Murray Snowdon, spécialiste de la nutrition animale
La ration totale mélangée (RTM)
n'est pas un concept nouveau dans l'alimentation des
troupeaux laitiers. La RTM est servie depuis de nombreuses
années, mais il semble qu'on lui accorde
dernièrement plus d'intérêt que jamais
auparavant. Ce regain de popularité est quelque peu
régional, mais il appert qu'on utilise plus de RTM dans
la plupart des régions de l'Amérique du Nord.
La RTM est beaucoup utilisée dans les
régions des États-Unis où l'on
élève de gros troupeaux. Elle constitue un choix
sensé, tant sur les plans économiques que pratiques,
pour les gros troupeaux de vaches divisés en groupes de
production et souvent nourris à partir de silos couloirs.
On a vanté les avantages de la RTM dans les
régions où les animaux consomment de l'ensilage
de maïs et de l'ensilage préfané, car
l'alimentation à la RTM empêche les vaches de
développer une préférence pour un fourrage aux
dépens des autres.
La RTM est largement utilisée dans les
régions où le vêlage saisonnier est encore
beaucoup pratiqué. Quand toutes les vaches sont au même
stade de lactation, on adapte simplement la RTM pour tout le
troupeau à mesure que la lactation progresse, et le groupage
n'est pas nécessaire.
Des consultants privés vantent la RTM en
partie parce qu'elle permet d'éliminer la plupart
des aliments commerciaux de la ration, ce qui rend
l'éleveur meilleur candidat aux services de
consultation pour la nutrition animale. Avec la RTM, les achats de
« denrées » et de sous-produits sont plus
vraisemblables, et le conseiller en nutrition peut alors envisager
plus d'options pour les rations et faire les achats au nom de
son client. Lorsqu'un consultant en nutrition animale prend
les bonnes décisions en matière d'achat et
d'alimentation pour le compte d'un éleveur, il
peut faire partie intégrante d'un bon système
d'alimentation à base de ration totale
mélangée.
La RTM a aussi gagné en popularité
parce que c'est le mode d'alimentation des troupeaux les
plus productifs du Wisconsin. Cette observation peut paraître
concluante à première vue, mais une étude
réalisée récemment en Illinois montre
qu'on utilise dans cet État de nombreux systèmes
d'alimentation pour les troupeaux ayant de hauts niveaux de
production. Seulement 2 des 9 éleveurs sondés en
Illinois utilisent la RTM, comparativement à 7
éleveurs sur 8 au Wisconsin. Les niveaux de production dans
les deux États étaient identiques après
l'ajustement pour trois groupes en lactation. Il semble
possible d'obtenir une forte production avec différents
systèmes d'alimentation, et il ne faut pas adopter la
RTM seulement à cause de la production laitière
éventuelle.
La RTM est un bon choix pour les grands troupeaux
en stabulation libre, mais elle a été appliquée
avec succès aux troupeaux de divers types et tailles, et elle
présente suffisamment d'avantages possibles pour
qu'il vaille la peine de l'essayer dans la plupart des
troupeaux.
AVANTAGES
(1) La RTM est le système
d'alimentation qui permet le mieux de servir une ration
équilibrée à la vache, et elle minimise
l'écart entre la ration établie « sur
papier » et celle qui est effectivement consommée. Dans
la plupart des autres systèmes d'alimentation, le
volume inconnu de fourrage consommé par une vache complique
la tâche d'équilibrer la ration réelle. La
RTM uniforme fait en sorte que chaque bouchée prise par la
vache renferme la même chose, et il s'agit d'un
des arguments les plus convaincants en faveur de la RTM.
(2) La RTM permet de servir une proportion
constante de fourrage et de grain et, que lorsque deux
différents fourrages sont servis, de s'assurer
qu'ils sont consommés dans la proportion
souhaitée.
(3) En fournissant la proportion correcte et
constante de fourrage et de grain aux vaches en début de
lactation, on simplifie les impératifs de régie
liés au passage des vaches fraîchement
vêlées à la pleine ration.
(4) La RTM favorise une plus grande
uniformité du pH du rumen qu'un système à
base d'aliments concentrés. Cette
caractéristique contribue à maintenir le niveau de
matières grasses du lait et tend à améliorer
l'indice de consommation et la prise alimentaire.
(5) Des aliments comme les graisses et les
sous-produits animaux sont couramment servis aux troupeaux
très productifs; ils peuvent causer des problèmes dans
les systèmes d'alimentation conventionnels à
cause de leur piètre palatabilité, mais ils sont
faciles à servir dans un système de RTM.
(6) Certains sous-produits entrent difficilement
dans les systèmes conventionnels, comme les drêches de
brasserie, mais ils conviennent souvent assez bien pour le
système de RTM.
(7) Lorsqu'on sert une RTM aux vaches en
stabulation libre, les vaches restent moins longtemps debout et se
reposent davantage. Elles se rendent à un seul endroit pour
manger, et elles ont toujours accès aux aliments. On
élimine le temps supplémentaire requis pour aller
à deux sources d'alimentation (silo couloir et
distributeur automatique), et le temps d'attente au
distributeur automatique est aussi éliminé.
(8) Comme le système de RTM élimine
la nécessité d'une ration laitière
commerciale, l'agriculteur qui adopte la RTM retire
automatiquement les avantages d'un système de stockage
et de broyage des grains.
(9) L'éleveur qui sert une RTM est
davantage porté à analyser les aliments et à
équilibrer les rations sur une base régulière.
Cette mesure accroît les chances d'augmenter la
production laitière et la marge de profit par rapport au
coût des aliments.
INCONVÉNIENTS
(1) Un facteur qui empêche de nombreux
éleveurs d'adopter le système de RTM a
été la notion générale selon laquelle il
faut répartir les vaches dans au moins deux groupes de
lactation. En fait, beaucoup croyait ces dernières
années qu'il fallait constituer trois groupes. Cet
aspect a incité de nombreux producteurs à abandonner
l'idée de la RTM. De nos jours, les spécialistes
sont plus ouverts à cet aspect de la RTM, et ils tiennent
compte des possibilités suivantes selon la ferme en cause
:
(a) La RTM pour trois groupes est encore
recommandée parfois, mais elle est moins populaire. Dans de
nombreux cas, le troisième groupe est composé de
vaches qui vêlent pour la première fois.
(b) La RTM pour deux groupes est probablement la
plus couramment utilisée et recommandée. Toutefois, le
groupage peut se faire par vaches matures et par vaches qui
vêlent pour la première fois, au lieu de se faire
d'après le niveau de production laitière.
(c) La RTM pour un seul groupe est maintenant
très répandue. Cette approche peut
s'avérer efficace dans les troupeaux bien régis
et très productifs qui n'ont pas de problème
d'engraissement excessif dû à une faible
production laitière ou à un long intervalle de
vêlage.
(d) Les producteurs qui utilisent désormais
les distributeurs automatiques peuvent adopter la RTM pour
l'ensemble de leurs vaches, et réserver le distributeur
automatique aux vaches fortes productrices.
Compte tenu de ce large éventail
d'options acceptées et manifestement efficaces,
l'aspect groupage pour la RTM ne constitue pas
nécessairement un obstacle comme par le passé.
(2) Un des inconvénients de la RTM les plus
souvent mentionnés est la baisse de production
laitière observée lorsque les vaches passent
d'un groupe à un autre. La gravité du
problème dépend du plan de l'étable
(différences entre les installations réservées
aux groupes distincts), du nombre de vaches qui changent de groupe
en même temps (le changement de groupe cause plus de stress
dans les petits groupes de vaches que dans les gros groupes), de la
composition différente des rations selon le groupe (une
baisse de 15 % de la concentration en énergie peut causer des
problèmes), et de la raison du changement de groupe (si la
vache est changée de groupe uniquement à cause de
l'espace et qu'elle n'a pas encore atteint son
niveau optimal de production laitière ou une bonne condition
physique, on peut s'attendre à une baisse de
production).
(3) Dans les fermes où le fourrage est de
mauvaise qualité et où l'on constate
régulièrement le refus d'importantes
quantités des aliments servis par distributeur, il faut
prendre note qu'avec un système de RTM, ces aliments
restants renferment des composants très coûteux en plus
du fourrage.
(4) En général, la charge de travail
est plus importante pour l'alimentation à la RTM que
pour de nombreux autres systèmes d'alimentation. Une
personne doit être présente pour la pesée et le
mélange des ingrédients pour chaque groupe. Le temps
supplémentaire requis est compensé en partie par le
fait que la RTM est habituellement servie deux fois par jour
seulement, alors que d'autres systèmes comportent
souvent de nombreuses rations par jour.
(5) La plupart des documents sur la nutrition des
vaches laitières concernent la vache individuelle. On examine
la taille de la vache, sa condition corporelle, la teneur du lait en
matières grasses et en protéines, la capacité
de la vache individuelle de manger des concentrés et, bien
sûr, la production laitière. Le système de RTM
ne tient pas compte de ces facteurs pour chaque vache, et certains
condamnent la RTM sur cette base. Le système de RTM vise
essentiellement les groupes de vaches plutôt que les vaches
individuelles.
Avec l'alimentation en groupe, il n'est
pas toujours possible de faire l'ajustement individuel du
régime d'une vache pour combattre une la maladie, pour
rétablir une piètre condition corporelle ou pour
améliorer la MCR.
Les producteurs qui ont un système de RTM
jumelé à un système de devanture d'alimentation
à blocage automatique ou à des distributeurs
automatiques peuvent modifier le système de RTM et prendre
soin d'une vache particulière.
(6) La couverture des besoins en nutriments
selon le sujet n'est pas aussi efficace dans un système
de RTM. Compte tenu du type de groupage utilisé,
des ingrédients coûteux, comme les gras absorbables dans
le rumen et les protéines non-digestibles dans le rumen, peuvent
être servis à des vaches qui n'en n'ont pas
besoin.
(7) L'impossibilité d'incorporer
du foin dans une RTM a déjà constitué un
problème, mais de nombreux mélangeur de RTM peuvent
désormais traiter le foin.
(8) Un programme de RTM ne peut servir lorsque le
troupeau est au pâturage, ce qui limite son utilisation pour
les troupeaux dont le pâturage constitue encore une partie
importante de la ration.
(9) L'analyse des aliments et
l'équilibre de la ration s'avèrent encore
plus importants dans un système de RTM. Les éleveurs
qui n'accomplissent pas ces tâches
régulièrement n'obtiennent pas de
résultats optimaux. La teneur en matière sèche
de l'ensilage dans la RTM est le facteur qui varie le plus, et
elle est la source la plus probable d'erreurs importantes dans
la ration si elle n'est pas mesurée
régulièrement et ajustée en
conséquence.
(10) Comme la RTM est servie à un grand
nombre de vaches, une erreur de calcul, de pesage ou de
mélange peut avoir un effet plus marqué sur la
production laitière que ce n'est le cas dans
d'autres systèmes d'alimentation, où les
erreurs touchent généralement les vaches
individuelles.
UTILISATION EFFICACE DE LA RTM
La règle d'or du succès de la
RTM consiste à vérifier régulièrement la
teneur en eau des ensilages servis aux animaux et à ajuster
la ration en conséquence.
Par exemple, une RTM peut être
formulée pour renfermer 10 kg de matière sèche
d'ensilage par vache. Lorsque l'analyse de
l'ensilage indique un taux de matière sèche de
50 %, chaque vache reçoit 20 kg d'ensilage humide par
jour. Si l'ensilage au fond du silo renferme seulement 30 % de
matière sèche et qu'aucune modification
n'est apportée à la ration, le 20 kg
d'ensilage humide ne renferme plus que 6 kg de matière
sèche, au lieu des 10 kg calculés pour la ration. Il
s'ensuit une réduction de 40 % dans la prise de
fourrage, et un écart considérable dans la proportion
de fourrage et de concentré. Cet exemple montre bien
l'importance d'analyser la teneur en eau de
l'ensilage à la ferme pour que l'utilisation de
la RTM soit efficace.
L'analyse régulière en
laboratoire des composants de la RTM, surtout du fourrage, est
essentielle si l'on veut minimiser l'utilisation des
marges de sécurité nutritionnelle et maximiser la
rentabilité des aliments.
Des RTM peuvent être servies sans une
vérification régulière des composants, mais
cette approche ne peut donner que des résultats
décevants. Le pesage précis de tous les composants de
la ration est un des impératifs du système de RTM.
Pour maximiser l'ingestion de matière
sèche et la production, les distributeurs d'aliments ne
doivent pas rester vides plus de 2 à 3 heures par jour.
Une RTM qui contient moins de 50 % de
matière sèche peut causer une baisse de la prise
d'aliments. Il faut donc rester au-dessus de cette limite,
particulièrement lorsque la RTM est formulée pour un
groupe de vaches fortes productrices. Une ration trop humide est le
plus souvent attribuable à l'addition de
céréales humides et/ou d'un sous-produit humide
aux aliments servis aux animaux.
Il n'y a pas de règle fixe concernant
le niveau de production que l'on devrait utiliser comme point
d'équilibre pour une formulation de la RTM. Le tableau
1 indique les facteurs de correction proposés par
l'Université de Virginie. Par exemple, si la
moitié des vaches sont dans le groupe 1 et l'autre
moitié dans le groupe 2 (50:0:50), le point
d'équilibre recommandé pour le groupe de vaches
très productives serait 1,17 fois la moyenne du groupe, et le
point d'équilibre pour le groupe de vaches peu
productives serait 1,23 fois la production moyenne de ce groupe.
COÛT EN CAPITAL
Comme la plupart des éleveurs devraient
modifier leur système actuel pour appliquer une RTM, le
coût d'établissement varierait
considérablement. Toutefois, pour la plupart des troupeaux,
le coût d'un système de RTM correspondrait
à celui de beaucoup d'autres options populaires
envisageables.
Par exemple, lorsqu'un éleveur qui a
une étable à stabulation entravée décide
d'installer un remplisseur automatique à compartiments
multiples, monté sur rails, et d'acheter des grains
entiers pour les broyer sur place, il doit acquérir à
peu près le même équipement que celui du
système de RTM. L'équipement nécessaire
pour les deux systèmes comprend un chariot à ensilage
ou un distributeur à courroie, un réservoir à
supplément, un ou deux réservoirs à grains
à fond plat, et un broyeur à cylindres.
L'écart de prix entre les systèmes, s'il y
a lieu, dépend du coût du mélangeur de RTM avec
balance (de 10 000 à 15 000 $) et du distributeur
d'aliments pour l'étable (de 15 000 à 30
000 $).
Le mélangeur portatif sur remorque (de 20
000 à 25 000 $), qui est utilisé dans les
étables à stabulation libre avec silos horizontaux,
peut servir à distribuer le grain et l'ensilage aux
animaux, et il peut constituer la base d'un système de
RTM. Dans ce cas, l'éleveur aurait le choix
d'installer un distributeur automatique (de 20 000 à 25
000 $) ou d'utiliser une autre méthode (tracteur et
godets par exemple) pour servir l'ensilage.
Le distributeur à courroie ou le chariot
à ensilage seraient nécessaires dans les
étables à stabulation libre avec silos-tours, quel que
soit le système utilisé, et l'écart de
prix toucherait le mélangeur fixe avec balance (de 10 000
à 15 000 $) et le système automatisé de
distribution des grains (de 20 000 à 30 000 $).
Le coût moyen d'un système de
RTM se compare à celui d'autres systèmes, et les
coûts communs sont considérables lorsqu'on
considère les prix minimal et maximal de chaque
système. La gamme de prix d'un système de RTM
varie considérablement d'une ferme à
l'autre. La plupart des systèmes de RTM comprennent un
broyeur à grains à la ferme. L'acquisition
d'un broyeur se traduit automatiquement par un coût
important, mais elle comporte aussi des avantages financiers et des
économies associées au broyage des aliments sur
place.
CONCLUSIONS
Nous cherchons constamment à
déterminer le meilleur système d'alimentation
des vaches, mais nous ne l'avons pas encore trouvé. Le
système de RTM présente beaucoup d'avantages
possibles, et il mérite d'être envisagé
par tout éleveur qui prévoit changer de système
d'alimentation. Il ne présente pas
d'économie de main-d'oeuvre pour la plupart des
troupeaux, mais il offre la possibilité
d'améliorer l'indice de consommation et la
santé des animaux. De plus, les résultats obtenus
ailleurs indiquent qu'il est aussi efficace que d'autres
systèmes pour exploiter le potentiel génétique
du troupeau.
Tableau 1 Facteurs de correction pour la formulation
de la RTM*