DISCOURS
MINISTRE AXWORTHY - ALLOCUTION DANS LE CADRE DE LA RÉUNION DES MINISTRES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU G-8 - COLOGNE, ALLEMAGNE
99/40 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DANS LE CADRE DE LA RÉUNION
DES MINISTRES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU G-8
COLOGNE, Allemagne
Le 9 juin 1999
(16 h 30 HAE)
Ces derniers jours, nous avons, ensemble, amorcé le début du règlement du conflit au Kosovo.
Cette région constitue un bon exemple de la crise sur le plan de la sécurité humaine que connaît le monde en
cette fin de siècle; il marque également un tournant dans les affaires mondiales, un moment où la sécurité des
personnes occupe une place de premier plan et impulse l'action.
Le programme de sécurité humaine constitue essentiellement un effort en vue d'établir une société mondiale
dans laquelle la sécurité des personnes serait une priorité et un impératif pour l'action internationale, où les
normes humanitaires et la primauté du droit seraient poussées et formeraient un tissu cohérent qui protégerait
les personnes, où ceux qui enfreindraient ces normes seraient tenus pleinement responsables et où nos
institutions mondiales, régionales et bilatérales seraient conçues et équipées pour renforcer et mettre en
oeuvre ces normes.
Plus de 80 p. 100 des conflits survenus récemment ont été des conflits intra-étatiques. Quatre-vingt-dix pour
cent des victimes de ces conflits ont été des civils qui trop souvent, ont été la cible d'une violence délibérée.
Réfléchissons un instant aux répercussions sur les enfants des conflits violents de la dernière décennie :
· deux millions d'enfants morts;
· quatre millions d'enfants handicapés;
· un million d'orphelins;
· dix millions d'enfants traumatisés par des enlèvements, des expulsions, des viols, des détentions, des
mutilations et autres actes horribles.
À notre époque de mondialisation, les victimes ne se trouvent plus éloignées de nous : la télévision les fait
entrer dans notre vie de la manière la plus directe et la plus intime. Cela signifie pour nous que la sécurité
humaine n'est plus une notion de politique étrangère, mais un impératif politique que le poids de l'opinion
publique nous a obligés à inscrire dans nos programmes d'action. Rien n'a davantage renforcé le soutien de la
population à la politique canadienne relative au Kosovo que les visages angoissés des réfugiés franchissant les
frontières de cette région. Les citoyens des pays représentés autour de notre table sont, dans une large
mesure, à l'abri de menaces de ce type, mais la sécurité humaine incarne des valeurs qu'ils ont en commun.
S'il est vrai que nos propres citoyens sont protégés des mauvais traitements physiques qui ont été commis au
Kosovo, ils ne sont pas totalement exempts de menaces à leur propre sécurité. Souvent, ils se retrouvent
victimes involontaires de la dégradation de l'environnement, de la criminalité transnationale, du trafic
international des drogues, voire du terrorisme.
Demain, nous rencontrerons les représentants du mouvement des pays non alignés et du Groupe des 77. La
sécurité humaine, la sécurité de leurs populations, constituera à leurs yeux une question de grande importance.
Nous avons besoin de leur participation parce qu'ils font partie de la solution.
Le concept de sécurité humaine fait intervenir diverses questions touchant en profondeur la politique étrangère,
dont la réalité que celle-ci n'est plus le domaine exclusif des gouvernements. Le fait est que de nouveaux
partenariats entre certains États, des organisations non gouvernementales et d'autres intervenants qui ne sont
pas des États ont amené l'établissement de nouveaux instruments comme le Projet de protocole facultatif à la
Convention relative aux droits de l'enfant, le Statut de la Cour criminelle internationale et le Traité sur les mines.
Ces nouveaux instruments montrent concrètement que la sécurité humaine n'est plus une simple abstraction;
elle est en train de devenir une nouvelle forme de conduite internationale où la sécurité des personnes se
trouve être le centre de notre attention et de nos soins.
Au fur et à mesure qu'elle acquiert une nouvelle importance dans les affaires internationales, la sécurité
humaine met en relief les contradictions avec les normes actuellement en vigueur.
D'aucuns s'inquiètent de ce qui leur paraît être une tension entre la sécurité nationale et la sécurité humaine.
En réalité, ces deux concepts sont complémentaires et ils ne s'excluent pas l'un l'autre. La souveraineté et la
sécurité de l'État ne constituent pas des fins en soi, mais des moyens d'assurer la sécurité et le bien-être des
citoyens de l'État en question. De ce point de vue, la sécurité humaine et la sécurité nationale s'appuient
mutuellement. Dans les faits, l'augmentation de la sécurité humaine de la population renforce la légitimité, la
stabilité et la sécurité d'un État.
Il faudra également concilier le concept de sécurité humaine avec le principe de la non-ingérence dans les
affaires intérieures des États. Le Kosovo illustre bien cette contradiction.
Parmi nous, qui sommes réunis à la table de l'OTAN, personne n'estimait ou n'estime qu'une intervention au
Kosovo présentait quelque avantage stratégique que ce soit. Il n'y a pas de pétrole ou de minéraux d'une
importance cruciale en jeu. Cette affaire ne porte sur aucune position dominante ni sur un quelconque goulot
d'étranglement maritime. Il n'existe pas de connaissances scientifiques que quelqu'un voudrait contrôler. La
réalité se limite à une population relativement pauvre dans une région relativement pauvre d'Europe, qui est
bafouée par son propre gouvernement. C'est là, et non pas un calcul froid fait dans un esprit de realpolitik, le
motif de l'action qui a été menée.
La décision d'intervenir n'a pas été prise à la légère par l'OTAN. Mais les preuves d'atrocités étaient
indéniables, comme les rapports de Mme Ogata et de M. De Mello en attestent, et comme le confirme
l'inculpation pour crimes de guerre des dirigeants serbes.
Il n'en demeure pas moins que l'intervention soulève des questions, tout particulièrement au Conseil de
sécurité des Nations Unies.
Le Conseil de sécurité n'a pas été un acteur aussi pertinent que celui dont nous avons besoin dans le monde
où nous vivons, un monde qui a beaucoup changé et qui est très dangereux. Nous débattrons de son rôle en
matière de prévention des conflits dans la prochaine partie de notre ordre du jour. Toutefois, il nous faudra
aussi examiner comment le Conseil de sécurité de l'ONU devrait s'adapter aux nouvelles réalités afin de mieux
protéger les populations. C'est pourquoi le Canada a présenté, en février dernier, la question des civils dans les
conflits armés et a demandé que le secrétaire général Annan étudie cette question et fasse des
recommandations sur la manière dont le Conseil peut le mieux promouvoir la sécurité des personnes.
Personne, et certes pas le pays le moins peuplé représenté ici, ne fait la promotion d'un monde où les
puissants interviennent comme bon leur semble et où les faibles endurent les souffrances qui leur sont
imposées. La norme de la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États demeure fondamentale
pour la paix et la sécurité internationales; il faut se garder de faire de l'intervention au Kosovo un précédent
justifiant une intervention n'importe où, à n'importe quel moment, ou pour n'importe quel motif.
Cela étant, dans les cas de violations extrêmes, similaires à celles dont nous avons été témoins au Kosovo et
au Rwanda, entre autres, le concept de souveraineté nationale ne saurait avoir valeur absolue.
De toute évidence, il faut mettre au point des tests et des normes au regard desquels on pourra mesurer la
nécessité ou non d'une intervention internationale pour mettre en oeuvre une norme en matière de sécurité
humaine. Il importe que ces tests soient très exigeants. La perpétration d'un génocide ou d'autres crimes contre
l'humanité constitue sans conteste une norme.
Ce qu'il faut prendre en compte, c'est que notre monde change et que le Conseil de sécurité des Nations Unies
ne peut pas rester indifférent lorsque se produisent les divers conflits violents dont nous avons été témoins, par
exemple au Sierra Leone, au Soudan et en Angola. Dans les États qui se sont écroulés à cause de l'oppression
d'un dictateur ou des actions d'un chef de faction, il convient d'avoir un nouveau test de responsabilité et ce
nouveau test est la sécurité humaine.
La nouvelle norme existe, maintenant les Nations unies et d'autres organisations internationales doivent relever
le défi de renforcer et d'appliquer celle-ci. Cela signifie utiliser des instruments qui sont déjà en place, comme la
Convention sur le crime de génocide et le Statut de la Cour criminelle internationale. Toutefois, cela signifie
aussi établir des instruments, comme le Protocole à la Convention relative aux pires formes de travail des
enfants de l'OIT, le Plan d'action commun sur les armes légères de l'UE et les travaux novateurs du Groupe de
Lyon sur le crime organisé transnational.
Cette adaptation, cependant, suppose que nous soyons pleinement conscients, dans un premier temps, des
incidences de notre action au Kosovo. Nous saluons l'offre du gouvernement allemand d'accueillir en décembre
prochain une réunion consacrée à la prévention des conflits; mais nous devrions également profiter de cette
occasion pour examiner les mesures à prendre lorsque l'action de prévention échoue. À cette fin, je
souhaiterais proposer aujourd'hui que nous formions un groupe de travail du G-8, lequel serait chargé d'étudier
les enseignements tirés du Kosovo et de faire rapport aux ministres avant la réunion de décembre. Je
proposerais en outre qu'une fois que les ministres auront eu l'occasion de débattre de ces enseignements,
nous fassions part de nos conclusions au Conseil de sécurité de l'ONU.
M. Václav Havel a fait récemment remarquer que « la souveraineté de la communauté, de la région, de la
nation, de l'État ... n'a de sens que si elle découle de la seule véritable souveraineté, à savoir la souveraineté
de l'être humain ». Dans la même veine, je pense que la paix et la sécurité, à l'échelle nationale, régionale et
mondiale, ne sont réalisables que si elles s'appuient sur la sécurité humaine.
Bon nombre des enjeux que recouvre le concept de sécurité humaine ne sont pas nouveaux. En revanche,
l'importance qu'ils revêtent dans une ère planétaire est bel et bien nouvelle. Les gouvernements des pays du
G-8 représentent la plupart des plus grandes économies du monde, des pays ayant la capacité et, partant, la
responsabilité de jouer un rôle directeur. Ce groupe n'a pas le monopole des idées et personne, parmi nous, ne
soutiendrait le contraire. Cela dit, nous pouvons inscrire des questions à l'ordre du jour international. La place
prépondérante que nous faisons à la sécurité humaine dans nos propres délibérations nous confère un rôle de
chef de file à propos d'une question qui, j'en suis convaincu, revêt maintenant une très grande importance pour
nous tous.
Je vous remercie.
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