Je considère comme un grand privilège que d'être invité à prendre la parole devant ce
Conseil, qui s'intéresse activement et depuis si longtemps aux affaires mondiales. Bien
sûr, j'ai aussi grand plaisir à me retrouver dans cette ville magnifique qui a également
pour moi l'immense avantage d'être dépourvue de neige et immunisée contre le froid.
Évidemment, je ne suis pas le seul Canadien à succomber au charme de la région. En
effet, environ 350 000 de mes concitoyens vivent autour de la Baie, et plus d'un millier
d'entre eux sont de fiers membres du Digital Moose Lounge, qui, m'a-t-on appris, n'est
pas un nouveau bar à la mode, mais plutôt une organisation de réseautage social et
commercial pour les expatriés canadiens travaillant dans le secteur de la haute
technologie. En outre, comme certains d'entre vous le savent peut-être, bon nombre
des meilleurs animateurs-graphistes de l'industrie de l'animation dans la Baie sont
diplômés du collège Sheridan, près de Toronto, ma ville.
Les artistes canadiens du spectacle connaissent aussi très bien la force d'attraction de
la région sur le plan culturel. On me dit que l'extraordinaire Cirque du Soleil compte de
nombreux admirateurs dans cette ville, et je n'hésite pas une seconde à vous
recommander d'assister au fabuleux spectacle équestre canadien Cavalia, qui au fait
donne sa première représentation ce soir.
Votre invitation à prendre la parole ici tombe particulièrement bien, c'est en effet la
première fois que j'ai l'occasion de parler à un auditoire américain depuis que le
nouveau premier ministre du Canada Paul Martin a pris ses fonctions en décembre. Il y
a deux points que j'aimerais aborder aujourd'hui. D'abord, la façon dont les Canadiens
perçoivent la nature des relations entre les deux pays, et ce que nous voulons faire au
Canada pour resserrer ces relations. Ensuite, question connexe mais dont on parle
moins souvent, comment les deux nations peuvent renforcer leur alliance en Amérique
du Nord, en travaillant ensemble à la poursuite des objectifs et des intérêts qu'elles
partagent sur la scène mondiale.
Je dirais que notre alliance a un caractère particulier, et qu'elle a établi de nouvelles
normes pour les relations entre les États. En fait, les liens qui nous unissent se
retrouvent dans pratiquement tous les aspects de la vie de nos concitoyens. C'est la
géographie qui dicte cette intimité. Dans le cadre du NORAD [Commandement de la
défense aérospatiale de l'Amérique du Nord], nos deux pays sont des partenaires dans
la défense de l'Amérique du Nord. Nos autorités civiles, nos corps policiers et d'autres
instances travaillent main dans la main pour assurer notre sécurité et nous protéger
non seulement du terrorisme, mais aussi de la criminalité et des autres menaces contre
nos populations. Nous sommes de plus en plus interdépendants dans le domaine de
l'énergie. Le gaz naturel et les produits pétroliers traversent la frontière dans les deux
sens, tout comme l'électricité. Et comme nous l'a montré la panne d'électricité dans le
Nord-Est du continent l'été dernier, cette dépendance mutuelle comporte des risques
substantiels qui ne peuvent être évités que si nous parvenons à la gérer ensemble.
Nous avons aussi pour devoir commun de protéger l'air, l'eau et la faune que nous
partageons. C'est par millions que nos concitoyens traversent la frontière; les
Canadiens et les Américains se marient entre eux, fréquentent les universités de l'un et
l'autre pays, passent leurs vacances dans l'un et l'autre pays, jouent dans les mêmes
équipes sportives et se divertissent les uns les autres en tant qu'acteurs, musiciens et
auteurs. Nous sommes profondément attachés à de multiples valeurs semblables. Et à
la différence de nombreux autres pays, le Canada et les États-Unis apprécient et
chérissent l'incroyable diversité de leurs sociétés respectives. Ils affectionnent la
démocratie, la saine gestion publique et le respect des droits de la personne. Cela
signifie naturellement que nous recherchons les mêmes choses pour nos propres
sociétés, et que nous partageons la même vision d'un monde où nous pouvons aider
les autres à profiter des avantages que procure une société ouverte et démocratique.
L'examen de nos relations économiques montre clairement que nous sommes l'un pour
l'autre le plus important partenaire commercial. Plus de 1,4 milliard de dollars de
marchandises et de services traversent en effet la frontière canado-américaine chaque
jour, et cela fait de nos relations commerciales les plus importantes à avoir jamais
existé entre deux pays. Au Canada, nous sommes extrêmement conscients de
l'importance que vous représentez pour nous en tant que marché. Cependant, les
Américains ignorent souvent que nous sommes leur plus grand marché, ou que leur
pays vend pour au-delà de 280 milliards de dollars de marchandises et de services au
Canada chaque année. En d'autres termes, nous absorbons le quart de toutes les
exportations américaines, soit plus que tout autre pays. En fait, les États-Unis vendent
davantage au Canada qu'à l'ensemble de l'Union européenne.
Pour donner une perspective locale à ces chiffres, disons que la Californie est l'un des
39 États américains ayant le Canada comme principal client. En 2002, les ventes
californiennes au Canada ont atteint 8,1 milliards de dollars, les produits de haute
technologie en tête. Cette même année, la Californie a acheté pour 15,2 milliards de
dollars de marchandises du Canada, plus de la moitié de ces importations étant des
automobiles.
À tout cela, il faut ajouter les très nombreux investissements transfrontaliers, une réalité
qui me frappe chaque fois que je voyage aux États-Unis et que des gens d'affaires
américains me parlent des usines qu'ils possèdent dans la région de Toronto ou
ailleurs au pays, ou que des Canadiens me mentionnent leurs investissements dans le
secteur de la haute technologie ici même autour de la Baie.
La complexité de toutes ces interconnexions économiques, politiques et sociales fait
ressortir certains points sur lesquels nous devrions nous attarder si nous voulons
améliorer les relations canado-américaines. Le premier ministre Martin a établi comme
objectif prioritaire le renforcement du dialogue et de la coopération transfrontalière,
dans le but d'élargir et d'approfondir nos liens avec les États-Unis. Laissez-moi vous
donner un aperçu de certains des nombreux domaines où nous poursuivons
présentement cet objectif.
Pour commencer, les relations entre les dirigeants des deux pays sont plus détendues.
À leur première rencontre à Monterrey [Mexique], le premier ministre Martin et le
président Bush ont en effet noué un excellent rapport, et exprimé tous deux leur
détermination à régler les dossiers bilatéraux qui compliquent actuellement nos
relations, par exemple ceux de l'encéphalopathie bovine spongiforme [EBS] ou encore
du bois d'œuvre résineux, et à examiner comment nous pouvons mieux collaborer à la
solution de problèmes communs.
Au Canada, cette nouvelle ambiance se traduit par la volonté d'instaurer au sein même
du gouvernement de nouveaux niveaux de coopération et de coordination pour gérer
nos relations avec votre pays. Le premier ministre Martin a confié ce mandat à un
nouveau comité du Cabinet. En outre, un nouveau secrétaire parlementaire aux
relations canado-américaines procédera à de vastes consultations pour trouver des
moyens qui permettront non seulement au gouvernement fédéral, mais aussi aux
autorités provinciales et territoriales, de coopérer plus étroitement au regard des
dossiers bilatéraux. En agissant ainsi, nous faisons ce qui aurait dû être fait il y a
longtemps, c'est-à-dire reconnaître que nos relations avec les États-Unis constituent
une priorité impérative à tous les ordres de gouvernement.
Le gouvernement cherche aussi des moyens d'aider les parlementaires canadiens à
développer des liens plus étroits avec leurs homologues du Congrès américain, et cela
dans le but d'accroître notre rayonnement aussi bien à Washington que dans les
districts du Congrès. L'Association parlementaire Canada-États-Unis est l'une des plus
fructueuses du monde, et il est certain qu'en resserrant et en approfondissant les liens
qu'elle crée entre les législateurs de nos pays, nous susciterons un foisonnement de
relations et d'initiatives personnelles qui n'aurait pas été possible autrement.
Notre Initiative de représentation accrue viendra accentuer considérablement notre
présence diplomatique et commerciale dans l'ensemble des États-Unis. Des
15 bureaux actuels, nous passerons à 22 consulats et consulats généraux. C'est
surtout dans le Sud et le Sud-Ouest du pays que nous ouvrirons ces bureaux, car c'est
là qu'une bonne partie du pouvoir économique et politique s'est transportée au cours
des dernières décennies. Je suis particulièrement heureux de noter ici que notre
consulat de San Francisco deviendra un consulat général l'an prochain, en
reconnaissance de l'énorme importance de cette région pour le Canada. La mission
triplera plus ou moins de taille, et nous serons en mesure d'y délivrer des visas et des
passeports plutôt que d'envoyer les requérants à Los Angeles, comme c'est le cas
présentement.
J'ai la conviction que la région de la Baie continuera de croître en importance pour le
Canada dans les années à venir. Pour avancer cela, je ne me base pas uniquement
sur le dynamisme du commerce et de l'investissement ici. Je prends aussi en compte le
fait que le Canada a vécu une renaissance économique ces 10 dernières années, ce
qui signifie que notre présence dans votre pays en général va continuer de s'amplifier.
Pendant six ans d'affilée, le Canada a affiché un excédent budgétaire, et l'Organisation
de coopération et de développement économiques prédit que nous serons le seul pays
du G7 à avoir connu un surplus en 2003. Cette performance nous a permis de réduire
notre dette de plus de 47 milliards de dollars depuis notre premier budget équilibré de
1997-1998. Notre rapport dette-PIB s'est amélioré davantage que dans tout autre pays
du G7, et il ne le cédera qu'à celui de la Grande-Bretagne l'an prochain. Avec un PIB
[produit intérieur brut] par habitant qui a crû de 20 p. 100 entre 1996 et 2002, notre
saine gestion financière nous a permis de résister aux chocs provoqués l'an dernier par
le SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère], la crise de l'EBS, une panne d'électricité
massive et une série d'immenses feux de forêt.
Enfin, nous avons accueilli avec plaisir cette semaine les résultats de l'étude
comparative de KPMG de 2004, Choix concurrentiels, sur les coûts d'exploitation des
entreprises car, pour une cinquième année de suite, le Canada se classe au premier
rang des pays du G7 où il coûte le moins cher de faire des affaires. Bref, le Canada
offre présentement une solide performance économique, et nous comptons bien
devenir ces prochaines années un partenaire de plus en plus important pour votre pays
et la région de la Baie dans les domaines de l'économie et de l'investissement.
Si la symbiose économique et la prospérité commune sont une caractéristique
fondamentale de nos relations, il en va de même de notre interdépendance concernant
la sécurité du continent. Charles Foulkes, un général canadien bien connu, a dit un
jour, et je le cite : « Le Canada est physiquement joint aux États-Unis comme deux
frères siamois le sont. Quand l'un des deux a mal, l'autre souffre également. Il est tout
aussi impossible de séparer la défense du Canada de celle des États-Unis que de
séparer deux frères siamois et espérer qu'ils vivront. »
Depuis les terribles événements du 11 septembre, le partenariat entre nos deux pays
s'est approfondi, car nous répondons ensemble à la menace du terrorisme. Le Canada
est le meilleur allié naturel des États-Unis dans cette lutte. Sur le front bilatéral, nos
relations de sécurité s'étendent à de nouveaux domaines, par exemple la création d'un
groupe de planification binational chargé d'examiner comment coordonner les réponses
des deux pays non seulement aux attaques terroristes, mais aussi aux catastrophes
naturelles et aux autres menaces transfrontières. Le Plan d'action en 32 points pour
une frontière intelligente dont nous avons convenu nous permet d'accélérer le flux des
personnes et des marchandises entre nos deux pays tout en respectant les nouveaux
impératifs de sécurité. Ce plan est d'ailleurs un modèle qui commence à intéresser de
nombreux autres pays.
Comme je l'ai dit plus tôt, le Canada et les États-Unis partagent depuis longtemps la
défense du continent dans le cadre du NORAD. C'est d'ailleurs dans le contexte de ce
partenariat que nous avons, le mois dernier, procédé à un échange de lettres
concernant de prochaines discussions sur la coopération en matière de défense
antimissiles. En établissant clairement les paramètres des négociations, ces lettres
permettront au Canada d'avoir accès aux informations dont il aura besoin pour décider
s'il participera ou non à la défense antimissile de l'Amérique du Nord. Nous nous
associerons à ce projet si nous avons la certitude qu'il contribuera à notre sécurité
commune -- mais uniquement aussi s'il répond aux importants objectifs du Canada en
matière de désarmement mondial, et ne constitue pas un programme menant à la
militarisation de l'espace.
J'émets ces réserves car il est, à mon sens, important de reconnaître que les gestes
que nous posons ensemble en Amérique du Nord peuvent avoir des incidences sur des
questions mondiales auxquelles nous nous intéressons tous deux. En fait, nous
devrions même examiner comment notre partenariat en Amérique du Nord pourrait
nous permettre de poursuivre des objectifs mondiaux plus larges en dehors du
continent.
Il est clair que le Canada et les États-Unis jouent des rôles très différents sur la scène
mondiale, mais nous travaillons souvent ensemble, comme peu d'autres nations
peuvent le faire, à la concrétisation d'objectifs communs que ni l'un ni l'autre ne peut
atteindre seul. Averell Harriman a évoqué cette idée il y a plusieurs années lorsqu'il a
dit : « J'attache une grande importance à une coopération étroite entre le Canada et les
États-Unis. Notre vision des choses est à peu près la même, et ne s'embarrasse pas
de préjugés et de haines. Et ce rapprochement n'est pas aussi difficile que dans
d'autres parties du monde : le leadership en matière de coopération internationale
devrait venir de nous. »
Le premier ministre et le président étaient animés de ce même sentiment lors du
déjeuner de Monterrey, que j'ai évoqué tout à l'heure. Ils ont tous les deux suggéré que
le secrétaire Powell et moi-même examinions comment faire cause commune dans
l'arène internationale. Nous le faisons déjà dans le cas d'Haïti, où nos vues sont
absolument identiques. M. Powell et moi sommes déterminés à considérer d'autres
domaines où il pourrait y avoir convergence de nos efforts.
Au Canada, nous reconnaissons les écrasantes responsabilités de la seule
superpuissance au monde, qui doit faire preuve de leadership, fournir les ressources
voulues et utiliser la force nécessaire pour instaurer une communauté mondiale
meilleure. En retour, les Américains peuvent compter sur le fait qu'il y a, au nord, une
frontière sûre, une nation d'où aucune menace n'est venue depuis 1815, et un allié qui
partage leurs valeurs et leurs objectifs fondamentaux, mais les défend souvent par des
moyens que ne pourrait s'autoriser une superpuissance. Et un allié capable de
promouvoir ces causes d'une voix indépendante et largement digne de foi sur la scène
mondiale.
Notre partenariat joue un rôle dans la défense de nos intérêts communs sur ce
continent, mais il est tout aussi important de promouvoir nos objectifs dans le monde.
Je pense qu'en reconnaissant ce qu'ils ont en commun et comment ils sont
complémentaires l'un de l'autre, nos deux pays peuvent collaborer pour rendre la
communauté mondiale plus sûre et plus prospère.
À l'étranger, nous cherchons avec vous à ériger des sociétés stables là où les
terroristes trouvaient autrefois refuge. Plus de 6 000 soldats canadiens ont combattu
aux côtés des forces américaines en Afghanistan immédiatement après les attentats du
11 septembre. Aujourd'hui, quelque 1 900 militaires canadiens sont encore là-bas, à la
tête de la Force internationale d'assistance à la sécurité, qui opère sous mandat de
l'OTAN pour éliminer les terroristes et soutenir la nouvelle administration afghane. À
leur effort, s'ajoute notre programme d'aide, qui vise à restaurer et à améliorer la
société afghane. Cette année, l'Afghanistan sera le principal récipiendaire de l'aide
canadienne parce que nous nous sommes engagés, avec vous et nos alliés
européens, à faire en sorte que ce pays ne constitue plus une menace pour nos
sociétés, qu'il s'agisse de terrorisme ou du fléau de la drogue.
Pendant longtemps, le Canada a partagé les inquiétudes des États-Unis concernant la
présence possible d'armes de destruction massive en Iraq. Nous avons appuyé la
décision de porter l'affaire devant l'ONU [Organisation des Nations Unies]. Dans les
débats qui ont suivi, nous avons soutenu les États-Unis dans leurs efforts pour
renforcer le libellé de la Résolution 1441, mais maintenu que la participation de l'ONU
était incontournable, car le désarmement de l'Iraq par la force allait exiger la plus
grande légitimité internationale possible. Devant l'impasse, nous avons estimé qu'il était
dans l'intérêt du Canada, et dans celui du système multilatéral, si essentiel à notre paix
et à notre sécurité collectives, de ne pas nous joindre à la coalition qui allait mener la
guerre en Iraq.
Mais cela, c'était hier. Il est maintenant dans l'intérêt de tous que l'Iraq devienne une
démocratie pacifique et stable, et c'est pourquoi le Canada a engagé près de
300 millions de dollars pour sa reconstruction. Nous avons envoyé en Jordanie des
instructeurs pour y former des policiers iraquiens, et nous accorderons une aide
supplémentaire pour l'adoption de réformes dans les domaines de la gouvernance, du
fédéralisme, de la police et des services correctionnels en Iraq même, lorsque les
conditions locales le permettront.
Les Canadiens reconnaissent donc que la sécurité et la prospérité de leur pays et des
États-Unis sont liées non seulement en Amérique du Nord, mais aussi à l'étranger.
Cela dit, nous pouvons souvent nous épauler l'un l'autre en adoptant des approches
différentes pour atteindre les objectifs que nous partageons. Il est d'ailleurs inévitable
que nous ayons des approches différentes, compte tenu de l'histoire et des
perspectives internationales propres à chaque pays.
Notre vision des choses est dictée par notre histoire. D'abord, le Canada est une nation
bilingue façonnée par les autochtones, les Français et les Anglais, qui a ouvert ses
portes pour accueillir des immigrants venus de tous les horizons. Notre structure
sociale fait en sorte que nos citoyens soutiennent des politiques nationales qui diffèrent
parfois des vôtres, par exemple le contrôle généralisé des armes à feu, un régime
d'assurance-maladie accessible à tous, d'un bout à l'autre du pays, des restrictions sur
les campagnes de financement des partis politiques et des avantages familiaux,
notamment un congé de maternité d'un an financé par le gouvernement.
Nos pays ayant des comportements sociaux distincts et, à l'occasion, des intérêts
divergents, il arrive que nous abordions les affaires mondiales sous un angle différent.
Cela tient au fait que les Canadiens sont très conscients de leur interdépendance par
rapport au reste du monde, ainsi que de la nécessité de poursuivre leurs intérêts en
harmonie avec les autres nations. S'ils savent très bien que la lutte contre le terrorisme
est d'une importance critique pour notre sécurité commune, les Canadiens estiment
néanmoins que cette question ne doit pas dominer l'ordre du jour au point de camoufler
les autres crises mondiales, comme la pauvreté, la maladie, les inégalités de
l'économie mondiale, la dégradation de l'environnement et la mise en péril des moyens
de subsistance. Ce sont là des réalités dont nous devons aussi nous préoccuper, ne
serait-ce que parce que la promotion de notre sécurité ici exige que nous ayons des
amis et des alliés à l'étranger, qui savent que nous sommes à l'écoute de leurs besoins
immédiats.
Les Canadiens croient aussi que le seul moyen de venir à bout de ces problèmes
mondiaux qui s'enchevêtrent les uns dans les autres est de travailler à l'unisson avec
les autres nations, car aucun pays ni même aucune coalition de pays ne peuvent y
parvenir isolément. Pour instaurer les conditions propices au règlement de ces
problèmes, il faut créer des partenariats avec les autres pays, ce qui présuppose le
respect des perspectives de chacun.
C'est cette vision qui a conduit mon pays à promouvoir la création du Nouveau
Partenariat pour le développement de l'Afrique, car nous voulons travailler avec les
pays africains à atténuer la pauvreté qui les afflige et à améliorer leur mode de
gouvernance. Et je suis fier de dire que le Canada est récemment devenu le premier
pays au monde à déposer un projet de loi qui nous permettra d'exporter des
médicaments à prix abordables vers les pays pauvres pour les aider à lutter contre des
épidémies comme celles du VIH/sida, de la tuberculose et de la malaria.
Nous estimons également que la recherche de solutions à ces problèmes mondiaux
doit aussi passer par la création d'institutions multilatérales efficaces pour coordonner
les efforts des États concernés, un message qui sera certainement bien reçu en cette
ville où l'ONU a été fondée il y a 60 ans. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le
Canada contribue, avec les autres pays, à construire un système international qui
profite à tous en imposant des règles et des obligations communes, et qui nous permet
d'accomplir collectivement ce qu'aucun d'entre nous n'arriverait à faire seul. Il arrive
souvent au Canada de pouvoir jouer un rôle prépondérant sur les tribunes
multilatérales, car nous ne sommes pas empêtrés dans des rivalités régionales et que
nous ne portons pas l'odieux d'un passé colonial. Aussi sommes-nous généralement
respectés en tant que pays travaillant au bien-être commun de l'humanité.
Le Canada appartient à de nombreux réseaux mondiaux, et cela lui donne l'occasion
d'intervenir à de multiples niveaux. Par exemple, notre histoire et notre attachement à
la langue française nous permettent d'appartenir à la Francophonie, et de promouvoir
des valeurs comme la démocratie, les droits de la personne et la saine gestion publique
dans les pays en développement qui partagent avec nous l'usage du français. Dans le
contexte des tensions mondiales actuelles, il est particulièrement utile d'avoir cette
tribune pour dialoguer avec des pays musulmans modérés comme le Maroc, la Tunisie,
le Sénégal et l'Albanie.
Malgré leur attachement au multilatéralisme, les Canadiens ne connaissent que trop
bien les lacunes des institutions actuelles, et savent que des réformes s'imposent
d'urgence. Il est de toute première importance en effet d'améliorer l'ONU, surtout en ce
qui concerne la composition et le fonctionnement du Conseil de sécurité, quelle que
soit la difficulté de la tâche. Nous suivrons avec intérêt les travaux du comité créé pour
conseiller le secrétaire général à cet égard.
Au cours de la prochaine année, la capacité du Canada à poursuivre ses objectifs
internationaux sera définie et renforcée dans le cadre d'un examen des politiques
internationales auquel le premier ministre m'a demandé de procéder. Il y a 10 ans que
cela n'avait pas été fait, et beaucoup de choses ont changé pendant ce temps en ce
qui concerne l'environnement mondial ainsi que la complexité de nos relations avec les
États-Unis et les autres pays du monde. L'interdépendance mondiale traîne dans son
sillage un faisceau de problèmes qui transcendent les frontières nationales; et même à
l'intérieur de ces frontières, cela signifie aussi que presque tous les portefeuilles d'un
gouvernement fédéral ont maintenant une composante internationale substantielle.
Pour toutes ces raisons, le premier ministre Martin nous a demandé d'examiner à fond
et de moderniser nos modes d'intervention dans le monde. L'objectif général est de
trouver des moyens d'accentuer le leadership de notre pays et de multiplier ses
initiatives sur la scène internationale, de manière qu'il devienne un catalyseur des
efforts déployés pour renforcer la gouvernance mondiale et pour favoriser la croissance
équitable, le développement social et la sécurité internationale.
Pour compléter ce mandat, le premier ministre a aussi établi comme priorité l'analyse
des moyens propres à renforcer l'intérêt du Canada envers la constitution d'un solide
partenariat canado-américain en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Bon
nombre des initiatives que j'ai évoquées s'inscrivent dans cet effort de consolidation de
notre partenariat avec les États-Unis. Il en sera de même des plans que nous sommes
en train de développer pour fortifier les institutions multilatérales et en créer de
nouvelles qui seront mieux outillées pour résoudre les problèmes mondiaux
d'aujourd'hui. De même également des efforts que nous faisons pour réajuster les
règles de l'économie mondiale, de manière qu'elles soient plus inclusives et reflètent
plus fidèlement les réalités de l'interdépendance mondiale. Et de même aussi des plans
que nous élaborons pour doter le Canada de moyens spécifiques en matière de lutte
contre le terrorisme et d'aide aux États en déroute et aux États défaillants. Il résultera
de cet exercice un Canada plus fort et aux objectifs internationaux plus précis, qui sera
dès lors pour les États-Unis un allié et un partenaire d'autant plus précieux.
L'expérience particulière du Canada et son indépendance d'esprit sont un atout pour
les États-Unis dans l'exercice de leurs énormes responsabilités sur la scène mondiale.
Et quand nos gouvernements et nos citoyens divergent d'opinion sur la façon de
poursuivre nos objectifs communs, nos relations sont suffisamment solides pour que
nous puissions discuter franchement de ces différences. Le général américain Norstad
avait très bien saisi ce point lorsqu'il a dit ceci, en 1959 : « Si des pierres sont lancées
de part et d'autre de la frontière, et cela arrive, c'est peut-être une bonne chose. Nous
demeurons ainsi conscients l'un de l'autre, et cela nous oblige à mesurer de temps à
autre l'importance de nos relations, et à apprécier tout ce que nous représentons l'un
pour l'autre. » Dans la même veine, je pense que nous sommes pour vous un meilleur
allié et un ami plus sincère quand nous défendons avec ferveur nos convictions auprès
de vous. Cela ne vaut-il pas mieux que de partir de l'hypothèse qu'il ne peut y avoir de
divergences de vue entre nous?
Faire prévaloir les valeurs communes à nos deux pays pour favoriser la sécurité et la
prospérité aussi bien chez nous qu'ailleurs dans le monde est quelque chose que nous
pouvons faire et que nous ferons. Et cela ne nous empêchera pas de poursuivre,
chacun sur son territoire, les objectifs sociaux, culturels et économiques qui nous
distinguent l'un de l'autre. Je vous assure que le Canada continuera de travailler avec
votre pays dans les mois et les années à venir pour que nous puissions ensemble
contribuer à l'avènement de sociétés plus sûres et plus fortes en Amérique du Nord et,
pour notre bénéfice mutuel, au-delà de nos frontières.