DISCOURS
M. KILGOUR - ALLOCUTION À L'OCCASION DE LA TABLE RONDE DE LA FONDATION ASIE-PACIFIQUE DU CANADA SUR LE DIALOGUE SUR LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET LES RELATIONS ENTRE LE CANADA ET L'ASIE - OTTAWA (ONTARIO)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE DAVID KILGOUR,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (ASIE-PACIFIQUE),
À L'OCCASION DE LA TABLE RONDE DE LA FONDATION ASIE-
PACIFIQUE DU CANADA SUR LE DIALOGUE SUR LA POLITIQUE
ÉTRANGÈRE ET LES RELATIONS ENTRE LE CANADA ET L'ASIE
« EXTRÊME-ORIENT/EXTRÊME-OCCIDENT : INTÉGRER LE CANADA COMME UNE
NATION D'ASIE-PACIFIQUE »
OTTAWA (Ontario)
Le 27 mars 2003
Je félicite la Fondation Asie-Pacifique du Canada [FAPC] qui a pris l'initiative d'accueillir cet
événement. Il survient à un moment où nous nous trouvons confrontés à des questions délicates
concernant l'ordre mondial et la place occupée par le Canada. Le Dialogue sur la politique étrangère du
ministre Graham et la contribution qu'y a apportée la FAPC nous donneront l'occasion de souligner
l'importance de l'Asie-Pacifique pour les Canadiens aujourd'hui. En cette période agitée, le Canada doit
-- comme l'indique le titre de mon allocution -- réaffirmer son rôle comme un acteur majeur en Asie-Pacifique.
Préparer le terrain
La guerre qui sévit en Iraq renforce les relations complexes et très profondes que nous entretenons avec
les États-Unis. Nous faisons face à des pressions énormes pour veiller à ce que le désaccord sur un
principe n'entrave pas le passage relativement fluide des personnes et des marchandises à la frontière
canado-américaine -- celle par laquelle circulent des échanges commerciaux de près de 2 milliards de
dollars par jour. En attribuant davantage de ressources pour garder cette frontière ouverte, nous, en tant
que spécialistes de l'Asie, avons la responsabilité de veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment de
nos relations avec l'Asie-Pacifique.
La deuxième pression issue de la guerre est exclusivement d'ordre économique. Comme l'a fait
remarquer l'ambassadeur américain Paul Cellucci cette semaine : « Pour le Canada, la priorité est
probablement le commerce. Pour nous, la priorité est la sécurité. » L'économie du Canada sera
certainement mise à rude épreuve si un plus grand nombre d'économies occidentales tombent en
récession. Cependant, nous ne pouvons oublier que la guerre pourrait aussi avoir des conséquences
désastreuses pour l'Asie-Pacifique. La Banque asiatique de développement a identifié la guerre dans le
Golfe comme l'un des facteurs de risque majeurs pour les économies de la région. Un observateur estime
qu'une guerre prolongée en Iraq pourrait, cette année, faire chuter la croissance économique de certaines
économies de deux à trois points de pourcentage (Ramoncito de la Cruz, « Interview: Long Iraq War to
Hit Some Asian Economies », Dow Jones International News, le 24 mars 2003).
Le prix du pétrole demeure élevé, ce qui pourrait faire retomber les économies asiatiques en récession.
De surcroît, comme l'a signalé Far Eastern Economic Review, tout conflit prolongé au Moyen-Orient
menacerait le flux des multimilliards de dollars d'envois venant d'expatriés travaillant dans le Golfe vers
divers pays, dont l'Inde et les Philippines (Tom Holland, « A War in the Iraq: The Cost of War », The
Far Eastern Economic Review, 18, le 16 janvier 2003). Enfin, les économies d'Asie sont plus
dépendantes que jamais des États-Unis -- les exportations vers ce pays comptent pour 5 p. 100 du PIB
de la région; tout fléchissement de l'économie américaine serait ressenti dans toute l'Asie, et les effets
seraient inévitablement perçus aussi au Canada.
Une telle incertitude économique a pour effet d'augmenter le potentiel d'agitation politique que suscite
la guerre au Moyen-Orient. Il existe une croyance selon laquelle la guerre en Iraq est une attaque directe
à l'Islam et pourrait radicaliser quelques musulmans modérés; il y a une possibilité réelle que des
gouvernements soient déstabilisés dans la région. L'opposition à la guerre en Iraq, fondée sur la foi,
pourrait s'exprimer violemment dans les rues de plusieurs capitales d'Asie-Pacifique. Ne nous leurrons
pas : aucun pays -- pas même le Canada -- ne peut se considérer à l'abri de cette incidence.
Ignorer l'Asie-Pacifique à nos risques et périls
Le fait d'ignorer l'Asie-Pacifique se fait à nos propres risques et périls. La région représente une
possibilité de diversifier notre orientation commerciale marquée vers les États-Unis. Il est indéniable que
ces derniers représentent -- et représenteront toujours -- notre relation bilatérale la plus importante.
L'idée n'est pas de réduire le commerce avec l'un de nos partenaires actuels, mais d'étendre les
possibilités dans une partie du monde dont on a largement fait abstraction pendant trop longtemps. Les
entreprises canadiennes risquent de perdre une part de marché au profit de ceux qui réagissent plus vite,
et de rater une chance de commencer à créer des relations à long terme, des relations importantes et dont
elles ont besoin pour réussir. Faire des affaires en Asie-Pacifique n'est pas donné à tout le monde, mais il
y a beaucoup plus d'histoires de réussites canadiennes que la plupart ne le pensent. Le ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international [MAECI] travaille inlassablement pour recueillir et
partager ces histoires, et promouvoir l'idée que, comme l'a déclaré Dominic D'Allesandro, président-directeur général de Manuvie Canada : « Il est au moins aussi prometteur d'aller vers l'est que d'aller
vers le sud ». Un diplomate canadien dit que les années 1970 et 1980 étaient caractérisées par les
pressions exercées par le milieu des affaires canadien sur le gouvernement pour créer de nouveaux
marchés. Cependant, un sentiment de confort sur les marchés nord-américains, particulièrement dans des
provinces comme l'Ontario où jusqu'à 93 p. 100 des exportations de la province s'envolaient vers les
États-Unis, a changé le ton de « pousser » à « tirer » : dans de nombreux secteurs, nos divers
gouvernements font maintenant la promotion des débouchés auprès du milieu des affaires.
En matière de sécurité, l'Asie-Pacifique est d'une importance cruciale. Même si une grande partie de
l'attention mondiale est actuellement tournée vers l'Iraq, la République populaire démocratique de Corée
n'est jamais loin de nos pensées. Celle-ci soutient qu'elle est une cible, bien que l'administration Bush
ait dit à maintes reprises qu'elle n'a pas l'intention de l'attaquer. De plus, ce n'est pas un secret que
certains groupes terroristes, dont al-Qaïda, ont été associés à d'autres parties de la région.
Géopolitiquement, l'importance de l'Asie-Pacifique pourrait difficilement être plus grande. Les nations
incluent à la fois des pays développés et en développement, des participants actifs à la guerre en Iraq,
ainsi que des opposants désireux de faire entendre leurs voix, des membres des Nations Unies, de
l'OTAN [Organisation du Traité de l'Atlantique Nord], de l'ANASE [Association des nations de l'Asie
du Sud-Est], du Commonwealth, de la Ligue des États arabes, et du mouvement des non-alignés.
L'avenir du monde au cours des 50 prochaines années sera décidé en très grande partie par des décisions
prises à Delhi et à Beijing. L'économie du Japon est plus importante que celle de tous les autres pays
d'Asie-Pacifique combinés. L'Indonésie est le plus important pays musulman sur la planète. Au moment
où certains accusent le Canada d'avoir une influence dans le monde qui soit en déclin, plus que jamais
nous devons être conscients de tous les débouchés à notre portée.
Un nouveau dialogue
Le Dialogue sur la politique étrangère actuel ne pourrait se produire à un moment plus important, ni plus
incertain. Beaucoup de choses ont changé depuis le dernier examen important de la politique en 1995.
Entre autres, nous avons vu la montée continue de l'islam dans de nombreuses parties du monde. La
Chine est une force émergente. Plusieurs nations d'Asie-Pacifique se sont affirmées comme puissances
nucléaires. Ce que l'on a appelé la « grippe asiatique » a régné dans l'optimisme apparemment débridé
de nombreux marchés d'Asie-Pacifique. Le 11 septembre a traumatisé l'Amérique du Nord, et l'attentat à
la bombe de Bali a eu les mêmes effets sur de nombreux Asiatiques. Le premier a mené à une guerre
mondiale contre le terrorisme, à des promesses hâtives de se tenir « avec ou contre nous », et à la
désignation d'un « axe du mal». De plus en plus, l'efficacité actuelle et future de nos alliances et
institutions multilatérales les plus importantes, dont l'OTAN et le Conseil de sécurité des Nations Unies
-- qui ont des rôles cruciaux à jouer à l'égard de la Corée du Nord et de l'Iraq --, fait l'objet de
controverses.
De plus, les liens qu'entretiennent les Canadiens avec l'Asie-Pacifique sont aujourd'hui plus présents
que jamais auparavant. Dans le cadre de ce que j'appellerais l'« asiatisation » du Canada, notre
population est de plus en plus liée par l'intermédiaire de l'immigration et de l'éducation. Même si notre
économie est étroitement intégrée à l'économie nord-américaine, certaines provinces de l'Ouest canadien
se tournent maintenant de plus en plus vers l'Ouest : chaque année, depuis 1990, le commerce
transpacifique du Canada a dépassé le commerce transatlantique. Notre présence dans la région profite
de notre longue histoire, qui fait d'ailleurs l'objet d'une haute estime, et bien que nous ayons de la
difficulté à développer une image de marque dans certaines parties de la région, cela pourrait
certainement être pire! Même si elle ne reflète pas toujours nos capacités en matière de haute technologie
et de commerce, l'image du Canada est généralement très positive.
Sur le plan interpersonnel, les liens existants et potentiels du Canada sont sans égal dans presque
l'ensemble du monde. De l'Afghanistan au Pacifique Sud, de la Mongolie à l'Australie, chaque nation
d'Asie-Pacifique a une communauté au Canada. À ce titre, nous jouissons d'une grande capacité de créer
des ponts humains. Beaucoup voient en Vancouver elle-même le symbole d'une ville d'Asie-Pacifique
nord-américaine. Plus de 60 p. 100 des étudiants du conseil scolaire de Vancouver, et la moitié des
étudiants nationaux de niveau supérieur de l'Université de la Colombie-Britannique ne parlent pas
anglais chez eux! Nos connaissances de base sur l'Asie sont exceptionnelles : prenez l'exemple de la
Fondation Asie-Pacifique, de l'Institut de recherches asiatiques de l'Université de la Colombie-Britannique, du Centre d'études conjoint sur l'Asie-Pacifique de l'Université de Toronto et de
l'Université York. Dans les différentes universités du pays, le Canada dispose de ressources
universitaires sur la région, comme l'a illustré le document présenté aujourd'hui et au symposium
Canada-Indonésie de la semaine dernière. Des sociétés comme Nortel et SNC Lavalin ont aussi beaucoup
d'expérience dans les activités commerciales en Asie-Pacifique, de même que le Service des délégués
commerciaux du MAECI qui jouit d'une renommée mondiale. Ici-même au pays se trouvent également
diverses associations commerciales et de gens d'affaires entre le Canada et l'Asie. La nécessité de
raviver certaines de ces associations est grande; les bénéfices éventuels sont remarquables.
Pendant des décennies, l'éducation canadienne a également servi à forger des liens dans toute l'Asie-Pacifique. De nombreux dirigeants de gouvernement et d'éminents hommes d'affaires de la région ont
été éduqués au Canada. Avec autant d'étudiants originaires d'Asie-Pacifique venant étudier actuellement
au pays, nous sommes bien placés pour laisser une influence durable sur la prochaine génération de
dirigeants, et inversement. Enfin, les missions canadiennes à l'étranger continuent d'être extrêmement
bien perçues et sont largement connues pour leurs travaux exceptionnels en matière de politique, de
promotion commerciale et de développement.
Nouvelles responsabilités
Nous avons l'occasion d'élargir notre rôle en Asie-Pacifique. J'affirmerais aussi que nous avons une
responsabilité nouvelle de le faire. Le monde a plus que jamais besoin de constructeurs de ponts. En tant
que Canadiens, nous nous sommes définis comme des promoteurs du multilatéralisme et des chercheurs
de compromis constructifs. Il s'agit de partager les expériences et de chercher un terrain d'entente. Les
transformations économiques et politiques dans de nombreuses nations d'Asie-Pacifique en
développement seront chancelantes et nous devrions nous demander « Que pouvons-nous et devrions-nous offrir? »
Nous sommes une nation qui prend son rôle au sérieux en matière de promotion de la justice pour tous, et
de la paix et de la démocratie dans le monde. Pour cette raison, nous devons trouver des moyens
novateurs pour faire face aux nouveaux problèmes. Nous devons devenir plus créatifs dans notre
engagement avec certains pays. À mon avis, l'un des rôles les plus uniques que peut jouer le Canada est
la promotion de la compréhension et du dialogue interconfessionnels. Seul un court paragraphe a été
accordé à ce sujet dans le document de réflexion de l'Examen de la politique étrangère, mais dans mon
esprit, c'est l'une des contributions les plus importantes que puisse apporter le Canada dans la région de
l'Asie-Pacifique.
Dans de nombreuses parties du monde, les différentes confessions jouissent d'une ascendance de plus en
plus grande pour influencer les populations. Nombre de philosophies et d'idéologies politiques -- tous
ces termes se terminant en « isme », si vous voulez -- semblent être discréditées et sont aujourd'hui
incapables de motiver de grands nombres d'hommes et de femmes. À mesure que les nouvelles
démocraties s'affirment et que les économies émergentes s'épanouissent enfin, il existe une crainte
largement répandue à l'effet que les clivages religieux et culturels qui sont perçus ne feront que
s'approfondir et s'élargir.
Indubitablement, la guerre contre le terrorisme et la guerre en Iraq auront des incidences sur les relations
de l'Occident avec le monde islamique. À l'intérieur du Canada, beaucoup n'ont pas encore pris
conscience à quel point les communautés musulmanes dans le monde se sentent assiégées. L'Occident
n'a accordé que peu d'importance à l'observation récente du premier ministre de Malaisie, M. Mahathir,
selon laquelle « Une attaque contre l'Iraq est une attaque contre l'islam »; mais cette déclaration a été
applaudie dans de nombreuses autres parties du monde.
Dernièrement, le MAECI a demandé à M. Uner Turgay, directeur des Études islamiques à l'Université
McGill, de se rendre dans certains pays d'Asie-Pacifique pour évaluer les relations entre le Canada et les
communautés musulmanes en Asie du Sud-Est. À son retour, il y a quelques semaines, il a rapporté que
la communauté islamique dans la région se sent assiégée et a décrit ce qu'il a qualifié d'« intense manque
de communication entre l'Occident et le monde islamique ».
La nécessité d'un dialogue interconfessionnel constructif est frappante -- et s'accroît chaque jour.
Cependant, les ponts nécessaires ne se limitent pas seulement à ceux qui peuvent relier les différentes
confessions et institutions religieuses. Ils ne devraient pas non plus être conçus dans une dynamique à
sens unique. Plus grands seront les contacts entre les organisations, les gens, les villes, les ONG, les
parlementaires et d'autres encore, mieux ce sera.
Le premier ministre Chrétien a dit maintes fois : « Nous pouvons parler au monde parce que nous avons
le monde à l'intérieur de nos frontières ». Non seulement nous avons le monde à l'intérieur de nos
frontières, mais encore les différentes communautés y vivent pacifiquement -- travaillant et vivant côte à
côte, s'enseignant mutuellement et apprenant les unes des autres. Dans ma propre circonscription, à
Edmonton-Sud-Est, nous avons de nombreuses églises, deux mosquées, deux gurdwaras et une pagode.
Sauf pour quelques exceptions très regrettables, les diverses communautés au sein du Canada font preuve
de compréhension interconfessionnelle. Nous travaillons ensemble à la sécurité et à la prospérité de notre
pays et sommes impatients de voir d'autres personnes, partout ailleurs, jouir du modèle de coexistence
pacifique et productive du Canada, notamment dans nos multiples lieux d'origine.
À l'intérieur même du Canada, cela reste un concept largement inexploré. En tant que nation définie en
partie par la séparation de fait de l'église et de l'État, certains doutent de notre capacité, et d'autres disent
de notre compétence, à traiter ces questions. Contrairement à de nombreux gouvernements avec lesquels
ces discussions pourraient avoir lieu, nous manquons d'une structure institutionnelle pour le faire. Des
idées neuves sur la manière d'aborder cela sont nécessaires. Je suis impatient d'écouter vos réflexions sur
la meilleure manière, pour le Canada, de se mettre à jouer un rôle de pont.
En tant que députés et au sein du MAECI, nous travaillons avec acharnement pour nous affirmer plus
vigoureusement comme une nation d'Asie-Pacifique et pour renforcer notre présence dans la région. Les
nouvelles idées sont bienvenues.
Comment pouvons-nous mieux utiliser l'engagement de la deuxième voie et où est-il le plus nécessaire?
Comment pouvons-nous mieux utiliser notre avantage interpersonnel caché? Comment pouvons-nous
mieux exploiter Vancouver comme point d'accès du Canada vers le reste de la région? Est-il
nécessaire/possible -- comme je l'ai entendu dernièrement en quelques occasions -- de déléguer
certaines de nos fonctions fédérales pour créer, par exemple, le MAECI-Pacifique, l'EDC-Pacifique
[Exportation et Développement Canada-Pacifique], et autres? Yen Pau a fait allusion à cette dernière
idée dans un commentaire radiophonique, et je crois que le sujet mérite discussion.
J'espère avoir été clair : l'Asie-Pacifique n'a jamais eu autant d'importance pour les Canadiens, et
inversement. J'apprécie le travail de la Fondation pour faire en sorte que notre politique étrangère reflète
adéquatement cette réalité.
Je me rends bien compte que cela peut sembler alarmiste, mais j'ai le sentiment que nous nous trouvons
face à un moment critique de l'histoire. Je suis impatient d'entendre vos réflexions et, naturellement, de
voir la proposition finale de la Fondation au processus de dialogue.
Je vous remercie.
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