droit interne peuvent être utilisés, non seulement pour dissiper une ambiguïté, mais pour établir une « présomption de compatibilité » en l’absence de dispositions légales à l’effet contraire32. Les tribunaux peinent à saisir l’effet juridique précis des engagements internationaux d’un pays33, mais il ne fait pas de doute que ces engagements sont susceptibles de nous faire mieux comprendre les valeurs fondamentales que l’État épouse publiquement et officiellement. Quand un pays adhère à une convention internationale telle que la Convention des Nations Unies contre la torture34 ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques35, il manifeste par le fait même l’intention d’être lié par les principes de ce document. Cette intention peut renforcer les indications découlant de l’usage, des conventions et du texte écrit de la constitution, et aider à fixer les limites de certains principes non écrits.

Je reviens à notre question : comment peut-on reconnaître les principes constitutionnels non écrits? On peut les dégager de la coutume et des usages antérieurs du pays, du texte écrit des principes fondamentaux du pays, lorsqu’un tel texte existe, et des engagements internationaux contractés par le pays. Les principes non écrits ne correspondent pas au point de vue arbitraire ou subjectif de tel ou tel juge. Ils sont au contraire déterminés au moyen d’un raisonnement juridique rigoureux. Dans les cas où, eu égard aux conventions, aux dispositions écrites et aux valeurs déclarées à l’échelle internationale, il est clair qu’un pays et sa population adhèrent à une norme ou à un principe fondamental donné, le tribunal a l’obligation de reconnaître ce fait. Il ne se trouve pas par là à légiférer, mais bien à accomplir une tâche qui lui incombe légitimement.

Après m’être demandée si les principes constitutionnels non écrits heurtent l’idée selon laquelle les règles de droit doivent être écrites, et avoir cerné trois sources à partir desquelles ces principes peuvent être déterminés, j’en arrive au problème final : celui de la légitimité du pouvoir judiciaire.

Nous nous trouvons ici encore devant une contradiction apparente. D’un côté, la légitimité du judiciaire dépend de la justification de ses décisions au regard des valeurs constitutionnelles fondamentales d’une société36. C’est ce qu’on entend quand on dit que la tâche des juges consiste à rendre la justice. Les juges qui appliquent des lois injustes — des lois contraires à nos convictions fondamentales sur ce qu’est une société juste — perdent leur légitimité. Des juges qui se laissent récupérer par des régimes corrompus ne sont plus dignes d’exercer leurs fonctions. Telle est la leçon des procès de Nuremberg. Et c’est aussi une leçon qui devrait enhardir les juges qui constatent des manifestations d’injustice plus banales

Mais les choses ne sont pas aussi simples. Lorsque les juges précisent le contenu de principes constitutionnels non écrits, ils risquent d’être accusés d’usurper les fonctions du législateur, de faire le droit plutôt que de se contenter de l’interpréter et de l’appliquer, bref de se livrer à l’activisme judiciaire. Il s’agit d’une crainte qu’il faut se garder d’écarter à la légère — puisqu’elle est éprouvée par bon nombre de personnes sincèrement attachées à une gouvernance démocratique juste. Pour ces personnes, il ne saurait être question de faire confiance à des juges non élus pour trancher des questions revêtant une importance fondamentale pour les citoyens. Elles font valoir que les principes constitutionnels non écrits ne sont pas ancrés dans un texte élaboré à la faveur d’un consensus démocratique et que, par conséquent, rien ne garantit que les juges n’expriment pas simplement leurs préférences personnelles sur des questions politiques importantes. Pour reprendre les termes d’un juriste américain, « Quand des juges portent leur regard ailleurs que sur la Constitution » — il entend ici la constitution écrite — « c’est en dernière analyse dans leur for intérieur qu’ils regardent37. » Qui plus est, même si l’on pouvait faire confiance aux juges pour trouver la réponse correcte, ce serait une erreur sur le plan des principes, parce que celle-ci dépend non pas de la volonté de la population mais de celle de l’individu. En un mot, c’est antidémocratique, disent les tenants de cette opinion. Ils ajoutent parfois que, en tant que membres de l’élite, les juges pourraient importer des principes constitutionnels non écrits dans le but de miner la protection dont jouissent des minorités et des personnes vulnérables, ou de favoriser des intérêts particuliers38.

La question de la légitimité judiciaire nous ramène au dilemme que j’évoquais au début. La légitimité des juges suppose qu’ils se conforment à des normes morales fondamentales de nature constitutionnelle. Mais, ce faisant, ils risquent d’aller au delà de leurs fonctions judiciaires apparentes. Comment résoudre ce dilemme? La réponse, je crois, est qu’il s’agit d’un faux dilemme : les juges doivent parvenir à rendre la justice tout en respectant les limites de leur rôle.

Dans une démocratie, le rôle des juges consiste à interpréter le droit et à l’appliquer. Le droit comprend des règles de différents ordres. L’ordre le plus élevé est celui des principes constitutionnels fondamentaux. Il s’agit des règles qui guident l’élaboration de toutes les autres, ainsi que l’exercice du pouvoir exécutif par l’État. De plus en plus, dans nos États démocratiques, nous essayons de formuler ces principes par écrit. Mais, lorsque nous ne le faisons pas ou lorsque (cela arrive forcément) le texte écrit n’est pas clair ou est incomplet, il faut recourir aux sources non écrites. Quand le juge est confronté à un conflit entre un principe constitutionnel de l’ordre le plus élevé, d’une part, et une loi ordinaire ou un acte de l’exécutif, d’autre part, sa tâche consiste à interpréter et à appliquer l’ensemble des règles de droit — y compris les principes constitutionnels non écrits qui sont pertinents.

Cela suppose que le principe constitutionnel soit établi en fonction des trois sources dont je viens de traiter — les usages et coutumes, les valeurs sanctionnées par les textes constitutionnels pertinents et les principes du droit international adoptés par le pays. Décider si un tel principe ressort de ces sources est une tâche qui relève typiquement des tribunaux. Elle doit être accomplie avec soin et objectivité. Il ne s’agit pas de faire le droit, mais bien de l’interpréter, d’en concilier les règles et de l’appliquer; le juge remplit alors son rôle de garant de la constitution.

Comment le juge s’acquitte-t-il de cette tâche? Il doit tout d’abord, me semble-t-il, tenter d’interpréter la règle suspecte d’une manière qui la concilie avec la norme constitutionnelle, écrite ou non. Généralement, cela permettra de résoudre le problème. Mais, dans de rares cas, il est possible que cela ne fonctionne pas. Si une loi ordinaire est manifestement incompatible avec une norme constitutionnelle fondamentale, le juge pourra bien n’avoir d’autre choix que de refuser de l’appliquer.

Dans le film de 1961 Jugement à Nuremberg, le juge Dan Haywood — joué par Spencer Tracy — justifie par une série d’arguments convaincants la nécessité de punir ceux qui non seulement avaient violé la loi, mais de surcroît l’avaient fait sous le couvert de leur propre allégeance à l’État et à son droit positif. Voici la sentence prononcée par le juge :

Mais le tribunal estime que les hommes qui comparaissent à ce banc sont responsables de leurs actes. Ces hommes, qui dans leurs robes noires de magistrat, ont jugé d’autres hommes et ont eu leur part dans l’établissement de lois et de décrets dont le but bien défini était l’extermination d’hommes et de femmes de toutes races. Ces hommes qui étant donné leur position ont participé activement à l’application de ces lois et décrets illégaux — même selon le droit allemand39.

Le juge voulait dire par là, selon moi, que ces lois et décrets étaient inconstitutionnels au regard des principes les plus élevés ressortant de l’histoire, de la culture et de la constitution de l’Allemagne. Quelques moments plus tard, il souligne que ce qu’il y a de choquant à propos de ces atrocités, c’est la mesure dans laquelle elles ont été banalisées. Si les accusés avaient été de « simples pervers » ou « des monstres sadiques, des maniaques, alors ces événement n’auraient pas plus de signification éthique qu’une secousse sismique, ou une autre catastrophe naturelle ». Les juges doivent résister à ce processus de banalisation — cette façon de faire « du droit » à partir de ce qui ne saurait être juste et qui, partant, ne saurait en un sens plus profond être légal. Agir autrement, c’est laisser l’injustice se dissimuler derrière une fausse légalité.

Les critiques concèdent souvent ce point, mais font valoir que cette obligation est étroite et circonscrite. Le professeur Jeffrey Goldsworthy, par exemple, dans un ouvrage marquant40 sur l’application par les juges de principes non écrits, reconnaît qu’il peut parfois s’avérer opportun sur le plan moral pour un juge de contredire le Parlement face à une injustice. Il fait cependant valoir du même coup que faire de ce type d’obligation morale une obligation juridique, c’est confondre moralité et légalité41. Il ajoute toutefois qu’une conception du droit qui a pour effet d’en affirmer le contenu moral ne tient pas suffisamment compte des conséquences pour la démocratie de ce type d’intervention judiciaire :

[traduction] Dans une société démocratique saine, les cas d’injustice manifeste et extrême sont rares; le plus souvent, la question de savoir si une règle de droit porte atteinte à un droit fondamental peut susciter des arguments raisonnables dans un sens comme dans l’autre. L’utilité de la démocratie, c’est justement que, dans ces cas donnant matière à discussion, l’opinion de la majorité plutôt que celle d’une élite non élue est censée prévaloir42.

La réfutation de Goldsworthy n’en demeure pas moins partielle. Elle vaut seulement dans une « société démocratique saine », où « les cas d’injustice manifeste et extrême sont rares », et uniquement dans les « cas donnant matière à discussion », où il est aisé — et sans doute juste — de dire que les juges devraient laisser au législateur ou à l’exécutif la décision finale. Mais qu’en est-il des sociétés où la démocratie est en piètre état, des règles de droit dont le caractère mauvais est moins discutable?

L’interprétation et l’application de principes constitutionnels — écrits et non écrits — exige du juge qu’il s’en remette résolument à sa conscience professionnelle, éclairée par les usages juridiques passés, les normes constitutionnelles écrites et les principes internationaux auxquels le pays s’est soumis. Mais il ne faut pas confondre conscience professionnelle et conscience personnelle. La conscience professionnelle repose sur le serment fait par le juge de faire respecter la primauté du droit. Elle n’est pas inspirée par ses opinions personnelles, ni par son point de vue sur ce qui constitue la meilleure politique. Elle est inspirée par le droit, dans toute sa majesté complexe, tel qu’il ressort des trois sources évoquées tout à l’heure.

Dans la pièce de Robert Bolt intitulée « A Man For All Seasons » «Un homme pour l’éternité », il y a une scène dans laquelle le cardinal Wolsey, désireux de favoriser les intérêts du roi, affronte la conscience de Sir Thomas More (lequel n’était pas encore premier chancelier du royaume), qui incarne le droit et la constitution face à l’arbitraire et aux exigences de la politique. Le cardinal avance des arguments d’opportunité personnelle et publique pour aider le roi, qui veut divorcer. Il en appelle au « bon sens » de More, qu’il implore d’abandonner ses « oeillères morales » pour avoir une meilleure vue de la situation politique43. Mais Thomas More est incapable de renoncer à une conscience fondée sur des principes juridiques plus profonds. Il exprime sa conviction en ces termes : [traduction] « Lorsqu’un homme d’État oublie sa propre conscience personnelle au bénéfice de son rôle public, je crois qu’il mène son pays, par la route la plus rapide, vers le chaos44. »

Le Thomas More de Bolt parle de « conscience personnelle », mais il est clair qu’il pense à la conscience juridique d’un juriste qui a réfléchi à la nature du droit. Pour le Thomas More historique, du reste, la conscience était le fondement du droit, précisément parce qu’il ne la considérait pas comme l’expression d’un sentiment personnel ou d’une passion. Ce qu’il appelait « conscience » était plutôt ce qui permet à tous les individus, même les traîtres et les tyrans, d’accéder à la justice pourvu qu’ils se servent de leur raison45. Sans jamais préconiser la résistance ouverte des masses devant des lois injustes, et préoccupé par le non-respect de la loi, More n’en avait pas moins compris que le droit positif ne définissait pas les limites du droit. Sa correspondance avec sa fille, alors qu’il était emprisonné — et qu’il vivait ses derniers jours —, révèle un homme portant le fardeau de sa propre conscience juridique rationnelle. Dans ce qu’on a appelé le « Dialogue sur la conscience46 » de More, il trouve un certain réconfort, même en prison et à la veille de mourir, dans la certitude d’avoir la conscience nette, une conscience qui était le produit de la bonne foi, de la raison et de la réflexion47.

C’est une semblable conscience, fondée sur la coutume et le droit — et façonnée par eux — qui constitue le guide le plus sûr pour faire régner les principes fondamentaux sur lesquels reposent la justice et la démocratie. Les juges d’aujourd’hui n’ont peut-être pas à faire preuve du même courage que Thomas More, qui se disait placé devant l’alternative entre « la décapitation et l’enfer48 ». Je pense néanmoins qu’un juge qui prend au sérieux les devoirs de sa charge est tenu d’exercer sa conscience professionnelle et sa raison, et qu’il lui faut parfois pour cela rendre des décisions difficiles ou impopulaires.

Au cas où l’on me reprocherait de préconiser un « droit pour les chiens », permettez-moi de rappeler que les principes qui guident les juges dans la prise de ces décisions difficiles ne sont pas leurs principes personnels, mais les principes qui sont implicites dans le système même qui confère aux juges leur autorité. Faire abstraction de sa conscience professionnelle n’équivaut pas à se contenter de jouer son rôle, mais revient plutôt à abdiquer ses responsabilités envers le droit. Il existe bel et bien des principes non écrits, sans lesquels le droit deviendrait contradictoire et se détruirait lui-même. Et il incombe aux juges, non seulement de découvrir ces principes, mais aussi de les appliquer. Y renoncer, pour reprendre l’expression de Robert Bolt, ce serait emprunter la route plus rapide vers le chaos.

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Notes

  1. Voir Charles R. Epp, The Rights Revolution: Lawyers, Activists, and Supreme Courts in Comparative Perspective, Chicago, University of Chicago, 1998.
  2. Lorraine E. Weinrib, « The Supreme Court of Canada in the Age of Rights: Constitutional Democracy, the Rule of Law and Fundamental Rights Under Canada’s Constitution » (2001), 80 R. du B. can. 699.
  3. [1984] 2 N.Z.L.R. 394.
  4. “Fundamentals,” [1988] N.Z.L.J. 158, pp.164-165.
  5. Ibid.
  6. Cette conception du constitutionnalisme de Dicey n’est pas partagée par tous. Certains juristes ont tenté de la reformuler en signalant ses analyses de la « législation judiciaire », qu’ils ont voulu concilier avec sa conception d’un Parlement doté de la suprématie. Sur cette « interprétation plus plausible » ainsi proposée, on lira T.R.S. Allan, Constitutional Justice: A Liberal Theory of the Rule of Law, Oxford, Clarendon Press, 2001, p. 13.
  7. Pour une vue d’ensemble, voir A.V. Dicey Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e éd., 1959.
  8. M. D. Walters, « The Common Law Constitution in Canada: Return of Lex non Scripta as Fundamental Law » (2004), 51 U.T.L.J. 91, p. 136.
  9. Les débats Hart-Fuller constituent bien sûr une manifestation particulièrement frappante des thèses qui s’opposent en la matière. Voir H.L.A. Hart, « Positivism and the Separation of Law and Morals » (1958) dans Essays in Jurisprudence and Philosophy, Oxford, Oxford University Press, 1983 et The Concept of Law, Oxford, Oxford University Press, 1961; Lon L. Fuller, The Morality of Law, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1969.
  10. Summa theologiae I-II, Question 94, Premier article. Citation tirée de William P. Baumgarth et Richard J. Regan (dir.), Thomas Aquinas, On Law, Morality and Politics, Indianapolis, Hackett, 1988, p. 45.
  11. Summa theologiae I-II, Question 96, Sixième article. [traduction] « Par conséquent, comme le législateur ne peut imaginer tous les cas particuliers, il rédige la loi en fonction de ce qui se produit le plus fréquemment, en portant son attention sur le bien commun. C’est pourquoi, s’il surgit un cas o l’observation de la loi en question serait préjudiciable au bien général,celle-ci ne doit pas être observée. » Ibid., p. 75.
  12. Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 S.C.R. 217 (« Renvoi sur la sécession »).
  13. Commonwealth Principles on the Accountability of and the Relationship Between the Three Branches of Government, Secrétariat du Commonwealth et autres, 2004.
  14. Charles R. Epp, op. cit. note 1, p. 201. Il conclut qu’une déclaration des droits [traduction] « ne saurait être qu’un effet secondaire » dans l’attribution aux juges de leurs pouvoirs, étant donné qu’ils « semblent capables de tirer leur légitimité de sources autres qu’une déclaration des droits et que les groupes qui appuient l’ordre judiciaire n’ont pas toujours été favorables à l’établissement d’une déclaration des droits. »
  15. Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 140.
  16. p.142.
  17. Tai Sing c. Maguire (1878), 1 B.C.R. (Pt. 1) 101 (S.C.); R. c. Wing Chong, (1885), 1 B.C.R. (Pt. 2) 150 (S.C.); R. c. Mee Wah (1886), 3 B.C.R. 403 (Cty. Ct.); R. c. Gold Commissioner of Victoria District (1886), 1 B.C.R. (Pt. 2) 260 (Div. Ct.); et R. c. Corporation of Victoria (1888), 1 B.C.R. (Pt. 2) 331 (S.C.).
  18. Voir John McLaren, « The Early British Columbia Supreme Court and the “Chinese Question”: Echoes of the Rule of Law » (1991), 20 Man. L.J. 107.
  19. Reference re Alberta Statutes [1938] R.C.S. 100, pp. 133-135, le juge en chef Duff, p.145, le juge Cannon.
  20. David Dyzenhaus « The Unwritten Constitution and the Rule of Law » (2004), 23 S.C.L.R. (2d) 383, p. 401.
  21. Benjamin L. Berger, « Judicial Appointments and Our Changing Constitution », The Lawyers Weekly, 16 septembre 2005, p. 3.
  22. Jeremy Bentham, Truth Versus Ashhurst; or, Law as it is, contrasted with what it is said to be, Londres, T. Moses, 1823, p. 11.
  23. Benjamin L. Berger, loc. cit., note 21.
  24. Matthew S.R. Palmer, « What Is New Zealand’s Constitution and Who Interprets It? Constitutional Realism and the Importance of Public Office-holders » (à paraître).
  25. Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, réimpression dans S.R.C. 1985, App. II, No. 5.
  26. Renvoi sur la sécession, précité, note 12.
  27. Edwards c. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.), p. 136; Renvoi sur la sécession, précité, note 30, par. 52.
  28. Renvoi sur la sécession, précité, note 12, par. 32.
  29. Ibid., par. 50.
  30. Ibid., par. 54.
  31. Ibid., par. 92.
  32. Rabinder Singh, « Globalisation of Human Rights and International Norms, » document présenté lors de la rencontre « UK-Canada Legal Exchange », Londres, 30 septembre 2005. Il mentionne en particulier les jugements de Lord Bingham of Cornhill dans A. V. Secretary of State for the Home Department, [2005] 2 W.L.R. 87 et de Lord Steyn et Lord Nicholls dans Kuwait Airways Corporation, [2002] 2 A.C. 883.
  33. On trouvera une analyse du contexte canadien dans Jutta Brunnée et Stephen J. Toope, « A Hesitant Embrace: Baker and the Application of International Law by Canadian Courts », dans David Dyzenhaus (dir.) The Unity of Public Law, Oxford, Hart Publishing, 2004.
  34. La Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été adoptée en 1984. Le Canada l’a signée en 1985 et ratifiée en 1987. La Nouvelle-Zélande l’a signée en 1987 et ratifiée en 1989.
  35. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été adopté en 1966. Le Canada y a adhéré en 1976. La Nouvelle-Zélande l’a signé en 1968 et ratifié en 1979.
  36. David Dyzenhaus, loc. cit., note 20, p. 412.
  37. Ronald D. Rotunda, « Interpreting an Unwritten Constitution » (1989), 12 (1) Harv. J.L. & Pub. Pol’y 15, p. 17.
  38. Au Canada, ces arguments concernant la démocratie et la classe sociale sont avancés tant par la gauche que par la droite. Voir, par exemple, Michael Mandel, The Charter of Rights and the Legalization of Politics in Canada, éd. rév., Toronto, Thompson Educational Publishing, 1992; Allan C. Hutchinson, Waiting for Coraf: A Critique of Law and Rights, Toronto, University of Toronto Press, 1995; F.L. Morton et Rainer Knopf, The Charter Revolution and the Court Party, Peterborough (Ontario), Broadview Press, 2000 et Patrick James, Donald E. Abelson et Michael Lusztig (dir.) The Myth of the Sacred: The Charter, the Courts, and the Politics of the Constitution in Canada. Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2002.
  39. Jugement à Nuremberg, film réalisé et produit par Stanley Kramer, scénario par Abby Mann. USA, Roxton Films, 1961.
  40. Jeffrey Goldsworthy, The Sovereignty of Parliament: History and Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1999, p.277.
  41. Ibid., pp. 263-272.
  42. Ibid., p. 269.
  43. Acte I, scène II. Robert Bolt, A Man For All Seasons, Toronto, Irwin, 1963, p. 10.
  44. Ibid., p. 12.
  45. Voir Gerard B. Wegemer, Thomas More on Statesmanship, Washington, Catholic University of America Press, 1996, p. 73.
  46. Ibid., pp. 210-211.
  47. Dans sa lettre du 3 juin 1535 à sa fille Margaret Roper, écrite seulement un mois avant son exécution, More dit sa certitude d’avoir eu raison de rejeter le droit positif du roi : [traduction] « Et encore que cela pût sembler n’être qu’un mince réconfort, puisqu’il pourrait bien m’arriver auparavant quelque mal, je remerciais Dieu de ce que mon cas fût tel en cette affaire de par la netteté de ma propre conscience que, bien que je pusse avoir à souffrir, toutefois je ne pouvais venir à mal, car un homme en pareil cas pouvait perdre la tête sans subir aucun mal. En effet, j’étais bien assuré de ne nourrir aucune affection corrompue [...]. » Plus loin, il écrit : « [J]e répondis que j’étais certain que ma conscience, diligemment informée comme j’avais pris soin qu’elle le fût de longue date, ne saurait aller à l’encontre de mon salut. Je ne me mêle point de la conscience de ceux qui jugent autrement, tout homme suo domino stat et cadit [se tient debout et tombe en tant que son propre maître]. » Voir Thomas More, Écrits de prison (précédés de la vie de Sir James Thomas More par William Roper), traduction et introduction par Pierre Leyris, Paris, Éditions du Seuil, 1953, pp.141 et 143.
  48. Ibid., p. 142.

Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
Prononcée dans le cadre de la « Lord Cooke Lecture » de 2005
Wellington, Nouvelle-Zélande
1er décembre 2005

 
   
Date de modification : 2006-05-15
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