DISCOURS
M. PETTIGREW - ALLOCUTION DEVANT L'ALLIANCE DES MANUFACTURIERS ETDES EXPORTATEURS DU QUÉBEC - « LES LENDEMAINS DE DOHA : UN GAIN POUR LE MONDE » - MONTRÉAL (QUÉBEC)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE
L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
DEVANT L'ALLIANCE DES MANUFACTURIERS ET
DES EXPORTATEURS DU QUÉBEC
« LES LENDEMAINS DE DOHA : UN GAIN POUR LE MONDE »
MONTRÉAL (Québec)
Le 3 décembre 2001
Merci beaucoup de me donner cette occasion de parler de Doha.
La Réunion ministérielle de Doha a été le point culminant de deux années de dur labeur depuis le revers de Seattle -- et
elle a manifestement effacé la tache de Seattle.
Elle représente aussi le début d'une nouvelle étape dans la longue marche vers un monde plus prospère, plus juste et plus
pacifique. Il reste encore beaucoup de chemin à faire, mais nous avançons avec une confiance, une vigueur et une
résolution renouvelées.
Permettez-moi de vous exposer les avantages pour le Canada des objectifs de développement de Doha sous l'angle des trois
grandes forces qui sous-tendent la politique commerciale moderne : le programme économique, le programme social et le
programme de développement.
Le programme économique
Le commerce demeure avant tout une force économique, comme tous les gens d'affaires du Canada le savent. L'OMC
[Organisation mondiale du commerce] perdrait rapidement sa pertinence si elle ne débouchait pas sur des résultats pour les
entreprises. Et elle le fait, tout le temps -- elle assure un contexte stable, libéral, prévisible, fondé sur des règles et obtenu
au moyen des négociations antérieures.
Elle abrite aussi des négociations plus ou moins continues -- pas seulement les ententes d'il y a quelques années ouvrant
les marchés dans les domaines des services financiers et de la technologie de l'information et des communications --, mais
des négociations continues avec les parties qui présentent une demande d'adhésion à l'OMC. À Doha, nous avons accueilli
à la fois la Chine et Taïwan au sein du système de l'OMC. Je n'ai pas à vous dire à quel point cela est important.
Avec Doha, l'OMC fait également la promesse d'une nouvelle libéralisation et de nouvelles règles visant à étendre l'équité
et la prévisibilité à de nouveaux domaines, l'échéance étant fixée au 1er janvier 2005, la même que pour la ZLEA [Zone de
libre-échange des Amériques]!
Il y aura un regain de vigueur dans les négociations en cours sur les services et l'agriculture, étant donné que l'ordre du jour
élargi permet davantage d'ambition.
Plus précisément, les négociations sur l'agriculture auront pour but :
• des améliorations substantielles en matière d'accès aux marchés;
• des réductions substantielles des mesures de soutien national qui faussent les échanges;
• des réductions, dans le but de les éliminer progressivement, des subventions à l'exportation -- une concession historique
de la part de l'Union européenne.
Des dates limites fermes ont été fixées, dans le cadre des négociations sur les services, pour les échanges de demandes et
d'offres; cela permettra à la prochaine phase de ces négociations de suivre le rythme du reste du programme.
Il se produira une nouvelle ouverture des marchés grâce aux négociations sur les droits de douane et les conditions d'accès
aux marchés. Le champ d'application sera global et il n'y aura pas d'exclusions a priori. Le commerce électronique
demeurera exempt de droits de douane, au moins jusqu'à la prochaine Réunion ministérielle de l'OMC en 2003.
Nous n'avons pu convaincre les pays en développement d'accepter des négociations pures et simples sur la politique de
l'investissement ou de la concurrence, et l'Inde, en particulier, a bloqué un accord sur des négociations sur la facilitation du
commerce et sur la transparence des marchés publics.
Manifestement, il s'agit là d'un résultat décevant pour nous; toutefois, chacun de ces domaines a en perspective un
programme de travail de fond, aboutissant à des négociations après la Conférence ministérielle de 2003 et qui suivra une
décision sur les modalités.
Je dois ouvrir une parenthèse ici. À première vue, cela ressemble à un lancement reporté ou rotatoire des négociations, alors
qu'il ne reste plus à décider que du champ d'application, des techniques de négociation et ainsi de suite. Mais l'Inde ne
pouvait avaler cela et elle a donc demandé au président, Sheikh Kamal, de faire une déclaration interprétative pour clarifier
la question, à savoir si la décision sur les modalités portait aussi sur le point de négocier ou non.
Vous avez peut-être vu les États-Unis et l'Union européenne rejeter cette déclaration et souligner, à juste titre, qu'il y a un
accord sur les négociations. Je dois dire, toutefois, que la réalité est que nous avons deux ans pour convaincre l'Inde et les
autres sceptiques, sinon ils dresseront tous les obstacles imaginables pour bloquer l'avancement de ces négociations.
Sur cette toile de fond s'inscrit le succès que nous avons remporté, grâce à la souplesse des États-Unis, à propos des règles
de l'OMC sur les subventions et sur les mesures compensatoires et antidumping.
Les négociations viseront à clarifier et à améliorer les disciplines dans ces domaines. Cela est nettement dans l'intérêt à
long terme du Canada, à la fois comme importateur et utilisateur de ces instruments, et comme exportateur.
On m'a déjà demandé ailleurs si cela nous aidera à négocier avec les États-Unis au sujet du bois d'œuvre résineux. Eh bien,
j'espère sincèrement régler la situation du bois d'œuvre avant même que ces négociations ne soient lancées comme il faut,
et certainement bien avant qu'elles ne se terminent.
Parlant du bois d'œuvre résineux, des subventions aux avions et d'autres questions intéressant les manufacturiers et les
exportateurs du Québec, nous sommes également parvenus à un accord sur l'accélération des négociations visant la
négociation d'améliorations et de clarifications du système de règlement des différends de l'OMC -- d'ici mai 2003.
Le programme social
Bien que l'objectif économique soit central, le commerce ne concerne pas seulement les emplois, l'investissement, la
compétitivité et le reste du programme d'action commercial.
Vous aurez tous constaté les pressions auxquelles le gouvernement est assujetti -- non seulement de la part de manifestants
dans les rues, mais aussi de la part de critiques réfléchis et informés d'un programme d'action national ou international qui,
à leur avis, favorise des objectifs économiques plutôt que la poursuite équilibrée d'objectifs sociaux, environnementaux et
économiques.
Je ne dis pas que j'accepte complètement ces critiques, qui sont souvent alarmistes, excessives et fondées sur la crainte que
le changement ne détruise ce qui nous tient le plus à cœur.
Le gouvernement doit certainement viser de meilleurs résultats dans toute une gamme de domaines stratégiques, mais nous
n'irons pas très loin si nous négligeons, ou pire encore, si nous rejetons la croissance économique. La croissance n'est pas
et ne doit pas être l'ennemi de la justice sociale, ou de l'identité culturelle, de l'inclusion, de la démocratie.
Voilà pourquoi je me réjouis du fait que tant de thèmes que nous appelons sans grande rigueur « le programme social » ont
été reconnus dans la Déclaration de Doha. Permettez-moi d'en signaler quelques-uns.
• Nous avons réaffirmé le caractère interdépendant d'un système commercial multilatéral ouvert et non discriminatoire, de
la protection de l'environnement et de la promotion du développement durable.
• Nous avons réaffirmé notre déclaration de 1996 sur les normes fondamentales du travail internationalement reconnues et
nous avons pris acte de l'action de l'Organisation internationale du travail en ce qui a trait à la dimension sociale de la
mondialisation.
• Nous avons réaffirmé le droit des membres de l'OMC de réglementer l'offre de services.
• Nous nous sommes engagés à rendre les activités de l'OMC plus transparentes -- ce qui est un objectif particulier du
Canada.
• Nous avons convenu, pour la toute première fois, de négocier sur l'environnement dans trois domaines :
- les rapports entre les règles en vigueur de l'OMC et les obligations commerciales énoncées dans des accords
multilatéraux sur l'environnement [AME], y compris ceux dont le siège social se trouve ici même à Montréal;
- les procédures régissant l'échange périodique d'informations, y compris au moyen de l'octroi du statut réciproque
d'observateur, entre l'OMC et les secrétariats des AME;
- un meilleur accès aux marchés des biens et services environnementaux. C'était là une énorme pilule à avaler pour les
pays en développement.
Il n'est pas surprenant que le reste de l'objectif très ambitieux de l'Union européenne -- qu'elle a, pour l'essentiel, échangé
contre l'agriculture et qui comprenait certaines questions concrètes comme les exigences en matière d'étiquetage à des fins
environnementales -- ait été laissé à un groupe de travail du Comité du commerce et de l'environnement de l'OMC.
Les détracteurs de l'OMC diront que c'est trop peu, mais je peux vous donner l'assurance, d'après ma connaissance de la
façon dont la main-d'œuvre, l'environnement, la transparence et d'autres questions sont perçues dans les pays en
développement, que Doha représente un grand pas en avant.
Je me propose de veiller à ce que les Canadiens sachent que l'Organisation est à l'écoute non seulement des besoins des
entreprises, mais aussi des attentes de nos sociétés. Ce développement est inévitable du point de vue historique : nous ne
pouvons pas maintenir le soutien des Canadiens à une politique commerciale ouverte, indépendamment des avantages
matériels qu'elle leur procure, s'ils ont peur des conséquences non voulues ou non gérables.
Le programme du développement
Le troisième grand facteur d'impulsion de la politique commerciale est l'impératif du développement et, sur ce point aussi,
j'invoquerai la notion d'inévitabilité historique.
Bien avant Seattle, les pays en développement, qui constituent la majorité des membres de l'OMC, ont défendu avec
vigueur leurs intérêts -- lesquels, soit dit en passant, sont à peu près aussi divers que ceux des pays développés.
La principale différence entre 1999 et 2001, à mon avis, réside dans le fait que le processus préparatoire a été beaucoup
mieux traité par le directeur général de l'OMC, M. Mike Moore, et par le président du Conseil général, M. Stuart
Harbinson, de Hong Kong. Cette fois-ci, il s'est agi d'un processus inclusif, dans lequel chaque participant avait voix au
chapitre, et chaque participant avait une occasion de soumettre ses questions à la table.
Il y a eu littéralement des dizaines de réunions entre les ambassadeurs à Genève, portant sur la liste de griefs au sujet du
Cycle de l'Uruguay -- les « questions de mise en œuvre » -- et sur tout autre sujet que les membres souhaitaient aborder à
Doha.
Mais les ambassadeurs ne peuvent porter les questions que jusqu'à un certain point. Les ministres, aussi, devaient faire part
de leurs orientations politiques.
Au Mexique au début de septembre et, à nouveau, à Singapour à la mi-octobre, j'ai participé à de petites, mais hautement
représentatives, réunions de ministres qui ont donné des orientations à M. Mike Moore sur la façon de préparer nos
décisions pour Doha. Si cela n'avait pas été évident avant, il a été clair que les questions de développement devraient être
intégrées aux résultats de Doha pour qu'ils aient une légitimité aux yeux de la plupart des membres de l'OMC.
Au moment de la réunion de Singapour, trois événements importants s'étaient produits :
• au sein de l'OMC, M. Stuart Harbinson avait fait circuler sa première ébauche, qui se fondait sur le lancement de
négociations élargies et qui mettait les opposants sur la défensive; cela reflétait son opinion, après des consultations
exhaustives, que les membres voulaient collectivement des négociations de ce type;
• le ralentissement aux États-Unis et dans d'autres grandes économies était devenu manifeste pour tous et avait été exacerbé
pour certains secteurs industriels par les attaques du 11 septembre -- donc, l'importance de l'envoi d'un signal de
confiance à long terme avait augmenté en conséquence;
• la crise en Afghanistan avait eu pour effet de mettre en évidence les conséquences du fossé existant entre les
pays riches et pauvres, et le besoin urgent d'une action visant à combler ce fossé.
Je dois également mentionner que le représentant américain au commerce, l'ambassadeur Robert Zoellick, a fait preuve de
courage et de leadership pendant tout le processus, y compris aux mini-réunions ministérielles, où il a reconnu que les
États-Unis devraient céder en matière d'antidumping.
Donc, la conséquence a été que nous nous sommes présentés à la réunion de Doha avec des projets de déclaration courts et
gérables, une décision sur la mise en œuvre et -- un retardataire --, une décision sur les ADPIC [aspects des droits de
propriété intellectuelle qui touchent au commerce] et sur la santé publique. Tous ces éléments offraient des avantages
importants aux pays aussi bien développés qu'en développement. En d'autres termes, nous savions lorsque nous sommes
arrivés que le succès était à notre portée.
Et pour l'obtenir, les textes sur les ADPIC et la santé publique et sur les mesures antidumping se sont rapidement
transformés en résultats qui étaient très positifs pour les pays en développement. Ceux-ci sont appelés également à
bénéficier de manière importante de la décision sur l'agriculture et, selon leur niveau de développement, de tous les autres
volets de la Déclaration de Doha, aussi.
Franchement, je crois qu'un certain nombre d'entre eux verront, au cours des deux prochaines années, qu'un nouvel
élargissement des négociations pour inclure l'investissement, la politique de concurrence, la facilitation du commerce et la
transparence des marchés publics servira également leurs intérêts, mais ils voudront tout d'abord voir nos véritables
couleurs à propos de l'agriculture et d'autres questions, cela ne fait pas de doute.
Un grand nombre de décisions concrètes ont été prises au sujet des questions de mise en œuvre, même si nous avons pu
faire preuve de fermeté avec les États-Unis à propos des textiles et avons pu éviter de mettre en question nos engagements
envers nos secteurs des textiles et des vêtements. De même, nous avons pu éviter une tentative dirigée par le Brésil
d'affaiblir gravement les disciplines sur les subventions applicables aux pays en développement.
Mais l'effet cumulatif du débat sur le développement jusqu'à Doha et à Doha ne doit pas simplement être perçu uniquement
dans une analyse des intérêts bénéficiant de telle ou telle clause ou décision.
Il se mesure au fait que plus des trois quarts de la Déclaration codifient des principes ou abordent directement les intérêts
des pays en développement, par exemple :
• un meilleur accès pour les exportations des pays les moins avancés, l'objectif éventuel étant un accès en franchise et sans
contingents;
• des programmes de travail sur les économies de petite taille, sur le commerce et le transfert de technologies, et sur le
commerce, la dette et les finances;
• des travaux sur des questions de propriété intellectuelle présentant un intérêt pour eux, comme le savoir traditionnel et le
folklore;
• une attention internationale cohérente à la coopération technique et au renforcement des capacités, à la fois comme
objectif général et comme élément précis des diverses négociations et des programmes de travail convenus;
• le renforcement des dispositions relatives au « traitement spécial et différencié ».
Certains d'entre vous se demandent sans doute en quoi tout cela aidera le Canada!
Premièrement, au risque d'énoncer une évidence, cet accent sur le développement contribue à garantir le soutien politique
national à l'OMC et aux efforts déployés par la communauté internationale afin de réduire la pauvreté et de favoriser le
développement durable; en outre, un soutien solide de la population permet au gouvernement d'agir avec davantage de
confiance dans les négociations.
Nous ne devons pas nous faire croire qu'on ne nous demandera pas de l'argent et des marchés. Et le fait que ce soit la chose
à faire dans l'intérêt du monde en développement ne rend pas la chose plus facile à faire. Donc, plus nous bénéficierons du
soutien de la population du Canada -- que ce soit pour nous au gouvernement ou pour vous dans le monde des affaires --,
plus il sera facile de rechercher les meilleures solutions dans l'ensemble.
Deuxièmement, nous avons de nombreux intérêts en commun avec les pays en développement, notamment dans le domaine
de l'agriculture.
Troisièmement, l'accent de plus en plus fort mis sur les véritables besoins des pays fera automatiquement la distinction
entre des pays comme la Corée et le Brésil, avec leurs puissantes économies, et ceux à travers le monde qui ont une
économie plus fragile. Nous ne devrions pas exagérer leur niveau de développement, mais nous n'avons pas non plus à leur
faire des chèques en blanc.
Quatrièmement, le commerce et l'investissement se font dans les deux sens : les marchés qui gagnent davantage sont de
meilleurs marchés pour nos exportations de biens et services, et ils offrent de meilleures perspectives à nos investisseurs.
Cinquièmement, vous souvenez-vous de l'inévitabilité historique? L'Inde a fait sentir son poids cette fois-ci; la prochaine
fois, ce sera peut-être le Brésil, puis la Chine... Nous pouvons peut-être orienter l'avenir dans certaines voies, mais nous --
la communauté internationale, pas seulement le Canada -- ne pouvons bloquer l'aboutissement logique de l'élévation des
niveaux de vie, sur les plans social, environnemental et économique, dans le monde entier.
Doha nous a donné la promesse de progrès sur les trois fronts -- l'économique, le social et le développement. Aux
lendemains de Doha, il y a effectivement un gain pour le monde, et des gains pour tout le monde.
Je vous remercie.
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