Affaires étrangères et du Commerce internationalGouvernement du Canada
Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international

Affaires étrangères et Commerce international Canada

Nos bureaux

Le Canada à l’étranger

Services aux voyageurs canadiens

Services aux entreprises

Le Canada dans le monde

En manchette


Politique internationale


Discussion sur la politique gouvernementale


Programmes


Ressources


Recherche sur le site Web

À propos du Ministère

0
Le Canada dans le monde : Politique internationale du Canada
Ressources


Entrevue vidéo
Simona Bignami
Abonnement aux bulletins d'information et/ou avis par courrier électronique et baladodiffusion

Le Dr Simona Bignami discute des défis reliés à la collecte et l'analyse des données démographiques ainsi que de la fiabilité des résultats qui en découlent.  

Le Dr Bignami est professeure adjointe au département de démographie de l'Université de Montréal. Ayant complété un post-doctorat à l'Université Havard, ses intérêts de recherche se concentrent sur les défis reliés à la collecte et l'analyse des données démographiques, particulièrement dans les pays en développement.
 

Informations sur les discussions en ligne sur la politique internationale du Canada du MAECI:

 Voir l'actuelle discussion en ligne

 Géopolitiques et démographie mondiale
     
Voir la discussion en ligne (maintenant fermée)
     Questions et ressources

 Voir la bibliothèque d'entrevues vidéo



Entrevues vidéo  (en anglais avec transcription en  français )

Note: Les opinions exprimées ne sont pas nécessairement celles du gouvernement du Canada.

 Les défis reliés à la collecte de données5 min 17 sec         Windows Media |QuickTime 

 Mesurer la migration

4 min 44 sec
 

Windows Media |
QuickTime  

 Variations dans la collecte de données

2 min 58 sec 

Windows Media
|
QuickTime  

(Les vidéolecteurs sont disponibles ici : QuickTimeWindows Media)


Transcription

Les défis reliés à la collecte de données

Je m’appelle Simona Bignami. Je suis professeure adjointe au Département de démographie de l’Université de Montréal. J’ai récemment déménagé à Montréal, après avoir achevé ma dernière année de postdoctorat à l’Université Harvard. Ma recherche primaire, depuis ma maîtrise et mon doctorat, a principalement porté sur la mesure démographique — donc tous les problèmes liés à la collecte de données démographiques et à leur analyse, notamment en ce qui a trait aux pays en développement. Depuis mon déménagement à Montréal, j’ai commencé à étudier aussi les problèmes démographiques du Canada et des Québécois liés à la fécondité, à la baisse de la fécondité et à l’état de santé des enfants au cours de leur vie.

L’objectif est d’essayer de déterminer un ensemble infime d’indicateurs. Dans le cas de la mortalité, par exemple, c’est ce que nous appelons l’espérance de vie, qui correspond au nombre d’années qu’une personne peut espérer vivre depuis sa naissance; et pour la fécondité, c’est le nombre moyen d’enfants que les femmes pourraient porter au cours de leur vie. Ce sont là les deux principales mesures démographiques visées. Actuellement, la manière de calculer ces mesures n’est pas très facile et repose sur toutes sortes de sources qui ont tendance à varier assez considérablement, encore une fois, entre les pays développés et les pays en développement.

Les pays développés disposent d’une infrastructure statistique, de vastes statistiques nationales; ils font un recensement chaque année; ils enregistrent le nombre de naissances ou de décès. Ils se fient en grande partie à leurs systèmes de recensement et d’enregistrement d’état civil pour calculer des indicateurs démographiques. Les pays en développement posent beaucoup plus de problèmes, parce que, à cause de leur instabilité politique ou de leur faible niveau de développement, ils ne sont pas portés à avoir une telle infrastructure.

Ainsi, la manière dont les démographes et les chercheurs en matière de démographie ont fait face à ces problèmes consiste à effectuer des sondages visant fondamentalement un sous-ensemble de la population à laquelle ils s’intéressent et qu’ils jugent représentatif de la population générale. Ils font du porte à porte ou appellent une personne après l’autre et leur posent des questions ciblées. Si vous vous intéressez à la santé de l’enfant ou à la fécondité, vous pourriez demander à une femme sa fiche de famille : combien d’enfants elle a eus, combien sont vivants, combien sont décédés, et poser des questions sur chacun des enfants. Si vous vous intéressez à la migration, vous pourriez demander aux gens où ils habitaient à différentes étapes de leur vie, et les raisons pour lesquelles ils ont déménagé. En théorie, cela semble très facile mais, en pratique, ce n’est pas le cas. À mon avis, ces processus, plus que probablement les systèmes de recensement et d’enregistrement d’état civil dans les pays développés, sont sujets à de graves erreurs.

Je peux vous faire part de mon expérience, car j’ai fait de vastes collectes de données en Afrique. La première fois que je suis allée en Afrique pour recueillir des données, je ne savais pas ce que signifiait vraiment une collecte de données démographiques. J’avais l’habitude d’avoir tous ces chiffres dans mon ordinateur. Je jouais avec eux, j’analysais, je résumais et je calculais les chiffres démographiques. Puis, je suis arrivée là-bas et j’ai pris conscience que, derrière chaque chiffre, il y avait un visage; que derrière ce que nous appelons un ménage en démographie, il y a un groupe de personnes qui pourraient vivre dans une hutte de boue séchée et avoir un tas de problèmes qui sont très difficiles à quantifier avec quelques chiffres.

J’ai également compris combien il peut être perturbant qu’une personne venue de l’extérieur vienne poser des questions à quelqu’un : « Pourriez-vous vous asseoir avec moi pendant une ou deux heures et je poserai un tas de questions sur votre vie et sur ce que vous et vos enfants faites… ». Je crois que la découverte la plus surprenante pour moi a été de saisir que les gens ont un programme quand ils répondent à vos questions. Ils ne vous disent pas nécessairement la vérité. Et, s’ils ne le font pas, cela pourrait être parce que cela les ennuie ou parce qu’ils s’en moquent. Mais, dans de nombreux cas, la raison pourrait être qu’ils souhaitent obtenir quelque chose de vous. Je pense que c’est le défi de la démographie contemporaine : que la plupart des gens, quand ils examinent la démographie — ses chiffres, ses données —, se disent que cela représente exactement la réalité qu’ils souhaitent que cela représente. Nous n’avons pas conscience que, dans bien des cas, cela n’est absolument pas vrai.


Mesurer la migration

Deux très bons exemples me viennent à l’esprit. Le premier est la Chine.  Jusqu’au milieu des années 1990, la Chine avait coutume d’être un pays où il était presque impossible aux personnes de déménager ou de déménager officiellement, parce qu’elles étaient rattachées au district dans lequel elles étaient enregistrées, ce qui indiquait où elles devaient vivre et où elles devaient travailler. Au moment où les systèmes d’enregistrement ont commencé à s’effondrer et où il y a eu un petit peu plus de libéralisation au sujet de l’endroit où les gens pouvaient vivre, une énorme migration s’est produite, notamment des régions rurales vers les secteurs urbains. Voici une idée des chiffres : nous parlons d’environ 200 millions de personnes déménageant chaque année, définitivement ou pour une courte durée. À une aussi grande échelle, même si la Chine dispose d’un système de recensement et d’un système d’enregistrement d’état civil, le compte est difficile. En effet, dans la plupart des cas, si les gens déménagent seulement temporairement, ils ne feront pas de changement de résidence, et s’ils déménagent définitivement, rien ne les incite à faire un changement de résidence, en particulier s’ils déménagent individuellement et que leur famille reste là où ils avaient l’habitude de vivre avant. 

Un autre très bon exemple pour illustrer combien il est difficile de mesurer la migration est la migration entre le Mexique et les États-Unis. Au début du XXe siècle, les États-Unis, ayant besoin de main-d’oeuvre pour construire les chemins de fer et faire les gros travaux, commencent à recruter des Mexicains venus de l’autre côté de la frontière. Il s’ensuit une sorte de migration clandestine du Mexique vers les États-Unis. Dans de nombreux cas, il s’agit de migrants illégaux. Il est presque impossible de suivre leur trace par les moyens ordinaires de collecte de données. Un projet que je connais très bien essaie de gérer cela et de s’attaquer au problème de la mesure de cette migration. Ce projet, appelé le Projet de la migration mexicaine, porte sur la migration des Mexicains vers les États-Unis et a adopté une approche novatrice. Il ne se contente pas d’étudier les États-Unis, pays de destination de cette migration, mais essaie aussi de remonter au Mexique et aux collectivités qui ont envoyé ces personnes à l’étranger (légalement ou illégalement, peu importe), pour tenter de déterminer tous les différents courants et de retracer d’où exactement provient cette migration. Naturellement, il est très difficile de quantifier l’ensemble. Je suis certaine que, même dans un système où tout est parfaitement réglementé, il va y avoir des exceptions qui rendront plus difficile de discerner qui déménage, où et quand.

Je pense qu’il y a des règles générales pour la mesure de la migration ou d’autres processus démographiques, mais la mise en œuvre dépend du contexte et des incitatifs politiques. Par exemple, la migration a toujours été fortement politisée. La légalisation des immigrants illégaux est souvent un instrument utilisé par les politiciens pour créer ou augmenter la base électorale à un moment stratégique. Naturellement, ce n’est pas que la définition d’un migrant change mais, ce qui change, c’est la manière de composer, politiquement et statistiquement, avec les migrants, ce qui, bien entendu, a des incidences cruciales sur la manière dont nous pouvons suivre la trace des migrants au fil du temps. L’autre grand exemple, à cet égard, est encore une fois la Chine. La définition d’un migrant a tendance à changer d’un recensement à l’autre, comme cela a été le cas dans beaucoup d’autres pays. Aussi est-il très difficile de reconstruire le courant de la migration au fil du temps, parce que la manière dont nous aurions défini un migrant il y a 20 ans n’est pas la même que notre définition d’un migrant aujourd’hui.


Variations dans la collecte de données

Comment la collecte de données varie-t-elle au travers de tous les contextes pour des raisons politiques? Comme je l’ai dit antérieurement, je ne suis pas certaine de connaître la réponse, car la constitution même des systèmes de collection de données démographiques est fondamentalement différente dans des cadres différents. Nous avons certains cas extrêmes, comme la collection de données pour la Chine, avec sa politique de l’enfant unique, mais pour bon nombre d’autres pays, nous ne savons tout simplement pas. À mon avis, il serait très important pour les démographes d’en savoir plus sur ce qu’il y a derrière la manière dont les données démographiques sont recueillies car, comme j’essayais de l’expliquer, la manière dont les données sont recueillies a d’importantes incidences sur la manière dont nous les interprétons et dont nous les utilisons pour la construction d’indicateurs. Je ne pense pas que les indicateurs mêmes changeront nécessairement, mais plutôt qu’il va y avoir, comme ce fut le cas avant, des rajustements découlant du fait que les données que nous recueillons au fil du temps ont certainement augmenté en quantité et, dans certains cas, se sont améliorées en qualité.

Je pense que la démographie est une discipline assez stable en ce qui a trait aux modèles et aux indicateurs qu’elle utilise. Mais, encore une fois, il me semble y avoir une certaine souplesse à l’égard de la qualité et de la quantité d’information que nous recueillons. Je suis cependant d’avis que l’ossature de la discipline ne changera peut-être pas. Un exemple de la manière dont un indicateur a été changé récemment, à cause de diverses circonstances, est l’indice synthétique de fécondité. Comme je l’ai indiqué antérieurement, le taux de fécondité mesure le nombre moyen d’enfants qu’une femme pourrait espérer porter. C’est une mesure en coupe transversale, dirions-nous : elle fait référence à une année précise ou à une période précise. Aussi certains démographes ont-ils commencé à soutenir que la baisse de fécondité observée en Europe occidentale et dans d’autres pays développés n’est pas due au fait que l’ensemble de la population a moins d’enfants au cours de sa vie, mais au phénomène de report de sa décision d’avoir des enfants. Les gens commencent donc à avoir des enfants plus tard. Il semblerait, aujourd’hui, qu’ils vont avoir moins d’enfants au total, mais ils récupéreront cette différence plus tard dans leur vie. Les démographes ont trouvé une manière de ne pas tenir compte de l’effet du choix du moment dans l’indice synthétique de fécondité et de créer de bons indicateurs reflétant plus justement les tendances de la fécondité au fil du temps.