DISCOURS
Le 21 septembre 2005
New York, États-Unis
2005/31
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
« DÉCLARATION DU CANADA »
Le soixantième anniversaire des Nations Unies nous aura tout à la fois inspirés,
inquiétés et mobilisés.
Inspirés, parce que 60 ans d’action collective en faveur de la paix et du développement,
ça se célèbre. Et quel meilleur moment que la Journée internationale de la paix!
Inquiétés, parce que les défis, loin de s’atténuer, n’ont cessé de croître et parce que
nous ne sommes pas parvenus à un consensus sur une gamme complète de réformes
essentielles. Certaines pièces importantes de l’édifice manquent.
Mobilisés, parce que tous ici nous avons reconnu que l’ONU reste un instrument
indispensable, et que le besoin de réforme demeure entier. Nous n’avons pas le choix,
nous devons aller de l’avant.
Mais nous venons de loin. Il y a deux ans, l’ONU était battue en brèche; la crise
iraquienne avait non seulement divisé les membres, mais elle avait laissé des cicatrices
profondes dans notre institution. C’est pourquoi je rends hommage au secrétaire
général d’avoir alors mis sur pied le Groupe de personnalités de haut niveau dont le
rapport a véritablement révolutionné notre réflexion à tous sur l’avenir de l’ONU.
Jeffrey Sachs [directeur du projet de l’ONU Objectifs du Millénaire] et ses collègues
nous ont aussi livré un remarquable document, intitulé L’investissement dans le
développement, développement que, depuis l’époque de Lester Pearson [ancien
premier ministre du Canada], le Canada a tant fait pour promouvoir.
Dans le document intitulé Dans une liberté plus grande : développement,
sécurité et respect des droits de l’homme pour tous, le secrétaire général a fait la
synthèse de ces travaux avec clarté et discernement, et nous a tracé un plan ambitieux.
Nous n’avons pas adopté toutes ses recommandations — loin de là. Nous aurions pu
et aurions dû faire mieux. Le Sommet ne clôt pas le débat, bien au contraire. Nous
avons le mandat de poursuivre nos efforts et de faire de cette année du
60e anniversaire l’année de la vraie réforme.
Nous sommes tous conscients des risques de l’unilatéralisme ou du multilatéralisme à
la carte. Mais nous ne sommes pas assez conscients du fait que l’avenir de l’humanité
passe par l’acceptation des liens inextricables entre sécurité, développement et droits
de la personne.
Prévoir l’avenir, c’est comprendre le passé. D’où un regard sur les 60 ans de notre
organisation.
La contribution de l’ONU au progrès de l’humanité est indiscutable. Les succès de
l’ONU, encore plus que ses échecs, nous tracent la voie à suivre pour la rendre
capable de faire face aux défis présents et à venir.
Rappelons-nous 1945, la planète toute entière se relevant de ses ruines et les États
décidés à ce que cela ne se reproduise jamais. Il n’est pas étonnant, dès lors, que le
premier objectif exprimé dans la Charte des Nations Unies ait été axé sur la sécurité,
afin de « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en
l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ».
Nous avons connu les horreurs de la guerre au cours des 60 dernières années mais
nous avons évité la descente aux enfers d’une troisième guerre mondiale. Comment
l’avons-nous fait ?
À l’ONU, les super-puissances n’avaient pas le choix. C’est sous l’égide de l’ONU
qu’elles ont conclu les grands accords de désarmement et de contrôle des armements.
En définitive, le rôle que l’ONU a joué dans la fin de la confrontation entre l’Est et
l’Ouest est une des plus grandes réussites du siècle dernier.
À San Francisco, il y a 60 ans, les pays réunis se sont donnés pour deuxième objectif
de « proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la
dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des
femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ».
Les fondateurs de l’ONU pressentaient que si l’on voulait éviter les conflits du passé, le
monde de demain devait être plus humain. Et c’est ainsi que le Canadien John
Humphrey s’est attelé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de
l’homme.
Nous sommes devenus de plus en plus exigeants dans le domaine de la protection des
droits de la personne, y compris le droit des femmes — et nous devons l’être. Nous
avons le devoir de prévenir et de combattre les violations encore marquantes qui
affligent le monde. La Commission des droits de l’homme de l’ONU a joué ici un rôle
crucial mais ses défaillances graves occultent ses contributions valables, nécessitant
aujourd’hui son remplacement.
L’histoire démontre que démocratie et droits de la personne vont de pair. L’ONU a su
enchâsser les droits de la personne à l’aide d’une série d’instruments juridiques que les
gouvernements sont venus conclure dans cette enceinte et qui ont étendu la gamme
des protections, comme les conventions éliminant la discrimination contre les femmes,
sur les droits des enfants, et contre la torture.
L’ONU reste le lieu par excellence où sont débattus les manquements aux droits de la
personne dans le monde. Et c’est à ce titre que l’ONU a joué un rôle fondamental dans
le changement de culture du monde, dans l’acceptation de normes nouvelles et dans
l’établissement de critères par lesquels l’action des gouvernements est jugée. Ça aussi,
c’est un succès remarquable de l’ONU.
Le troisième objectif inscrit dans la Charte appelait les membres à « créer les
conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des
traités et autres sources du droit international ».
L’ONU est depuis 60 ans au coeur d’un immense réseau de traités bilatéraux et
régionaux qui couvrent pratiquement toute la gamme des relations entre pays.
Ce faisant, l’ONU a contribué à l’avènement d’un monde infiniment plus intégré, où les
interactions entre les peuples se déroulent de façon prévisible, dans un cadre
réglementaire défini.
Ce cadre juridique global est le fondement de la paix. Là où ce cadre n’a pas encore
pris forme, les conflits se multiplient. Le monde a besoin de l’ONU pour parfaire cette
œuvre magnifique.
Le quatrième objectif de la Charte touchait au coeur de notre débat d’aujourd’hui sur
les Objectifs du Millénaire, invitant les membres « à favoriser le progrès social et à
instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Le message à
l’époque était prophétique. Les fondateurs des Nations Unies pressentaient déjà que,
par delà la grande destruction de 1939 à 1945, il existait une pauvreté fondamentale,
affligeant presque tous les pays et régions du monde, qu’il fallait combattre résolument.
Aujourd’hui, nous saluons leur volonté de créer un monde meilleur, plus sûr et plus
prospère.
Un des moyens les plus sûrs pour créer ce monde, se manifeste dans la participation
croissante des femmes à la vie économique, civique et politique et dans l’émergence
d’une classe moyenne, qui permet d’espérer des avancées réelles sur le chemin de la
croissance. Il faut accélérer ces tendances prometteuses.
Le rôle des Nations Unies a été fondamental à cet égard. Ses agences spécialisées ou
organismes affiliés ont contribué à établir les objectifs de développement et ont livré la
majeure partie de l’aide internationale.
Grâce à ces efforts, les conditions de vie sont meilleures dans le monde aujourd’hui.
Encore aujourd’hui, 5 ans après l’adoption des Objectifs du Millénaire, c’est à l’ONU
que les nations du monde se rappellent les unes aux autres leur engagement commun
envers le développement, avec, depuis [la Conférence internationale sur le
financement du développement de 2002, qui a eu lieu à] Monterrey, une
compréhension plus pointue des obligations de tous.
Au regard des quatre grands objectifs de la Charte, si l’on juxtapose les idéaux à la
réalité, on ne peut éviter une certaine déception. Pour chaque grande étape gagnante,
il y a eu de nombreux échecs et surtout l’absence de volonté collective d’adapter notre
institution aux besoins de l’heure.
Où en sommes-nous aujourd’hui et que faire pour mieux répondre à nos espoirs?
Le point de départ est évidemment le document [projet de document final du Sommet
mondial 2005] entériné par les chefs d’État et de gouvernement la semaine dernière.
Ce document constitue une base sur laquelle, avec beaucoup de volonté politique de la
part de tous les membres, on peut songer à revitaliser les Nations Unies. En tout cas,
nous disposons là d’un cadre de travail pour les années à venir.
Je suis particulièrement heureux de voir que ce document comprend de solides
références au développement ainsi qu’aux valeurs et aux principes qui nous animent.
Par ailleurs, ce document donne des orientations claires et importantes sur la gestion
de l’ONU, la transparence et l’imputabilité. Mais nous devons aller bien plus loin dans
ce sens.
Je voudrais aborder quelques points sur ce que le document nous apporte :
Premièrement, la Responsabilité de protéger [R2P] : en reconnaissant la norme de la
R2P, cette enceinte a largement dépassé les vœux pieux et les « jamais plus », pour
nous rapprocher de l’heure à laquelle les génocides, les crimes de guerre, et les crimes
contre l’humanité seront choses du passé. Nous nous devons de la mettre en œuvre.
Deuxièmement, le conseil des droits de l’homme. Le Canada est déçu de ce que les
membres n’ont pas fait preuve de plus de courage. Nous n’avons pas créé le conseil;
nous avons seulement le mandat d’y travailler au cours de l’année. Nous avons besoin
du conseil parce qu’il permettra d’examiner en profondeur des situations qui nous
préoccupent, comme celle qui sévit en Iran. La position du Canada est claire : il doit
s’agir d’un organe permanent, les membres doivent être élus, à la majorité des deux-tiers, sur la base de critères précis, en commençant par les pays qui siégeront au
conseil. Je me réjouis toutefois de ce que le Haut Commissaire aux droits de l’homme
bénéficiera d’un budget plus important.
Troisièmement, la Commission de consolidation de la paix. Là aussi, le travail est
incomplet. Une relation séquentielle entre le Conseil de sécurité et le Conseil
économique et social pourrait être une solution à la question des relations entre la
Commission et les organes existants.
Quatrièmement, la santé dans le monde. Les Nations Unies doivent consacrer tous les
efforts possibles à la protection des populations menacées. Le VIH/sida, la tuberculose,
la malaria continuent de faire des ravages. Nous devrions avoir honte. Nous avons la
responsabilité collective d’enrayer ces maladies. Nous devons et pouvons faire mieux.
Nous devons nous préparer à faire face aux pandémies, dont la grippe aviaire, à
propos de laquelle le Canada vient de convoquer une réunion internationale des
ministres de la Santé.
Cinquièmement, le terrorisme. Les attentats perpétrés cet été à Londres, en Égypte et
ailleurs ne font que renforcer l’impérieuse nécessité d’une convention globale contre le
terrorisme.
Mais on ne peut oublier non plus que c’est toute l’architecture de la sécurité dans le
monde qui doit être renforcée, des armes légères aux armes de destruction massive en
passant par toute la gamme des mesures de désarmement et de contrôle des armes.
Nous pouvons certes nous réjouir des progrès en cours au Moyen-Orient, en Haïti, au
Soudan, en Afghanistan, régions auxquelles le Canada accorde une grande priorité et
où l’action de l’ONU est souvent exemplaire. Mais ces succès demeurent fragiles et
l’engagement de l’ONU doit se poursuivre.
Sixièmement, l’environnement. Si nous voulons laisser aux générations futures une
planète où il fait bon vivre, c’est aujourd’hui que nous devons gérer ensemble son
environnement. Dans moins de deux mois se tiendra à Montréal une conférence sur le
changement climatique qui doit devenir un jalon important dans notre réflexion
commune et notre action face à ce phénomène. Nous y évoquerons les progrès dans la
mise en œuvre du Protocole de Kyoto ainsi que les possibilités nouvelles d’intervention
dans les décennies à venir.
Et maintenant, quelques mots de conclusion sur ce que le document final ne dit pas, ou
pas bien :
Premièrement, le désarmement. Il est déplorable qu’un le document des Nations Unies
n’ait même pas un paragraphe sur le désarmement et la non-prolifération alors même
que nous débattons des programmes nucléaires iranien et nord-coréen.
Deuxièmement, les droits de la femme. Il est très regrettable de constater le document
n’ait pas réitéré avec la même vigueur les engagements pris il y a 10 ans, à Beijing ou
au Caire, sur les droits de la femme et l’égalité des sexes qui sont pourtant au cœur de
la réalisation des Objectifs du Millénaire. Il appartient à tous les États membres d’en
appliquer les clauses et de passer enfin des promesses à l’action.
Troisièmement, la Cour pénale internationale. Le Canada regrette l’absence de
référence dans le document à la Cour pénale internationale ainsi que le silence sur les
engagements pris à mettre fin à l’impunité. Il y a deux ans, quand le Traité de Rome est
entré en vigueur, le secrétaire général avait clairement dit que « le moment était enfin
venu pour l’humanité de cesser d’être le témoin impuissant d’atrocités inqualifiables
dans la mesure où ceux qui seraient tentés de commettre de tels crimes sauraient que
la justice les poursuivrait ». Nous enjoignons tous les États à signer et à ratifier le Traité
de Rome. Ensemble nous mettrons fin au cycle de l’impunité et justice sera faite pour
les victimes de tels crimes.
Nous sommes tous réunis à New York aujourd’hui pour travailler à résoudre les
problèmes qui affligent l’humanité. Mais bien que nous ayons été le témoins de trop de
débats sans conclusion et de trop d’exemples d’inaction coûteuse, les défis et
problèmes de nous évoquons sont sur le terrain. Au fil des ans, nous avons fait face à
des défis considérables, notamment au Soudan, en Haïti, au Kosovo et au Rwanda.
Dans certains cas, nous pouvons garder la tête haute. Dans d’autres, nous devons
reconnaître nos erreurs et nos échecs, et en tirer les leçons. Je pense que nous avons
imprégné une direction à notre action mais la route est encore bien longue.
Je vous remercie.
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