DISCOURS
M. GRAHAM - ALLOCUTION À L'OCCASION DES CONSULTATIONS AVEC LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES DE PROMOTION DES DROITS DE LA PERSONNE - OTTAWA (ONTARIO)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DES CONSULTATIONS AVEC LES ORGANISATIONS
NON GOUVERNEMENTALES DE PROMOTION
DES DROITS DE LA PERSONNE
OTTAWA (Ontario)
Le 3 février 2003
Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue aux quinzièmes consultations annuelles entre les organisations
non gouvernementales de promotion des droits de la personne, les représentants des peuples autochtones du Canada et le
ministère des Affaires étrangères et du Commerce international [MAECI].
Vous êtes très bien placés pour savoir que le monde entier traverse ces jours-ci une période particulièrement critique, une
période qui exige de nous une détermination constante à protéger et à faire progresser les droits de la personne. Les conflits
internes et internationaux continuent d'apporter dévastation à d'innombrables civils, des millions de personnes vivent
encore dans la pauvreté et le VIH/sida menace de détruire des familles, des collectivités et des pays entiers dans plusieurs
régions du monde.
Tandis que la communauté internationale affronte les nouvelles menaces de terrorisme, nous devons faire face à ce danger,
notamment en accordant l'attention nécessaire aux facteurs qui alimentent l'instabilité sociale et créent un environnement
propice à l'extrémisme politique ou religieux. Compte tenu des risques que représentent des États fragiles et mal gouvernés,
le Canada est déterminé à collaborer avec la communauté internationale pour renforcer les institutions dirigeantes et les
appareils judiciaires de ces États, tenir leurs dirigeants responsables et appuyer la primauté du droit.
De plus, lorsque nous prenons des mesures pour combattre plus directement la menace du terrorisme, nous devons être
vigilants et veiller à ce que les mesures antiterroristes respectent nos obligations relatives aux droits de la personne, tant au
Canada qu'au niveau international. Nous parlons de lutter contre le terrorisme au nom de la liberté. Quand nous le faisons,
nous devons nous souvenir que, parmi les libertés pour lesquelles nous avons combattu et que nous devons préserver, il y a
la protection contre la détention arbitraire, les disparitions et les exécutions extrajudiciaires. Il est évident que nous ne
pouvons pas saper ces droits civils et politiques fondamentaux en prétendant les protéger. Dans ce contexte, je peux vous
assurer que le Canada demeure fermement attaché à son programme de sécurité humaine, selon lequel la sécurité de
l'individu n'est pas moins importante que la sécurité de l'État. Nous continuerons à faire de ce principe une priorité dans
les mois à venir.
Tandis que nous essayons de régler le problème iraquien, nous sommes déterminés à rechercher une solution pacifique à
cette crise grâce à l'intervention des inspecteurs en désarmement des Nations Unies et au soutien complet et actif de l'Iraq
au processus de désarmement. Le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui est le seul doté du mandat de veiller à la paix
et à la sécurité dans la communauté mondiale, a été créé précisément pour gérer les situations de ce genre. Il constitue, pour
la communauté mondiale, le moyen le plus crédible d'affronter collectivement les manquements de l'Iraq à ses obligations
internationales. En même temps, la communauté internationale doit trouver une façon de procéder qui puisse renouveler les
perspectives de paix au Moyen-Orient et éviter de susciter d'autres divisions entre les pays islamiques et l'Occident.
Notre approche actuelle de la crise iraquienne s'inscrit dans notre politique générale d'engagement envers le
multilatéralisme, non seulement comme outil qui convient souvent le mieux pour promouvoir nos propres intérêts
nationaux, mais aussi comme moyen de conférer de la légitimité et de l'autorité à des décisions prises par des pays aussi
bien forts que faibles. Dans notre monde de plus en plus interdépendant, le multilatéralisme est une ligne de conduite
nécessaire, à notre avis, car il permet à la communauté des nations de s'occuper des problèmes qui touchent tout le monde
et qu'aucun pays ne peut résoudre seul. Toutefois, pour que les institutions internationales puissent aboutir aux résultats
qu'un pays seul ou de petites coalitions ne peuvent pas réaliser, ces institutions doivent elles-mêmes fonctionner d'une
manière qui confère légitimité et autorité à leurs décisions. Voilà pourquoi nous considérons qu'il est prioritaire pour nous
de travailler en vue de la réforme et du renforcement d'institutions telles que les Nations Unies.
Ce souci est particulièrement évident dans le cas de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies [CDH],
tribune par excellence où la communauté internationale s'occupe des questions relatives aux droits de la personne. Au fil
des ans, la CDH a eu un certain succès, mais elle doit maintenant faire face à une épreuve critique. Comme nous soutenons
que toutes les nations devraient agir dans le cadre du processus des Nations Unies, nous devons être en mesure de trouver
une institution multilatérale crédible et capable de remplir son mandat. Voilà pourquoi je suis très inquiet à l'approche des
réunions de cette année de la CDH. Je suis sûr que beaucoup d'entre vous ont des préoccupations semblables.
La crédibilité de la Commission des droits de l'homme a souffert ces derniers temps, et plus récemment, par suite de
l'élection de la Libye à la présidence de la CDH, mais il y a eu d'autres facteurs : l'élargissement du fossé Nord-Sud, la
politisation croissante des délibérations de la Commission portant sur le Moyen-Orient et l'échec des résolutions
concernant des pays particuliers à cause de dissensions de plus en plus fortes entre les groupes régionaux. Pour maintenir la
crédibilité du système des Nations Unies et de la CDH, il est impératif de maintenir un fort attachement aux principes.
C'est la raison pour laquelle le Canada a énergiquement pris position contre la nomination de la Libye à la présidence de la
CDH.
Toutefois, pour que la CDH des droits de l'homme ait une crédibilité quelconque, nous devons être conscients du fait que la
crédibilité ne veut pas toujours dire la même chose pour tout le monde. Nous devons nous montrer sensibles à
l'élargissement perçu du fossé qui sépare l'Occident des pays musulmans. Nous devons en outre chercher à éviter que nos
actions soient interprétées comme des attaques contre l'Islam plutôt que comme un effort concerté pour assurer le respect,
partout dans le monde, des normes relatives aux droits de la personne.
Pour les pays occidentaux, la crédibilité signifie avoir un président respecté pour ses réalisations au chapitre des droits de la
personne, et résister à une politisation à outrance des discussions ayant trait au Moyen-Orient, politisation qui a fait que
plus de la moitié du temps de la CDH a été consacré à un seul pays, ce qui l'a empêchée de s'occuper d'autres graves
violations des droits de la personne ailleurs dans le monde, comme au Zimbabwe, en Tchétchénie, en Iran et en Guinée
équatoriale. La crédibilité impose aussi de surmonter les motions de non-intervention qui bloquent tout progrès des dossiers
controversés.
Pour beaucoup de pays en développement, cependant, la crédibilité signifie une institution capable de s'occuper de ce que
ces pays considèrent comme étant leurs besoins les plus pressants, c'est-à-dire les droits économiques, sociaux et culturels.
Pour le groupe occidental, comme vous le savez, une telle notion présente des difficultés. Au Canada, nous prenons nos
obligations internationales au sérieux et hésitons donc à prendre des engagements avant d'être sûrs de pouvoir les honorer.
Avant d'accepter de nouvelles obligations, le gouvernement fédéral doit travailler avec les provinces pour s'assurer que les
exigences en cause sont bien comprises et peuvent être intégrées dans la pratique locale. En envisageant la session de cette
année de la Commission, nous devons favoriser une réflexion créative portant sur les moyens de sortir de l'impasse des
groupes régionaux et de rétablir la crédibilité de la CDH pour toutes les parties en présence.
Nous aurons à affronter une tâche énorme à la session de cette année. Permettez-moi tout d'abord de remercier Marie
Gervais Vidricaire pour le travail exceptionnel qu'elle a fait comme chef de la délégation canadienne à la session de l'année
dernière. Je suis heureux d'annoncer que la délégation sera dirigée cette année par notre ambassadeur à Genève,
Christopher Westdal. L'ambassadeur Westdal est présent avec nous aujourd'hui. Je sais qu'il attend avec impatience de
connaître vos points de vue.
Face à la situation que représente la présidence de la Libye, le Canada a l'intention de favoriser un dialogue constructif avec
les responsables libyens pour essayer d'influencer leur comportement aussi bien à la Commission qu'en Libye même. De ce
point de vue, l'importance du rôle que la Libye sera appelée à jouer à la présidence de la Commission pourrait faciliter
l'action des États qui tenteront d'influencer son comportement.
Malgré les problèmes sérieux auxquels nous sommes confrontés, nous ne devons pas sous-estimer l'importance des progrès
accomplis par la Commission dans la promotion et la protection des droits de la personne. La Commission a attiré
l'attention du monde sur des violations particulières et sur leurs auteurs. Ses travaux des dernières années ont également
donné lieu à deux protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l'enfant, à un protocole facultatif à la
Convention contre la torture et à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'homme, et ont permis de créer l'Instance
permanente sur les questions autochtones. Nous sommes également redevables à la Commission de la création de la
fonction de rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales des populations
autochtones et de l'inscription à cet égard d'un point distinct à l'ordre du jour.
Pour ce qui est des travaux de la CDH de cette année et des suivantes, l'une des priorités du Canada est de veiller à ce que
la promotion et la protection des droits de la personne soient mieux intégrées dans nos relations bilatérales avec les autres
pays. Le Canada continuera à tenir des consultations avec les États de tous les groupes régionaux des Nations Unies avant
les réunions de la Commission, afin de clarifier les positions sur les sujets prêtant à controverse, comme les résolutions
relatives à des pays particuliers et surtout les droits économiques, sociaux et culturels. Comme beaucoup d'entre vous le
savent, le MAECI a travaillé sur cette question au Canada pendant toute l'année. Certains d'entre vous ont sans doute
participé à l'atelier organisé l'automne dernier par le MAECI et Justice Canada, en collaboration avec Droits et Démocratie
et le Centre for Equality Rights in Accommodation. Parmi les autres questions examinées au cours de l'atelier, il y a lieu de
mentionner le caractère justiciable des droits économiques, sociaux et culturels et la question d'un protocole facultatif au
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
La nécessité de rétablir la crédibilité de la CDH aux yeux du monde est l'une des raisons pour lesquelles votre contribution
aujourd'hui est tellement importante. Je vous exhorte à étudier l'approche du Canada dans cette optique, car nous devrons
l'adapter en fonction du point de vue d'experts tels que vous.
Même si la Commission des droits de l'homme occupe pour nous une place très importante, je voudrais consacrer quelques
instants à quelques autres questions de nature générale qui intéressent le Canada dans le domaine des droits de la personne.
Parmi ces questions, je tiens à mentionner la situation critique des enfants dans le monde. Le Canada est satisfait des
résultats de la session extraordinaire sur les enfants tenue en mai de l'année dernière. Donnant suite aux engagements pris
lors de cette session, le gouvernement du Canada est en train d'établir un plan d'action national et de consulter la société
civile à cet égard.
Nous sommes également déterminés à promouvoir l'égalité et les droits des femmes sur la scène internationale. Au
Sommet mondial sur le développement durable, le Canada a réussi à maintenir des dispositions concernant les droits des
femmes malgré d'importants efforts déployés par d'autres États pour se soustraire aux obligations internationales acceptées
aux conférences de Beijing et du Caire. Nous sommes heureux de jouer encore une fois un rôle de premier plan cette année
dans la résolution annuelle de la Commission sur l'élimination de la violence envers les femmes.
Le Canada considère aussi comme prioritaires les droits et le bien-être des populations touchées par la guerre. Comme vous
le savez, le MAECI appuie un certain nombre de projets et de programmes destinés à renforcer la protection des civils et à
lutter contre l'impunité. Par exemple, nous avons financé l'année dernière, en Afrique, plusieurs initiatives régionales
visant à faciliter la compréhension et à renforcer l'application du droit humanitaire international. Nous avons également
continué à appuyer les efforts déployés pour renforcer la protection des personnes déplacées dans leur propre pays.
La protection des réfugiés représente un autre élément clé de nos efforts. Au cours des 18 derniers mois, le MAECI, de
concert avec Citoyenneté et Immigration Canada, l'Agence canadienne de développement international et de nombreuses
organisations non gouvernementales canadiennes, a participé aux consultations mondiales sur la protection des réfugiés
dirigées par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Cette initiative a permis d'établir un programme de
protection qui devrait guider l'aide aux réfugiés pendant les trois ou cinq prochaines années.
Le Canada dirige le travail international de suivi des travaux de la Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des États. Le rapport historique de la Commission intitulé La Responsabilité de protéger énonce des principes
devant guider une action opportune de la communauté internationale lorsque des populations sont insuffisamment
protégées par leur propre gouvernement. Même si l'intervention ne doit constituer qu'un dernier recours, la responsabilité
de protéger implique aussi la responsabilité de prévenir les affrontements et de rebâtir les sociétés déchirées par les conflits.
Traduire les coupables en justice est un élément essentiel de tout effort global de dissuasion et de protection des victimes.
Dans ce contexte, l'établissement de la Cour pénale internationale est essentiel pour l'élimination du génocide, des crimes
contre l'humanité et des crimes de guerre. Nous assistons à un mouvement mondial décisif visant à mettre un terme à
l'impunité de ceux qui commettent de graves crimes à l'échelle internationale. Je suis heureux que le Canada prenne une
fois de plus l'initiative de la résolution sur l'impunité à la Commission.
Je voudrais, en conclusion, souligner encore une fois à quel point l'avis de la société civile est important pour l'élaboration
de la politique étrangère canadienne. Ces conférences annuelles, par exemple, nous ont beaucoup aidés à définir nos
priorités et à élaborer des stratégies de promotion des normes relatives aux droits de la personne. Je voudrais d'ailleurs
profiter de cette occasion pour vous inviter à participer à un processus de consultation plus vaste que je viens de lancer, le
Dialogue sur la politique étrangère. Cette initiative a pour but d'actualiser l'approche canadienne de la politique étrangère à
la lumière des changements survenus dans le monde au cours de la dernière décennie. J'invite donc aussi bien les groupes
de la société civile que les experts et le grand public à se joindre à moi dans ce dialogue.
À mesure que s'intensifie l'interdépendance entre l'environnement intérieur et international, il est essentiel de maintenir le
dialogue pour échanger des renseignements et définir nos positions sur les sujets communs. Nous continuerons
probablement à avoir des divergences de vues, mais je suis persuadé que nous pouvons unir nos efforts dans la lutte en
faveur des droits de la personne. C'est là une priorité pour le gouvernement, une priorité pour le MAECI et aussi une
priorité pour moi.
Je vous remercie.
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