National Gallery of Canada - Musée des beaux-arts du Canada
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Hommage à Jean Paul Lemieux
22 octobre 2004 – 2 janvier 2005
Salles des expositions temporaires

Des droits d'entrée s'appliquent

Cette exposition a été organisée dans le but de commémorer le centenaire de la naissance de Jean Paul Lemieux (1904-1990). La sélection d'une trentaine d'œuvres,  permettra notamment de souligner l'apport singulier de cet artiste au renouvellement de la peinture de paysage au Canada.

Un catalogue bilingue et entièrement illustré complétera la présentation.

Hommage à Jean Paul Lemieux ouvrira au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, et sera ensuite présentée dans d'autres musées canadiens, en commençant par le Musée national des beaux-arts du Québec au début de l'année 2005. 

Catalogue
À la fois bilingue et entièrement illustré, le catalogue de l’exposition a été préparé par le Musée des beaux-arts du Canada en collaboration avec le MNBAQ et Galerie Lacerte, Il comprend une contribution de la fille de l’artiste, Anne-Sophie Lemieux, ainsi qu’un essai de Michèle Grandbois, conservatrice de l’art moderne au MNBAQ.
Disponible à la Librarie

Témoignage de Anne Sophie Lemieux


Jean Paul Lemieux
Le visiteur du soir (détail) 1956
Musée des beaux-arts du Canada

Témoignage

Alors que la paix universelle à laquelle il aspirait tant apparaît de plus en plus comme une utopie, et que le fossé entre les peuples ne cesse de se creuser, cette exposition soulignant le centième anniversaire de naissance de Jean Paul Lemieux me touche profondément.

Je ne peux m'empêcher de penser à ce que mon père, face aux débordements meurtriers, aurait jeté sur la toile pour exprimer l'angoisse qui l'étreignait de plus en plus en songeant au troisième millénaire et à la folie des hommes. Cet être foncièrement bon, capable d'émerveillement, qui savait se montrer taquin et dont l'œuvre renferme quelques pointes d'humour, était en fait tourmenté par la destinée humaine. Il n'est pas étonnant que, soulignant la fragilité de l'Homme, l'œuvre du célèbre peintre et sculpteur suisse Alberto Giacometti, devant laquelle je l'ai si souvent vu ému à l'occasion de nos visites dans les grands musées européens, l'ait à ce point rejoint. De ces visites au Louvre, au Prado et à St-Paul-de-Vence effectuées alors que j'étais enfant, il revenait parfois si ébloui par les tableaux des grands maîtres qu'il se mettait à douter de son propre talent. Je me souviens également qu'il se sentait inconfortable devant les symbolistes, lui dont les sujets d'abord ancrés dans le réalisme deviendront de plus en expressionnistes.

Mon père a exposé de nombreuses fois, en de nombreux lieux, au cours de sa longue carrière, durant laquelle j'ai eu le bonheur de travailler au rayonnement de son œuvre au Québec et outre-frontières. Ces moments nous rapprochaient comme nous rapprochaient également nos longues conversations. Mon père possédait un précieux sens de l'écoute et, jeune fille, j'aimais l'entretenir de ma passion pour les meubles anciens. Nous avions aussi de longs échanges autour de la Russie de l'époque des Tsars. Mon père aimait cette Russie-là. De nature mélancolique, il se sentait des affinités avec l'âme de ce peuple. Il pouvait écouter Tchaïkovski des heures durant. Le peintre en lui s'est sûrement abreuvé au sentiment d'isolement que la steppe lui transmettait pour exprimer, à travers nos propres vastitudes, l'extrême solitude de l'être humain.

Généralement enfermé dans sa bulle, aux prises avec sa quête existentielle et sa recherche picturale, mon père avait réussi à tisser avec moi, arrivée tard dans sa vie, une touchante complicité nourrie de tendresse et de respect mutuel. Mais, mis à part les quelques fois où j'ai posé pour lui, je ne me suis guère aventurée dans son atelier, sachant qu'il aimait travailler en solitaire, avide du silence, lui permettant d'entendre ses voix intérieures et de faire surgir au bout de ses pinceaux les mondes qui l'habitaient. Et ce silence est passé dans sa peinture. Qui me parle tant. Je suis particulièrement bouleversée par son Autoportrait qu'il m'a offert, un jour, et dans lequel Jean Paul Lemieux a magnifiquement représenté le passage du temps dans son existence. J'ai une certaine préférence aussi pour le tableau intitulé Mémoires de 1910, qui le représente en compagnie de son père et de sa mère. Cette toile me touche beaucoup car elle signifie, pour mon père, le rêve brisé; ses parents s'étant séparés lorsqu'il était encore enfant. L'absence de son propre père l'a inévitablement marqué. Elle n'est sans doute pas étrangère à la nostalgie qui se dégage de son œuvre empreinte de gravité.

Toute sa vie, Jean Paul Lemieux a cherché à se dire et à dire l'âme humaine de façon authentique, en étant fidèle à lui-même et à son style, sans égard aux modes et aux diktats du milieu artistique. Si, comme tout créateur, le peintre aspirait à la reconnaissance et désirait, surtout, partager sa vision du monde en rejoignant un large public, l'homme timide et simple qu'était mon père affichait un véritable désarroi à la pensée d'affronter les projecteurs. Lui, qui aimait rencontrer les gens dans l'intimité alors qu'il pouvait laisser libre cours à son côté ludique, détestait les mondanités. Je me souviens comment, malgré sa joie de voir son œuvre mise en lumière, il devait se faire violence pour assister à ses propres vernissages. En 1967, lors de la grande rétrospective présentée par le Musée des beaux-arts de Montréal, on avait inscrit son nom sur chacune des marches conduisant à la salle d'exposition. En gravissant l'escalier, il m'a chuchoté à l'oreille : « Je marche sur moi-même…» C'était tout dire !

Mon père a été un modèle pour moi. J'admirais sa persévérance, sa générosité. C'était mon héros, mon ami. Un sage et un prophète dont la lucidité, encore aujourd'hui, ne cesse de m'impressionner. Je souhaite ardemment que cette exposition permette à celles et à ceux qui sont sensibles à l'œuvre de Jean Paul Lemieux de redécouvrir le peintre des grands espaces qui a su si bien traduire l'âme collective. Et j'ose espérer que les gens qui n'ont pas encore apprivoisé cet œuvre le découvriront dans toute sa vérité et son merveilleux pouvoir d'évocation.

Anne Sophie Lemieux