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Poissons et vies aquatiques

Le monde sous-marin

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L'ANGUILLE D'AMÉRIQUE

Image de la page couvertureBien des gens éprouvent de la répugnance envers l’anguille, qu’ils considèrent comme une créature reptilienne visqueuse. En revanche, ceux qui ont goûté à la chair blanche et onctueuse de l’anguille fumée, en gelée ou en matelote, ont une opinion bien différente. Une chose est certaine cependant : l’anguille suscite beaucoup de curiosité.

Pendant des siècles, la vie de l’anguille a été entourée de mythes et de conjectures. Du IVe siècle av. J.-C., époque où Aristote consignait par écrit les premières observations sur la vie de ce poisson, jusqu’au début du XXe siècle, l’emplacement de ses frayères et ses migrations en mer étaient inconnus. Plusieurs mystères demeurent, mais grâce à Johannes Schmidt, océanographe danois, on sait depuis 1922 que l’anguille se reproduit dans la mer des Sargasses, dans la partie sud-ouest de l’Atlantique Nord. Schmidt a également déterminé les routes migratoires de la larve. Sur les 15 espèces d’anguilles recensées jusqu’à maintenant dans le monde, deux ont élu domicile dans l’Atlantique Nord. L’anguille d’Amérique (Anguilla rostrata), bien que génétiquement distincte de l’anguille d’Europe (Anguilla anguilla), ne diffère que légèrement de cette dernière dans son aspect physique, par son nombre inférieur de vertèbres. Par ailleurs, son stade larvaire est plus court. Ces deux espèces sont étroitement apparentées, mais elles sont différentes des autres espèces d’anguilles.


Description

L’anguille d’Amérique est dotée d’un corps allongé en forme de serpent. Son unique nageoire dorsale continue commence à peu près au tiers de son corps, derrière la tête, et se prolonge jusqu’à l’anus. La couleur de l’anguille juvénile immature (anguille jaune) varie de jaunâtre à verdâtre ou brun olive et le dos est plus foncé que le ventre. Au cours de sa migration de reproduction vers la mer, l’anguille en maturation (anguille argentée) acquiert un lustre métallique de couleur bronze ou noir sur le dos et argenté sur le ventre. Elle peut aussi changer de couleur en réaction aux variations de la lumière et de l’arrière-plan. La peau, épaisse et dure, sécrète de grandes quantités d’un mucus visqueux qui lui sert de couche protectrice. Contrairement aux écailles bien développées de la plupart des autres poissons, celles de l’anguille sont rudimentaires et incrustées profondément dans la peau. Elles ne se développent qu’après environ trois années passées en eau douce.

On peut parfois confondre l’anguille d’Amérique avec la lamproie. Toutefois, cette dernière se distingue de façon marquée de l’anguille par son grand disque buccal tapissé de grosses dents recourbées, la présence de plusieurs fentes branchiales et l’absence de nageoires pectorales.


Répartition

De tous les poissons, l’anguille d’Amérique est probablement celui qui fréquente les habitats aquatiques les plus divers. Elle vit dans les estuaires et les réseaux hydrographiques de l’est de l’Amérique du Nord et du nord-est de l’Amérique du Sud. Il existe de petites populations au sud-ouest du Groenland, mais la limite septentrionale de son aire de répartition continentale est le fjord du Hamilton et l’estuaire du lac Melville, au Labrador. De là, son aire s’étend au sud de Terre-Neuve-et-Labrador et du golfe du Saint-Laurent, le long de la côte atlantique canadienne et américaine, jusqu’au golfe du Mexique, à Panama et dans les Antilles, puis jusqu’au Guyana, en Amérique du Sud. Elle se rend jusqu’aux Grands Lacs et remonte le Mississippi. On pense que le canal Welland lui a permis d’accéder aux lacs Érié, Huron et Supérieur, mais elle y est peu commune. Chose étonnante, quelques individus, que des tests génétiques ont permis d’identifier comme étant des anguilles d’Amérique, ont été trouvés dans certains cours d’eau de la côte atlantique de l’Europe du Nord.


Aire de répartition de l’anguille d’Amérique (illustration adaptée de F. W. Tesch, 1977).


Évolution

Anguillidés tire son origine d’un ancêtre marin tropical, qui passait toute sa vie en mer et ne migrait jamais en eau douce. Cet ancêtre vivait probablement près de l’actuelle Indonésie, il y a de cela de 36 à 55 millions d’années, durant l’Éocène ou juste avant, durant l’ère tertiaire du Crétacé. La forme ancestrale s’est divisée en plusieurs groupes au fil des temps géologiques lorsque les larves ont suivi des courants océaniques différents au moment de la dispersion et que les adultes retournaient vers leurs frayères. Selon une hypothèse, avec la dérive des continents, les groupes qui ont constitué par la suite l’anguille d’Amérique et l’anguille d’Europe se seraient dispersés vers l’est et auraient pénétré dans les eaux qui constituent aujourd’hui l’Atlantique Nord en pasant par le corridor de la mer de Tethys avant que la masse continentale de l’Afrique ne l’obstrue en se joignant à l’Asie, il y a de cela quelque 30 millions d’années. À mesure que l’Atlantique Nord s’est élargi au fil du temps et que la gyre (un tourbillon cyclonique) de l’Atlantique Nord s’est agrandie, la voie de migration des anguilles entre les frayères et les côtes de l’Amérique du Nord et de l’Europe s’est rallongée, la division entre les deux espèces se produisant il y a environ 10 millions d’année. La longue durée de la période larvaire a peut être favorisé le développement de ces longues voies de migration.


Cycle de vie

L’anguille est un poisson catadrome, ce qui signifie que l’anguille qui atteint la maturité sexuelle migre vers la mer où elle se reproduit. Des études récentes ont confirmé que la catadromie n’est pas obligatoire mais optionnelle; un certain nombre d’anguilles restent dans les eaux côtières ou estuariennes jusqu’à ce qu’elles atteignent la maturité ou migrent périodiquement de l’estuaire vers l’amont. Chez l’anguille, la maturation semble être liée à la taille plutôt qu’à l’âge. Selon la position géographique et le sexe, la taille à la maturité varie, mais le mâle est généralement plus petit que la femelle. En plus du développement et de la maturation des organes sexuels, et des changements de la couleur de la peau, on observe une accumulation de tissus adipeux qui seront une source d’énergie pendant la migration vers la mer; en effet, très vite l’alimentation cesse et le tube digestif s’atrophie. D’autres changements préparent le corps à s’adapter à l’environnement marin. Comme chez d’autres poissons qui peuvent vivre en eau douce et en eau salée, les surfaces branchiales, le tube digestif et les reins de l’anguille jouent des rôles importants dans la régulation des équilibres osmotique et électrolytique du corps.

La migration de reproduction a lieu entre août et décembre. L’anguille se déplace plus activement la nuit, pendant les premières heures après le coucher du soleil. La migration atteint généralement son point culminant en septembre et octobre, pendant le dernier quartier de la lune, et elle s’intensifie au cours des nuits sombres de tempête et de grandes marées. Les anguilles jaunes peuvent également migrer vers la mer en automne, mais on croit plutôt qu’elles se déplacent vers des aires d’hivernage, à l’intérieur des cours d’eau ou des estuaires.

Leptocéphale d?Anguilla sp. (M. J. Miller).
Leptocéphale d’Anguilla sp. (M. J. Miller).

Quelques individus ont été capturés en pleine mer le long du plateau continental, mais on ne sait rien des routes migratoires ou du comportement de l’anguille argentée en mer. À partir des zones septentrionales de son aire de répartition, elle peut migrer plus tôt et à un stade plus immature que sa cousine peuplant les eaux méridionales, ce qui lui permet d’atteindre les frayères en même temps et au même stade de maturation.

L’anguille d’Amérique fraye dans la partie occidentale de la mer des Sargasses, après avoir parcouru plus de 6 000 km dans le cas des individus partis de l’extrémité ouest du lac Ontario et quelque 1 000 km dans le cas de ceux partis du sud de la Floride. Le frai atteint son apogée entre février et avril. Les grosses femelles pondent plus d’œufs que les petites. Selon une estimation, une femelle de 45 cm de longueur pond environ deux millions d’œufs, comparativement à quelque 20 millions pour une femelle de 113 cm. Aucun adulte mature n’a jamais été capturé dans la mer des Sargasses et le comportement de reproduction demeure un mystère. On croit que l’adulte meurt à la suite du frai.

Civelles d?Anguilla sp. (Rodger Jackman).
Civelles d’Anguilla sp. (Rodger Jackman).

Après l’éclosion, la plupart des larves transparentes (appelées leptocéphales), en forme de feuille de saule, sont transportées vers le nord par le Gulf Stream, nageant peut-être de temps à autre jusqu’à ce qu’elles soient réparties le long de la côte nord-américaine. Il peut se passer un an ou plus avant qu’elles n’atteignent les eaux canadiennes. Une fois parvenue sur le plateau continental, la larve se métamorphose et prend la forme caractéristique de l’anguille. La civelle, transparente comme le leptocéphale, nage vigoureusement vers le rivage en se prévalant des courants côtiers et des courants de marée. Au moment d’atteindre les estuaires des cours d’eau côtiers, elle a acquis une certaine pigmentation. La civelle est une version miniature de l’adulte. Elle mesure au moins entre 50 et 70 mm de longueur lorsqu’elle pénètre dans les cours d’eau, souvent en grand nombre, alors que la température de l’eau est d’environ 10 °C. Le moment de son arrivée varie selon l’endroit, du début du mois de mai au mois de juin dans les cours d’eau longeant la côte atlantique de la Nouvelle-Écosse jusqu’à la fin juin et le mois de juillet le long de la côte nord du golfe du Saint-Laurent. Les remontées surviennent généralement en plusieurs vagues échelonnées sur plusieurs semaines, bien que de petits groupes de civelles puissent arriver sur une plus longue période. La période d’arrivée de pointe peut coïncider avec les marées de printemps, la nuit. Rien ne nous prouve que les civelles reviennent vers un cours d’eau particulier et l’on a de bonnes raisons de croire que ce n’est pas le cas. En effet, la larve étant transportée par les courants dominants, le long de la côte nord-américaine, et la capacité locomotrice de la civelle étant faible, il est peu probable qu’elle puisse trouver et remonter le cours d’eau où vivaient ses parents. Il est également peu probable que les deux parents soient originaires du même cours d’eau. La civelle peut se rendre très loin à l’intérieur des terres, selon la pente du cours d’eau et les obstacles rencontrés, mais un certain nombre d’individus restent dans les zones côtières et estuariennes. La remontée des civelles peut s’échelonner sur plusieurs années si elles sont à la recherche d’habitats moins peuplés ou de meilleure qualité et remplacent les anguilles matures qui ont quitté les cours d’eau. Il leur faut environ quatre ans pour atteindre le haut Saint-Laurent.

L’espèce peut passer de 5 à 20 ans ou plus en eau douce (des individus de plus de 30 ans ont déjà été observés et un individu de plus de 80, le plus âgé jamais recensé, a même été observé), selon son taux de croissance, lequel varie en fonction des conditions alimentaires et environnementales. Un certain nombre d’anguilles jaunes peuvent migrer périodiquement entre les estuaires et le cours inférieur ou supérieur des rivières, selon leur origine. Souvent, la petite anguille jaune est plus abondante dans le cours inférieur tandis que la grosse anguille, généralement femelle, fréquente en moindre nombre le cours supérieur. Une grosse femelle peut mesurer plus d’un mètre et peser plus de deux kilos, mais le mâle dépasse rarement 40 cm.

Il est possible que l’environnement influe sur la détermination du sexe, une plus forte densité entraînant une proportion élevée de mâles au sein de la population. Dans les grands cours d’eau, on retrouve principalement des femelles, tandis que dans les petits cours d’eau, la proportion de mâles peut être élevée, surtout si l’habitat est relativement médiocre. Le Saint-Laurent, par exemple, n’abrite que des femelles et il en va de même de la rivière Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, où 97 p. 100 des anguilles dont on a pu déterminer le sexe étaient des femelles. Par contre, dans les eaux acides et peu productives de la rivière East, petit cours d’eau de la côte atlantique de la Nouvelle-Écosse au niveau de Chester, environ 60 p. 100 des anguilles argentées sont des mâles.

Fig. 1 : Dessins (A) de l?anguille jaune et (B) des leptocéphales (conçus d?après Bigelow et Schroeder, 1953). 1. Leptocéphale (49 mm); 2. Leptocéphale (55 mm); 3. Leptocéphale (58 mm); 4. Stade de la métamorphose (61 mm).
Fig. 1 : Dessins (A) de l’anguille jaune et (B) des leptocéphales (conçus d’après Bigelow et Schroeder, 1953). 1. Leptocéphale (49 mm); 2. Leptocéphale (55 mm); 3. Leptocéphale (58 mm); 4. Stade de la métamorphose (61 mm).

Il semble que le domaine vital où l’anguille cherche sa nourriture soit relativement petit. Les changements d’habitat ne surviennent que pendant les périodes de transition, comme au printemps et à l’automne. Les déplacements majeurs ont lieu à l’automne quand l’anguille argentée migre vers la mer. Certaines anguilles jaunes se rendent aux zones d’hivernage si l’habitat estival ne convient pas. Ainsi, l’anguille jaune qui s’était déplacée de l’aval à l’estuaire au printemps retourne ensuite à la rivière, parfois même à l’endroit exact d’où elle est partie. Il est arrivé que des individus emportés jusqu’à 100 km de leur aire retrouvent leur route. On ne sait pas très bien comment cela se produit, mais la capacité d’orientation par rapport au champ magnétique terrestre et la capacité de détection des odeurs fluviatiles offrent peut-être une explication plausible.

En général, l’anguille jaune est active pendant la nuit. Le jour, elle s’enfouit dans des trous sur les fonds vaseux ou se cache dans d’autres abris. Un clair de lune trop intense inhibe l’activité nocturne. La température influe sur le niveau d’activité saisonnière et quand la température de l’eau descend au-dessous de 11 °C à l’automne, l’anguille devient nettement moins énergique. Durant la saison froide, elle hiverne dans le fond vaseux.

Carnivore vorace, l’anguille consomme une variété de poissons et d’invertébrés, et les insectes, écrevisses, escargots et vers figurent à son menu. Son odorat développé l’aide à localiser sa nourriture et elle préfère les aliments frais à ceux qui sont décomposés. Elle mangera cependant un poisson qui vient de mourir après s’être pris dans un filet. Les alevins de truite et de saumon peuvent faire partie de ses petites proies, mais comme elle tend à éviter les eaux froides et rapides qu’affectionnent les salmonidés, elle ne représente pas une menace importante. Une étude a révélé qu’environ 10 p. 100 des anguilles examinées avaient consommé du poisson tandis que le reste s’était principalement nourri d’insectes. Naturellement, l’anguille peut aussi être la proie d’autres prédateurs, les petites anguilles étant particulièrement vulnérables.

Cycle de vie de l?anguille d?Amérique.
Cycle de vie de l’anguille d’Amérique.


Pêche

Par le passé, les peuples autochtones de l’est de l’Amérique du Nord pratiquaient la pêche de subsistance de l’anguille. Ce poisson est très nutritif en raison de sa forte teneur en matières grasses et en protéines, et se conserve bien après avoir été fumé ou séché, ce qui en faisait la provision idéale pour les voyages. Au Canada, l’anguille fait l’objet d’une pêche commerciale depuis l’époque de la colonisation. Durant cette période, l’espèce était principalement pêchée par les Français du Québec et les Acadiens du Nouveau-Brunswick, qui en saumuraient de grandes quantités pour l’exportation et la consommation locale. Vers 1850, un commentateur faisait remarquer que l’anguille, même si elle était excellente à consommer, n’était pas très recherchée en Nouvelle-Écosse.

Un pêcheur québécois admire sa prise d?anguille.
Un pêcheur québécois admire sa prise d’anguille.

La pêche la plus rentable s’est toujours effectuée dans le Saint-Laurent, de Trois-Rivières à Rivière-du-Loup, où la prise se compose principalement de l’anguille argentée de plus grande valeur. Des pêches moins prospères – il s’agit surtout de l’anguille jaune – mais également importantes, se pratiquent dans la rivière Saint-Jean, le long de la côte nord-est du Nouveau-Brunswick, à I’Île-du-Prince-Édouard, le long de la côte méridionale de la Nouvelle-Écosse et dans l’île du Cap-Breton. Une pêche de moindre envergure se déroule également à Terre-Neuve. La pêche autrefois prospère de l’anguille jaune dans le lac Ontario, pratiquée surtout dans la baie de Quinte, a été fermée en 2004 à cause du recrutement à la baisse de jeunes anguilles et, en bout de ligne, des prises.

Peu de poissons se prêtent comme l’anguille à autant de méthodes de pêche. Le choix en est dicté par les préférences locales et les conditions environnementales. En Ontario, les pêcheurs utilisent des lignes dormantes appâtées, des verveux, des parcs en filet et même des bateaux de pêche à l’électricité. Environ 65 p. 100 des prises sont capturées à l’aide de lignes dormantes, populaires dans les zones côtières parce qu’un seul homme peut les manoeuvrer et qu’elles sont peu coûteuses. Elles se composent de nombreux hameçons appâtés, habituellement de 200 à 250, attachés par de courts guideaux à une ligne dormante maintenue au fond par des poids à chaque extrémité. Le verveux consiste en un ou deux guideaux attachés à un corps formé de cerceaux recouverts de filet et à l’intérieur desquels pendent une série de cônes en filet dont le sommet est parsemé de petites ouvertures. On le mouille en eau peu profonde, souvent sur un fond vaseux. Le filet à guideau simple est habituellement placé à angle droit par rapport au rivage tandis que le filet à guideaux doubles ou à ailes, destiné aux lacs, peut être mouillé en chaîne ou tendu en travers des cours d’eau. La trappe en filet, plus grosse que le verveux, se compose d’un guideau s’étendant jusqu’à une enceinte en filet rectangulaire maintenue en place par des pieux et des étais. Des espèces autres que l’anguille sont souvent capturées par ces engins. Utilisée dans les eaux intérieures du Québec, la trappe en filet est remplacée par la fascine dans l’estuaire du Saint-Laurent.

Habituellement, la fascine se compose de parois en forme de V, ouvertes en amont et bloquant une partie du cours d’eau; l’eau s’écoule par une trappe à l’extrémité du V. Comme un bon débit est nécessaire, l’engin de pêche est souvent installé de façon à tirer parti des caractéristiques naturelles des cours d’eau. Les pêcheurs en eau salée utilisent des nasses appâtées et des verveux et sur la côte méridionale de la Nouvelle-Écosse, des fascines. Les nasses à anguilles, construites généralement de lattes de bois ou de fil métallique, sont souvent de fabrication artisanale et de forme variable. Un appât sert à attirer l’anguille dans un large entonnoir qui se rétrécit rapidement à une extrémité de la nasse et mène à une enceinte d’où l’anguille peut difficilement s’échapper. L’appât doit être frais, car l’anguille dédaigne les vieux appâts. Au cours de l’hiver, les pêcheurs des Maritimes pêchent de petites quantités d’anguille à l’aide de foënes à plusieurs pointes pour la consommation locale. Il arrive fréquemment que d’autres espèces de poissons soient capturées dans les verveux ou les parcs en filet. Bien que ces prises accessoires puissent souvent être libérées vivantes lorsque les filets sont vérifiés régulièrement, certaines provinces mettent à l’essai ou exigent des engins destinés à réduire les prises accessoires.

Pêche de l?anguille au verveux.
Pêche de l’anguille au verveux.

Les prises annuelles d’anguille varient beaucoup selon les provinces et sont dans la fourchette de 500 à 1 400 tonnes métriques depuis 1965. En Ontario, au Québec, à l’Île-du-Prince-Édouard et dans les cours d’eau du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse qui se jettent dans le golfe du Saint-Laurent, les prises ont diminué depuis le milieu des années 1980, surtout en Ontario et au Québec. Les prises sur la côte atlantique de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont augmenté de la fin des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, puis ont légèrement diminué. Le résultat net est que les prises canadiennes totales ont fortement diminué depuis le début des années 1990. On ne connaît pas exactement les causes du déclin de l’abondance de l’anguille, mais il peut être attribuable à une diminution du nombre de civelles atteignant le golfe du Saint-Laurent en raison peut-être des mauvaises conditions océaniques. Le déclin des prises d’anguille dans le lac Ontario est lié à la diminution à long terme du nombre de civelles traversant les barrages hydroélectriques dans le cours supérieur du Saint-Laurent, lequel peut être lié à la baisse apparente de l’abondance des civelles dans le cours inférieur du fleuve.

La perte d’habitat et l’obstruction du passage des anguilles en amont, par exemple, par les barrages hydroélectriques, de même que la mortalité des anguilles se rendant en aval par les turbines, contribuent également dans une large mesure au déclin de l’abondance des stocks. La surpêche commerciale constitue une autre préoccupation en ce qui concerne le déclin des prises locales.

En 1997, le total des prises au Canada s’est élevé à environ 700 tonnes, d’une valeur de quelque 6,3 millions de dollars. Une partie importante de cette valeur s’explique par le prix plus élevé de la civelle provenant des pêches effectuées dans les régions côtières de l’Atlantique, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick. La pêche à la civelle a débuté en 1989, pour répondre à la demande de pays d’Asie qui voulaient en faire l’élevage. Les prises, assujetties aux quotas fixés dans les permis de pêche, fluctuent en fonction des prix du marché qui ont varié considérablement de 50 à 100 $ le kilo à plus de 500 $ le kilo, en fonction des conditions. Les prix de l’anguille jaune et de l’anguille argentée varient selon les régions; ils ont graduellement augmenté au fil du temps et se situaient récemment dans la fourchette de 3 à 5 $ le kilo.

Les conditions variables du marché et les variations de l’abondance de l’anguille ont une incidence sur les prises. Au Maine, les fluctuations des prises ont été reliées aux températures de l’eau qu’a connues le golfe du Maine, il y a dix ans; une température plus basse de la mer accroît les prises. La plus grande partie des prises d’anguille jaune et d’anguille argentée est exportée en Europe occidentale, quoique les marchés canadiens régionaux approvisionnant plusieurs groupes ethniques soient importants. Le marché d’exportation préfère l’anguille vivante à l’anguille surgelée, et l’anguille argentée a l’avantage sur l’anguille jaune en raison de sa taille supérieure et de sa plus forte teneur en gras, qui permet d’offrir un meilleur produit fumé. La demande d’anguilles vivantes et leur valeur élevée justifient le transport aérien vers les marchés étrangers. À destination, les producteurs locaux apprêtent le produit selon leurs besoins. Beaucoup d’anguilles sont fumées, tandis que d’autres sont mises en gelée ou marinées. Les peaux d’anguille tannées servent à fabriquer des produits en cuir de qualité. Les civelles sont principalement exportées en Chine et à Taïwan aux fins d’élevage, quoique certaines quantités soient expédiées en Espagne, où elles sont très appréciées des fins gourmets dans certaines régions.


Gestion

De nos jours, les pêches sont réglementées selon des plans de gestion reposant sur l’évaluation scientifique régulière de chaque stock de poisson ou groupe de stocks apparentés. Malheureusement, peu de stocks d’anguille reçoivent l’attention nécessaire à une gestion efficace, et la grande quantité de données requises pour l’élaboration de règlements adéquats fait généralement défaut. Or, l’échantillonnage périodique des prises commerciales et la collecte de données sur les débarquements totaux et l’activité de pêche pour chaque espèce ou bassin hydrographique d’importance sont essentiels pour assurer une saine gestion des pêches. La plupart des provinces limitent maintenant le nombre de permis de pêche à l’anguille et la quantité d’engins autorisés pour chaque permis, en plus d’exiger la tenue d’un livre de bord où l’on consigne les prises et l’effort de pêche. Les dispositions régissant la saison de pêche et le type d’engins autorisés varient selon la province. La taille minimale de 20 cm a récemment été accrue, et ce jusqu’à 50 cm dans de nombreuses régions. Il est rare qu’on impose des quotas sur les prises, sauf dans le cas des civelles. Les mesures de gestion récentes, et d’autres qui ont été proposées, visent à fortement réduire le niveau de mortalité de l’anguille imputable à toutes les activités anthropiques, reliées à la pêche ou non.

Prises déclarées d?anguilles d?Amérique (t) par province.
Prises déclarées d’anguilles d’Amérique (t) par province.

Les préoccupations que suscite le déclin des prises d’anguille dans de nombreuses régions ont conduit à des efforts en vue de l’élaboration d’un plan de gestion concertée de l’anguille à l’échelle nationale et internationale. Une entente internationale sur un plan de gestion de base s’impose en raison de la biologie particulière de l’anguille – toutes les anguilles d’Amérique du Nord constituent une population génétique. Le cycle de vie complexe de l’anguille accroît la difficulté inhérente à l’établissement d’une réglementation efficace de la pêche. Ainsi, on ignore s’il existe une relation entre la taille du stock d’adultes d’un cours d’eau et le retour des civelles : le taux annuel de retour varie grandement d’une année à l’autre et peut être principalement influencé par les conditions environnementales en mer. Le taux de croissance des adultes diffère selon les années et à l’intérieur des bassins hydrographiques en fonction de la géographie; les facteurs qui déclenchent la maturation sont obscurs, mais se rattachent probablement à la taille et à l’état corporel particulier que doit atteindre l’individu. La détermination de l’âge est plutôt incertaine et celle du sexe, difficile, ce qui requiert souvent un examen histologique.

Les modèles mathématiques des populations de poisson se sont révélés très utiles pour de nombreuses espèces mais on ne peut à l’heure actuelle les appliquer avec succès aux populations d’anguille pour les raisons susmentionnées. La pêche à l’anguille jaune réduit considérablement la production d’anguille argentée d’un cours d’eau et la pêche aux deux étapes du cycle de l’espèce réduit encore l’apport de ce cours d’eau au nombre de reproducteurs. La pêche de la civelle des Maritimes se pratique presque exclusivement en cours d’eau où l’on ne pêche pas les plus grosses anguilles. Deux des objectifs importants de la gestion de la pêche consistent à trouver un juste équilibre entre les pêches qui exploitent l’anguille à différentes étapes de son cycle de vie et à réduire le plus possible les effets des restrictions imposées à sa migration et à l’accès à ses habitats, ainsi que d’autres problèmes environnementaux, sur sa répartition et son niveau de mortalité. Manifestement, il reste encore beaucoup à faire pour élucider tous les mystères de cette espèce.

Comme la demande mondiale d’anguilles est plus élevée que la production par des moyens naturels, l’anguilliculture est devenue une source importante d’anguilles commercialisables. L’élevage de l’espèce est répandu au Japon, à Taiwan et en Chine et, à une plus petite échelle, aux Pays-Bas, en France et en Italie. Plusieurs entreprises d’anguilliculture ont vu le jour au Canada, mais peu ont survécu à long terme, principalement en raison de l’instabilité des conditions du marché. Il est à espérer qu’à l’avenir, les efforts seront fructueux.


Les fiches d’information du monde sous-marin sont de courts comptes rendus illustrés sur les ressources des pêches et les phénomènes du monde marin, préparés tant pour renseigner que pour éduquer le public. On y trouve une bonne description du cycle de vie, de la distribution géographique, de l’état et de l’exploitation des stocks de poissons, des mollusques, des crustacés et des autres organismes vivants du monde marin, ainsi que des renseignements sur la nature, l’origine et les effets de phénomènes ou de réactions du monde marin.


Lectures complémentaires :

Conseil international pour l’exploration de la mer. 2001. Report of the EIFAC/ICES Working Group on Eels, St. Andrews, N.B., Canada, du 28 août au 1er septembre 2000. ICES CM 2001/ACFM:03.

Dixon, D. A. (sous la direction de). 2003. Biology, Management, and Protection of Catadromous Eels. American Fisheries Society Symposium 33, 388 p.

Eales, J. G. 1968. La pêche de l’anguille dans l’Est du Canada. Office des recherches sur les pêcheries du Canada, Bulletin 166, 89 p.

Peterson, R. H. (sous la direction de). 1997. The American eel in eastern Canada: stock status and management strategies. Rapport technique canadien des sciences halieutiques et aquatiques, no 2196, 174 p.

Scott, W. B. et E. J. Crossman. 1974. Poissons d’eau douce du Canada. Office des recherches sur les pêcheries du Canada, Bulletin 184, 1026 p., p. 669-674.

Scott, W. B. et M. G. Scott. 1988. Les poissons de l’Atlantique canadien. Bulletin canadien des sciences halieutiques et aquatiques, no 219, p. 176-191.

Tesch, F.W. 1977. The Eel: Biology and Management of Anguillid Eels. Chapman and Hall, London. 434 p.

Texte mis à jour par :

B.M. Jessop
Direction des sciences biologiques
Pêches et Océans Canada


Les espèces de cette série sont réparties entre sept catégories :

  • Poissons de fond
  • Poissons pélagiques
  • Invertébrés
  • Espèces diadromes (anadromes et catadromes)
  • Mammifères marins
  • Poissons d’eau douce
  • Faune et flore aquatiques

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Publié par/Pour commander :
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Pêches et Océans Canada
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Courriel : info@dfo-mpo.gc.ca

© Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2006
No de cat. Fs 41-33/1-2000F
ISBN 0-662-84371-1
Revisé 2006

Disponible à :
www.dfo-mpo.gc.ca (in HTML and PDF Formats)
Also available in English – Underwater World, American Eel

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Last updated: 2006-06-06

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