« Rien n'a la vie si dure, ni ne ressurgit aussi souvent que l'intolérance. » C'est la
véracité de ces paroles, prononcées par le prédicateur abolitionniste américain
Henry Ward Beecher, qui m'amène ici aujourd'hui. Il y a 10 ans, il était difficile
d'imaginer que les représentants de nos pays se rassembleraient dans cette ville, à ce
moment de l'histoire, pour parler de la résurgence de l'antisémitisme et autres formes
de discrimination. Je remercie notre hôte allemand ainsi que l'OSCE [Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe] pour avoir pris l'initiative d'oragniser cette
importante conférence.
Je suis également conscient que, pour mon pays aussi, une telle conférence est hélas
nécessaire. Les Canadiens et les Canadiennes sont fiers de partager une citoyenneté
commune, et aussi de participer à la construction d'une société pluraliste qui réussit,
caractérisée par le respect de la diversité. Mais nous aussi devons lutter pour protéger
et réaliser ces idéaux. Car, depuis la Conférence sur l'antisémitisme organisée l'an
dernier par l'OSCE, le Canada a dû, lui aussi, faire face à des actes odieux perpétrés
contre la communauté juive canadienne, notamment des graffitis haineux, du
vandalisme, des profanations de cimetières, et même une bombe incendiaire qui a été
lancée contre une école élémentaire juive! La communauté musulmane a, elle aussi,
été la cible d'attaques haineuses et, comme l'a rappelé la visite du rapporteur spécial
des Nations Unies pour la lutte contre le racisme, d'autres formes de discrimination
continuent à sévir dans notre société.
Ces tendances sont profondément troublantes pour un pays comme le Canada. Elles
provoquent de grandes inquiétudes au sein de la communauté juive, et elles exigent un
examen de conscience chez tous nos citoyens et citoyennes déterminés à faire en
sorte que notre pays demeure un modèle de pluralisme et de respect mutuel. Nous
avons déjà fait beaucoup pour favoriser ce modèle social, en adoptant un cadre
législatif rigoureux interdisant la discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou
ethnique, la couleur et la religion, en dotant nos corps policiers d'unités de lutte contre
les crimes haineux, ainsi qu'en mettant en œuvre des initiatives favorisant le dialogue
entre les collectivités et la sensibilisation du public. Mais il est évident que ces mesures
ne sont pas suffisantes. Avec les pays rassemblés ici, nous devons -- et nous allons --
faire davantage pour éradiquer les nouvelles formes d'antisémitisme qui attaquent nos
sociétés.
Il nous faut écouter la mise en garde d'Elie Wiesel : « Il peut y avoir des situations où
nous sommes impuissants à prévenir l'injustice, mais nous ne devons jamais manquer
de protester. » Protester, c'est réaffirmer en cette enceinte, comme notre premier
ministre et d'autres dirigeants politiques l'ont fait eux-mêmes au Canada, que les
paroles et les actes haineux n'ont pas leur place dans nos sociétés. Ils portent atteinte
aux valeurs les plus profondes de nos sociétés et de cette Organisation, à ces valeurs
de respect mutuel, de sécurité et d'égalité de tous nos citoyens. Les efforts
qu'accomplissent tous nos pays sur les plans national et international doivent être
fondés sur le refus absolu de tolérer toute expression de haine contre nos
communautés juives.
Nous devons aussi traduire ces paroles en actes, et par la coopération internationale
trouver les meilleures approches à adopter dans nos lois, nos services de police, nos
recherches, notre enseignement et notre société civile. Il faut atteindre toutes les
couches de la société, à l'intérieur de nos frontières et au-delà.
Nous devons aussi rester unis face à un autre impératif : au moment où le monde
traverse une période très difficile, il ne faut pas laisser les tensions au Moyen-Orient
miner la structure sociale de nos pays.
Il serait naïf de ne pas reconnaître que le conflit israélo-palestinien influe sur les
attitudes de nos citoyens les uns envers les autres. Mais quels que soient les différends
sur ce sujet, nous ne devons pas laisser les turbulences de cette région affecter nos
propres sociétés, ou servir de prétextes à l'antisémitisme ou à toute autre forme de
discrimination. Nous devons tenir un débat politique légitime, dans cet esprit. À
l'occasion de cette conférence, de même que dans nos pays respectifs, nous devons
tous insister sur ce point.
Alors que nous recherchons dans le cadre de cette conférence les mesures pratiques
pour lutter contre l'antisémitisme, nous savons que c'est seulement dans l'unité que
nous pouvons isoler les voix de la haine et leur refuser de s'implanter dans nos
sociétés et ainsi produire les résultats tangibles dont parlait Joschka Fischer [ministre
des Affaires étrangères allemand]. Par le dialogue entre nations et entre communautés,
nous pouvons montrer notre volonté de lutter pour défendre les valeurs de respect
mutuel et d'égalité face à quiconque les attaque. Ici, dans cette ville qui a surmonté les
ténèbres de la haine afin de construire une communauté diversifiée et ouverte au cœur
même d'une Europe unie, nous savons combien la réussite dans cet effort dépend de
notre détermination commune.