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98/30 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS

NOTES POUR UNE ALLOCUTION

DE

L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

À L'OCCASION DE LA CONFÉRENCE

SUR LA RÉFORME DE L'ONU

À LA KENNEDY SCHOOL DE L'UNIVERSITÉ HARVARD

« LA NOUVELLE DIPLOMATIE :

L'ONU, LA COUR CRIMINELLE INTERNATIONALE

ET LA SÉCURITÉ HUMAINE »

CAMBRIDGE (Massachusetts)

Le 25 avril 1998

Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :

http://www.dfait-maeci.gc.ca

Je suis heureux de constater que, même si nous nous trouvons à Harvard, vous êtes venus écouter un diplômé de Princeton. On pourrait dire que c'est comme inviter Fidel Castro à prendre la parole à une assemblée de partisans de Jesse Helms! Mais, si vous voulez vous montrer larges d'esprit, il en est de même pour moi.

Il est fort à propos que nous soyons réunis ici pour discuter de l'avenir de l'Organisation des Nations unies [ONU] et, notamment, des propositions visant la mise en place d'une Cour criminelle internationale [CCI]. Après tout, le Canada et les États-Unis ont tous deux fortement appuyé l'ONU depuis sa fondation. En fait, c'est aux États-Unis que revient une bonne partie du mérite de la création de l'ONU. Se remémorant la conférence de fondation de 1945, Harry S. Truman a dit que ceux qui étaient là « ont mis sur papier les seuls principes qui assureront la survie de la civilisation sur cette terre ».

Tout au long des années sombres de la Guerre froide, les Nations unies n'ont pas fait autre chose. Comme le faisait remarquer Henry Cabot Lodge, ancien sénateur républicain et ambassadeur des États-Unis à l'ONU, si ennuyeux qu'aient été les débats, ils étaient toujours préférables à la guerre. Aujourd'hui, toutefois, l'ONU est confrontée à un monde qui n'est plus le même qu'au moment de sa fondation. Et elle est appelée à régler des questions et des problèmes tout à fait différents de ceux du passé.

En cette période critique, les Canadiens voient avec inquiétude les États-Unis sembler peu disposés à maintenir leur rôle de leader à l'ONU pour ce qui est de la primauté du droit et de la sécurité collective. Nous nous trouvons en désaccord avec une fraction influente de l'opinion publique américaine sur des questions de plus en plus nombreuses -- le paiement des contributions, la réforme du Conseil de sécurité, la limitation des opérations de maintien de la paix, et j'en passe.

Je m'empresse d'ajouter que nous ne sommes pas en désaccord avec la vaste majorité des Américains moyens. En effet, d'après les sondages, ceux-ci sont en faveur de la présence et de la participation de leur pays à l'ONU. Il n'en est pas moins inconfortable et inhabituel pour le Canada de se trouver en contradiction avec un courant important de l'opinion politique américaine sur une question qui se rapporte à l'ONU. Mais nous croyons fermement ne pas pouvoir dévier d'un principe aussi fondamental que celui du paiement des cotisations par tous les membres, et ce intégralement et à temps. Toute dérogation à ce principe mettrait sérieusement en danger l'ONU.

Il est particulièrement malheureux que l'ONU fasse l'objet d'une telle hostilité dans certains cercles aux États-Unis alors même que le monde a plus que jamais besoin des efforts de négociation, de coordination et d'intervention que cette organisation est seule à pouvoir assurer. Du golfe Persique à l'Afrique centrale, de l'Afghanistan à Haïti, l'ONU et sa famille d'organisations répondent à des besoins évidents et pressants. Pourtant, à chaque tournant ou presque, l'ONU voit ses activités entravées, soit par le manque d'argent, soit parce que le Conseil de sécurité lui a refusé le mandat d'agir.

Lors de notre campagne pour l'interdiction des mines terrestres, par exemple, nous avons dû sortir du cadre de la Conférence du désarmement de l'ONU pour obtenir une convention efficace. Et ce n'est pas par dédain pour cette instance, bien au contraire, mais parce que nous avons vu qu'il nous fallait trouver un autre moyen si nous voulions parvenir, de notre vivant, à une interdiction à la fois complète et effective de ces engins de mort. Au moment où il fallait saisir l'occasion, l'ONU s'est trouvée empêchée d'agir du fait de sa structure et en raison de considérations politiques.

Le paysage international se transforme, et ce jusque dans ses fondements mêmes. Si l'ONU veut conserver sa pertinence, il faut qu'elle bénéficie des fonds, des appuis politiques et des nouvelles structures qui lui permettront de s'adapter à cette évolution.

À l'époque de la fondation de l'ONU, les ministres des Affaires étrangères se préoccupaient surtout de la sécurité des frontières nationales; le bien-être des citoyens relevait des ministres de l'Intérieur. Mais, à mesure que les frontières se font plus poreuses et que s'estompent les menaces de la Guerre froide, les praticiens de la politique étrangère se trouvent de plus en plus confrontés à des questions qui touchent directement la vie quotidienne des individus : la criminalité, la drogue, le terrorisme, la pollution, les atteintes aux droits de la personne, les épidémies et ainsi de suite.

La guerre elle-même a changé, avec des conséquences désastreuses pour la sécurité et l'existence même d'un grand nombre de personnes. L'érudit canadien Kalevi Holsti a monté que, depuis 1945, les guerres traditionnelles entre États se sont faites de plus en plus rares, tandis que s'accroissaient les conflits internes. Selon ses chiffres, dès les années 1970, 90 p. 100 des personnes tuées au combat l'ont été dans des guerres civiles, et 90 p. 100 de ces 90 p. 100 étaient des victimes civiles. L'impact humain de ces guerres à faible technologie et de longue durée, qui souvent prennent ouvertement pour cible les femmes et les enfants, est énorme.

Cette tendance place les Nations unies devant un grave dilemme, partagées qu'elles sont entre le désir d'intervenir dans des crises humanitaires sévères et la nécessité de respecter la souveraineté nationale. À ce jour, l'ONU a réagi en grande partie au cas par cas, tout en gardant à l'esprit les terribles enseignements de l'Afrique centrale et de l'ancienne Yougoslavie.

Toutefois, de nouvelles façons d'aborder ce dilemme se font jour peu à peu. Dans le cadre de ses efforts de réforme, l'ONU s'emploie à mettre en place des mécanismes et des structures qui lui permettront de répondre aux nouvelles demandes.

Cette nouvelle façon de penser repose sur un élément clé, ce que l'on appelle la « sécurité humaine ». Essentiellement, il s'agit d'envisager les objectifs de sécurité en fonction surtout des besoins des personnes, plutôt que de ceux des États. Permettez-moi de vous donner un petit exemple de ce que cela signifie dans la pratique.

La campagne qui a abouti en décembre dernier à la signature de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel reposait sur une approche de sécurité humaine. Nous sommes partis du principe que le danger pour la vie et l'intégrité physique de millions de personnes devait avoir préséance sur les intérêts militaires et relatifs à la sécurité nationale.

Pourquoi une coalition improbable d'ONG [organisations non gouvernementales], d'organisations humanitaires et de puissances moyennes a-t-elle réussi à faire avancer les choses de façon aussi significative dans un domaine considéré jusqu'à tout récemment comme sans intérêt pour les efforts de désarmement? La réponse, à mon avis, réside dans l'importance croissante que prend dans le monde le « pouvoir discret ».

Comme vous le savez sans doute, Joseph Nye a utilisé ce terme au début de la décennie pour définir un aspect de plus en plus important de la conduite des relations internationales dans un monde globalisé et intégré : la capacité d'amener, plutôt que de forcer, les autres à adopter notre programme et nos objectifs. Selon Nye, la puissance militaire et économique, tout en restant importante, n'a plus la même prééminence qu'autrefois. Par contre, la capacité de communiquer, de négocier, de mobiliser l'opinion, de collaborer au sein d'organismes multilatéraux et de promouvoir des initiatives internationales devient de plus en plus utile pour obtenir des résultats internationaux.

Le pouvoir discret est particulièrement efficace pour régler les nombreux problèmes urgents qui ne dressent pas un État contre un autre, mais plutôt un groupe d'États contre un danger transnational pour la sécurité humaine. Lorsque chacun a intérêt à trouver une solution, la capacité de constituer des coalitions prend de plus en plus d'importance. C'est ce qui s'est passé lors de la campagne contre les mines terrestres, les grands exportateurs et les grands utilisateurs ayant collaboré pour établir une nouvelle norme internationale qui stigmatise ces armes.

Le recours au pouvoir discret pour régler des problèmes de sécurité humaine tels que la crise des mines terrestres a eu pour effet de braquer les projecteurs sur un domaine vénérable des affaires internationales : le droit humanitaire, parfois appelé « droit de la guerre ». Ce mélange d'ancien et de nouveau peut surprendre de prime abord. Mais, à la réflexion, il n'est guère étonnant que, la nature des conflits ayant changé, les vieilles règles régissant le contrôle des armements et le traitement réservé aux personnes en temps de guerre changent également.

À mesure que nous comprenons mieux ces changements, nous sommes de plus en plus à même d'utiliser le pouvoir discret pour renforcer le droit humanitaire et élaborer de nouvelles normes dans le cadre de celui-ci. J'espère que la communauté internationale pourra suivre la même démarche pour régler d'autres questions pressantes relatives à la sécurité humaine, comme la prolifération des armes de petit calibre et le recours aux enfants-soldats dans les conflits armés.

La communauté internationale négocie en ce moment un accord qui pourrait révolutionner la façon dont nous envisageons la sécurité humaine et le droit humanitaire, je veux parler de l'accord visant l'établissement d'une Cour criminelle internationale. J'estime que c'est là un élément important du renforcement de l'ONU et de sa capacité à relever les défis d'une ère nouvelle. C'est pour cette raison que j'ai choisi d'en faire le centre de mon discours aujourd'hui, même si je sais que bien d'autres domaines de la réforme de l'ONU méritent également d'être mis en lumière.

La sécurité humaine a pour revers la responsabilité humaine. Ceux qui commettent les crimes les plus odieux en temps de guerre doivent être tenus responsables de leurs actes. Cela est essentiel pour rétablir la paix dans les sociétés déchirées par la guerre. Sans justice, il n'y a pas de réconciliation, et sans réconciliation, il ne saurait y avoir de paix durable.

Vous êtes sans doute au courant du travail accompli par les tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, qui siègent à La Haye et à Arusha. Bien qu'ils se heurtent au manque de ressources et à la résistance de certains, ces tribunaux ont beaucoup progressé dans leurs efforts pour amener les criminels de guerre devant la justice.

La Cour criminelle internationale nous permettrait de disposer d'une instance permanente et impartiale pour juger ceux qui font fi des normes du droit humanitaire et qui, autrement, pourraient échapper à la justice. L'idée n'est pas nouvelle; elle a déjà été proposée des deux côté du spectre politique. Le sénateur républicain Robert Taft soutenait que « la paix ne pourra s'instaurer dans le monde [...] que lorsqu'il existera un tribunal pour interpréter le droit international et trancher les différends entre États, et que lorsque les États accepteront de soumettre leurs différends à des juges impartiaux quelle qu'en soit l'issue ».

Toutefois, il ne s'agit pas ici simplement de mettre en place une structure. La Cour criminelle internationale doit être utile; elle doit être efficace et indépendante. Comme dans le cas des mines terrestres, réaliser un accord qui reposerait sur le plus petit commun dénominateur serait probablement pire que de ne pas avoir d'accord du tout.

Le Canada a travaillé avec un groupe d'États de même opinion -- faisant appel, encore une fois, au pouvoir discret -- pour définir les grandes lignes de ce que devrait être un tribunal efficace et indépendant. Ces travaux ont permis de dégager plusieurs principes essentiels pour l'établissement d'une Cour dotée de quatre attributs fondamentaux :

premièrement, elle devrait avoir intrinsèquement juridiction à l'égard des crimes de base que sont le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, que ceux-ci soient commis lors de conflits intérieurs ou de guerres entre États;

deuxièmement, elle devrait avoir avec le Conseil de sécurité une relation constructive qui lui permette de préserver son indépendance et son impartialité;

troisièmement, elle devrait avoir un procureur indépendant ayant le pouvoir d'engager des procédures, au lieu que celles-ci ne puissent être « déclenchées » que sur plainte d'un État ou renvoi du Conseil de sécurité;

quatrièmement, une attention particulière devrait être portée aux expériences des femmes et des enfants, en reconnaissant par exemple comme crimes de guerre le viol et l'appel des enfants sous les drapeaux en période de conflit armé.

Certains, craignant que la souveraineté nationale ne soit affaiblie ou que la CCI ne se politise, voudraient que la Cour ait moins de pouvoir, ou même qu'elle ne soit pas établie. On me dit que le Pentagone a réuni récemment des représentants militaires d'autres pays pour leur brosser un tableau alarmant où de jeunes GI étaient traînés devant un tribunal irrégulier et obéissant à des motifs politiques. Je crois qu'une Cour criminelle internationale telle que nous la proposons ne devrait pas donner lieu à ce genre de craintes.

D'abord, le procureur sera un professionnel dont le travail s'exercera dans les limites établies par le statut de la CCI, lequel permettra de rejeter les plaintes non fondées. Le travail accompli par la juge Louise Arbour, procureur général des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, offre un bon exemple de la qualité et de l'indépendance que nous pouvons attendre d'une cour permanente. Pour ma part, j'estime que les procédures engagées par un procureur indépendant risquent beaucoup moins d'obéir à des motivations politiques que les plaintes pouvant être faites par des États.

Ensuite, il ne faut pas oublier que la CCI sera une instance de dernier ressort. Elle ne sera saisie que des affaires qu'un État ne pourra ou ne voudra poursuivre lui-même. En enquêtant avec diligence et en poursuivant tous ceux qui se rendent coupables de crimes graves, les États pourront éviter que la CCI ne se penche sur leur cas. Il est probable que la CCI s'intéressera surtout aux cas où, l'État étant en déroute, il n'existe pas d'autre autorité pouvant saisir la justice, ou aux affaires dans lesquelles les États eux-mêmes auront commis ces crimes extrêmement graves.

Si nous avons une Cour de ce genre, c'est-à-dire efficace, indépendante et professionnelle, je ne saurais imaginer que des soldats américains puissent être traînés devant la CCI sur des accusations politiques de valeur douteuse. J'imagine, par contre, qu'une telle Cour permettrait aux États-Unis de réaliser des objectifs essentiels, comme par exemple de traduire en justice les dirigeants khmers rouges pour génocide. Jusqu'à la mort récente de Pol Pot, le gouvernement américain était en discussion avec les tribunaux sur le Rwanda et l'ex-Yougoslavie faute d'instance plus indiquée -- instance qu'une CCI permanente fournirait.

Nous disposerions d'un tribunal pour régler certaines des questions de sécurité humaine les plus inquiétantes auxquelles la communauté internationale est aujourd'hui confrontée, ceux qui torturent, violent ou assassinent des civils en temps de guerre étant trop souvent laissés en liberté. Nous disposerions d'un tribunal qui incarnerait les hauts idéaux des procès de Nuremberg -- veillant à ce que le génocide ne reste pas impuni -- mais en employant des méthodes meilleures, qui garantissent une justice internationale vraiment impartiale.

Lorsqu'on est puissant, on est souvent tenté d'imposer sa loi. Il est tout à l'honneur des États-Unis que, malgré leur énorme puissance, ils aient toujours choisi de promouvoir l'État de droit et de se soumettre aux règles internationales. C'est pourquoi il est d'autant plus consternant pour nous, vos amis et alliés les plus proches, de voir que vous déviez de cette route pour céder à des préoccupations internes qui ne devraient pas constituer des obstacles insurmontables.

Après tout, les citoyens américains ont directement intérêt à ce que le droit international soit respecté. Comme l'écrivait récemment dans le Christian Science Monitor votre ancien sous-secrétaire d'État, David Newsom, « si les États-Unis n'acceptent pas leurs obligations à l'égard des citoyens des autres pays, leurs propres citoyens se sentiront moins en sécurité à l'étranger ».

Certains vous diront que le strict réalisme exige que les États-Unis observent la ligne dure en ce qui concerne la CCI, les mines terrestres, la réforme de l'ONU et une foule d'autres questions. Les partisans de cette « realpolitik » sont fiers d'avoir ainsi la tête froide. Mais, en fait, ils refusent de voir que la réalité internationale a changé. Les vrais réalistes savent qu'il faut adopter de nouvelles approches et de nouveaux outils pour régler les problèmes non traditionnels qui se posent à nous aujourd'hui. Ils savent que, s'agissant de la réforme de l'ONU comme de la sécurité humaine en général, les équations à somme nulle de la ligne dure ont de moins en moins leur place. Ils savent, enfin, que le moment est venu de travailler ensemble pour relever les défis et saisir les possibilité d'une ère nouvelle.

Peu de temps après la fondation de l'ONU, Lester Pearson [premier ministre du Canada de 1963 à 1968] disait : « À l'époque de l'atome, il n'existe pas de maison à l'abri du feu, ni de petit pays au loin, comme la Tchécoslovaquie en 1938, dont le sort nous laisse indifférents. Nous ne croyons plus être les producteurs d'une sécurité devant être consommée par les autres, ce qui est à la base même de l'isolationnisme. »

Le monde s'est profondément transformé depuis, mais nous aurions intérêt aujourd'hui à ne pas perdre de vue le sentiment qu'il exprimait ainsi.

Merci.


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Dernière mise à jour : 2006-10-30 Haut de la page
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