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Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Cérémonie de départ à la retraite de l'honorable Claire L'Heureux-Dubé
Le 10 juin 2002

En tant que juge en chef de la Cour suprême du Canada, je vous souhaite la bienvenue à cette cérémonie soulignant le départ à la retraite de notre collègue, l'honorable Claire L'Heureux-Dubé. Nous sommes honorés de la présence, ce matin, de plusieurs membres éminents de la magistrature, de l'honorable Martin Cauchon, ministre de la Justice et procureur général du Canada, de l'honorable Paul Bégin, ministre de la Justice et procureur général du Québec, de M. Eric Rice, c.r., président de l'Association du Barreau canadien, de Me Denis Jacques, représentant du Barreau du Québec, de Me Lise Malouin, bâtonnière de Québec, de la professeure Marie-Claire Belleau, d'anciens juges de la Cour, du très honorable Antonio Lamer, C.P., de l'honorable Bertha Wilson, du Révérend John Wilson, de distingués membres du Barreau, de membres de la famille et de distingués invités et amis de l'honorable juge L'Heureux-Dubé.

Je connais Claire L'Heureux-Dubé depuis près de vingt ans et j'ai travaillé avec elle pendant plus de treize ans. Nous savons que Claire est une femme qui possède beaucoup de qualités et compte de nombreuses réalisations. Nous oublions parfois que cette femme résolument moderne était aussi une pionnière. Elle a fait des études de droit à une époque où peu de femmes le faisaient. Admise au Barreau en 1952, elle a eu de la difficulté à trouver un bureau qui veuille l'engager. Elle a finalement trouvé un poste chez Sam S. Bard, à Québec. Elle n'aurait pu mieux tomber. Claire et Sam acceptaient les causes difficiles et impopulaires de l'époque et se battaient pour elles en cour. Claire s'est spécialisée en droit de la famille. Elle s'est découvert, de plus, une passion pour la justice sociale, particulièrement en ce qui concerne la situation des femmes, des enfants et des membres de groupes minoritaires impopulaires. En 1987, elle été nommée à la Cour suprême du Canada, après avoir siégé six ans à la Cour supérieure du Québec et huit ans à la Cour d'appel du Québec. Après une carrière de près de 30 ans dans la magistrature, la passion de Claire pour la justice sociale n'a pas fléchi. Le juge L'Heureux-Dubé occupait une grande place à la Cour; son absence se fera sentir. La force de ses convictions n'a d'égale que la force de sa personnalité. Elle nous manquera.

Certains ont tendance à apposer des étiquettes aux juges qui siègent ou qui ont siégé à la Cour. Les étiquettes permettent de simplifier une réalité complexe par une économie de mots. Il ne faut toutefois pas oublier que, si les étiquettes, comme les métaphores, comportent habituellement une part de vérité, elles comportent également une part d'inexactitude, et elles ne reflètent certainement pas toute la réalité.

Les étiquettes qui sont souvent accolées à notre collègue sont « féministe » et « grande dissidente ». L'une comme l'autre est en partie vraie, comme je l'expliquerai plus tard. D'une certaine façon, elles sont cependant aussi injustes, car elles décrivent faussement et incomplètement l'importante contribution du juge L'Heureux-Dubé aux travaux de la Cour.

Selon l'Oxford English Dictionary, est « féministe » la personne qui, se fondant sur la théorie de l'égalité des sexes, défend les droits des femmes. D'après cette définition, le juge L'Heureux-Dubé est une féministe, tout comme je le suis, ainsi que, je pense, la plupart des gens dans cette pièce et, en fait, la plupart des Canadiens. Je le signale parce que l'égalité n'est pas que théorique dans ce pays; elle est exigée par la Constitution. Le principe de l'égalité des sexes a force de loi. Bien sûr, on n'a pas tous la même définition de l'égalité, mais le fondement de ce principe ne saurait être mis en cause.

Le droit à l'égalité est sans l'ombre d'un doute l'une des passions de madame le juge L'Heureux-Dubé. On la classe parmi les plus grands experts et défenseurs au monde du droit à l'égalité. Or, lui apposer l'étiquette de féministe pourrait laisser croire qu'elle s'intéresse avant tout, voire exclusivement, aux droits de la femme, ce qui est très loin de la vérité. Claire a défendu les droits de beaucoup de groupes différents : les personnes handicapées, les peuples autochtones, les enfants, les minorités ethniques et les minorités d'orientation sexuelle. Par la même occasion, elle a contribué de façon durable au droit de la famille et au droit criminel. Dire qu'elle s'est consacrée principalement à la promotion des droits de la femme, c'est passer sous silence de trop nombreux aspects de son travail.

D'une part, étiqueter le juge L'Heureux-Dubé comme une féministe, c'est dire qu'elle milite en faveur du droit des femmes à l'égalité, ce qui est vrai. Elle défend avec passion le droit des femmes à l'égalité. Mais, d'autre part, cette étiquette est trompeuse parce que le juge L'Heureux-Dubé croit fermement aux droits à l'égalité en général. Et cette étiquette ne témoigne pas de ses nombreuses contributions aux autres domaines du droit.

On accole aussi l'étiquette de « grande dissidente » à notre collègue. Encore une fois, si cette perception est en partie vraie, cette désignation ne dit pas tout. La réputation du juge L'Heureux-Dubé d'être souvent dissidente est peut-être exagérée. La plupart des jugements de la Cour sont rendus à l'unanimité et, de fait, cela a été le cas l'an dernier dans 80 % des affaires. Le juge L'Heureux-Dubé n'a été dissidente que cinq fois l'année dernière. En tout et pour tout, elle a été dissidente dans 7,72 % des affaires qu'elle a entendues.

Elle avouera néanmoins -- et déclarera même en être fière -- qu'elle est plus souvent dissidente que la plupart de ses collègues. Mais cela ne diminue en rien sa contribution au droit. Nous avons tous été dissidents à l'occasion et, ce faisant, nous avons toujours eu la conviction d'être fidèles à notre vision du droit et à nos serments de juges. Peu de gens connaissent le rôle très précieux que peuvent jouer les dissidences dans la clarification et même l'avancement du droit. Une dissidence peut mettre en lumière les vastes répercussions et conséquences du jugement majoritaire. Elle peut tracer un courant jurisprudentiel différent ou apporter un nouvel éclairage sur la jurisprudence existante. Une dissidence peut dégager un principe innovateur, faire état de l'évolutiond'une question sur la scène internationale, ou exposer des raisonnements convaincants provenant d'autres tribunaux d'instance supérieure dans le monde. De plus, les dissidences sont généralement présentées sous forme d'exposés s'adressant aux universitaires et aux juristes, et servent au développement et à l'évolution du droit. Certains des plus grands juristes de la Cour ont rédigé ce genre de grandes dissidences, notamment Bora Laskin et plus tard, Brian Dickson, dans ses premières années à la Cour. Les dissidences de Claire s'inscrivent dans cette fière tradition.

Il peut être juste ou injuste de donner à Claire L'Heureux-Dubé l'étiquette de « féministe » ou de « grande dissidente » mais on peut la qualifier à juste titre de personne exceptionnelle à bien des égards. J'aimerais, aujourd'hui, souligner trois facettes du juge L'Heureux-Dubé : Claire la travailleuse; Claire la sincère; Claire l'amie.

En premier, il y a l'énergie légendaire de Claire et sa grande capacité de travail. On se souviendra du juge L'Heureux-Dubé comme d'une femme de convictions, tant dans ses combats sur le terrain que dans la promotion de sa vision de la justice sociale à la Cour. Mais les convictions à elles seules ne sont qu'un coup d'épée dans l'eau. Pour qu'elles deviennent le droit, il faut de l'énergie et de l'ardeur au travail, choses dont Claire n'a jamais manqué.

Nous nous souviendrons de l'observation des religieuses que relatent des amis, comme le juge en chef Fraser de l'Alberta. Les religieuses ont dit à Claire, qui étudiait depuis peu dans leur école : « Claire, tu es très intelligente ». Fidèles à leur logique newtonienne, elles pensaient devoir accompagner tout compliment d'une critique de poids équivalent, et elles l'ont donc mise en garde contre la paresse. Elles ne pouvaient prévoir l'impact que cette recommandation aurait sur Claire!

Quand elle est arrivée à la Cour suprême du Canada, Brian Dickson, alors Juge en chef, lui a dit : « Claire, il s'agit d'un travail à temps plein ». Elle s'est contentée de sourire, sans répondre. La semaine suivante, Claire l'a alors invité à venir dans son bureau pour lui montrer le lit de camp qu'elle y avait installé. « Regardez, maintenant je peux travailler 24 heures par jour! », lui a-t-elle dit.

Et elle l'a fait! Son dossier en fait foi.

Quinze ans plus tard, Claire avait :

  • rédigé 254 arrêts;
  • écrit 30 articles de doctrine;
  • prononcé 240 discours;
  • effectué environ 50 voyages d'un continent à l'autre en tant qu'ambassadrice des droits de la personne et de la primauté du droit.

Comme deuxième grande qualité, il y a le fait que Claire dit la vérité.

Bien avant que Ronald Dworkin ait exhorté les juges à « être clairs et à garder le sens des réalités », Claire s'assurait que la Cour suprême le faisait. Elle ne tolérait pas l'obscurcissement.

Aux réunions ou conférences, il lui arrivait parfois d'écouter, de plus en plus incrédule -- à en juger par l'expression de son visage -- un collègue expliquer son point de vue. Dès que le juge avait terminé, elle tapait sur la table. « Voyons donc! » disait-elle. C'était toujours tout un défi que de la convaincre.

Laissez moi conclure avec une dernière qualité personnelle, qui est, à mon avis, la plus importante : Claire, la grande amie.

Lors d'un récent souper en l'honneur de Claire - fête parmi tant d'autres en son honneur cette année - j'ai mentionné la pièce de John Guare « Six degrés de séparation » (« Six degrees of separation »), qui explore le thème qu'il n'existe pas plus de six intermédiaires entre chacun de nous et tout autre personne au monde. Claire a réussi, à elle seule, à réduire cette chaîne à un maximum de quatre personnes dans son cas. Elle a littéralement des amis aux quatre coins de la planète!

L'honnêteté, l'affection témoignée à ses amis, sa loyauté et son soutien sont sans pareil. Elle sait comment se battre, mais aussi comment tourner la page et continuer d'avancer. Elle m'a personnellement manifesté beaucoup d'amitié, tellement qu'un jour, alors qu'elle m'étreignait un peu fort, un policier en patrouille est accouru pour me demander : « Ça va, Madame? ».

Claire m'a confié qu'à l'aube de sa retraite, elle a l'intention de se détendre et de prendre des vacances. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis sceptique...

Claire, comme je l'ai déjà dit à une autre fête en ton honneur, tu as été comme un météore qui, traversant notre ciel, nous a laissé un peu de toi-même. Et nous t'en remercions.

Continue ton chemin, et au nom de tous tes chers amis : « Bon voyage ».

Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
Cérémonie de départ à la retraite de l'honorable Claire L'Heureux-Dubé
Ottawa, Ontario
Le lundi 10 juin 2002

 
   
Date de modification : 2004-07-06
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