M. GRAHAM - ALLOCUTION À L'OCCASION DE LA 72e CONFÉRENCE ANNUELLE D'ÉTÉ DU COUCHICHING INSTITUTE ON PUBLIC AFFAIRS - « SOUVERAINETÉ, INTERDÉPENDANCE ET INTÉGRATION » - ORIILLIA (ONTARIO)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DE LA 72e CONFÉRENCE ANNUELLE D'ÉTÉ
DU COUCHICHING INSTITUTE ON PUBLIC AFFAIRS
« SOUVERAINETÉ, INTERDÉPENDANCE ET INTÉGRATION »
ORILLIA (Ontario)
Le 10 août 2003
C'est avec plaisir que je reviens à Couchiching, surtout que le thème de la conférence de cette année
est à la fois complexe et très important pour les Canadiens. Je suis navré de n'avoir pu participer plus
tôt aux débats, car je sais que j'aurais beaucoup appris, comme les années passées, en écoutant les
intervenants et en discutant avec vous.
Lorsque l'on réfléchit à ce que les Canadiens comptent retirer de l'intégration continentale, certaines
choses sont élémentaires mais méritent sans doute d'être répétées. Tout d'abord, le Canada est un
pays souverain qui vit en paix, dont l'économie est saine et la société, largement admirée dans le
monde entier. Nous faisons également partie de l'Amérique du Nord et nous entretenons avec les États-Unis des relations économiques parmi les plus importantes du monde. Nous partageons aussi avec les
Américains, outre des valeurs, d'innombrables liens historiques, géographiques et culturels. Depuis 10
ans, l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain] lie nos deux pays au Mexique dans le cadre
d'un partenariat qui rend indissociable la prospérité des trois pays de notre continent. Enfin, de par sa
population fort diverse, ses nombreuses relations commerciales internationales et son attachement de
longue date à trouver des solutions multilatérales aux problèmes de la planète, notre pays est
également ouvert sur le monde.
Globalement, ces trois facettes de l'identité canadienne signifient que lorsque nous cherchons à
maximiser les possibilités qui se présentent dans une sphère, nous ne devons jamais oublier les
exigences des deux autres sphères. Cela signifie que nous devons aussi être très clairs quant à nos
objectifs dans chaque sphère. Autrement dit, nous devons préciser nos priorités non négociables en
tant que nation souveraine, partenaire nord-américain et membre de la communauté internationale.
De ce point de vue, il s'agit essentiellement de trouver le juste équilibre entre l'intégration continentale
et l'indépendance, ce que complique sans doute la disparité de taille et de puissance entre nos voisins
américains et nous. De plus, le défi n'a rien de nouveau pour les Canadiens. En son temps, Sir Wilfrid
Laurier l'exprimait ainsi : « Je voue la plus grande admiration au peuple américain. J'ai toujours admiré
leurs nombreuses et grandes qualités. Cependant, j'ai découvert pendant la brève expérience qui a été
la mienne lorsque j'ai eu l'immense privilège d'être placé à la tête des affaires, par la volonté du peuple
canadien, que le meilleur moyen, et le plus sûr, de rester amis avec nos voisins américains est de
préserver à tout prix notre indépendance vis-à-vis d'eux. » Canadien et Libéral typiques, il a tenu une
élection en 1911 sur la notion de libre-échange avec les États-Unis, et il a perdu. Certains se
rappelleront que notre campagne électorale de 1988 tournait en grande partie autour de cette question.
Je regrette que Michael Wilson ne soit pas ici, car nous aurions sans doute repris nos débats d'alors,
mais je suis certain que Mel Hurtig vous a déjà fort bien présenté sa perspective et que Lloyd Axworthy
aura également ajouté son point de vue politique perspicace.
Depuis quelque temps, donc, les responsables de la politique générale canadienne se demandent
comment tirer le meilleur parti d'un partenariat économique et de sécurité avec les États-Unis, et
maintenant avec le Mexique, tout en conservant la capacité d'appliquer des politiques bien
canadiennes à l'intérieur de nos frontières et d'entretenir les relations que nous voulons avec le reste
du monde? Il faut tout d'abord souligner que les avantages que présente l'intégration servent
effectivement les priorités nationales de premier ordre, à savoir la prospérité économique et la sécurité
de notre pays et de notre continent. Les valeurs que notre pays fait siennes sont tout aussi claires, et
nous parlons en l'occurrence de l'égalitarisme, de la pleine acceptation de la diversité, d'un souci du
bien-être de ceux qui vivent au-delà de nos frontières, de l'adoption d'approches multilatérales par
rapport à des problèmes mondiaux, et d'attitudes socialement libérales sur des questions intérieures
allant de la protection des droits de la personne garantie par notre Charte aux préoccupations plus
récentes concernant la décriminalisation de la consommation de marijuana.
Lorsque nous réfléchissons à l'intégration continentale, donc, surtout avec une superpuissance, il faut
tenir compte de toutes ces priorités. Nous savons que coopérer, de quelque façon que ce soit, revient
aussi à céder une part d'indépendance, mais que tel est, en définitive, le prix de plus grands avantages.
Il en va de même lorsque l'on se marie, que l'on pratique des sports d'équipe ou que l'on signe des
accords internationaux. Si d'aucuns, et généralement ses détracteurs, qualifient ce processus de
« perte de souveraineté », en fait, ce que nous recherchons, c'est une « souveraineté commune »,
autrement dit, un gain d'efficacité pour tous les participants. Donc, ces compromis sont globalement à
notre avantage et, souvent, dans le monde interdépendant actuel, ils représentent la seule solution face
à des problèmes comme la criminalité internationale, les pandémies telles que le VIH/sida, le
terrorisme, la menace des armes de destruction massive ou la dégradation de l'environnement
transfrontalier.
Il va sans dire, par conséquent, qu'il est contraire aux intérêts économiques et à la sécurité du Canada
de résister à l'intégration continentale uniquement pour nous distinguer des États-Unis. Pire, nos
différends avec les États-Unis risquent d'en paraître plus grands qu'ils ne sont. En fait, nous
partageons avec ce pays bon nombre d'intérêts et de valeurs et nous ne devrions jamais perdre de vue
que bien des Américains sont du même avis que les Canadiens sur des questions à propos desquelles
nous désapprouvons certaines politiques du gouvernement américain.
Nous ne devons cependant pas oublier qu'il arrive que nos intérêts, nos perspectives et nos politiques
divergent beaucoup de ceux des États-Unis. À ceux qui disent alors que le Canada « n'a pas d'autre
choix » que de procéder à une pleine intégration sur le plan de l'économie et de la sécurité, je répondrai
que je ne suis pas du tout d'accord sur deux points. Premièrement, notre marge de manœuvre est, en
fait, nettement plus grande que certains veulent bien le croire et, deuxièmement, affirmer que nous
n'avons pas le choix revient à miner la légitimité démocratique de décisions qui doivent, pour finir, être
responsables par rapport à tout l'éventail de ce que les Canadiens attendent de leur politique étrangère.
Cela signifie donc à mon avis que les propositions d'adhésion du Canada à des accords économiques
et de sécurité nord-américains doivent être évaluées en fonction de questions et d'enjeux précis ainsi
que de la nature du marché que nous pouvons conclure. Si nous pouvons bénéficier d'une plus grande
intégration politique et institutionnelle, nous devrions évidemment saisir cette chance. Il est
manifestement primordial, dans un nouveau contexte de sécurité, d'assurer la bonne circulation des
biens et des personnes à la frontière canado-américaine, et c'est avec cette priorité à l'esprit que le
gouvernement a voulu conclure notre accord frontalier en 30 points. Par ailleurs, nous devons, autant
que possible, continuer de chercher à réduire les différences de réglementation et les frais de
transaction pour les entreprises qui commercent avec nos partenaires continentaux.
Le nœud du débat sur l'intégration réside justement dans cet « autant que possible ». Comme les
États-Unis sont à la fois la superpuissance voisine et notre principal partenaire commercial, il sera
généralement à notre avantage d'adhérer à des partenariats continentaux. Toutefois, certains choix
politiques doivent être faits en tenant compte des vœux des Canadiens pour leur société et pour le
monde au-delà de nos frontières, en établissant le contenu et la structure de ce partenariat.
Ottawa a choisi, à propos de l'approche que je décris, de parler de « souveraineté intelligente », ce qui
signifie accepter l'intégration afin de servir nos intérêts politiques et économiques, tout en conservant
notre capacité de prendre position et de choisir lorsque des valeurs et des engagements nationaux
sont en jeu. Étant donné tout ce que nous avons en commun avec nos partenaires américains et
mexicains, l'intégration sera à notre avantage la plupart du temps, mais de réelles divergences
subsistent et nous devons avoir la latitude de choisir souverainement notre propre orientation.
C'est sur cette conviction que s'est appuyé le Canada dans sa décision de ne pas se joindre à la
coalition américaine qui est entrée en guerre contre l'Iraq. La plupart des Canadiens approuvaient la
décision du gouvernement et ce, malgré le chœur des voix qui affirmaient que notre dépendance
économique à l'égard des États-Unis est maintenant telle que nous « n'avions d'autre choix » que de
nous aligner sur Washington, en dépit de sérieuses conséquences économiques. À l'époque de ces
débats publics, j'ai souvent répété qu'à mon sens, l'hypothèse d'un lien de cause à effet qui étayait cet
argument était fausse, car l'interdépendance économique entre nos deux pays est telle qu'une seule
divergence politique ne peut suffire à tout remettre en question -- et à l'inverse, en acceptant de
participer à la guerre, le gouvernement n'aurait pas résolu les litiges de longue date sur le bois d'œuvre
ou le blé, ou encore fait disparaître le problème de l'industrie canadienne du bœuf. Bien des exemples
dans le passé, comme la guerre du Vietnam, montrent que des différends politiques précis, aussi
majeurs soient-ils, ne sauraient nuire à nos relations économiques et de sécurité importantes avec les
États-Unis, s'ils sont soigneusement gérés.
En dehors de ces questions de causalité, cependant, un principe plus général est en jeu lorsque l'on
affirme que « nous n'avons pas le choix ». Comme vous l'avez certainement remarqué ces derniers
jours ici, et comme je l'ai appris depuis que je suis en politique, les Canadiens souhaitent poursuivre
tout un éventail d'intérêts nationaux, et pas seulement la prospérité et une approche particulière
concernant la sécurité, mais aussi des valeurs sociales et culturelles distinctes. En ma qualité d'élu et
de membre du Cabinet, j'ai pour mandat de m'assurer que les initiatives prises au nom de l'intégration
continentale répondent à toutes les préoccupations des Canadiens. Pour l'instant, je pense que c'est le
cas. En effet, à côté de la prospérité apportée par l'ALENA, nous avons vu le Canada se distinguer non
seulement par sa position au sujet de l'Iraq, mais aussi à propos de l'Accord de Kyoto, de la Cour
pénale internationale, de la Convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines terrestres, de la protection
de son régime d'assurance-maladie ainsi que dans d'autres domaines où la vision que les Canadiens
ont de la politique sociale diverge de celle qui prévaut aux États-Unis -- des domaines tels les
allocations familiales, le congé de maternité, le contrôle des armes à feu et le financement des
campagnes électorales. En fait, nous poursuivons notre chemin, à la manière canadienne.
L'appui des Canadiens à des mesures de ce type doit alors nous éclairer dans notre étude des options
en ce qui concerne une plus grande intégration avec les États-Unis et le Mexique. Les valeurs et les
attitudes toutes canadiennes qui nous distinguent de nos voisins continentaux persistent, et même
aujourd'hui s'accentuent, en dépit de l'intégration économique et culturelle entraînée depuis 10 ans par
l'ALENA. Et, d'après le nouvel ouvrage remarquable de Michael Adams intitulé Fire and Ice, nos
concitoyens ne sont pas près de se transformer en Américains ou en Mexicains, loin s'en faut. Ses
conclusions montrent certainement pourquoi ils restent favorables aux services et aux normes publics,
au multiculturalisme, à des définitions élargies de la famille et à la promotion de nos intérêts au Canada
et à l'étranger par la coopération plutôt que par la confrontation. Michael Adams conclut son livre en
prédisant que les Canadiens continueront de s'éloigner des Américains sur le plan des valeurs
sociales, position qui contredit ceux pour qui l'intégration nous fait ressembler davantage aux
Américains et limite notre marge de manœuvre. Si tel est le cas, les politiques devront être très attentifs
à cette réalité dans l'élaboration des politiques destinées à renforcer la prospérité et la sécurité de
notre pays par une plus grande intégration continentale. Pour que ces politiques gardent leur légitimité
démocratique, nous devrons démontrer non seulement qu'elles peuvent apporter les avantages
qu'elles promettent, mais qu'en plus, ces avantages ne porteront pas atteinte aux valeurs et aux
engagements chers aux Canadiens.
Or, les valeurs chères aux Canadiens sont un ensemble complexe d'objectifs qui ne se résument pas
tout simplement à un revenu supérieur par habitant ou à des mesures de sécurité renforcées aux
frontières. Ce qui ne nous empêche pas de tenir à beaucoup d'autres biens, pour nous-mêmes et pour
d'autres par-delà nos frontières. J'en ai pris conscience grâce au Dialogue sur la politique étrangère
que j'ai mené récemment et dans le cadre duquel des milliers de citoyens ont donné leur avis sur les
orientations à long terme de notre politique étrangère. Entre autres choses, les Canadiens veulent nous
voir nous engager davantage à l'étranger, continuer de soutenir les organisations internationales et la
réforme de l'ONU tout en entretenant des relations florissantes avec les États-Unis. Ils veulent nous
voir partager avec des pays étrangers la tolérance, la diversité et l'égalité que nous chérissons chez
nous. Ils veulent également que le Canada défende une définition générale de la sécurité mondiale qui
ne tienne pas seulement compte des menaces directes mais qui cherche également à prévenir les
conflits, à protéger l'environnement et à faire en sorte que les retombées de la mondialisation profitent
plus équitablement aux habitants de la planète.
Pour bon nombre des raisons que je viens d'évoquer, l'essentiel du travail nécessaire à une bonne
intégration continentale devra donc avancer point par point. Cependant, cela ne signifie pas qu'il
n'existe pas de voie clairement tracée pour les années à venir. J'aimerais mentionner quelques-unes
des orientations apparemment très importantes.
Ce qui m'oblige à faire une mise en garde importante. Nous avons entamé un processus d'Examen de
la politique étrangère dont le Dialogue avec les Canadiens ne représentait que le début. Ces questions
font l'objet d'une réflexion approfondie au gouvernement et dans la société canadienne en général. Et
pour décider de la route à suivre, des consultations avec les Canadiens, comme dans le cadre du
Dialogue, sont essentielles si nous voulons que les choix stratégiques futurs aient une légitimité
démocratique. Le Dialogue n'en constitue cependant qu'un volet. Le Conference Board et d'autres
groupes représentatifs des milieux d'affaires ont accompli un excellent travail qui révèle également des
différences importantes quant à savoir si notre approche de l'intégration devrait opter pour une
nouvelle grande politique ou pour des mesures plus modestes et progressives. Le Comité permanent
des affaires étrangères et du commerce international a préparé un rapport très constructif et exhaustif
qui, avec la réponse du gouvernement, couvre quantité de questions. (Ce rapport a été publié en
français et en anglais ainsi qu'en espagnol, ce qui est une première pour le Parlement et un signe
tangible de nos relations de plus en plus étroites avec le Mexique.) Cette conférence, j'en suis certain,
fournira bien des idées qui nous aideront à continuer d'approfondir notre réflexion. Enfin, il serait naïf
de ne pas reconnaître qu'il y aura bientôt un nouveau gouvernement qui voudra imprimer sa marque
sur cet aspect essentiel de la politique étrangère.
Cela dit, comme je l'ai expliqué, il se dessine manifestement des orientations. Tout d'abord et
évidemment, nous devons veiller à approfondir les relations avec le Mexique et les États-Unis et à les
élargir de la sphère politique au grand public. Ce qui veut dire informer davantage par le biais,
notamment, d'une expansion commerciale et d'une diplomatie publique visant toutes les régions et
tous les secteurs de la société. C'est ce que fait actuellement le gouvernement aux États-Unis dans le
cadre de l'Initiative de représentation accrue, qui réunit de nombreux ministères fédéraux afin
d'accroître la représentation canadienne dans de nouvelles villes américaines, en particulier dans le
Sud, au Texas, en Floride et en Californie. Avec une représentation diplomatique renforcée et
20 nouveaux consuls honoraires qui défendent les intérêts canadiens dans tout le pays,
particulièrement dans les régions où nous étions sous-représentés auparavant mais qui sont devenues
de nouveaux centres d'influence politique dans le système américain, nous créons un climat plus
favorable aux intérêts canadiens.
Nous devons également faire connaître clairement et respectueusement à nos partenaires nos
divergences d'opinions lorsqu'elles surviennent. Pendant la guerre en Iraq et ensuite, j'estimais
essentiel de faire savoir aux États-Unis que le Canada agissait en ami et en allié, tant en contribuant
considérablement à la lutte contre le terrorisme qu'en décidant que faire la guerre à l'Iraq sans sanction
onusienne n'était ni dans l'intérêt de la communauté internationale ni dans celui des États-Unis à long
terme. Je suis fermement convaincu que nous sommes un meilleur allié, et un meilleur ami, lorsque
nous restons attachés à nos convictions et que nous les exposons à nos amis américains, au lieu de
partir du principe qu'il n'y a pas place pour des divergences de vues dans certains domaines.
Notre message n'a sans doute pas convaincu tous les Américains, mais beaucoup l'ont repris. Dans un
article sur le Canada paru récemment dans le magazine New Yorker, on lisait les remarques suivantes :
« En envoyant ses soldats servir aux côtés des nôtres en Afghanistan, le Canada nous a épaulé quand
nous en avions besoin, en véritable ami. En refusant de participer à notre aventure iraquienne, il nous a
fait comprendre qu'il pensait sincèrement que nous commettions une erreur, et là encore, il s'est
comporté en ami véritable. » Colin Powell l'a reconnu en rejetant l'idée que nos divergences d'opinions
sur la guerre représentaient une rupture fondamentale entre nous. En fait, il a parlé de relations
inextricables et profondes entre nos deux pays, de relations qui, selon lui, survivraient au désaccord
qui nous opposait sur la meilleure solution à adopter face à l'Iraq. Et si nous considérons le monde de
la sécurité aujourd'hui, la sagesse de son propos est évidente. Songez à notre engagement, pas
seulement en soldats et en matériel, mais aussi en aide substantielle, pour stabiliser l'Afghanistan, à
notre rôle dans le golfe Persique, et à notre présence croissante en Iraq et à notre contribution à la
reconstruction de ce pays. Moins loin que cela, voyez nos entretiens sur les meilleures solutions à
retenir pour partager la défense de notre continent, qu'il s'agisse de défense anti-missiles balistiques
ou d'autres mesures novatrices qui comprennent une planification conjointe des urgences par les
autorités civiles et militaires. Plus les citoyens américains et leurs décideurs entendront ce message et
plus il sera clair pour tous qu'une politique étrangère à proprement parler canadienne doit et devrait
coexister avec notre alliance profonde avec les États-Unis, une politique capable d'enrichir ces
relations fondamentales pour les deux pays.
Il importe aussi de se rappeler que le Canada continuera de définir sa politique étrangère en fonction
non seulement des valeurs qu'il partage avec les États-Unis, mais aussi de ses différences par rapport
à ce pays sur le plan de la taille, de l'histoire et de sa population. Comme l'a montré le Dialogue sur la
politique étrangère, les Canadiens savent que nous possédons les connaissances particulières
nécessaires pour que le pluralisme fonctionne dans un État fédéral. Nous avons une grande expérience
du maintien de la paix et de la mise en place de régimes multilatéraux fondés sur la primauté du droit.
En outre, la diversité sans pareille de notre population nous donne accès à des pays du monde entier et
nous y confère des responsabilités. Les Canadiens veulent que nous conservions ces liens et ils
n'accepteront pas de les voir menacés par les impératifs de l'intégration.
Il est à noter qu'aujourd'hui, lorsque nous parlons d'intégration continentale, nous parlons du Mexique
autant que des États-Unis, ce qui représente des défis particuliers comme des possibilités. Le Mexique
est nettement moins développé que le Canada et les États-Unis, facteur reconnu dans les accords
additionnels de l'ALENA sur le travail et l'environnement, qui n'existaient pas dans l'ALE [Accord de
libre-échange entre le Canada et les États-Unis]. Il convient sans doute, alors, de considérer différents
degrés d'intégration, notamment dans des domaines sensibles, comme celui de la liberté de circulation
des personnes. Telle est l'option retenue en Europe, tout particulièrement en ce qui concerne la
politique monétaire (la zone euro), mais elle n'est pas sans problèmes. Bien des gens très présents au
Mexique font également remarquer que par le biais de ce pays, nous sommes de plus en plus attirés
dans les Amériques, dont il fait davantage partie intégrante sur le plan historique, culturel et
commercial. Cela renforce le développement du Canada en tant que pays de cet hémisphère, ce qui
transparaît dans sa détermination à voir se mettre en place la ZLEA [Zone de libre-échange des
Amériques] et à être plus présent dans des institutions telles que l'OEA [Organisation des États
américains].
Sur le continent même, nous devons assurément nous efforcer de réfléchir à de nouvelles institutions
en faisant preuve de créativité afin de servir les intérêts communs de nos trois pays. Le président Fox
du Mexique a été élu en partie en raison d'une nouvelle vision de l'Amérique du Nord s'inspirant
quelque peu du modèle européen, prévoyant un fonds de développement régional et de nouvelles
ententes institutionnelles. Il ne s'agit peut-être pas tout à fait de la voie que nous voulons suivre et, s'il
est évident qu'elle ne tient pas compte du degré de résistance aux institutions supranationales de
Washington, l'ambition dont elle fait preuve est intéressante et nous rappelle qu'avec les avantages de
l'intégration viendront de nouvelles institutions pour protéger les intérêts canadiens. L'ALENA a mis en
place quelques procédures novatrices, notamment en ce qui a trait au règlement des différends. Elles
pourraient d'ailleurs, à mon sens, être améliorées. Et pour que leur projet aboutisse, les partisans d'une
union douanière ou monétaire ou d'autres formes d'intégration plus poussées doivent être prêts à
proposer un cadre institutionnel qui convienne à la gestion de questions aussi complexes que
l'établissement d'un tarif commun et l'élimination de mesures telles que les droits compensatoires et
antidumping. Et, bien sûr, de telles modifications institutionnelles doivent convenir aux autres parties.
Donc, en conclusion, nous devons rester attentifs aux avantages et aux limites éventuelles de
l'intégration continentale. Et ce faisant, nous devons nous garder d'épouser des définitions simplistes
de la souveraineté et des idées tout aussi simplistes sur ce qui compte le plus pour les Canadiens. Tout
cela signifie que ces questions resteront toujours plus ou moins compliquées. Je suis certain,
toutefois, avec cet auditoire, que la complexité intellectuelle constitue plus un atout qu'un
inconvénient. Je suis heureux de poursuivre le débat sur un sujet qui préoccupe les Canadiens depuis
que les Pères de la Confédération ont cherché à créer une entité loyaliste britannique et bilingue d'un
bout à l'autre du continent, ses différences avec notre voisin américain étant l'un des moteurs de sa
naissance.
Nos débats canadiens se poursuivant, cette conférence est d'autant plus enrichie par la présence de
collègues américains et mexicains. Je félicite les organisateurs de la conférence de cette année d'avoir
réuni un groupe aussi divers et distingué, et je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous faire
part de mes réflexions aujourd'hui.