DISCOURS
M. AXWORTHY - ALLOCUTION AU MOMENT D'ACCEPTER LE PRIX NORD-SUD - LISBONNE, PORTUGAL
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NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU MOMENT D'ACCEPTER LE PRIX NORD-SUD
LISBONNE, Portugal
Le 23 octobre 1998
(15 h 30 H.A.E.)
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
C'est un honneur pour moi d'accepter le Prix Nord-Sud du Conseil de l'Europe. Cet honneur est rehaussé
d'autant par cette enceinte -- creuset de la démocratie portugaise -- et par le fier héritage de l'engagement du
Portugal dans le monde au cours des siècles. Votre pays est le cadre idéal pour un Centre consacré à
l'interdépendance et à la solidarité.
Depuis l'époque du prince Henri le Navigateur, le Portugal a été en faveur d'une Europe ouverte sur l'extérieur.
Monsieur le Président, je me rappelle l'image qu'a capturée de vous la télévision canadienne au moment où
vous regardiez la goélette Creoula partir l'été dernier pour son voyage historique vers Terre-Neuve. Les jeunes
gens de nos deux pays qui formaient l'équipage ont uni leurs efforts pour hisser les voiles et ainsi recréer un
des liens historiques entre le Canada et l'Europe.
Aujourd'hui, le statut du Canada comme observateur permanent au Conseil de l'Europe et comme participant
actif au sein de votre Assemblée parlementaire témoigne de la croissance de nos liens et de la vitalité de nos
valeurs communes. En fait, c'est le président de l'Association parlementaire Canada-Europe, M. Charles
Caccia, qui a soumis ma candidature au Centre Nord-Sud. Je tiens à le remercier pour ce geste et pour son
engagement actif dans la promotion de la coopération parlementaire transatlantique.
Je trouve particulièrement significatif de recevoir ce prix du Centre Nord-Sud. L'engagement en faveur de
l'élimination des mines terrestres est aussi passionné des deux côtés de l'équateur. La campagne d'interdiction
des mines antipersonnel pour laquelle vous m'honorez aujourd'hui est véritablement une campagne mondiale; il
me serait impossible d'accepter ce prix sans rendre hommage à tous ceux qui ont tant contribué à en assurer le
succès. Ce n'est que grâce à leur effort collectif que la Convention d'Ottawa a pu voir le jour. Ce prix est autant
le leur que le mien.
Il est tout à fait approprié que la remise de ce prix ait lieu à Lisbonne. Le Portugal, qui très tôt a appuyé la
campagne, a été le cinquième pays à signer la Convention. Votre ancien Président, M. Mario Soares, a travaillé
sans relâche pour convaincre ceux qui au départ hésitaient à appuyer la campagne. Sans son engagement
personnel, sans doute pas autant de pays n'auraient signé la Convention.
Je crois comprendre que votre Assemblée discutera bientôt de la ratification de la Convention. Je compte bien
que le Portugal ajoutera son nom à ceux des 45 autres pays qui ont ratifié la Convention.
Le prix du Centre Nord-Sud est significatif sur un autre plan. Il souligne la parenté des objectifs du Centre et de
ceux de la campagne contre les mines terrestres. L'un et l'autre ont pour but de protéger et d'améliorer le bien-être de l'individu. L'un et l'autre reflètent l'attention croissante que la communauté mondiale accorde à la
sécurité humaine.
Les nouvelles réalités de l'après-guerre froide font de l'individu le point de départ dans les affaires mondiales.
La nature des conflits armés a changé -- des civils innocents en sont les principales victimes et cibles. Les défis
auxquels nous sommes confrontés -- les drogues illégales, le terrorisme, les problèmes environnementaux, la
prolifération des armes -- sont transnationaux mais ont un impact direct sur les gens ordinaires. Nos vies sont
plus que jamais interreliées -- grâce aux technologies des communications, le monde « extérieur » est devenu
notre monde.
Par voie de conséquence, la promotion des objectifs humanitaires devient le nouveau déclencheur de l'action
mondiale concertée. Cette approche centrée sur l'humain suppose de mieux protéger contre les abus, de
réduire les risques de danger physique, d'améliorer la qualité de la vie et de développer les instruments qui
assureront la réalisation de ces objectifs. Notre cadre fondamental d'analyse est passé de l'État à l'individu et a
produit de nouvelles priorités -- de la lutte contre les attentats terroristes au changement climatique en passant
par le travail des enfants.
Notre monde transformé a façonné le programme de la sécurité humaine. Il a aussi produit une nouvelle façon
de faire des affaires. Des partenariats nouveaux, innovateurs, sont indispensables. La politique étrangère n'est
plus l'apanage des États-nations et des diplomates. De nouveaux acteurs sur la scène internationale, y compris
des organisations non gouvernementales, des associations commerciales, des syndicats et des organisations
régionales, ont de plus en plus d'influence -- et un rôle positif à jouer.
La Convention d'Ottawa est le fruit d'un effort collectif auquel ont contribué non seulement les gouvernements
mais aussi les organisations communautaires de partout dans le monde. Il faut maintenant s'attacher à la
mettre en application. La coalition qui a travaillé si efficacement pour donner naissance à la Convention
poursuivra maintenant son travail pour assurer la réalisation de ces objectifs.
Dans ce même esprit, le Centre Nord-Sud encourage un « dialogue à quatre » entre les parlementaires, les
gouvernements, les organisations non gouvernementales et les autorités locales. En réunissant ces différents
acteurs pour les amener à discuter de problèmes communs et à se mobiliser, le Centre est à l'avant-garde de la
nouvelle diplomatie.
Porteur de nouvelles idées, de nouveaux instruments et de nouveaux partenariats, le programme de la sécurité
humaine a pris de l'élan. La campagne d'interdiction des mines terrestres antipersonnel témoigne de ce qui
peut être accompli. Malheureusement, il subsiste de nombreuses menaces. La sécurité humaine est plus que
jamais précaire. Il est temps d'aller de l'avant avec d'autres projets.
La prolifération des armes légères de type militaire et l'abus qu'on en fait ont un effet corrosif sur nos sociétés.
Bon marché et faciles à utiliser, à transporter, à passer en contrebande et à cacher, elles sont les outils de
choix des narcotrafiquants, des terroristes et des criminels. Elles font un nombre disproportionné de victimes
parmi la population civile. Les défis qu'engendre cette situation sont complexes. L'impact sur nous tous, et
surtout sur les plus vulnérables, est néanmoins direct et dévastateur.
Il n'y a ni solutions faciles ni raccourcis. Il est cependant impératif d'agir. Et le monde est à l'écoute. Aux
Nations Unies, plus de 90 pays se sont réunis le mois dernier pour entendre ce que font déjà certains et pour
examiner des façons d'aller de l'avant. Pour venir à bout du problème, le Canada agit sur trois fronts : l'action
humanitaire menée dans le cadre de la consolidation de la paix, la lutte contre le trafic illicite et le contrôle du
commerce licite.
On peut assurer la sécurité humaine non seulement en réduisant le nombre d'armes utilisées pour blesser et
tuer mais aussi en relevant les normes du comportement humain. Les auteurs de crimes haineux durant les
conflits doivent répondre de leurs actes. La responsabilité humaine est le complément de la sécurité humaine.
Nos ancêtres ont créé un ensemble de règles destinées à nous assurer une certaine protection en périodes de
conflit. Le visage des conflits a changé de façon radicale : la majorité d'entre eux se déroulent aujourd'hui à
l'intérieur même des États et ce sont les civils, non les militaires, qui paient le plus lourd tribut. La crise au
Kosovo, et la réaction de la communauté internationale, sont l'illustration la plus récente de cette nouvelle
donne mondiale.
C'est dans cet esprit que le Canada a participé activement à la création de la Cour criminelle internationale, une
initiative qui s'inscrit dans un effort en vue de reconnaître les impératifs de notre monde en mutation et de les
intégrer, plus formellement, dans des normes de comportement contraignantes. La Cour aidera à dissuader les
auteurs de certaines des violations les plus extrêmes du droit humanitaire international, à savoir les génocides,
les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Elle fait oeuvre de pionnier, en particulier du fait qu'elle se
penche sur le sort des femmes et des enfants. Le fait d'isoler et de stigmatiser ceux qui commettent ces
violations, et de les retirer de la communauté, contribuera à mettre un terme aux cycles d'impunité et de
rétribution.
Notre siècle a été témoin de certaines des pires atrocités que l'homme ait commises contre l'homme. Nous
avons maintenant un accord-cadre nous permettant de créer une Cour qui peut juger de tels crimes. Il est
urgent de faire le nécessaire pour que ce tribunal devienne réalité.
La Cour criminelle internationale contribuera à donner un sens nouveau et une portée mondiale à la protection
des vulnérables et des innocents. Les plus vulnérables et les plus innocents sont les enfants. Je suis
profondément honoré d'être corécipiendaire de ce prix avec Graça Machel. Mme Machel a utilisé l'expérience
douloureuse de deux grandes nations, le Mozambique et l'Afrique du Sud, pour mobiliser tout un continent --
voire le monde entier -- au service d'une enfance sûre et en santé pour tous. Il faut notamment s'attaquer au
recours condamnable aux enfants soldats et à l'impact débilitant du travail des enfants.
Par l'action du Centre Nord-Sud, le Conseil de l'Europe cherche à renforcer le respect des droits de la personne
en créant des liens mondiaux. De la même façon, le programme de la sécurité humaine a une portée mondiale
qui transcende les barrières continentales. Notre histoire transatlantique est plus que séculaire. Comme l'illustre
si bien la recréation du voyage de la Creoula, c'est une histoire faite de liens humains et de valeurs communes.
Les aspirations que nous partageons font de nous des partenaires naturels dans la promotion de la sécurité
humaine. D'ailleurs, nous collaborons déjà étroitement dans des dossiers comme la campagne contre les mines
terrestres, les armes légères et la Cour criminelle internationale. Le Canada et la Norvège, un membre actif du
Conseil de l'Europe au sein du Centre Nord-Sud, ont uni leurs efforts pour réaliser un certain nombre d'objectifs
de sécurité humaine. En janvier, le Canada succédera au Portugal au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Nous poursuivrons les efforts déployés par le Portugal pour rendre le seul instrument mondial de préservation
de la paix et de la sécurité plus ouvert et plus réceptif au nouveau programme de la sécurité humaine.
Les grands explorateurs portugais ont défié les vérités reçues de leur époque. Ils ont exploré des territoires
inconnus. Ils ont bâti de nouveaux vaisseaux pour réaliser leurs voyages. Et c'est ainsi qu'ils ont ouvert le
monde et changé l'histoire. De même, le programme de la sécurité humaine défie la sagesse traditionnelle des
affaires mondiales, recourt à de nouvelles idées et crée de nouveaux partenariats et instruments pour améliorer
le quotidien des gens ordinaires.
En regardant le monde du point de vue de l'enfant, du réfugié, du non-combattant -- de l'individu -- notre
programme en matière de sécurité humaine s'attaque aux préoccupations du prochain millénaire dans le Nord
comme dans le Sud. Les partenariats que nous créons et les synergies que nous développons nous donneront
de nouveaux outils pour achever une tâche qu'il est grand temps de mener à terme. C'est une tâche qui était
inscrite en 1949 dans les principes fondateurs du Conseil de l'Europe et qui n'a rien perdu de sa pertinence :
défendre les droits de la personne et bâtir des sociétés où règnent la cohésion et la justice.
Merci.
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