Discours
Les défis de carrière au féminin -
Un trajet personnel
Notes en vue d'une allocution
par Françoise Bertrand, Présidente
Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes
au colloque du Secrétariat du Conseil
du Trésor du Canada
Hôtel Westin, Ottawa (Ontario)
Le 29 novembre 1996
(PRIORITÉ À L'ALLOCUTION)
Bâtir une carrière à votre mesure
Remerciements au présentateur, salutations particulières et générales (mention
Louise Roy)
Ce matin, j'ai un seul objectif : vous apprendre à devenir un peu
délinquantes. Remarquez, c'est peu dans une vie une session de formation de 30
minutes en délinquance, mais cela peut faire beaucoup de bien, sans compter que,
avantage supplémentaire, l'escouade de la moralité ne nous attendra pas à la
sortie!
Par contre, j'espère que vous aurez du plaisir et que vous repartirez encore
plus de bonne humeur, optimistes et pleines d'énergie pour entreprendre votre
journée d'ateliers et avoir le goût de vous bâtir une carrière à votre mesure.
Le seul exercice pratique que je vous demanderai de faire pendant mon
mini-cours intensif, c'est de retourner le «verre» de votre vie et de le voir à
moitié plein, au lieu de le voir à moitié vide. C'est cela qui demande un peu de
délinquance. Quelle est ma définition de la délinquance, me demanderez-vous?
C'est :
- sortir des sentiers battus;
- trouver son propre chemin;
- être authentique et fidèle à soi-même;
- obéir à ses intuitions;
- avoir du plaisir et rire au travail;
- aimer apprendre;
- se laisser guider par sa curiosité et découvrir toutes sortes de choses
passionnantes;
- avoir peur, mais ne pas se laisser paralyser par sa peur;
- poursuivre malgré tout;
- ne pas baisser les bras ou abandonner devant les obstacles; et
- c'est surtout se mettre dans la tête, une fois pour toutes, que, d'abord,
rien n'est impossible et qu'ensuite, l'expression «pas capable» n'existe pas
dans le dictionnaire et que par contre, il n'y a qu'au dictionnaire que le mot
«succès» vient avant le mot «travail». Je viens ici de résumer les
enseignements de ma mère et de ma grand-mère vis-à-vis le travail.
C'est, en tout cas, le genre de délinquance que j'ai pratiqué tout au long de
ma vie professionnelle et je suis heureuse de mon parcours. Il ne faut donc
surtout pas compter sur moi, ce matin, pour vous amener à vous apitoyer sur les
embûches qui parsèment le parcours professionnel des femmes, à vous exhorter à
prendre votre mal en patience ou à dénigrer les hommes trop puissants, trop en
vue ou trop bien placés.
Je ne saurais pas quoi dire parce que je ne crois ni à la résignation, ni aux
attitudes défaitistes, ni à l'agressivité mal placée. Par contre, ce à quoi je
crois, c'est à l'énergie, aux approches positives, à l'audace et à l'abondance.
De cela, je peux vous parler.
J'ai eu l'occasion de lire le rapport Un regard sur l'avenir, du Groupe
consultatif sur l'équité dans l'emploi des femmes. C'est une étude très bien
faite, minutieusement documentée et dont les recommandations sont fort valables.
Je ne lui trouve qu'un petit défaut : elle manque d'enthousiasme. Autant j'ai de
respect pour tous les travaux qui prônent la mise en place de mesures visant à
améliorer le sort des femmes en milieu de travail, autant je suis convaincue que
chacune d'entre nous doit prendre les choses en mains pour les faire avancer ou,
dans le cas qui nous occupe ce matin, chacune doit s'occuper de sa carrière pour
l'amener là où elle le souhaite.
Entre nous, n'allez pas croire que je ne suis pas venue au monde présidente du
CRTC. Quand j'ai commencé à travailler au début de ma vingtaine, après des études
en sociologie et en environnement, j'avais une seule et unique ambition : me
bâtir une vie professionnelle intéressante. Ce qui n'a jamais cessé de vouloir
dire pour moi une vie professionnelle :
- dans laquelle je peux apprendre, parce que je suis curieuse de tout;
- dans laquelle je suis heureuse, c'est-à-dire de laquelle je retire
satisfaction et plaisir, parce que j'ai plus de talent pour le bonheur que le
malheur.
Je n'aurais ni le poste ni le titre que j'ai aujourd'hui que je dirais quand
même, avec la plus grande franchise : oui, j'ai réalisé mon ambition. J'ai eu et
continue d'avoir une vie professionnelle intéressante.
Je précise tout de suite que ce terme n'est pas synonyme de «facile» ou «sans
problèmes». Comme tout le monde, j'ai eu mon lot de difficultés, petites et
grandes - congédiement, plafonnement. Mais elles ne m'ont jamais arrêtée. Au
contraire, elles m'ont stimulée à trouver des moyens pour les surmonter. J'ai
toujours refusé de voir mon verre à moitié vide. Si cela a fonctionné dans mon
cas, il n'y a aucune raison pour que cela ne fonctionne pas dans le vôtre. C'est
pourquoi je vous invitais tout à l'heure à faire cet exercice.
Il est très clair que toute carrière, celle des femmes comme celle des hommes,
comporte des hauts et des bas, parfois même des revers de fortune douloureux. Les
parcours tracés bien droits, libres de tout obstacle, sont plutôt rares... Ce qui
n'empêche pas les gens de réussir. C'est l'essentiel à retenir. La vie est faite
de nuances. Il y a des temps faits pour toutes les dimensions de notre vie :
celle des amours, des enfants, de la vie professionnelle et ces temps forts
n'arrivent pas, Dieu Merci, tous ensemble.
J'aimerais ici souligner que la réussite se définit avant tout en termes
personnels. J'entends par là qu'au-delà des pressions de la famille, des pairs ou
de la société, il faut d'abord commencer par se fixer à soi-même les objectifs
qu'on veut atteindre et qui s'harmonisent avec ce que nous sommes réellement. Ce
que l'une ou l'autre d'entre vous définit comme carrière réussie ne correspond
pas forcément à ce que sa voisine (ou son voisin) espère obtenir des efforts
qu'elle (ou il) investit dans son travail. Il s'agit d'un choix que vous faites
pour vous, ou comme le souligne si justement le grand titre de cette conférence,
un cheminement de carrière est un «trajet personnel» qui vous force à considérer
tous les enjeux, à prendre des décisions, des risques et à vous bâtir une
stratégie solide, pratique et efficace.
Les circonstances, favorables ou défavorables; les moments opportuns ou
inopportuns; les chances ou les revers; les appuis ou les obstacles, tout cela
existera sur votre route, mais vous serez toujours la seule personne à faire les
choix dans votre carrière.
Il y a plusieurs façons de le faire. Vous pouvez choisir l'avancement; la
mutation latérale; l'enrichissement de votre poste actuel; le réalignement, qu'on
nomme aussi mutation descendante; ou même le départ. Il y a des gens qui
quittent, volontairement ou non, leur employeur et vont faire carrière ailleurs.
Je l'ai fait à cinq reprises dans ma vie et ne m'en porte pas plus mal pour
autant.
Je voudrais insister sur la multiplicité des possibilités de carrière. Si
votre objectif ultime est d'être promue afin d'atteindre l'échelon hiérarchique
que vous visez, souvenez-vous qu'il peut exister plus d'une façon d'y parvenir.
L'avancement peut parfois passer par une mutation latérale ou par un
enrichissement de votre poste actuel. Dans le premier cas, vous conserverez le
même niveau, mais remplirez vos fonctions ailleurs dans l'organisation, dans un
autre service ou un autre ministère, par exemple. Dans le second cas, vous serez
parvenue à enrichir votre travail afin de le rendre plus stimulant et plus
gratifiant.
L'important à retenir est que si vous attendez que votre tour vienne, vous
vous condamnez à rester là où vous êtes. Je vous donne deux exemples, deux
expériences que j'ai vécues.
Lorsque j'ai travaillé à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), j'occupais
le poste de doyenne chargée des dossiers de répartition des ressources humaines
et financières. Après quatre ans ayant fait le tour de mon jardin, j'ai voulu
devenir vice-rectrice aux communications. Le recteur n'a pas voulu parce que je
n'avais pas de doctorat et que j'étais utile aux fonctions que j'occupais. Après
un chagrin de 24 heures, je me suis mise à chercher du travail ailleurs et, neuf
mois plus tard, j'étais présidente de Radio-Québec.
Deuxième expérience. Quand mon emploi à Radio-Québec a cessé, j'ai entrepris
une nouvelle recherche d'emploi qui a duré 6 mois au bout desquels j'ai accepté
un poste de directrice principale dans la firme d'experts-conseils en gestion
KPMG. Aux yeux de plusieurs, ce poste équivalait à une démotion. D'ailleurs,
comme je n'avais plus le titre de présidente, certaines personnes ont cessé de me
saluer ou de me fréquenter. Je dois avouer que bien que blessée, je n'ai pas eu
de surprise. Je savais qui avaient été et demeureraient mes vrais «amis». Dans
mon nouveau travail, il y avait tellement plus à faire que de m'arrêter à la
blessure et de la laisser gruger mes énergies. Je me suis donc attelée à la tâche
et j'ai appris à développer une clientèle, à faire des offres de services et à
monter les dossiers pour rendre ces services aux clients qui, grâce à moi,
étaient devenus ceux de KPMG.
Bien sûr, j'ai eu le trac, j'ai eu peur. Bien sûr, les heures de travail ont
été longues et ont souvent empiété sur mes fins de semaine. Mais cela ne m'a
jamais empêchée d'apprendre à faire ce que je n'avais jamais fait de ma vie.
La progression par étapes successives n'est donc pas à rejeter du revers de la
main. Ces expériences différentes sont souvent des occasions inespérées de
perfectionner vos compétences, d'acquérir de nouvelles habiletés, de travailler
avec de nouvelles équipes ou encore de participer à des projets qui vous feront
remarquer et apprécier. Chaque fois, vous acquerrez un peu plus de confiance en
vous. Et ça, c'est le plus beau cadeau que vous puissiez vous faire. Je dirais
même que c'est votre première promotion, celle que vous vous donnez à vous-même!
Je crois qu'il est crucial pour nous, les femmes, d'acquérir cette confiance
en soi. On ne nous a pas nécessairement appris à nous considérer comme pouvant
réussir, comme des gagnantes. D'habitude, les femmes n'osent pas, à moins de
sentir qu'elles sont absolument parfaites. Nous sommes souvent nos critiques les
plus impitoyables, soulignant nos lacunes ou erreurs avant même que quelqu'un les
constate, parfois.
Avez-vous déjà remarqué une telle attitude chez les hommes? Rarement, j'en
suis convaincue... Les hommes n'agissent pas comme ça. Ils ressentent peut-être
des doutes, de l'angoisse ou de l'incertitude, mais ils parviennent à se montrer
à la hauteur de la situation et à relever le défi. Pourquoi, alors, les femmes
n'affichent-elles pas ce même degré de confiance en soi?
Imaginons un instant deux scénarios différents, celui d'une femme et celui
d'un homme qui s'apprêtent à subir une entrevue pour en emploi. La femme changera
de jupe, de blouse, de bas et de souliers un million de fois. L'homme sort son «
meilleur » complet de la penderie et l'enfile. Point. La femme pense que sa
coiffure est tout ébouriffée - la pire journée pour ses cheveux. Le maquillage
est encore pire : aucune application de fard ou d'ombre à paupières ne saurait
réparer les dégâts. Pour les hommes, eux, le maquillage et les cheveux n'entrent
d'habitude même pas en ligne de compte. Nous pourrions poursuivre cette petite
caricature de nos attitudes et comportements qui reflètent nos angoisses et nos
sentiments de défaitisme.
Si j'ai appris une chose au fil des ans, c'est de m'épargner la douleur et
l'agonie de me sentir « inadéquate », « sans légitimité » ou « incapable ». Ça ne
veut pas dire que je n'ai jamais commis d'erreur ou que les choses se sont
toujours déroulées comme je l'avais prévu, mais je vous garantis que je me suis
octroyé le droit d'essayer. Face à l'inconnu ou à des difficultés, je n'ai jamais
laissé la crainte me paralyser. Ma curiosité, mon désir d'essayer de nouvelles
choses, l'ont toujours emporté et m'ont toujours incitée àgir.
Savoir prendre des «risques acceptables», c'est-à-dire qui ont une forte
probabilité de réussite, veut dire saisir toutes les occasions capables de nous
rapprocher de notre but. Si la ligne droite ne nous y conduit pas directement, il
y a d'autres avenues pour parvenir à destination. Il faut oser essayer et trouver
son propre chemin. Il n'y a pas de recette miracle et unique. Il en existe
plusieurs qu'il faut apprendre à doser selon ses propres besoins. Il y a surtout
celle qu'il faut avoir l'audace d'inventer! D'où l'importance d'une certaine
délinquance.
J'ouvre une parenthèse pour vous raconter une anecdote sur ma fille de 25 ans
qui n'a pourtant pas eu une mère très effacée ou très soumise. Il y a quelques
années, elle faisait un stage de travail chez Monitor, un cabinet international
de consultation en management. Elle se retrouve au bout de l'année, au moment de
la réunion d'évaluation en fin de projet, en train de dire à ses collègues
garçons et filles de son âge combien, pendant toute cette année, elle avait eu
peur de ne pas être «à la hauteur». La discussion se poursuivant, tous les autres
ont avoué avoir ressenti le même trac. Je le savais. Je l'avais dit à Julie, mais
elle n'avait pas voulu me croire.
Elle et moi avions souvent discuté de ces questions ensemble. Il me semblait
évident que si elle avait été choisie pour faire partie du projet, c'est qu'elle
était compétente. Eh! non, tout cela n'avait pas suffi à la convaincre de parler
de ses appréhensions et de ses craintes, dès le début, pour pouvoir ensuite
consacrer toutes ses énergies à faire le travail, au lieu d'en gaspiller une
partie à s'inquiéter à propos de son hypothétique manque de compétence mais plus
grave, celle de souffler démesurément celle des autres, en particulier celle de
ses collègues masculins. Vous voyez à quel point la partie n'est pas encore
gagnée...
Revenons au monde du travail actuel. Il a bien changé depuis les quelque 20
ans que j'en fais partie. Il accepte dorénavant de nouvelles façons de faire et
comporte des dimensions dans lesquelles les femmes se sentent plus à l'aise
aujourd'hui que par le passé. Qu'il s'agisse des structures moins autoritaires,
moins autocratiques; des horaires de travail flexibles, du télétravail; ou encore
des équipes multidisciplinaires, autogérées ou axées sur la qualité totale, pour
ne nommer que quelques-unes de ces nouvelles dimensions du travail.
La seule présence d'une main-d'oeuvre féminine plus nombreuse a modifié la
face des choses, peut-être pas aussi vite qu'on le voudrait, mais même les hommes
les plus résistants n'ont pas été sans subir, d'une façon ou d'une autre, cette
influence ou celle des nouvelles lois du travail. N'oublions pas que de plus en
plus, certains d'entre eux ont même appris à prendre une part de responsabilités
plus grande dans la vie familiale et l'éducation des enfants. J'ai souvent eu
l'occasion de voir de mes collègues demander des congés de paternité ou
s'absenter du travail pour conduire un enfant chez le médecin, ou encore assumer
la responsabilité quotidienne de déposer un enfant à la garderie et le reprendre
à la fin de la journée. Cela ne se faisait pas, il y a 20 ans. Même pour les
femmes, je me rappelle d'une amie qui n'avouait pas le mardi vers 16h30
s'absenter une demi-heure pour reconduire sa fille au ballet avec la complicité
de sa secrétaire mais à l'insu de ses collègues...
Il reste que les femmes sont plus nombreuses qu'elles ne l'étaient à occuper
des postes décisionnels; elles sont moins isolées, créent leurs propres réseaux,
s'épaulent les unes les autres et acceptent d'être les mentors des plus jeunes.
Une étude faite il y a quelques années par Carole Simard, professeure de
sciences politiques à l'UQAM, présentait les caractéristiques des femmes qui
réussissent et occupent des «fonctions à fort prestige social». Je vous énumère
quelques-unes de ces caractéristiques et vous fais part de mes réactions. Non
pour démolir l'étude qui est excellente, de plus Carole est une amie, mais pour
vous amener à pousser votre réflexion plus loin.
Première caractéristique : les femmes occupant des «fonctions à fort prestige
social» ont une forte orientation-carrière ou, en d'autres termes, elles veulent
réussir et mettent toute leur détermination à préserver intacte cette volonté,
sans jamais fléchir quelles que soient les circonstances. Ceci est juste, mais il
ne faut pas adopter cette attitude aux dépens de son authenticité et de sa
fidélité à soi-même. Et il est permis d'avoir des étapes à intensité différente
vis-à-vis le travail au cours de notre vie.
Deuxième caractéristique : elles planifient leur carrière et élaborent une
stratégie qui les mène à l'atteinte de leur objectif. J'ai tendance à penser que
ce modèle de carrière existe chez celles qui ont épousé des modèles masculins.
Cela peut convenir à certaines femmes, mais pas à toutes. En tout cas pas à moi,
puisque j'ai toujours été plutôt du genre sur-le-champ et pleinement engagée dans
une étape à la fois.
Troisième caractéristique : elles ont toutes eu ou continuent d'avoir des
mentors dans leur milieu professionnel et ont bénéficié de l'appui de leur
famille. Ceci est fondamental. J'y reviendrai un peu plus tard.
Quatrième caractéristique : plus elles occupent des postes élevés, moins elles
ont tendance à changer de travail puisqu'elles ne s'y sentent pas aliénées. Vrai
pour un certain nombre de femmes, mais il y en a d'autres qui changent de poste,
d'entreprise ou de secteur. J'en suis à mon 7e employeur en vingt ans de
carrière.
Cinquième caractéristique : si les premières femmes à s'élever dans la
hiérarchie ont été des pionnières dont l'âge était plus avancé et le statut
civil, celui de célibataires, on assiste aujourd'hui à un rajeunissement des
femmes cadres. Ce sont souvent des femmes mariées avec de jeunes enfants qui
arrivent à concilier vie professionnelle et vie familiale.
J'ai dû faire des choix pour grandir avec ma fille. Lorsqu'elle était enfant
et qu'elle avait besoin que je sois plus près d'elle, j'ai choisi de quitter la
consultation. L'UQAM m'offrait alors une vie plus rangée que celle que j'aurais
menée, si j'étais restée dans l'univers de la consultation. Quand elle est
devenue adolescente et qu'elle préférait passer des heures au téléphone, devant
la télé ou avec ses amies, au lieu d'être avec moi, j'ai su que je pouvais me
permettre d'accepter un poste où j'aurais plus de responsabilités et disposerait
de moins de temps. Aujourd'hui, je regarde Julie qui graduera dans un mois avec
une maîtrise en administration internationale : elle travaille, voyage et explore
les chemins de l'amour, et je me dis que notre complicité nous a réussi à toutes
les deux.
En pensant aux jeunes femmes de sa génération, et il y en a dans cette salle,
j'aimerais rappeler que si d'énormes progrès ont été faits dans l'avancement des
femmes dans le monde du travail, que si elles y ont leur place et se maintiennent
aux échelons supérieurs des hiérarchies, il serait dangereux de penser que la
question de l'équité, de l'égalité des femmes est réglée et qu'on peut relâcher
sa vigilance. La deuxième génération des gestionnaires efficaces de sexe féminin
qui est en train de s'établir présentement, de même que la relève de cette
seconde génération, n'ont et n'auront guère plus le loisir que nous de se reposer
sur leurs lauriers.
Je rends hommages aux femmes de la génération qui me précède d'avoir ouvert la
voie en ce sens. Elles ont abattu bien des obstacles.
Quand on me demande si je «milite» en faveur de la présence des femmes en
gestion ou dans le monde des affaires, si je suis pour leur promotion ou si je
souhaite voir plus de femmes cadres ou aux postes de commande, je réponds sans
hésiter : «oui», en apportant les précisions suivantes.
La vie et le réel sont toujours plus vastes, complexes et diversifiés que
n'importe quel objectif fixé ou pourcentage à atteindre. Je me méfie des recettes
toutes faites et des modèles universels auxquels il faut s'adapter tout en bloc.
Lorsqu'il s'agit de faire place aux femmes, il faut bien voir qu'une
entreprise, publique ou privée, ne sera ni meilleure ni pire, si elle accueille
plus de femmes. Par contre, en s'ouvrant à la différence, elle sera de ce fait
plus fidèle à la réalité, mieux nourrie de sa diversité et, donc, plus riche. Je
demeure convaincue qu'il faut tout faire pour favoriser la recherche et l'accueil
des autres.
Parce que, dans nos milieux professionnels, nous avons besoin de savoir qu'on
peut puiser à même un réservoir d'informations amenées par diverses personnes
dont les compétences, les ressources et les expériences nous enrichissent et nous
ouvrent d'autres horizons.
Dans une équipe, hommes et femmes qui la composent apprennent à partager sans
se sentir menacés. Cet apprentissage n'est pas toujours facile et évident, mais
il favorise, au bout du compte, l'équilibre et l'harmonie. J'ai besoin de ces
deux éléments pour fonctionner. Et je pourrais en ajouter un troisième : la
persévérance qui permet de changer les choses, sans tout bouleverser, partout et
en même temps.
Si je regarde mon cheminement personnel, je n'ai jamais fonctionné à
l'encontre de mon instinct, fortement grégaire. Je suis une femme d'équipe et
j'ai horreur de m'enfermer dans une tour d'ivoire. Et je n'ai rien changé de cet
aspect de moi en arrivant au CRTC. Le style de gestion qui me convient, c'est de
gérer avec les gens. Parce que j'aime être avec eux, leur parler, partager avec
eux pour faire avancer les choses. Sans compter que gérer avec les gens est, à
mon avis, une source beaucoup plus grande de solutions que de problèmes.
Une autre idée à retenir de mes façons de faire personnelles, c'est la
nécessité d'avoir un ou des mentors et celle de se créer un réseau. Ceux et
celles qui sont des modèles à suivre ou qui acceptent d'être nos mentors ou
encore qui se joignent à notre réseau de relations pour l'enrichir et le
diversifier nous apportent tous et toutes, chacun à leur manière, une aide
précieuse.
On ne soulignera jamais assez combien il est utile de se créer un réseau.
Selon les personnes que vous aurez choisies pour faire partie du vôtre, vous
pourrez compter sur elles pour vous parrainer; vous conseiller; vous enseigner de
nouvelles compétences; vous informer de ce qui se passe à l'intérieur ou à
l'extérieur de l'organisation; vous soutenir quand vous avez besoin de quelqu'un
à qui parler en toute franchise et en toute confiance; ou encore vous ouvrir des
portes. Et n'oubliez pas que vous pouvez rendre la pareille à ces personnes. Un
réseau fonctionne dans les deux sens. Soyez sans crainte, vous n'êtes pas
démunies. Vous aurez toujours ne serait-ce qu'une idée ou un coup de pouce à
offrir.
Il est vrai qu'il faut investir des efforts pour créer un réseau. Cela ne
tombe pas tout seul du ciel. Mais, parfois, la chance aussi nous apporte de
l'aide. Je ne prétendrai pas que le fait d'être au bon endroit, au bon moment
avec les bonnes personnes ne joue pas un rôle dans le déroulement d'une vie ou
d'une carrière. Il faut se fier à sa bonne étoile et obéir à ses intuitions.
J'ai gardé une seule pierre dans mon sac. Juste pour avoir le plaisir de faire
éclater le « plafond de verre ». Je n'irai pas par quatre chemins : ce plafond
n'a jamais existé pour moi. J'ai toujours refusé de le voir suspendu au-dessus de
ma tête.
Je suis parfaitement consciente que de nombreuses études ont prouvé que ce
plafond existait vraiment, même dans des organisations très progressistes. [Ann
M. Morrison, citée dans Un regard sur l'avenir, p.86]. J'ai
également lu la documentation, et je sais que la mesure dans laquelle ces
obstacles invisibles existent peut varier et que ces obstacles sont
habituellement : les préjudices, les préjugés, les stéréotypes sexuels négatifs,
l'exclusion de groupes, l'hostilité, le manque de coopération, l'injustice, etc.
Cependant, si vous baissez les bras devant tous ces obstacles sur les plans du
comportement et de l'attitude et jetez la serviette, vous nuirez à votre
cheminement professionnel et vous vous empêcherez d'aller de l'avant et
d'atteindre votre but.
Je ne parle pas ici de pensée magique. Je dis tout simplement que vous devez
faire quelque chose de positif pour vous sortir d'une situation qui pourrait
devenir sans issue. Vous devez vous en détacher psychologiquement.
Comme je l'ai souligné à quelques reprises dans mon discours, il n'y a pas de
recette unique, toute faite et infaillible pour réussir une carrière. Il faut une
bonne santé et de la résistance. Je me suis battu dossier par dossier. Quand un
chemin s'est fermé devant moi, j'en ai cherché un autre. Je n'ai jamais voulu
savoir comment on ne pouvait pas sortir de l'impasse; j'ai toujours voulu savoir
où était l'issue. Les solutions, ça se trouve!
Je suis certaine que si vous vous donnez les moyens de tirer le meilleur parti
possible de toutes vos ressources personnelles et de toutes les autres ressources
qui peuvent exister autour de vous, vous arriverez à vous bâtir une carrière à
votre mesure.
Il est temps de vous y mettre. Occupez-vous à faire des choses, à apprendre et
à être proactives et, de grâce, prenez-y plaisir! Je vous souhaite une excellente
journée en ateliers et bon succès dans toutes vos entreprises.
Je vous remercie de votre attention et je serai heureuse de répondre à vos
questions.
- 30 -
Renseignements : Affaires publiques du CRTC, Ottawa (Ontario) K1A 0N2
Tél. : (819) 997-0313, ATS : (819) 994-0423, Fax : (819) 994-0218
Mise à jour : 1996-11-29 |