DISCOURS
M. AXWORTHY - ALLOCUTION AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES, SUR LA PROTECTION DES CIVILS DANS LES CONFLITS ARMÉS - NATIONS UNIES, NEW YORK
2000/19 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES,
SUR LA PROTECTION DES CIVILS
DANS LES CONFLITS ARMÉS
NEW YORK, New York
Le 19 avril 2000
(14 h 15 HAE)
Permettez-moi de me joindre aux autres orateurs pour remercier le secrétaire
général Annan, ainsi que M. Kellenberger, de leurs allocutions, où ils ont évoqué de
façon saisissante les souffrances de millions de personnes touchées par la guerre. Ils
ont mis en relief la façon dont la victimisation des civils est devenue à la fois un motif, un
moyen et une manifestation des conflits armés modernes.
Nul ne peut ignorer cette cruelle réalité. Dans un monde de plus en plus interdépendant,
l'insécurité des autres devient -- tôt ou tard -- une source d'insécurité pour nous-mêmes.
Le nouveau contexte mondial a instauré un intérêt commun qui incite fortement
l'humanité à agir de concert.
À cet égard, nous devons adapter la pratique internationale de manière à faire de la
sécurité des personnes -- c'est-à-dire leurs droits, leur sécurité et leurs vies -- une
priorité collective. Cela signifie qu'il nous faut renouveler les mécanismes mondiaux de
manière à répondre aux besoins de ce nouveau siècle -- non du siècle passé.
Pour le Canada, cela signifie donner la priorité aux personnes. C'est ce qui a inspiré la
Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel, c'est ce qui a donné l'impulsion à
la création de la Cour criminelle internationale, c'est ce qui justifie nos efforts pour
s'attaquer à la prolifération des armes légères et répondre aux besoins des enfants
touchés par la guerre.
La promotion du programme de sécurité humaine était également l'un des objectifs
poursuivis par le Canada en briguant un siège au Conseil de sécurité.
En février 1999, je suis venu au Conseil pour l'inviter à accorder une place spéciale dans
ses travaux à la protection des civils dans les conflits armés.
L'automne dernier, le secrétaire général a présenté un rapport remarquable dans lequel il
indiquait la voie à suivre -- le Conseil a répondu par l'adoption de la résolution nº 1265,
qui traduisait son propre engagement à agir.
Aujourd'hui, le Conseil va adopter une mesure qui assurera une plus grande cohérence
de cette activité, qui définira une nouvelle ligne de conduite efficace pour le Conseil en
ce qui a trait à la promotion de la sécurité des personnes. Le rapport du secrétaire
général constituait un plan directeur de l'action. La résolution que nous allons adopter
aujourd'hui et la résolution nº 1265 en représentent le manuel.
Il est très important de le souligner, le texte dont nous sommes saisis établit le principe
selon lequel, dans la quête de la paix, la sécurité des personnes revêt une importance au
moins aussi grande que la sécurité des États. À cet égard, la résolution, tant dans sa
lettre que dans son esprit, donne au Conseil un cadre pour la poursuite de ses objectifs
et l'adoption des mesures appropriées.
Cette résolution ne signifie pas que l'État est une notion dépassée. Au contraire. D'une
part, la sécurité humaine n'affaiblit pas la souveraineté mais la conforte en renforçant les
institutions et les comportements démocratiques, tolérants et ouverts. D'autre part, l'État
demeure l'instrument le plus puissant pour entreprendre une action collective.
Toutefois, elle traduit une évolution dans la vision du Conseil -- la sécurité des
personnes n'est plus un sous-produit, mais une pièce maîtresse de ses travaux.
Le texte qui est devant nous appelle l'attention sur certaines menaces précises à la
sécurité humaine qui exigent l'adoption de mesures appropriées. La connaissance
stimule la conscience. Le récent débat du Conseil sur les questions touchant
directement la sécurité des gens a permis de se pencher sur les questions suivantes : la
prévention des conflits, les armes légères, la protection du personnel des Nations Unies
et des travailleurs humanitaires, les enfants touchés par la guerre ainsi que la situation,
en Afrique, des réfugiés et des personnes déplacées dans leur propre pays.
La résolution met l'accent sur ces différentes questions, en insistant notamment sur les
besoins spéciaux des femmes et des enfants dans les conflits armés, l'importance d'un
accès sans entrave à l'aide humanitaire dans les régions touchées par les conflits et la
poursuite des personnes qui violent la sécurité humaine. Elle fait ainsi obligation au
Conseil d'organiser ses travaux en conséquence.
Le texte de la résolution représente un progrès dans les pratiques du Conseil en matière
de protection des personnes. L'an dernier, de nouvelles missions de maintien de la paix
ont été déployées au Kosovo, au Timor-Oriental et en Sierra Leone -- chacune d'elles
ayant un mandat clair et explicite de faciliter les efforts humanitaires et d'assurer une
protection directe des civils.
Il existe un mouvement en faveur d'une adaptation du recours aux régimes des
sanctions, afin qu'elles servent à renforcer plutôt qu'à diminuer la sécurité des
personnes. La décision prise par le Conseil, lundi dernier, de créer un groupe de travail
chargé de soumettre des propositions concrètes de réformes, et celle d'hier visant à
renforcer le régime de sanctions en Angola représentent à cet égard des mesures allant
dans la bonne direction.
Les dispositions de la résolution favorisent cette pratique, en prévoyant des références
procédurales additionnelles en ce qui concerne les opérations de maintien de la paix, le
recours aux sanctions et l'échange d'information entre le Conseil de sécurité et le
système onusien et ses membres.
Les membres du Conseil seront les premiers à convenir que ni eux, ni personne d'autre,
ne détient le monopole quand vient le temps de protéger des civils dans un conflit armé.
À cet égard, la présente résolution lie la procédure du Conseil aux initiatives prises autre
part -- comme la campagne contre les mines antipersonnel et les efforts déployés pour
poursuivre les criminels de guerre en justice -- en vue de promouvoir la sécurité
humaine.
Par exemple, en ce qui concerne les enfants touchés par la guerre, il existe un élan
considérable en faveur d'une action à l'échelle mondiale. Plus tard ce mois-ci, le Ghana
et le Canada tiendront une conférence à Accra dans le but de catalyser les efforts dans la
région de l'Afrique de l'Ouest. En septembre, le Canada accueillera une conférence
internationale réunissant des représentants de gouvernements, d'organismes
internationaux et de la société civile afin d'élaborer un plan d'action mondial.
L'engagement du Conseil dans ce domaine devrait compléter les répercussions de ces
initiatives.
En somme, le texte devant nous transmet un message fondamental : les personnes -- et
non pas seulement les États -- sont au coeur des relations mondiales, et la sécurité et le
respect des droits fondamentaux de ces personnes -- et non seulement l'absence de
conflit militaire entre les États -- sont essentiels à la stabilité et à la paix mondiales.
Ce message, provenant du Conseil de sécurité, laisse prévoir des changements
considérables pour les Nations Unies et la communauté internationale.
Cependant, ce n'est manifestement pas un message sans défis importants, et l'accueil
qui lui a été réservé n'a pas été des plus enthousiastes.
Ceux qui ont subi le colonialisme et toute autre intervention étrangère dans leurs pays
pourraient être sceptiques. Toutefois, la prévention des abus, l'arrêt des atrocités et la
façon de s'attaquer aux répercussions de la guerre sont des questions qui les touchent
aussi, car elles appartiennent à leur réalité et influent manifestement sur la stabilité dans
leur territoire.
D'autres soutiennent que la promotion de la sécurité humaine détourne l'attention et les
fonds de la priorité beaucoup plus fondamentale qu'est le développement. Cependant,
loin de s'exclure mutuellement, la sécurité humaine et le développement humain
représentent en fait les deux côtés d'une même médaille. Il est difficile d'affecter des
ressources à l'augmentation du produit intérieur brut lorsque celles-ci servent en fait à
réparer les ravages de la guerre. L'absence de crainte est un précurseur indispensable à
l'absence de besoins.
Passer des principes de sécurité humaine à la pratique signifie également se colleter
directement avec des sujets difficiles et très délicats, participer activement à des conflits
difficiles et épineux dans lesquels il y a beaucoup de souffrance humaine, et prendre des
mesures dans des circonstances difficiles lorsque le recours à la force militaire peut être
nécessaire pour atténuer les cas d'abus extrême.
Bien que de nombreux progrès aient été réalisés ici, nous avons également fait des
bonds en arrière. L'opposition aux mesures rigoureuses qu'aurait pu prendre le Conseil
au Kosovo l'an dernier, la réticence à aborder ouvertement, au sein de ce Conseil, la
question des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, et la répugnance du
Conseil à participer davantage à certains conflits, démontrent clairement la nécessité
d'apporter des améliorations.
Finalement, la promotion de la sécurité humaine comporte certaines considérations très
pratiques. Les décisions du Conseil destinées à promouvoir la sécurité des personnes
n'ont de valeur que si nous pouvons les mettre à exécution.
Ce n'est pas un secret. Nous savons pour la plupart ce qui est nécessaire -- des
réactions plus rapides, plus fermes et plus efficaces. En fin de compte, cela nécessite
une volonté politique et l'utilisation de ressources considérables. Ni l'une ni l'autre n'est
inépuisable, et l'empressement de la communauté internationale à s'en servir pour
promouvoir la sécurité humaine demeure une question ouverte.
En fait, les activités du Conseil pour promouvoir la sécurité humaine constituent un
travail en progression. Cependant, c'est un travail qui devra se poursuivre. La sécurité
humaine -- y compris la sécurité des civils dans les conflits armés -- ne doit pas être une
question dont on tient compte une ou deux fois par an seulement.
Grâce à cette résolution, la sécurité humaine fera partie intégrante des travaux du
Conseil chaque fois qu'il envisagera de prendre des mesures. En fait, la notion de
sécurité humaine est maintenant intégrée aux activités du Conseil.
Nos discussions au cours des derniers jours -- sur le génocide au Rwanda, le conflit en
Angola, le recours général aux sanctions, la protection des civils dans les conflits armés
-- ont fait ressortir les préoccupations au chapitre de la sécurité humaine ayant besoin
d'une attention immédiate de la part du Conseil. Elles ont également démontré que la
réforme du Conseil devait s'inscrire dans le cadre d'une réforme générale du système.
Les menaces grandissantes -- comme les abus, le commerce illicite et la prolifération
des armes légères; les nouvelles tendances, telles que le rôle croissant que jouent les
acteurs non étatiques dans la perpétuation de la guerre et la promotion de la paix; les
nouveaux défis complexes en matière de sécurité humaine dans des régions
particulières, comme la Corne de l'Afrique, notamment au Soudan, où une confluence de
catastrophes naturelles et la guerre que se font les hommes -- en particulier le fait de
prendre impitoyablement et systématiquement les civils pour cibles -- entraînent des
souffrances humaines extrêmes -- nécessitent toutes un système mondial conçu pour
réagir de manière adéquate.
L'Assemblée du millénaire offre une occasion de donner aux questions de sécurité
humaine et aux mesures correspondantes la place qui leur revient -- c'est-à-dire au
centre du système des Nations Unies. La décision adoptée par le Conseil aujourd'hui est
un pas dans cette direction, car elle donne un nouveau sens aux principes de la Charte,
et un regain d'espoir aux personnes pour lesquelles cette organisation a été fondée.
Je vous remercie.
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