DISCOURS
M. AXWORTHY - ALLOCUTION DEVANT LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DES NATIONS UNIES - GENEVE, SUISSE
2000/15 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
DES NATIONS UNIES
GENÈVE, Suisse
Le 13 avril 2000
Je suis heureux de m'adresser aujourd'hui à la Commission des droits de l'homme, qui joue un rôle
déterminant dans l'accomplissement de la mission des Nations Unies.
On considère souvent les Nations Unies comme une organisation d'États. Des chefs de gouvernement et des
ministres des Affaires étrangères prennent la parole devant ses assemblées. Des ambassadeurs et des
diplomates travaillent dans ses salles de conférence.
La Charte des Nations Unies est toutefois écrite au nom de « nous, peuples ». La sécurité humaine -- la
promotion des droits de la personne, le renforcement de la sécurité humaine, la protection des vies humaines
-- est donc le grand principe directeur de cette organisation.
En fin de compte, les Nations Unies existent pour les peuples de toute la planète et elles doivent répondre aux
besoins et aux attentes de ceux-ci.
Assurément, les populations du monde -- notamment celles victimisées par des conflits et l'oppression, celles
touchées par la criminalité et le terrorisme, et celles qui subissent les inconvénients de la mondialisation -- ont
besoin des Nations Unies. C'est pourquoi toutes les actions des Nations Unies doivent être centrées sur la
sécurité des peuples, la sécurité humaine.
Et, sans conteste, la sécurité humaine commence par les droits de la personne. La Commission des droits de
l'homme des Nations Unies joue donc un rôle primordial.
Cet organe, dont la seule mission est de débattre de questions touchant les droits de la personne, de fixer des
normes internationales et d'en surveiller la mise en oeuvre, est indispensable. Mais la Commission ne peut
espérer protéger les droits de la personne de tous les peuples en faisant cavalier seul.
Promouvoir la sécurité humaine, y compris le respect véritablement universel des droits de la personne, veut
dire oeuvrer afin d'assurer que chaque organe des Nations Unies envisage son mandat dans une perspective
centrée davantage sur les êtres humains. Cela veut dire concentrer l'attention -- et l'action -- sur des défis
particuliers. Et cela signifie intégrer l'intérêt pour les droits de la personne et la sécurité humaine dans les
rouages de tous les organes et de toutes les institutions des Nations Unies.
Ce mois-ci, en qualité de président du Conseil de sécurité, le Canada s'efforcera d'élargir la perspective du
Conseil afin d'y intégrer cette dimension de la sécurité humaine, et ce, tant en actions qu'en paroles.
Des progrès ont été réalisés.
Le Conseil traite de questions directement en rapport avec la sécurité des personnes : le sort des enfants
touchés par la guerre, la prolifération des armes légères, les répercussions des sanctions et les conséquences
des économies de la guerre.
Des mesures concrètes sont prises. Les mandats des opérations des Nations Unies en Sierra Leone et au
Timor-Oriental comprennent expressément la protection des civils, et des spécialistes de la protection des
enfants ainsi que des unités des droits de la personne font maintenant partie du processus habituel des
missions de maintien de la paix.
Le Conseil peut toutefois progresser davantage.
Cette semaine, le Canada soumettra à l'examen du Conseil le rapport de l'enquête indépendante sur les
mesures prises par les Nations Unies lors du génocide au Rwanda, en 1994. Ce rapport soulève des questions
graves quant à l'intervention -- et à l'inertie -- du Conseil face aux immenses souffrances des êtres humains,
et il présente des recommandations utiles sur la manière d'éviter de telles tragédies à l'avenir.
Par ailleurs, il est clair que l'action du Conseil est souvent limitée par d'autres dossiers et pressions politiques.
À titre d'exemple, de graves violations des droits de la personne et du droit humanitaire sont encore commises
à l'occasion du conflit armé qui fait rage au Soudan. En dépit de cette situation, le Conseil a, jusqu'à présent,
négligé d'adopter la proposition en vue d'appuyer les efforts de paix dans la région et de mettre fin aux
énormes souffrances dont sont encore victimes les personnes innocentes en butte à la violence.
Le Canada croit que nous devons utiliser tous les moyens possibles pour assurer que ce conflit persistant,
lequel a occasionné des millions de morts et le déplacement d'un nombre sans précédent de personnes en
Afrique, reçoit davantage -- pas moins -- d'attention de la part de la communauté internationale.
C'est pourquoi il est impératif que la Commission des droits de l'homme adopte une position ferme et exprime
les vives préoccupations de la communauté internationale.
Le Canada a coparrainé une résolution qui condamne le bombardement d'écoles et d'hôpitaux, l'usage de
mines terrestres contre des civils, les déplacements forcés de populations, les enlèvements de femmes et
d'enfants, le meurtre de membres du personnel d'organismes humanitaires et le refus de l'accès aux services
des organisations humanitaires. Nous appuyons vigoureusement l'initiative de la haute commissaire, qui a
annoncé qu'elle enverra un consultant en droits de la personne au Soudan pour évaluer la possibilité d'y établir
un bureau local des droits de la personne.
Ces initiatives doivent être complétées par des mesures prises au sein d'autres organes des Nations Unies,
par le biais des institutions financières internationales et des partenaires de l'IGAD [Autorité
intergouvernementale pour le développement], qui devront redoubler d'efforts afin que toutes les parties
contribuent à poser des jalons concrets marquant les progrès dans la voie d'une paix durable, ainsi que par
diverses initiatives bilatérales directes avec le gouvernement soudanais afin de mettre un terme à la guerre et
aux souffrances.
De fait, les lacunes du Conseil font ressortir l'importance de renforcer d'autres outils aux Nations Unies pour
assurer que les violations des droits de la personne ne restent pas impunies.
À titre d'exemple, l'adoption du statut de la Cour criminelle internationale représente un grand pas en avant
dans la démarche en vue d'accroître la responsabilité à l'égard des violations graves des droits de la personne.
Elle offre un moyen concret de traduire en justice les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité
et de génocide. Il faut maintenant que le statut de celle-ci soit ratifié dès que possible. Cela enverrait un
message clair : des poursuites seront intentées contre les violateurs.
Au début de cette semaine, la Commission a discuté du rapport de la haute commissaire sur sa mission en
Tchétchénie. Nous demeurons convaincus que la sécurité humaine ne peut être rétablie dans cette région en
proie à l'agitation si l'on ne tient pas une enquête indépendante et complète sur toutes les allégations en
provenance de toutes les parties. À cette fin, le Canada appuierait vigoureusement la création d'une
commission indépendante d'enquête et insisterait sur l'importance de la participation d'experts internationaux à
ses travaux.
En Sierra Leone, la communauté internationale fait face à un double défi : d'une part, s'attaquer à l'impunité
des auteurs de violations flagrantes des droits de la personne et, d'autre part, appuyer les Accords de paix de
Lomé. Cette année, le Canada va présenter à la Commission une résolution visant à relever ces deux défis, et
nous avons offert une aide financière pour la création de la Commission de la vérité et de la réconciliation.
L'amorce d'un dialogue constructif entre cette Commission et ses mécanismes est essentielle à la crédibilité
des Nations Unies, et particulièrement importante dans les cas où les gouvernements nient l'existence des
problèmes ou mettent en doute le pouvoir de la Commission de les examiner.
La semaine prochaine, vous prendrez des mesures à l'égard de la situation des droits de la personne dans
plusieurs pays, comme la Chine, le Soudan, la Sierra Leone, Cuba, l'Iran et l'Irak. Il importe de permettre à la
communauté internationale de discuter de ces problèmes n'importe où ils se posent -- et en particulier devant
cette Commission, qui a pour vocation de permettre l'expression libre et ouverte des préoccupations à l'égard
des droits de la personne.
La promotion des droits de la personne dépasse de loin le cadre de l'impression de l'inquiétude du public. Elle
implique des mesures concrètes pour un renforcement durable des capacités en matière de droits de la
personne. Grâce à notre aide internationale en vue de promouvoir les droits de la personne et la
démocratisation, à notre Programme de consolidation de la paix, à notre Programme international des
stagiaires pour les droits de l'homme et à la Commission canadienne des droits de la personne, le Canada
prend des mesures afin d'aider les pays comme le Guatemala, l'Indonésie et l'Afrique du Sud à bâtir des
institutions durables pour assurer le respect des droits de la personne.
Je suis heureux de signaler que le Canada consolidera ces efforts pour renforcer les capacités en matière de
droits de la personne. Cette année, nous allons créer un Fonds pour la sécurité humaine, doté de 10 millions
de dollars. Il s'agit d'un programme annuel visant à appuyer des projets de promotion de la sécurité humaine.
Le Haut Commissariat a, quant à lui, accru la présence sur le terrain des défenseurs des droits de la personne
-- par exemple, en établissant un bureau en Colombie, projet auquel le Canada a été heureux de verser une
contribution. Des mécanismes spéciaux, comme le poste de rapporteur spécial sur la liberté d'expression,
créés notamment par le Canada, permettent également de signaler les régions où l'on a besoin de l'aide
internationale pour faire respecter les engagements à l'égard des droits de la personne.
Pour que le système des droits de la personne puisse fonctionner d'une manière crédible, les demandes de
visites émanant des mécanismes spéciaux ne peuvent pas rester sans réponse. Afin de permettre aux États de
mieux évaluer le travail de ces mécanismes, le Canada publie cette semaine son troisième rapport annuel,
intitulé Bilan. Il s'agit d'un recueil qui rassemble toutes les données relatives aux droits de la personne en
provenance des mécanismes ainsi que des organes créés aux termes des traités.
Dans son rapport du millénaire, le secrétaire général parle des trois défis auxquels nous sommes confrontés,
soit assurer que les peuples vivent sans crainte, veiller à ce qu'ils soient libérés de la misère et leur offrir un
avenir durable. Pour relever ces défis, il ne peut être question de choisir entre les droits économiques, sociaux
et culturels et les droits civils et politiques. Nous devons mettre le « développement au service des droits de la
personne, et les droits de la personne au service du développement ». Le Canada demeurera un chef de file
quant à l'allégement de la dette et à la réduction de la pauvreté des pays les plus démunis.
Nous agissons de la sorte parce que la Déclaration universelle des droits de l'homme fixe une norme commune
pour tous les peuples. Mais, trop souvent, des personnes sont écartées de la prise de décisions, ne disposent
pas d'un accès égal à la nourriture, à l'eau et au logement ou sont en butte à la haine parce qu'elles sont
handicapées, parlent une autre langue, pratiquent une religion distincte ou ont une orientation sexuelle
différente. Il faut prêter plus d'attention aux groupes qui sont plus exposés aux violations des droits de la
personne.
C'est pourquoi la Conférence mondiale contre le racisme, qui se tiendra l'année prochaine en Afrique du Sud,
revêt une telle importance. Elle contribuera à sensibiliser davantage la communauté internationale au problème
de la discrimination raciale qui sévit malheureusement dans chaque pays du monde.
Les droits de l'enfant -- tant à l'échelle nationale que sur la scène internationale -- constituent une priorité du
programme canadien de sécurité humaine. La présente Commission réalise des progrès concrets dans la
démarche de promotion de ces droits. L'adoption de deux protocoles facultatifs à la Convention des Nations
Unies relative aux droits de l'enfant sera une première étape importante dans la voie de l'éradication de la
vente d'enfants ainsi que de la prostitution et de la pornographie infantiles et celle de la protection des enfants
contre les effets dévastateurs de la guerre.
Le travail de la Commission a jeté les bases. À présent, il faut de toute urgence mettre en vigueur ces
nouveaux instruments et préparer des plans concrets en vue de leur mise en oeuvre afin qu'ils comptent
vraiment dans la vie des enfants qu'ils ont pour but d'aider.
C'est la raison pour laquelle le Canada prend des mesures afin d'améliorer le sort des enfants touchés par la
guerre. Vers la fin du mois, à Accra, le ministre des Affaires étrangères du Ghana et moi-même accueillerons
conjointement la Conférence sur les enfants touchés par la guerre en Afrique de l'Ouest, afin de tenter de
catalyser les efforts dans une région où les enfants sont particulièrement exposés aux ravages de la guerre.
En septembre, le Canada sera l'hôte d'une Conférence internationale sur les enfants touchés par la guerre, qui
rassemblera des ministres et des experts, des représentants des ONG [organisations non gouvernementales]
et du secteur privé, ainsi que des militaires et des jeunes afin d'élaborer une approche commune et un
programme d'action mondial visant à protéger les enfants touchés par la guerre.
En oeuvrant pour défendre les droits de la personne, les ONG elles-mêmes deviennent souvent la cible de
violations des droits de la personne. Nous avons travaillé longtemps pour recueillir un consensus à l'égard de
la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'homme. Lors de son adoption, la Déclaration a été accueillie
favorablement par les États du monde entier.
Pour conserver cet appui général, la présente Commission doit maintenant créer un mécanisme chargé
d'assurer que les défenseurs des droits de l'homme puissent avoir recours à quelqu'un qui prend la parole pour
les défendre lorsqu'on les empêche de parler franchement pour défendre les droits d'autrui.
Il y a plus d'une décennie, le Canada était fier de compter parmi les inspirateurs
de la Déclaration. Aujourd'hui, je prie instamment les membres de la Commission d'appuyer cet instrument le
plus vigoureusement possible.
Cette Commission a fait un grand pas en avant en reconnaissant que les droits humains des femmes doivent
être discutés dans le cadre de chaque débat sur les droits de la personne. Bien que les droits fondamentaux
des femmes soient maintenant fermement ancrés dans le programme d'action de la Commission, il reste
encore beaucoup de chemin à parcourir avant que l'on puisse dire qu'ils sont intégrés au travail de l'ensemble
du système des Nations Unies.
Les droits humains des femmes devraient faire partie intégrante tant de la politique que de la pratique dans
chaque domaine d'activité des Nations Unies -- missions de maintien de la paix, aide au développement et
programmes à l'intention des réfugiés ou des personnes déplacées.
C'est la raison pour laquelle le Canada a présenté il y a plusieurs années à cette Commission les premières
résolutions sur les droits humains des femmes. Nous poursuivons ce travail. La semaine dernière, nous avons
soulevé la question des violations des droits humains des femmes et des filles en Afghanistan, lors du débat
entamé au Conseil de sécurité sur la situation existant dans ce pays et nous avons recueilli un consensus pour
condamner les pratiques actuelles des Taliban.
Ultérieurement, la Commission discutera des droits de la personne des peuples autochtones -- question
urgente et qui préoccupe le Canada en raison de la négligence dont nous avons fait preuve dans le passé. Le
Canada fait face à la situation qui existe chez lui grâce à la mise en oeuvre du Plan d'action du Canada pour
les questions autochtones « Rassembler nos forces », qui est un plan conjoint visant à renouveler les
partenariats, renforcer la gestion des affaires publiques par les Autochtones, de même qu'à appuyer le
développement économique et la formation de communautés autochtones plus solides et plus autonomes.
Nous avons commencé à instaurer le climat de confiance et de responsabilité mutuelle nécessaire pour réussir
ensemble à relever les défis futurs, comme en témoignent les jalons historiques que représentent les
négociations du Traité avec les Nisga'a et la création d'un nouveau territoire dans le Nord canadien, le
Nunavut.
Les mêmes principes et objectifs s'appliquent à l'examen des questions autochtones au sein des Nations Unies
et, en particulier, de la Commission. Le Canada maintient son engagement à l'égard de l'adoption d'une
Déclaration sur les droits des peuples autochtones, qui soit énergique et efficace, au cours de la Décennie
internationale des populations autochtones.
Plus précisément, nous appuyons la création d'un forum permanent aux Nations Unies, qui servira d'organe
consultatif sur les questions autochtones. À cette fin, nous prions instamment la Commission d'approuver la
résolution préparée parallèlement au projet élaboré en partenariat avec des peuples autochtones.
En définitive, c'est à nous, les États membres, qu'il incombe de faire respecter les droits de la personne. La
Commission des droits de l'homme offre une occasion de discuter franchement et ouvertement des violations
des droits de la personne commises dans le monde entier. Pour que le débat soit sincère, les pays doivent
examiner non seulement la situation des droits de la personne dans d'autres pays du monde, mais aussi ce qui
se passe chez eux.
Les Canadiens tiennent beaucoup à ce que leur pays demeure membre de la Commission. Notre démarche à
l'égard des droits de la personne est ancrée fermement dans des valeurs fondamentales pour les Canadiens.
Ces valeurs se réfléchissent dans nos institutions et nos pratiques démocratiques, dans notre société
multiculturelle, dans nos commissions fédérale et provinciales des droits de la personne, ainsi que dans la
Charte des droits et libertés et nos traditions de paix, d'ordre et de bon gouvernement. J'en suis fier. Mais nous
ne sommes pas parfaits. Aucun État ne l'est.
C'est pourquoi le devoir collectif qui nous incombe ici consiste à assurer que la Commission est en mesure non
seulement de poursuivre son travail, mais aussi de l'améliorer. Notre rôle au sein de la Commission est
d'examiner les progrès réalisés et de décider du travail qui reste à accomplir.
En qualité de ministre des Affaires étrangères, j'ai fait de la sécurité humaine la clé de voûte de la politique
étrangère du Canada. La sécurité humaine est fondée sur le respect des droits de la personne. Cela implique
une Commission des droits de l'homme dynamique et qui réagit rapidement. Le Canada s'est engagé et
demeure déterminé à atteindre cet objectif.
Je vous remercie.
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