ÉVALUATION DES AMENDEMENTS APPORTÉS PAR LE SÉNAT AU PROJET DE LOI C-2 ADOPTÉS PAR LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES DANS LA MESURE OÙ ILS VISENT L’ACCÈS À L’INFORMATION (TEL QUE PRÉSENTÉ AU COMITÉ PERMANENT DE L’ACCÈS À L’INFORMATION, DE LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS ET DE L’ÉTHIQUE)OTTAWA (ONTARIO) [2006-11-6]
(Allocution par le Sous-commissaire à l'information, Alan Leadbeater)
Du point de vue du Commissariat à l'information du Canada, les amendements aux
dispositions du projet de loi C-2 sur l’accès à l’information, adoptés par le
Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles,
présentent à la fois des changements positifs favorisant la transparence et des
changements négatifs favorisant la confidentialité.
Changements positifs
Du
côté positif, le Comité sénatorial a fait en sorte que les documents de travail
des vérifications internes qui ont moins de 15 ans demeurent automatiquement
confidentiels jusqu’à deux ans après le début de la vérification, ou jusqu’à
l’achèvement des vérifications finales visées, si cette date est antérieure.
Dans la version de la Chambre des communes, les documents de travail des
vérifications devaient demeurer confidentiels pendant 15 ans.
[article 150]
Le
Comité sénatorial a également fait en sorte que la confidentialité automatique
des vérifications du vérificateur général du Canada, y compris les documents
provisoires et les documents de travail, ne dépassera pas la fin des
vérifications qui les concernent. En effet, à la suite des amendements du Comité
sénatorial, les enquêtes effectuées par cinq mandataires du Parlement (le
vérificateur général, le commissaire aux langues officielles, le commissaire à
l’information du Canada, le commissaire à la protection de la vie privée et le
commissaire au lobbying) ne demeureront automatiquement confidentielles que
jusqu’à la fin des vérifications et des enquêtes connexes.
[article 144] Aux termes de la version
du projet de loi C-2 adoptée par la Chambre des communes, les dossiers d’enquête
et de vérification du vérificateur général et du commissaire aux langues
officielles seraient demeurés confidentiels pour toujours.
Même
si le Comité sénatorial a conservé la disposition de la version de la Chambre
des communes du projet de loi C-2 qui accordait une exception de catégorie (sans
critère fondé sur le préjudice probable) aux enquêtes menées en vertu de la
Loi électorale du Canada, il a choisi de changer sa catégorie, qui est
passée d’obligatoire à discrétionnaire.
[article 145]
Les
amendements du Comité sénatorial réduiraient également l’étendue de la
confidentialité des documents détenus par des institutions gouvernementales
concernant les enquêtes sur les plaintes d’actes répréhensibles au gouvernement.
Dans la version de la Chambre des communes du projet de loi C‑2, la
confidentialité de tels documents resterait obligatoire pour toujours. En vertu
des amendements du Comité sénatorial, la confidentialité obligatoire ne serait
justifiée que pendant la tenue des enquêtes, et dans la mesure où il serait
nécessaire de protéger l’identité des dénonciateurs de la fonction publique, de
ceux qui ont fourni des renseignements ou de ceux qui ont collaboré aux
enquêtes. [article 221]
En
vertu des amendements du Comité sénatorial, on accorde la même confidentialité
aux documents détenus par le commissaire à l'intégrité du secteur public
concernant les enquêtes sur les accusations d’actes répréhensibles. Dans ces
cas, rappelons l’existence d’une anomalie déconcertante dans les amendements du
Comité sénatorial concernant la façon dont les demandes de divulgation faites au
Commissaire à l'intégrité du secteur public sont traitées en vertu de la Loi
sur l'accès à l'information et en vertu de la Loi sur la protection des
renseignements personnels. Les amendements du Comité sénatorial
permettraient la divulgation d’informations demandées en vertu de la Loi sur
la protection des renseignements personnels qui rendraient public le nom
d’un dénonciateur ou d’une personne qui a participé à une enquête, avec leur
consentement. En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, la
divulgation de cette information ne serait pas autorisée, même si la personne y
consentait. [articles 221 et 224]
Finalement, toujours du côté positif, les amendements du Comité sénatorial
accorderaient aux responsables d’institutions gouvernementales le pouvoir
discrétionnaire de divulguer des renseignements si les raisons d'intérêt public
compensent les conséquences éventuelles : pertes, préjudices ou atteintes.
[article 150.1]
Changements négatifs
Cependant, dans un revirement à la fois préoccupant et ironique, cette même
disposition nous amène à aborder les éléments négatifs des amendements du Sénat.
Dans sa proposition d’une dérogation pour raisons d'intérêt public, le Sénat a
rendu obligatoire le refus de divulguer « toute information liée à la sécurité
nationale ». Cette obligation est très préoccupante, puisque l’exception visant
la sécurité nationale à l’article 15 de la Loi sur l’accès à l’information
est discrétionnaire et fondée sur le préjudice probable – une exception qui a
assuré la sécurité nationale depuis 23 ans.
La
version du Comité sénatorial de la dérogation pour raisons d'intérêt public peut
entraîner la création d’une zone de confidentialité d’une telle ampleur et d’une
telle portée (utilisation de la mention « information liée à la sécurité
nationale »), qu’il n’y aura aucune responsabilité par la transparence pour les
nombreux projets, ministères et organismes fédéraux concernés par les questions
de sécurité nationale. Personne, ni à la Chambre des communes, ni au Comité
sénatorial, ni au cours des études visant la réforme de l’accès à l’information,
n’a demandé une confidentialité globale pour des raisons de sécurité nationale.
Nul n’a Aucune critiqué l’exception concernant l’information sur la défense et
la sécurité nationale de l’article 15, ni proposé de changement à l’exception.
Un
autre changement négatif favorisant la confidentialité est l’amendement du
Comité sénatorial visant à restreindre de façon importante le champ
d’application de la Loi sur l’accès à l’information pour ce qui est de
l’ajout de dix nouvelles institutions. En vertu des amendements du Comité
sénatorial, il ne sera plus possible d’avoir accès à l’information que
détiennent les nouvelles fondations ou les hauts fonctionnaires du Parlement.
Autrement dit, le droit d’accès à l’information de ces nouvelles institutions ne
visera que les documents créés après l’entrée en vigueur du projet de loi
C-2. [article 159] Aucune institution
visée par la Loi sur l’accès à l’information n’a jamais eu droit à un tel
traitement. Au moment où la Loi sur l’accès à l’information est entrée en
vigueur en 1983, tous les documents que détenait le gouvernement étaient visés,
qu’ils aient été créés avant ou après l’entrée en vigueur de la Loi. Le Comité
sénatorial a justifié sa décision d’interdire l’accès aux documents existants
détenus par des fondations et des hauts fonctionnaires du Parlement, comme
suit : « En principe, nous croyons que les lois ne devraient que très rarement
avoir un effet rétroactif et seulement pour des raisons très convaincantes. »
(Débats du Sénat, Volume 143, no 41, p. 996). L’explication paraît
cependant douteuse, compte tenu du fait que le Comité sénatorial propose de
donner un effet « rétroactif » et prospectif à l’assujettissement des documents
détenus par les quelque 50 à 60 sociétés d’État et leurs filiales en propriété
exclusive qui sont désormais assujetties à la Loi sur l’accès à l’information
en vertu du projet de loi C-2.
En
1983, les exceptions contenues dans la Loi sur l’accès à l’information se
sont révélées efficaces pour assurer la protection de l’information préexistante
qui devait être protégée et devrait l’être encore aujourd’hui. Pourquoi priver
la population canadienne du droit de connaître les activités des nouvelles
fondations depuis leur création?
Pour
quelle raison les hauts fonctionnaires du Parlement auraient-ils besoin d’une
protection à portée générale visant tous les documents préexistants puisque le
projet de loi C-2 met tout en œuvre pour élaborer des exceptions sur mesure
nécessaires à la protection de l’information qui doit demeurer confidentielle?
Toujours du côté négatif, le Comité sénatorial a fait en sorte que la Commission
canadienne du blé ne soit plus assujettie à la Loi sur l’accès à
l’information et a ajouté une exception obligatoire de catégorie visant le
Centre national des Arts. [article 148] Il n’existe aucune raison valable pour
ces changements favorisant la confidentialité.
Le
Centre national des Arts a, paraît-il, convaincu le Comité sénatorial qu’il lui
fallait un voile de confidentialité sur mesure pour protéger les relations
confidentielles qu’il entretient avec ses donateurs. Cet argument ne tient
cependant pas devant la preuve. Par exemple, le Musée des beaux-arts du Canada a
su composer avec les exigences de la Loi sur l’accès à l’information,
même s’il dépend largement des relations confidentielles avec ses donateurs. Les
dispositions actuelles de la Loi sur l'accès à l'information permettent
au Musée des beaux-arts du Canada d’être responsable par la transparence sans
pour autant compromettre sa capacité de fonctionnement. Il en est de même avec
la Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels, qui est
en mesure de protéger les relations confidentielles avec ses divers clients et
demandeurs même si elle est assujettie à la Loi sur l’accès à l’information.
Le CNA n’a tout simplement pas besoin d’avoir plus de confidentialité que ces
autres institutions culturelles.
La Commission canadienne du blé a un mandat national et une incidence importante
sur la population et l’économie canadiennes. Son influence est confirmée par le
fait que cinq membres de son conseil d’administration sont nommés par le
gouvernement fédéral, qui assure en outre les versements aux fermiers et se
porte garant des emprunts de la Commission, se chiffrant à quelque 6 milliards
de dollars.
La
Commission elle-même reconnaît son obligation de responsabilité par la
transparence – elle a une politique concernant la divulgation volontaire
d'information et un processus permettant aux particuliers de faire une demande
d'accès à l'information. La Commission a ses exceptions semblables à celles
contenues dans la Loi sur l’accès à l’information. Toutefois, la
politique de la Commission concernant la divulgation est volontaire et
discrétionnaire. Elle n’est assujettie à aucun mécanisme indépendant pour les
plaintes et elle exige que les demandeurs lui communiquent la raison précise
pour laquelle ils désirent l’information. L’intérêt public réclame que la
Commission canadienne du blé soit responsable par la transparence et il est bien
évident que le fait d’être assujettie à la Loi sur l’accès à l’information
ne compromettra pas la confidentialité des diverses catégories d’information
qu’elle doit protéger afin d’accomplir son mandat.
Conclusion
L’énumération d’éléments positifs et négatifs des amendements du Comité
sénatorial au projet de loi C-2 ne prétend pas être complète. Cette analyse ne
s’intéresse pas aux zones supplémentaires de confidentialité octroyées à la
Loi électorale du Canada ou celles qui ont été accordées à la Fondation du
Canada pour l'appui technologique au développement durable, pas plus qu’au
renforcement de l’obligation d’assistance.
Il reste que cette analyse, conjuguée au contenu du Rapport spécial au Parlement
présenté en avril 2006 par le commissaire à l’information du Canada, montre
pourquoi le Commissariat à l'information du Canada demeure convaincu que les
dispositions du projet de loi C-2 sur l’accès à l’information – qu’il s’agisse
de la version de la Chambre des Communes ou de celle du Comité sénatorial –
n’auront pas comme résultat global d’améliorer la responsabilisation du
gouvernement par la transparence.
Retour à la liste des allocutions
|