DISCOURS
M. AXWORTHY - ALLOCUTION À L'OCCASION DE LA CONFÉRENCE« LES ENFANTS COINCÉS » - OTTAWA (ONTARIO)
98/75 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DE LA CONFÉRENCE
« LES ENFANTS COINCÉS »
OTTAWA (Ontario)
Le 6 novembre 1998
(17 h H.N.E.)
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère : http://www.dfait-maeci.gc.ca
Je suis heureux d'ouvrir cette conférence et de vous accueillir au ministère des Affaires étrangères et du
Commerce international. Je souhaite tout particulièrement la bienvenue à M. Damien Ngobonziza, secrétaire
général du Service social international, qui arrive de Genève. Votre visite, cette semaine, est on ne peut plus
opportune. En effet, nous célébrons le 25e anniversaire de l'édifice Lester B. Pearson, et l'un des thèmes que
nous avons choisi de mettre en valeur est notre travail en vue d'établir de nouveaux partenariats avec la société
civile pour relever les défis du siècle nouveau. Votre présence est une manifestation concrète de nos efforts en
ce sens. Je sais que la sénatrice Pearson, ma conseillère en matière de droits de l'enfant, est fière de participer
à ces activités dans l'édifice qui porte son nom.
Quand je considère nos responsabilités à l'égard de nos enfants, je me rappelle une citation des aînés
Opaskwayak de la première nation crie selon laquelle « il y a une croyance commune parmi la nation crie
voulant qu'un enfant soit un présent ou un prêt du Grand Esprit et qu'on se voit confier la responsabilité d'élever
l'enfant et d'en prendre soin. Comme il est un présent du Grand Esprit, l'enfant est sacré et doit être traité avec
respect et dignité. »
Depuis près de 75 ans, le Service social international incarne ce noble sentiment. Il s'est taillé une réputation
bien méritée comme protecteur des enfants coincés dans le système de l'État-nation. Au cours de cette
période, rares ont été les organisations ou personnes qui ont cherché à attirer l'attention sur les problèmes des
enfants tout en donnant une lueur d'espoir à ces enfants. Ces dernières années, cependant, le Service social
international a fait de nombreux adeptes désireux d'inscrire en bonne place dans le programme international la
situation des enfants dans le monde.
La nécessité de protéger les intérêts des enfants n'a rien perdu de son acuité. Il y a 10 ans, la Convention
relative aux droits de l'enfant a été adoptée. Elle fixe les normes internationales applicables à nos
responsabilités à l'égard des enfants. Dix ans plus tard, pourtant, la sécurité des enfants n'est toujours pas
acquise. Le thème de votre séminaire -- Les Enfants coincés -- ne traduit que trop bien la précarité de la
situation de nombreux enfants dans le monde.
Le monde a énormément changé depuis l'adoption de la Convention. Mais hélas, les enfants sont trop souvent
perçus encore comme de simples possessions. Ils sont des pions dans les conflits parentaux; ils sont des pions
dans les conflits de plus grande envergure, notamment au Kosovo, en Afghanistan, au Congo ou au Rwanda; il
sont des pions pour ceux qui les exploitent égoïstement à des fins sexuelles ou économiques.
Lutter contre la victimisation des enfants est le pivot de l'approche plus humaniste qu'a adoptée notre politique
étrangère. De plus en plus, les défis auxquels la communauté internationale est confrontée dépassent les
frontières et touchent directement la vie quotidienne des gens ordinaires : drogues illicites, détérioration de
l'environnement, conflits armés, prolifération des armes légères, terrorisme. Par conséquent, nous avons
reformulé notre approche et avons fait de la sécurité des personnes -- la sécurité humaine -- un élément central
de notre intervention.
Dans notre monde transformé, ce sont les plus vulnérables, en particulier les enfants, qui courent le plus de
risques, qui paient le prix le plus lourd et qui, par conséquent, ont besoin de la plus grande attention. Pour cette
raison, le Canada est déterminé à faire du bien-être des enfants une priorité absolue de son programme de
sécurité humaine.
La sécurité des enfants commence au foyer. Un foyer sûr et stable est un tremplin pour un enfant. Cette base
est menacée par l'éclatement des familles, un phénomène qui, comme vous le savez fort bien, transcende
parfois les frontières nationales. Les dangers, les angoisses et les incertitudes pour les enfants en sont alors
accentués.
Le Canada s'est efforcé de trouver des solutions aux problèmes transfrontaliers de garde et d'enlèvement
d'enfants. Nous avons été à l'avant-garde pour l'élaboration de la Convention de La Haye sur les aspects civils
de l'enlèvement international d'enfants, que 50 pays ont maintenant ratifiée.
Toutefois, il est devenu difficile de trouver de nouveaux adhérents à la Convention. Cette convention traite en
effet de questions extrêmement délicates, d'ordre émotionnel, psychologique, social et familial -- souvent à
fortes connotations religieuses, culturelles et économiques, et de nombreux pays hésitent à soumettre à
l'examen international ce qu'ils considèrent comme des questions privées et personnelles.
Chaque fois qu'un enfant est rendu au parent qui en a la garde, nous éprouvons pourtant une immense
satisfaction. Deux décennies après l'adoption de la Convention, cette satisfaction est le seul encouragement
dont nous ayons besoin pour continuer à tenter de convaincre d'autres pays de signer et de ratifier ce
document. Au cours des prochains mois, nous allons renouveler nos efforts à cet égard.
Par ailleurs, nous explorons divers instruments, bilatéraux et autres, destinés à régler les questions
d'enlèvement parental et à corriger des problèmes d'accès pour parfaire la Convention. J'ai récemment signé
avec l'Égypte une entente de ce genre, qui pourrait nous fournir un modèle applicable à d'autres situations.
Nous poursuivrons nos efforts sur la scène internationale, mais nous devons aussi progresser chez nous, dans
notre pays. À cette fin, je suis heureux de constater que le gouvernement de l'Ontario a, le mois dernier,
proposé une loi qui rendrait exécutoire dans cette province la Convention sur la protection des enfants et la
coopération en matière d'adoption internationale.
Je tiens également à féliciter la sénatrice Landon Pearson et la députée de Brampton, Colleen Beaumier, pour
la remarquable qualité de leur contribution. Mme Beaumier et ses collègues du Sous-comité de la Chambre sur
les enlèvements d'enfants ont rédigé un rapport d'une portée considérable qui contient 14 recommandations en
faveur d'une prompte intervention pour résoudre tous les problèmes liés aux enlèvements d'enfants. Je suis fier
de signaler que le rapport vient tout juste d'être déposé à la Chambre des communes la semaine dernière. Bon
nombre de ses recommandations sont déjà en cours d'application.
La sénatrice Pearson a coprésidé un Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la
garde et le droit de visite des enfants. Ce rapport, qui devrait bientôt paraître, apportera des idées neuves sur
ces questions et offrira des suggestions constructives. J'espère en particulier qu'il nous aidera à dissiper une
fois pour toute l'idée que les enfants sont de simples possessions.
La sécurité des enfants commence au foyer mais s'étend bien au-delà du cadre familial. Nous nous sommes
penchés sur trois problèmes particulièrement préoccupants : l'exploitation sexuelle des enfants, le travail des
enfants, et les enfants victimes de la guerre.
Il n'existe peut-être pas de pire menace pour nos enfants que l'exploitation sexuelle. Celle-ci les dépouille de
leur innocence et les marque parfois pour la vie. Aujourd'hui, l'emprise des prédateurs s'étend au monde entier
et exige des solutions mondiales. Aux Nations Unies, le Canada a participé à l'élaboration d'un protocole à la
Convention relative aux droits de l'enfant pour répondre à cette menace. Aux termes de ce protocole, les
nations devront criminaliser les activités liées à la vente d'enfants, à la prostitution et à la pornographie
enfantines. Les pays sont également encouragés à étendre leurs compétences dans ce domaine aux actes
commis par leurs ressortissants à l'étranger.
Le Canada a déjà pris des mesures pour intervenir au-delà de ses frontières. Nous disposons maintenant des
instruments nécessaires pour poursuivre les Canadiens qui se livrent à des activités sexuelles payantes avec
des enfants, alors qu'ils se trouvent à l'étranger. Nous faisons des efforts pour assurer l'application de la loi. Je
me sens conforté de voir que d'autres pays se sont engagés sur la même voie. De telles activités ne sauraient
être tolérées, et il ne devrait pas y avoir de refuge pour ceux qui en sont responsables.
Dans notre monde branché, Internet crée un nouveau défi. Il peut véhiculer le meilleur mais aussi le pire --
notamment la pornographie enfantine et l'exploitation des enfants. Il faut mettre un terme à son utilisation
abusive. En collaboration avec d'autres gouvernements -- par l'intermédiaire de l'OCDE, des Nations Unies et
d'autres organisations -- nous nous efforçons d'éviter qu'Internet ne devienne le refuge de ceux qui cherchent à
faire du mal aux enfants.
Tout en tissant un filet international destiné à capturer les prédateurs, il faut également que nous prenions des
mesures pour libérer tous les enfants exploités qui ont été traumatisés. Au printemps dernier, le Canada a été
l'hôte de « Sortir de l'ombre », un colloque international de jeunes de toutes les Amériques ayant été soumis à
une forme quelconque d'exploitation sexuelle.
Ce colloque leur a permis de se faire entendre. C'est à nous maintenant de les écouter et de nous laisser
guider par leur expérience. Nous nous appuyons sur leur plan d'action pour poursuivre nos efforts aux Nations
Unies; le Canada a parrainé une réunion où les participants ont présenté leurs recommandations. Ce colloque
nous a incités à entreprendre, avec les ONG canadiennes, un certain nombre de projets pour la défense des
jeunes victimes d'exploitation sexuelle au Brésil, en République dominicaine, au Honduras, en Bolivie, au Pérou
et au Chili. Ces projets seront axés sur le counselling et la réadaptation, l'éducation et la formation, et la
réintégration dans la communauté et dans la population active.
Le travail des enfants est un des problèmes les plus insidieux et les plus frustrants auxquels on se heurte dans
la promotion de la sécurité de l'enfant. C'est un problème très difficile à définir et rebelle à des solutions
simples. Nous l'abordons sous l'angle du développement de la personne et des droits de la personne.
Le travail des enfants est étroitement lié à l'extrême pauvreté. C'est pourquoi le Canada s'attaque à ce
problème grâce à son programme d'aide qui privilégie la réduction de la pauvreté et la satisfaction des besoins
humains fondamentaux -- par exemple, les investissements dans l'enseignement primaire, la création d'autres
possibilités d'emploi pour les adultes et des projets axés spécifiquement vers la main-d'oeuvre enfantine.
Toutes les formes de travail des enfants ne constituent pas une exploitation ou un abus. Cependant, ceux qui
dépouillent les enfants de leur droit de réaliser leur potentiel, et qui les exposent à des conditions de travail
dangereuses, enfreignent les droits humains fondamentaux. Il faut s'attaquer à ce problème.
C'est dans ce but que l'OIT [Organisation internationale du travail] a entrepris l'élaboration d'une nouvelle
convention destinée à éliminer les pires formes de travail des enfants : travail dangereux, servitude pour dettes
et conditions de travail proches de l'esclavage, ainsi que la prostitution, la pornographie et le trafic de drogue
dont les enfants sont les victimes.
Le Canada a joué un rôle actif dans ce domaine en engageant une coopération à l'échelon fédéral et provincial
ainsi qu'avec la participation des associations patronales et des organismes syndicaux. Son objectif est
d'élaborer un instrument simple et efficace qui serait ratifié -- et surtout, appliqué -- par le plus grand nombre
possible de pays. Nous espérons que la convention sera adoptée l'an prochain. Elle aidera à établir la norme
internationale en vertu de laquelle les pays pourront être évalués.
Ce n'est pas la seule forme d'appui que nous apportons à l'OIT. Le Programme international pour l'abolition du
travail des enfants, mis sur pied par l'OIT, avec l'aide du Canada, vise à élaborer, à mettre à l'essai et à
appliquer les meilleures pratiques pour l'élimination des pires formes de travail des enfants. En avril, nous
avons contribué à un autre programme de l'OIT, le SIMPOC [Programme de renseignements statistiques et de
contrôle sur le travail des enfants], afin de recueillir des données sur le travail des enfants dans une
quarantaine de pays.
Les conflits armés constituent une menace brutale et dévastatrice pour la sécurité des enfants. Dans le
nouveau désordre mondial, les enfants sont les victimes, les cibles et les instruments de la guerre. Le
représentant spécial du secrétaire général de l'ONU pour les enfants dans les conflits armés, M. Olara Otunnu,
a insisté sur cet aspect dans un rapport soumis le mois dernier. Comme il le précise, nous avons
lamentablement « échoué dans notre tentative pour épargner des générations successives du fléau de la
guerre ». Dans près du tiers des pays du monde, des enfants souffrent des effets d'un conflit et de ses
retombées.
L'approche du Canada est multidimensionnelle. Nous cherchons à élaborer des normes internationales qui
s'appliqueraient aux enfants victimes de la guerre, dont les enfants soldats. Les membres de l'ONU envisagent
une proposition pour porter à 18 ans l'âge du recrutement des enfants et de leur participation aux hostilités.
Mon collègue, le ministre de la Défense nationale, et moi-même étudions comment changer nos lois nationales
à cet égard pour appuyer ces efforts.
Comme c'est le cas ailleurs, les normes sont importantes mais elles ne suffisent pas. Il est essentiel d'agir sur
le terrain. L'initiative canadienne de consolidation de la paix contribue à soutenir des projets pour démobiliser et
réintégrer les enfants soldats en Ouganda, au Libéria et en République démocratique du Congo. Nous
espérons que ces enfants prendront éventuellement une part active à la reconstruction de leurs collectivités et
apporteront une contribution positive à l'édification d'une société stable et pacifique.
En juillet, j'ai annoncé une initiative culturelle pour les enfants en situation de conflit armé, en plus d'allouer
200 000 dollars à des initiatives culturelles qui permettront d'offrir une thérapie par l'art aux enfants affectés par
la guerre et de mieux sensibiliser les gens à ce problème. Il s'agit sans doute d'une mesure modeste, mais
innovatrice tout de même. Nous avons bon espoir qu'elle aura des effets immédiats sur la vie de ces enfants.
La défense des intérêts politiques et publics est importante aussi. Nous appuyons activement M. Otunnu dans
son rôle de défenseur, de médiateur auprès des gouvernements et des groupes de rebelles qui s'en prennent
aux enfants, et de coordonnateur possible des efforts déployés par les agences et le Secrétariat de l'ONU pour
les enfants affectés par la guerre. Le Canada fait partie d'une coalition de pays qui conseillent M. Otunnu et qui,
ensemble, peuvent exercer des pressions politiques sur les États qui abusent des enfants dans les situations
de conflit armé.
Les partenariats avec la société civile sont essentiels. Afin de reconnaître le rôle important qu'ils jouent, nous
avons mis sur pied un Comité des enfants affectés par la guerre formé de représentants du gouvernement et
d'ONG, sous la présidence de la sénatrice Pearson. Cette initiative aidera à définir notre approche et à produire
des suggestions concrètes sur les orientations à prendre.
La sécurité des enfants est au centre des efforts de promotion de la sécurité humaine. La protection des
enfants contre les conséquences d'une famille désunie, contre les prédateurs sexuels, contre l'exploitation ou
contre les traumatismes causés par les conflits armés est intimement liée à nos aspirations plus larges de bâtir
des sociétés stables. Nous ne pouvons espérer un monde stable sans penser à ceux qui en hériteront.
Le travail du Service social international doit être une inspiration pour nous. Lors de la grande tragédie qui a
frappé le Rwanda en 1994, le Service social international ne s'est pas défilé pour aller oeuvrer dans des régions
moins troublées. Il a lancé le projet « A Child, A Family in Rwanda » (Un enfant, une famille au Rwanda). Les
enfants du Rwanda ont été les victimes du passé et du présent, mais le Service social international a reconnu
qu'ils étaient aussi l'espoir d'un nouveau Rwanda. Les membres du Service social international ont vu les
enfants et ils ont vu aussi l'avenir. Ils ont assumé l'obligation sacrée que nous avons envers nos enfants et
qu'ont si bien décrite les aînés Opaskwayak. Nous ne pouvons faire moins.
Merci.
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