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Le Canada dans le monde : Politique internationale du Canada
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Entrevue vidéo
Susan MacKay
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Le Dr Susan MacKay traite de l’importance du problème des filles soldats et de la difficulté qu’il y a à prévenir les enlèvements. Elle fait état du manque de données sur ce phénomène et souligne la nécessité de la participation communautaire au soutien traumatologique.

 

Le Dr MacKay est professeur d’études féminines et internationales à l’Université du Wyoming et l’auteur d’un grand nombre de textes sur les filles soldats. Elle a écrit Where are the Girls?, une enquête sur la vie des filles soldats des forces combattantes dans le nord de l’Ouganda, au Mozambique et au Sierra Leone. Ses recherches actuelles traitent des filles mères et des enfants des anciennes filles soldats dans le contexte d’après-guerre.

 Surveillance et communication des renseignements relatifs aux violations des droits des enfants dans les conflits armés

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Entrevue vidéo  (en anglais avec transcription en français )

Note: Les opinions exprimées ne sont pas nécessairement celles du gouvernementdu Canada.

 Les filles-soldats dans les groupes de combat

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 Le nombre d’enfants-soldats 3 min 58 sec Windows Media | QuickTime
 La participation de la communauté

 5 min 1 sec

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(Les vidéolecteurs sont disponibles ici : QuickTimeWindows Media)


Transcription


Les filles-soldats dans les groupes de combat

Je m’appelle Suzan McKay et je suis professeure à l’Université du Wyoming, aux États-Unis. J’enseigne les études féministes et les études internationales. Depuis six ans, mes recherches concernent les filles-soldats dans des groupes de combat de plusieurs pays d’Afrique. Une fille-soldat se définit comme toute fille qui fait partie d’un groupe armé, qu’elle serve de combattante en soi, de cuisinière ou de « femme » de commandant, qu’elle creuse des tranchées ou qu’elle s’occupe de trouver de l’eau. Les filles-soldats exercent habituellement diverses fonctions, et non une seule. Elles font beaucoup de choses : elles peuvent par exemple faire de l’espionnage et occuper des postes liés au renseignement. On a énormément recours à leurs services; pas autant que les garçons, comme enfants-soldats, mais on pense, selon le contexte, que peut-être entre 10 et 30 p. 100 des groupes armés ont recours à des filles-soldats. Certains groupes n’y ont pas du tout recours.

Jusqu’en 2000 environ, ou peu après, lorsque l’ACDI a commencé à financer des travaux concernant les filles-soldats, celles-ci étaient totalement absentes de l’attention internationale, en ce sens que les gens ne reconnaissaient même pas leur existence. En conséquence, elles ont été exclues de la DDR, c'est-à-dire des processus de démobilisation, de désarmement et de réadaptation/ réintégration, axés presque exclusivement sur les garçons et les hommes. Ces processus incluent parfois les femmes, mais elles ont aussi tendance à y être marginalisées. Les filles sont donc laissées à elles-mêmes. Pourtant, tout comme les garçons, elles font partie de la future génération qui dirigera le pays. Tant d’enfants participent à des luttes armées, dans les pays où j’ai déjà effectué des travaux, soit le Mozambique, la Sierra Leone et le Nord de l’Ouganda, que cela nuit à la société et à son développement : or, malgré les énormes traumatismes que subissent ces enfants, on ne reconnaît même pas toujours leur existence, ce qui est spécialement vrai pour les filles. Par contre, depuis cinq ans, je dirais même quatre, on prend beaucoup plus conscience, à l’échelle internationale, de la présence de filles dans les groupes de combat.

Cela dit, je crois que, depuis un an ou deux, on met réellement l’accent sur la prévention. En août, il se tiendra une réunion à Winnipeg à ce sujet. Je n’ai pas apporté une très grande contribution en ce sens, mais j’ai essayé de songer attentivement à certaines façons de permettre la prévention. C’est toutefois très difficile, car si on pense aux pays où j’ai effectué mes travaux, la plupart des enfants-soldats, des filles mais aussi des garçons, y sont enlevés pour être intégrés dans des groupes de combat. Qui plus est, ils sont enlevés dans des endroits qui devraient théoriquement être sûrs pour les enfants, comme dans les écoles — l’endroit privilégié —, dans les marchés, directement dans leur maison ou le long des routes où ils marchent pour aller chercher de l’eau. Cela donne donc à réfléchir sur la difficulté d’empêcher ce genre d’enlèvements, car on ne peut pas enfermer les enfants et les surveiller. Dans ce contexte, si la prévention est extrêmement importante, elle est aussi extraordinairement difficile, de mon point de vue.


Le nombre d’enfants-soldats

À l’échelle internationale, on chiffre communément le nombre d’enfants-soldats à 300 000. À ce que je sache, c’est en quelque sorte un chiffre inventé. Lorsque j’ai commencé mes recherches en 2000, je me suis renseignée auprès de certaines personnes de l’UNICEF, qui étaient très bien informées, à propos de ce chiffre de 300 000 enfants-soldats. Elles m’ont répondu : « À vrai dire, il est seulement tiré de renseignements obtenus çà et là. » Je suis donc préoccupée, depuis quelque temps, car je crois qu’aujourd’hui, si on reconnaît de plus en plus l’existence de filles-soldats, on a aussi tendance à créer des chiffres de toutes pièces. Au cours de la dernière année, j’ai lu à quelques endroits que 40 p. 100 des enfants-soldats sont des filles. En fait, nous n’en avons aucune idée. Néanmoins, il n’en fallait pas plus pour que certaines personnes — pas vraiment beaucoup, et pour peu de temps j’espère — prennent le chiffre de 300 000 et déterminent que 40 p. 100 de ce chiffre donne 120 000, sautant ainsi à la conclusion qu’il existe 120 000 filles-soldats. Pourtant, nous n’en avons absolument aucune idée.

L’autre soir, j’ai passé quelque temps à discuter avec des collègues de l’Angola qui connaissent réellement la situation — Vivi Stavrou, notamment, qui connaît la situation des filles-soldats en Angola. Ces collègues m’ont dit que même dans le contexte de l’Angola, où tant d’études ont été réalisées, il serait presque impossible d’établir le nombre d’enfants-soldats, car, à certains endroits, chaque enfant participe au conflit d’une manière ou d’une autre. Dans certaines régions du pays, ou dans certaines familles, certains enfants étaient tenus à l’écart, alors que d’autres ne l’étaient pas. Ainsi, puisqu’il est difficile de donner un chiffre même quand on connaît le contexte, comment pourrait-on penser à généraliser? Je pense qu’une des raisons en est probablement qu’on souhaite conscientiser les gens, mais par hyperbole. Je crois cependant que ceci peut se retourner contre nous, si nous n’évaluons pas de manière réaliste ce que nous devons faire et où nous devons déployer nos efforts. Dans certains groupes de combat, on n’a pas beaucoup recours à des filles. Dans certains autres, les filles soldats n’ont pas été enlevées. Dans bien des armées gouvernementales et dans certains mouvements de libération, par exemple, ce sont les filles qui s’engagent et qui veulent être du nombre. En pareil cas, leurs vrais problèmes commencent surtout après, lorsqu’elles essaient de se réintégrer dans la société, quand cette société ne sait pas quoi faire avec ces femmes fortes et indépendantes qui ont longtemps fait partie d’un groupe de combat.
 
Pour revenir à la question originale sur ce que nous devrions faire, je crois qu’il est temps de commencer à élaborer des études épidémiologiques vraiment rigoureuses fondées sur les populations. Quelques-unes ont été réalisées dans des zones de guerre, ce qui constitue un travail très important. Il est difficile de le faire dans les zones de guerre, car c’est très dangereux. Malgré tout, on l’a fait. Même en Iraq, il y a eu une étude très bien conçue qui était fondée sur la population, et je crois que c’est le genre de travail que nous devons faire pour préciser certaines des données que nous avons. Nous disposons de nombreux travaux qualitatifs, effectués notamment à partir d’entrevues et de discussions avec des gens. C’est le genre de travail que j’ai réalisé moi-même, et je n’arrêtais pas de me dire : « Nous avons besoin de plus de données ». Or, il faut que ce soit des données épidémiologiques, et les spécialistes de la santé publique sont très bien outillés pour effectuer le genre de travail nécessaire.


La participation de la communauté

Les filles sont présentes au sein des groupes de combat — leur proportion n’est pas particulièrement élevée, même si je ne veux pas donner de pourcentage — et elles souffrent beaucoup. Elles ne sont visées par aucune initiative internationale adéquate, bien que certains gouvernements commencent à apporter leur contribution, par exemple sur le plan scolaire. Ces jeunes filles ont vraiment besoin que leur présence soit reconnue et, pour ce faire, il faut qu’elles obtiennent systématiquement de l’aide lorsqu’elles quittent un groupe de combat. Le problème, c’est qu’il y a des filles sortant de groupes de combat qui ont besoin d’assistance et que, parallèlement, dans les communautés mêmes d’où proviennent ces filles, il y a des gens très affectés qui ont aussi besoin d’assistance. Un nouveau secteur est donc en train d’être élaboré, et je crois qu’il est vraiment important, car il consistera à ne pas cibler les filles-soldats comme un groupe vulnérable distinct, par exemple, de celui des autres filles de la communauté. Toutes ont besoin d’aide, et il faut élaborer des programmes à l’échelle de la communauté pour travailler auprès d’elles. Nous devons reconnaître que les enfants sont traumatisés, que les filles, les femmes, les hommes et les garçons sont traumatisés… et nous devons penser à des solutions.

Par « nous », je ne parle pas tant des Occidentaux que des personnes qui travaillent au sein des communautés concernées, en collaboration avec des organisations non gouvernementales, par exemple. Nous devons aider les communautés à devenir autonomes et à déterminer comment elles peuvent s’aider elles-mêmes, et aider les enfants-soldats, tant les filles que les garçons. Le fait est que ces sociétés sont très centrées sur la communauté plutôt que sur l’individu — c’est le cas de la plupart des sociétés où j’ai effectué des travaux en Afrique, mais aussi, je dirais, à l’échelle internationale en général. La solution n’est donc pas de procéder à des psychothérapies individuelles, ce qui est ridicule car c’est impossible, mais bien de travailler en collaboration avec les communautés pour les aider à reprendre des forces, de sorte que leurs membres puissent obtenir de l’aide, y compris les enfants-soldats. Je crois que cette démarche est plutôt étrangère à la notion occidentale d’individualisme, mais nous devons faire le travail différemment dans la plupart des contextes où il y a des enfants-soldats.

La meilleure façon d’y arriver, c’est de faire collaborer les ONG avec les communautés — et je parle vraiment de collaborer, c'est-à-dire d’interagir avec les figures dominantes de la communauté et de trouver des façons d’obtenir le concours de ses membres, en laissant les décisions provenir de la communauté même. Dans certaines communautés où je suis allée, il y a eu beaucoup d’excellents projets, et, dans d’autres, ce genre de travail n’avait pas encore été fait, car les ONG ne peuvent pas même penser à aider dès maintenant toutes les communautés qui en ont besoin. Quoi qu’il en soit, il y a eu des projets, par exemple des projets liés aux violences sexuelles, qui visaient toutes les filles d’une communauté qui avaient été violées ou soumises à des violences sexuelles. De telles choses peuvent s’être produites au sein même de leur communauté. Ainsi, les équipes responsables de ces projets ont été formées par des membres de la communauté, de sorte qu’elles puissent travailler auprès des filles concernées et les aider à guérir. Voilà un exemple. D’autres communautés, avec l’aide d’ONG, ont pour leur part établi des programmes de formation professionnelle, où les filles apprenaient la teinture au nœud et la fabrication de savon (bien sûr, il y avait aussi des programmes pour les garçons, mais je parle surtout des filles). Le principal problème de certains de ces programmes est qu’ils ont tendance à être discriminatoires sur le plan sexuel, et, souvent, il n’y a pas du tout de travail pour les filles qui finissent de suivre un programme. Or, dans les métiers de construction, si elles apprenaient la plomberie, le charpentage et le soudage, elles pourraient avoir davantage de chances d’obtenir un travail ou un autre. Cependant, il faut une fille courageuse pour s’engager dans un domaine dominé par les hommes.

Voilà donc quelques points de vue sur le sujet. Cela dit, je crois qu’il est très efficace de voir ce qu’on peut réaliser en collaborant avec les gens concernés. Ce qui est décourageant, c’est de savoir combien les choses à faire sont nombreuses et combien les ressources sont limitées.