|
|
Discours et interviews
le 29 janvier 2000
Allocution prononcée par madame Guylaine Saucier lors du 31e banquet de la Faculté d'administration de l'Université de Moncton
(Priorité au discours prononcé)
Distingués invités, mesdames, messieurs,
C'est
avec grand plaisir que j'ai accepté l'invitation des organisateurs de
ce premier banquet du nouveau millénaire de venir vous parler, à vous, entrepreneurs
actuels et futurs, de ce que je considère comme étant les clés du succès, tant
au niveau personnel qu'au niveau des entreprises.
Pour moi, les trois
éléments de la réussite se résument ainsi : une solide formation de base,
le goût de relever des défis, et la capacité de s'adapter à l'environnement.
Je
suis certaine que le premier point, l'importance d'une solide formation
de base, ne peut que faire l'unanimité ici ce soir. Que vous soyez professeur,
étudiant ou entrepreneur, vous conviendrez avec moi que les connaissances acquises
au cours des études sont la pierre d'assise sur laquelle on peut vraiment
bâtir sa carrière. Et, croyez-moi, je peux vous en parler en toute connaissance
de cause.
Permettez-moi d'illustrer ce point en faisant référence à
ma petite histoire... Originaire de Noranda, au Québec, je suis l'aînée
d'une famille de six enfants dont le père était propriétaire-exploitant d'une
importante société de bois de sciage, le Groupe Gérard Saucier, à Val-d'Or,
en Abitibi. Jeune, j'étais attirée par les sciences pures, mais comme il
n'y avait malheureusement que très peu de débouchés dans ce domaine et que
je devais déjà avoir un sens pratique assez développé, j'ai opté pour l'administration
et je suis allée étudier à l'école des Hautes études Commerciales où j'ai
été reçue comptable agréé en 1971.
Mon père m'a alors fait une offre
que je ne pouvais refuser, celle de devenir chef-comptable de son entreprise.
Diplôme en poche, c'est donc là que j'ai fait mes premières armes et
que j'ai mis mes compétences au profit de l'entreprise familiale.
Je
ne croyais pas, à ce moment, devoir assumer, si peu de temps après, de plus lourdes
responsabilités. En effet, comme certains d'entre vous le savent peut-être
déjà, à la suite du décès accidentel de mon père, j'ai dû, à 29 ans, prendre
la direction de l'entreprise qui employait alors 325 personnes et réalisait
un chiffre d'affaires annuel de 17 millions de dollars. Dans une situation
comme celle-là, croyez-moi, on n'a pas d'autre choix que de se retrousser
les manches et de foncer.
C'est alors que j'ai vraiment compris
l'importance des principes acquis au cours de mes études.
Comme il
s'agissait d'une entreprise familiale, j'ai eu à tenir compte,
non seulement des impératifs commerciaux liés au domaine de l'industrie forestière,
mais aussi à gérer le côté familial de la société où entraient en ligne de compte
les sentiments de chacun. Je dois vous avouer que c'est d'ailleurs ce
que, personnellement, j'ai trouvé le plus difficile à assumer.
Pour
réussir, je me suis littéralement accrochée à ma formation de comptable agréé.
En effet, durant tout le temps que j'ai passé dans l'entreprise de mon
père, je me suis appuyée sur ce que j'avais appris durant mes années d'université,
ce qui a compensé pour mon manque d'expérience et m'a énormément aidée.
Et sachez que même après toutes les expériences que j'ai vécues au fil des
ans, c'est ce que je fais encore aujourd'hui. En début de carrière,
les méthodes de gestion qui m'ont été inculquées m'ont permis de bien
maîtriser le système de l'entreprise comme celui de l'industrie du bois
de sciage, un domaine cyclique, donc instable, et dont les femmes étaient absentes.
Par
la suite, et tout au long de ma vie professionnelle, j'ai continué de parfaire
ma formation de façon à être en mesure de continuer à avancer et d'atteindre
mes objectifs.
Mais la formation seule ne suffit pas. Un gestionnaire doit
aussi avoir envie de relever des défis.
Je sais aujourd'hui, avec le
recul, que d'avoir eu à prendre la relève de mon père m'a permis de
prouver que j'avais cette capacité. Il faut dire que j'ai eu l'aide
de certaines personnes pour passer par-dessus mes craintes et stimuler mon envie
de réussir. Quand, peu de temps après ma décision d'assumer la présidence
de l'entreprise familiale, j'ai reçu un coup de fil d'un compétiteur
qui me félicitait mais qui, en même temps, ne me donnait pas plus de six mois
pour réaliser que j'avais fait une erreur, je peux vous assurer que ça a
été tout un stimulant pour une fille le moindrement orgueilleuse et surtout, pas
lâcheuse. Je crois qu'il n'a jamais su à quel point il m'avait
rendu service! Dix ans plus tard, c'est moi qui rachetais son entreprise.
Heureusement,
il y avait aussi autour de moi des gens qui avaient vraiment envie que je réussisse,
des gens avec qui j'ai bâti une relation de confiance et qui, au cours des
années, m'ont donné de très bons conseils et ont su me guider.
J'ai
souvent pensé que la vie nous réservait bien des surprises. En effet, la plupart
des offres que j'ai reçues au cours de ma carrière ne faisaient pas partie
du plan que j'avais envisagé au départ. Mais il faut garder l'esprit
ouvert et saisir les occasions qui se présentent. Celle de la présidence de la
Société Radio-Canada, par exemple, a été une de ces offres-surprises. C'était
en 1995. On me demandait d'assumer la présidence du Conseil d'administration
de l'entreprise la plus scrutée du monde canadien des communications, qui
connaissait des difficultés de financement et dont le mandat était remis en question.
ça ne s'annonçait pas du tout comme une sinécure, loin de là même, mais c'était
un défi emballant, d'autant plus emballant que ceci se passait justement
à une période où les choses étaient loin d'être faciles pour la Société.
Quelqu'un
m'a alors demandé si j'étais inquiète de ne pas être capable d'assumer
cette tâche. La réponse a fusé spontanément : non! Non, je n'étais pas
inquiète, pour la simple raison que je crois fermement qu'avec du travail,
on peut arriver à tout. J'ai souvent dit en riant que j'étais une bûcheuse,
ce qui est tout à fait approprié pour quelqu'un qui vient d'une industrie
forestière, mais c'est effectivement ce que je suis et ce que je crois que
tout gestionnaire doit être. Mais il faut aussi se faire confiance, se fier à
son jugement et à son expérience.
Bien sûr, la formation et le goût de relever
des défis ne suffisent pas une fois qu'on est en situation de prouver ce
qu'on peut faire. Et j'en arrive au troisième point, celui de savoir
s'adapter à son environnement. Ce point concerne autant les individus que
les entreprises. En effet, comme gestionnaire, il faut être à l'écoute des
gens et du milieu si on veut être en mesure de prendre les bonnes décisions; comme
entreprise, il faut aussi bien comprendre l'environnement dans lequel on
se situe et savoir s'y adapter.
Qu'est-ce que ça veut dire, pour
un gestionnaire, d'être à l'écoute de son milieu? Si je reviens à mon
expérience personnelle, lorsque je me suis retrouvée chef d'entreprise, à
29 ans, j'ai réalisé que j'avais tout à apprendre de mes employés. Ils
connaissaient leur métier, ils connaissaient l'industrie, moi pas. De mon
côté, j'avais des compétences indispensables à la réussite et ils l'ont
compris. Je leur ai parlé, je les ai écoutés, et on a développé une relation de
respect et de confiance qui nous ont permis de performer au-delà de nos espérances.
Qu'on soit dans une boutique qui compte seulement quelques employés ou dans
une grande organisation où il y en a des milliers, comme à Radio-Canada, cette
attitude d'ouverture les uns envers les autres est tout aussi importante
pour faire évoluer et progresser l'entreprise. Dans le cas de l'industrie
familiale, durant les treize années qui ont suivi mon accession à la direction,
nous avons quadruplé le nombre d'employés et quintuplé le chiffre d'affaires.
En 1988, 1,200 personnes travaillaient pour nous et le chiffre d'affaires
avait atteint 85 millions de dollars.
J'étais et je demeure convaincue
qu'il n'y a pas de différence si profonde entre les divers champs d'activités,
entre le secteur public et le secteur privé, par exemple, ou entre les petites
et les grandes entreprises. Toutes les entreprises devraient être gérées selon
les mêmes principes de base. Même les petites entreprises familiales, souvent
dirigées uniquement par le chef de famille, auraient intérêt à se doter d'un
conseil d'administration et à bénéficier de l'apport de personnes de
l'extérieur, ce qui leur permettrait aussi de préparer une relève.
Comme
entreprise, l'important c'est de bien comprendre l'environnement
dans lequel on se situe. Nous vivons dans un monde où toutes les organisations
doivent faire une introspection et décider comment elles veulent se positionner
dans un univers de plus en plus compétitif. Pour cela, il faut être capable de
bien en saisir les tenants et les aboutissants, se donner du recul avant de prendre
des décisions et, évidemment, de les prendre en fonction de nos objectifs plutôt
que de se laisser contrôler par le système. C'est à nous de situer l'entreprise
dans son environnement global.
Si on prend Radio-Canada comme exemple, en
tant que radiodiffuseur public du Canada, nous devons comprendre non seulement
la dynamique nationale, mais aussi le contexte international. Il faut suivre de
près tout ce qui peut avoir une influence sur la Société, tant au pays qu'à
l'étranger. Un sujet d'actualité ces temps-ci : les discussions
qui ont lieu au niveau de l'Organisation mondiale du commerce. Supposons
que l'OMC décide que les industries culturelles doivent être traitées de
la même façon que les autres industries, on peut facilement imaginer l'impact
considérable que cela aurait sur l'octroi des fonds destinés à la production
de produits culturels. Radio-Canada pourrait alors devenir la dernière instance
de promotion de la culture canadienne et le gouvernement se devrait de renforcer
cette institution culturelle.
Dans un contexte de mondialisation, nous nous
devons de nous ouvrir au monde, mais nous devons aussi nous définir en tant que
Canadiens.
La population du pays a beaucoup changé au cours des dernières
décennies et on remarque que les différentes régions sont profondément marquées
par ces changements démographiques. En suivant cette évolution et en reflétant
les différentes cultures, Radio-Canada joue un rôle important au niveau de l'identité
canadienne. Radio-Canada permet aux Canadiens de se situer et permet aussi au
Canada d'occuper sa place dans le monde.
Si on parle plus précisément
de la francophonie, par exemple, Radio-Canada joue un rôle primordial en offrant
aux francophones de tout le pays un contenu dans leur langue et en occupant une
place de premier plan au niveau de la francophonie internationale. Vous êtes particulièrement
au fait du rôle que Radio-Canada joue à ce niveau lors d'événements comme
le Sommet de la Francophonie, qui a eu lieu l'été dernier, ou le Congrès
mondial des Acadiens.
Un autre exemple du rôle de Radio-Canada dans la francophonie
est la présence qu'elle assure sur Internet. Si ce n'était du contenu
francophone offert sur les sites de Radio-Canada, eh bien on pourrait dire que
la présence du Canada dans ce médium serait très limitée et que les Canadiens
francophones auraient accès à très peu de contenu dans leur langue.
En raison
de la fragmentation, de la déréglementation, de la mondialisation de l'économie
et de nouvelles technologies à la fois puissantes et accessibles, le Canada doit
préserver un système de radiodiffusion fort, qui réponde aux besoins des Canadiens,
et non pas uniquement aux diktats d'une économie mondiale. Nous devons établir
quels sont les meilleurs outils, les meilleurs moyens pour produire, promouvoir
et diffuser la culture dans son sens le plus large afin de répondre aux besoins
de l'ensemble de la population. Les choix ne sont pas toujours faciles à
faire, mais nous devons les faire et nous devons aussi, en tant que gestionnaires
responsables, rendre régulièrement des comptes à nos actionnaires, le public canadien.
C'est
ce que nous faisons à Radio-Canada par des opérations comme le Bilan en ondes,
par exemple, dont la troisième édition avait lieu à la mi-janvier, par notre rapport
annuel, par des débats publics, par la présence d'un ombudsman, par des rencontres
avec les différentes communautés au pays.
Dans le contexte actuel de concurrence
exacerbée, Radio-Canada doit devenir une organisation véritablement souple, réceptive
et résolument tournée vers l'avenir. Au cours des trois dernières années,
nous avons coupé notre budget de 30 % et notre effectif de 25 %. Nous avons allégé
notre structure administrative et nous avons mis en place des pratiques afin d'assurer
la promotion d'un cadre de gestion qui favorise l'efficacité, la transparence
et la communication. Nous devons continuer de tirer le meilleur parti de nos ressources
et nous entendons demeurer vigilants à cet égard.
En décembre, le nouveau
président-directeur général de Radio-Canada, Robert Rabinovitch, a mis sur pied
un Groupe de travail sur la réingénierie chargé de revoir toutes les activités
de la Société. L'objectif est de garantir que Radio-Canada deviendra le radiodiffuseur
le plus efficace dans l'industrie et investira ses ressources là où ça compte,
c'est-à-dire en programmation. Nous savons que des changements fondamentaux
s'imposent autant dans les secteurs de l'exploitation que de la programmation.
De son côté, le Conseil d'administration continuera de travailler de concert
avec la haute direction de la Société à l'accomplissement de la mission essentielle
et unique du radiodiffuseur public national.
J'aimerais maintenant
aborder un sujet qui, pour moi, revêt une grande importance mais qui fait plutôt
partie des choix personnels, si on veut. Je pense que les gestionnaires doivent
dépasser le cadre de leur entreprise et s'impliquer dans leur milieu et dans
leur environnement social.
Les compétences d'un gestionnaire peuvent
servir à plus d'un niveau et dans plus d'un domaine. Si, par exemple,
je ne m'étais pas impliquée dans le milieu de l'industrie forestière,
qui était un monde d'hommes, je n'aurais pas pu faire partie de celles
qui ont aidé à ouvrir certaines portes aux femmes.
En 1985, j'ai été
la première femme à présider la très masculine Association des manufacturiers
de bois de sciage du Québec. L'année suivante, je suis devenue la première
femme à présider la Chambre de commerce du Québec. Et je suis aussi la première
femme à présider le Conseil d'administration de la Société Radio-Canada,
quoique dans ce dernier cas, je n'en sois que le deuxième président, la scission
des postes de président du Conseil et de président-directeur général étant assez
récente.
Je ne vous énumérerai pas ici la liste des nombreux conseils d'administration
dont j'ai fait partie au cours de ma carrière. Ce que je veux vous dire,
par contre, c'est que, quel que soit le milieu dans lequel il évolue, un
gestionnaire a, de par sa formation, la capacité de s'intégrer dans des entreprises
diverses, qu'il s'agisse du milieu des affaires, de l'éducation,
de la culture ou autre.
Personnellement, je me considère comme une femme
privilégiée. J'ai eu la chance d'oeuvrer au sein de milieux aussi diversifiés
que Nortel, Petro-Canada, la Banque de Montréal, l'Université de Montréal,
l'orchestre symphonique de Montréal et l'Hôtel-Dieu de Montréal. J'ai
aussi été membre de la Commission d'enquête sur le régime de l'assurance-chômage
et membre du Comité aviseur au ministre Lloyd Axworthy sur la réforme des programmes
sociaux.
Chacun de ces mandats m'a apporté une expérience et des connaissances
que je mets à profit aujourd'hui en tant que président du Conseil d'administration
de la Société Radio-Canada et président du Conseil de l'Institut canadien
des comptables agréés.
C'est l'importance des enjeux en cause
qui rend aussi captivant notre rôle en tant que gestionnaire, quel que soit le
milieu dans lequel nous évoluons.
Et j'aurais envie de m'adresser
plus spécialement aux étudiants de la Faculté ici présents. Je voudrais vous dire
ceci pour l'avenir. Un gestionnaire a un rôle de leader à jouer au niveau
des entreprises, mais il a aussi un rôle important à jouer au niveau social. Il
possède, de par sa formation, les outils nécessaires pour aider à bâtir une société
juste et responsable, une société qui se préoccupe autant du développement de
ses industries que d'éducation et de culture.
Tout ce que vous avez
la chance d'acquérir lorsque vous vous impliquez dans votre milieu d'affaires
autant que dans des organisations sociales et culturelles vous enrichit pour l'accomplissement
de vos activités professionnelles spécifiques.
Tous les gestionnaires ici
présents le savent : dans un contexte de mondialisation, nous ne pouvons
pas travailler en circuit fermé, repliés sur nous-mêmes. Si, comme gestionnaires,
nous voulons réussir à faire évoluer les choses, nous n'avons pas le choix
de nous ouvrir à ce qui se passe, non seulement dans notre secteur, mais autour
de nous, et sur la planète entière. Plus nous élargissons nos horizons, plus nous
serons en mesure de faire progresser notre monde.
Et quand je dis « élargir
nos horizons », je ne parle pas uniquement de dépasser les frontières terrestres,
mais je veux dire aussi de dépasser nos propres frontières, celles que nous nous
mettons souvent nous-mêmes en nous confinant dans une routine et dans un milieu
restreint. Si, un jour, nous avons eu envie de devenir gestionnaires, c'est
que nous avions envie de diriger la destinée d'entreprises. Ayons aussi envie
de voir large, et assumons notre rôle en tant que gestionnaires de la société.
Je vous souhaite donc d'avoir, chacun à votre niveau et dans votre milieu,
la chance de participer à l'évolution de cette société.
Merci de votre
attention.
![Haut de la page](/web/20061029152829im_/http://www.cbc.radio-canada.ca/images/top.gif)
|