DISCOURS
M. AXWORTHY - ALLOCUTION AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIESCONCERNANT LA PROTECTION DES CIVILS EN SITUATION DE CONFLIT ARMÉ - NATIONS UNIES, NEW YORK
99/8 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES
CONCERNANT LA PROTECTION DES CIVILS
EN SITUATION DE CONFLIT ARMÉ
NATIONS UNIES, New York
Le 12 février 1999
Je voudrais moi aussi vous remercier, M. Sommaruga, Mme Bellamy et M. Otunnu, pour vos exposés
d'aujourd'hui devant le Conseil. Votre présence marque une étape importante des délibérations du Conseil.
Vous avez expliqué honnêtement et clairement le sort précaire et les problèmes énormes des civils piégés par
un conflit armé.
La victimisation des civils en temps de guerre est un phénomène aussi vieux que le temps, mais qui ne s'est
jamais tant fait sentir que pendant ce siècle. Cette pratique n'a jamais été acceptable. C'est le phénomène plus
récent et le plus préoccupant de la « civilisation » du conflit qui donne à la communauté internationale une
raison impérieuse de prendre aujourd'hui un engagement sur la question. Les non-combattants, surtout les plus
vulnérables, sont plus que jamais les principales cibles, les instruments et les grandes victimes des conflits
armés de l'ère moderne. Le nombre des victimes de conflits armés a presque doublé depuis les années 1980
pour atteindre le chiffre d'environ un million de victimes par année, dont 80 p. 100 sont des civils.
Notre discussion ne laisse aucun doute sur les menaces considérables qui sont posées aux civils ou sur leur
dimension mondiale. Mentionnons la brutalité terrifiante en Sierra Leone, le nettoyage ethnique et le massacre
des non-combattants dans les Balkans, le génocide et les mouvements massifs de réfugiés et de personnes
déplacées dans la région africaine des Grands lacs, et l'émergence de nouveaux seigneurs de guerre dans les
États avortés, qui tirent avantage des résidents locaux, qui les brutalisent et les terrorisent, avec l'aide et la
complicité de trafiquants d'armes de l'extérieur et de groupes privés qui profitent du conflit.
C'est une réalité de notre temps que les menaces posées à la sécurité humaine -- les risques auxquels les
personnes, les communautés et les peuples font face quotidiennement -- dépassent les risques posés à la
sécurité par les conflits transnationaux, un domaine de préoccupation plus traditionnel pour le Conseil. La
promotion de la sécurité humaine est le fondement sur lequel tous les autres objectifs de la Charte des Nations
Unies doivent reposer, qu'il s'agisse du développement économique et social, des droits de l'homme ou de la
liberté du commerce. Le côté noir de la mondialisation est l'atteinte à l'intégrité fondamentale des peuples : la
crainte de devenir les victimes innocentes d'enfants-soldats maraudeurs à la solde de leaders politiques, de
barons de la drogue qui exploitent la misère humaine, ou de combattants qui plantent des mines terrestres sans
discrimination.
Le Conseil de sécurité a un rôle vital à jouer lorsqu'il s'agit de contrer ces menaces. Il ne devrait pas y avoir
d'erreur. La protection des civils en situation de conflit armé n'est pas un ajout secondaire au grand mandat du
Conseil, qui est de garantir la paix et la sécurité internationales. Elle en est un élément central. Le but ultime du
travail du Conseil est de protéger la sécurité des peuples du monde, et pas seulement des États où ils vivent.
Étant donné le fardeau disproportionné que les conflits modernes imposent aux civils, il est clair que la
protection des personnes devrait être l'une des grandes motivations sous-tendant les activités du Conseil.
Le Conseil n'a pas à s'occuper de tout, d'autres composantes de l'ONU et la communauté internationale dans
son ensemble ont leurs propres responsabilités. Toutefois, en l'absence d'un leadership ferme et efficace du
Conseil, les civils en situation de conflit armé sont laissés dans un vide sur le plan de la sécurité. Ce vide sera
comblé, et l'est déjà parfois par d'autres combattants, y compris des mercenaires, qui montrent peu de
modération et peu de respect pour les normes humanitaires même les plus élémentaires.
Un engagement actif du Conseil servirait à renverser cette situation. Il renforcerait aussi la légitimité des États.
Les États ont la prérogative et l'obligation de garantir la protection de tous leurs citoyens, surtout en temps de
conflit armé. C'est un bien public, mais un bien que les gouvernements ne fournissent pas ou ne peuvent pas
toujours fournir. Cela est parfois la conséquence de structures étatiques affaiblies ou d'États avortés. Dans ces
cas, l'action prise par le Conseil pour défendre les civils en situation de conflit armé atténuera aussi les
menaces posées aux États. La réticence à mettre à contribution le Conseil, justifiée par la nécessité de
maintenir la souveraineté de l'État, ne sert ironiquement qu'à miner le principe même de cette souveraineté.
Le Conseil a donc une responsabilité impérieuse de protéger les civils en situation de conflit armé -- impérieuse
dans la perspective de la sécurité humaine, sur le plan de l'exécution du mandat du Conseil et dans l'intérêt du
renforcement de la souveraineté de l'État.
Notre discussion d'aujourd'hui reconnaît heureusement le rôle du Conseil. Cette réunion s'inspire en fait des
initiatives récemment prises par des membres du Conseil, actuels et anciens, ainsi que des déclarations et des
initiatives du Conseil.
Dans ses délibérations, le Conseil a condamné le ciblage des enfants en situation de conflit armé. Il s'est dit
prêt à examiner des moyens de faciliter la prestation d'une aide humanitaire et sa protection, ainsi que celle des
travailleurs qui la distribuent, y compris les problèmes de sécurité dans les camps de réfugiés. Il a reconnu la
nécessité d'opérations de maintien de la paix pour tenir davantage compte des besoins des civils. Il s'est
penché sur l'impact dévastateur des transferts d'armes dans les zones affectées par un conflit armé. Le mois
dernier, le Conseil a examiné l'impact humanitaire des conflits. La sensibilisation précède l'action. Et le Conseil
est certainement plus sensible que jamais aux nombreuses dimensions du problème.
Dans la pratique, les décisions du Conseil de sécurité ont commencé à refléter cette réalité. Le Conseil exhorte
les acteurs étatiques et non étatiques à respecter les dispositions applicables du droit international humanitaire
qui touchent la protection des civils. Les opérations de soutien de la paix prévoient au besoin des dispositions
liées à la sécurité du personnel de l'ONU et du personnel chargé de l'aide humanitaire, comprennent des
observateurs ayant pour fonction de veiller au respect des droits de l'homme et se soucient tout
particulièrement de la situation des civils. L'établissement, par le Conseil, de tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont été des mesures concrètes contre ceux qui violent le droit international
humanitaire.
Les mots et les actions du Conseil constituent un départ prometteur. Mais rien ne peut arrêter le temps. Les
civils continuent à être brutalisés. Rien n'indique que nous, membres de la communauté internationale, pouvons
d'une façon ou d'une autre attendre que ce problème se règle de lui-même. Notre séance d'information
d'aujourd'hui nous l'a clairement montré. Ce qui rend encore plus préoccupant le déclin de la présence active
du Conseil dans les zones du monde en conflit. Il est impérieux que le Conseil prenne des mesures encore plus
vigoureuses, plus globales et plus soutenues.
De l'avis du Canada, quatre défis sont posés au Conseil :
Empêcher les conflits. Éviter le déclenchement d'hostilités armées est le meilleur moyen d'empêcher la
destruction et la souffrance inutiles, et plus particulièrement la victimisation des civils. Cette observation n'a rien
de nouveau. Pourtant, l'ONU ne fait pas tout ce qu'elle pourrait faire lorsqu'il s'agit de prendre des mesures
préventives, de bâtir de solides institutions visant la protection des droits de l'homme, de nous alerter
rapidement à l'imminence d'une crise, d'offrir un soutien concerté aux processus de paix ou d'agir rapidement,
par exemple, en l'absence de l'État-major de mission à déploiement rapide. Le Conseil doit réaffirmer son
leadership dans ce domaine.
Garantir le respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire. Nous avons considérablement
développé les normes et le droit internationaux régissant la conduite des belligérants et la protection des civils,
tant les résidents locaux que le personnel étranger, dans les situations de conflit. À cet égard, la situation des
enfants et des réfugiés mérite une attention spéciale. Et les nouvelles normes qui émergent sont adaptées à la
nature évolutive du conflit, par exemple en ce qui concerne le traitement des personnes déplacées à l'intérieur
de leur propre pays. Il arrive toutefois trop fréquemment que ces normes soient ouvertement bafouées ou tout
simplement laissées pour compte.
Appuyer la poursuite de ceux qui violent les règles et les normes humanitaires. L'impunité des personnes qui
violent délibérément les droits fondamentaux des autres pendant un conflit armé est un problème largement
reconnu. Les tribunaux établis pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont constitué un grand pas en avant. Il faut
maintenant soutenir la poursuite plus systématique des auteurs présumés de crimes de guerre, par exemple en
accordant un appui pour permettre à la Cour pénale internationale de devenir plus tôt que tard opérationnelle.
Cibler les vecteurs et les instruments de la guerre. Les complices de ces crimes et de ces violations, les
marchands de conflits, qui font le trafic illicite des moyens de guerre ne peuvent pas non plus être laissés
impunis. Les zones de conflit sont souvent inondées d'armes, surtout d'armes militaires légères et de petit
calibre, qui tombent dans les mauvaises mains. En situation de conflit armé, leur utilisation abusive aggrave la
misère des civils, qui en sont essentiellement les victimes. Le trafic et l'abus des armes qui terrorisent, blessent
et tuent doivent recevoir une attention immédiate.
Ce sont là des défis complexes auxquels il n'y a pas de solutions faciles. Nous croyons néanmoins que le
Conseil a la capacité de réagir, à condition que ses membres aient la volonté politique d'agir.
Le Conseil pourrait s'assurer que le Secrétaire général mette en relief la situation des civils, et surtout des
enfants, dans les rapports qu'il présente au Conseil. On pourrait réexaminer en profondeur la pertinence, la
justification et les modalités des missions de paix et des efforts de bons offices mandatés par le Conseil. Ceci
pour permettre au Conseil d'agir rapidement lorsque des civils sont menacés et de proposer des moyens de
donner aux gardiens de la paix l'autorité, les orientations et les ressources dont ils ont besoin pour défendre les
civils. Il vaut la peine d'explorer plus outre d'autres pratiques innovatrices comme la façon dont les missions du
Conseil pourraient aider à réduire au minimum la manipulation abusive des médias de masse pour cibler les
civils, comme le Sous-secrétaire de Mello l'a suggéré le mois dernier. Le Conseil pourrait aussi examiner
comment mieux cibler, concevoir et faire appliquer les régimes de sanctions de façon à optimiser leur impact
sur les belligérants, pour assécher les sources de financement de la guerre et gêner ceux qui profitent de la
guerre, tout en réduisant le plus possible leur impact sur les non-combattants.
Ce ne sont là que quelques suggestions. D'autres idées ont été présentées et discutées aujourd'hui et
récemment lors de séances d'information et de débats du Conseil. Pour nous aider à progresser, le Conseil doit
faire une évaluation globale des nombreux défis qui nous sont posés ainsi que des réponses qu'on pourrait y
donner. C'est pourquoi le Canada appuie solidement la déclaration que le Conseil adoptera aujourd'hui
demandant au Secrétaire général de soumettre, plus tard dans l'année, un rapport contenant des
recommandations pratiques sur de nouvelles mesures à prendre pour protéger les civils en situation de conflit
armé.
Le sort des civils en situation de conflit armé est un problème urgent, croissant et global pour ce qui est de la
menace qu'il pose à la sécurité humaine. C'est un problème qui va au coeur du mandat du Conseil et qui mérite
une attention continue. Le Conseil a la responsabilité d'agir vigoureusement et décisivement. Agir autrement
risque de diminuer sa capacité d'action et prépare un monde plus désordonné et bien moins sécuritaire pour
ses habitants. Nous attendons avec intérêt le rapport du Secrétaire général, et nous comptons travailler entre-temps avec les autres membres du Conseil pour tenter de relever ce défi.
Je vous remercie.
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