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RÉPERCUSSIONS INTERNATIONALES
DE L'AFFAIRE « PERSONNES »

EXPOSÉ DE VIVIEN HUGHES, AGENTE (PROGRAMME DES ÉTUDES CANADIENNES), HAUT-COMMISSARIAT DU CANADA À LONDRES

ARCHIVES NATIONALES DU CANADA - LE 17 OCTOBRE 2000


J'aimerais commencer par remercier publiquement Debra Davis, conseillère (Affaires publiques) au Haut-commissariat du Canada à Londres, pour son idée géniale de tenir une conférence à la Maison du Canada, en octobre de l'an dernier, afin de célébrer le 70e anniversaire de l'affaire « Personnes ». Je tiens aussi à remercier les collègues du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, plus particulièrement Gary Scott, pour leur engagement et leur soutien. Nous avons eu l'honneur et le plaisir d'avoir parmi nos éminents conférenciers la secrétaire d'État, Hedy Fry, et Frances Wright.

La conférence était la première d'une série à se tenir à la Maison du Canada dans le cadre du programme des affaires publiques du Haut-commissariat. La série intitulée Des femmes par-delà les frontières mettait en valeur les réalisations de femmes canadiennes et britanniques dans la sphère publique et professionnelle, en journalisme et en sciences, en tant que dirigeantes communautaires, femmes d'affaires et entrepreneuses.

Notre conférence d'octobre dernier, qui visait en premier lieu à commémorer un événement de l'histoire du Canada, en est venue également à commémorer un événement oublié de l'histoire de la Grande-Bretagne. Presque tous les conférenciers et participants britanniques, parmi lesquels la baronne Crawley, présidente de la Commission nationale des femmes, y ont appris que les femmes britanniques sont aussi devenues des personnes grâce à la décision du Conseil privé, en 1929.

L'exploit des Cinq femmes célèbres, réalisé il y a soixante-dix ans, est aussi devenu le symbole qui nous a permis de faire connaître aux femmes britanniques le mouvement féministe qui existe aujourd'hui au Canada.

Lors de notre conférence l'an dernier, nous avons tous été inspirés et touchés par l'exposé de Frances Wright sur les Cinq femmes célèbres et sur le magnifique monument qui sera inauguré ici demain. Cherie Booth, c.r., épouse du premier ministre, Tony Blair, qui a prononcé une allocution à la conférence, a qualifié le monument de « fantastique ». Elle a ajouté : « Nous voyons tellement peu de modèles de femmes fortes et résolues, et que vous ayez de ces modèles au Canada me fait prendre conscience à quel point il nous reste encore beaucoup à faire pour qu'il en soit de même au Royaume-Uni. Il est essentiel que nous, en tant que femmes, continuions à célébrer et à commémorer les étapes importantes du combat pour l'égalité des femmes. » [Traduction]

L'affaire « Personnes » est l'un des événements clés de l'histoire de la lutte des femmes pour une citoyenneté à part entière. On l'a décrit comme le fait marquant de l'émancipation sexuelle des femmes. Les journaux britanniques ont salué le jugement comme la victoire des femmes canadiennes.

Cette victoire a été importante pour les femmes de Grande-Bretagne en 1929, car elles estimaient que la décision leur permettrait au moins d'être admises à la Chambre des lords, ce qu'elles revendiquaient depuis qu'elles avaient obtenu le droit de voter et de se porter candidates à la Chambre des communes, en 1918.

Sur le plan historique, le jugement revêtait une importance plus grande encore, car il infirmait les arguments utilisés par les avocats et les législateurs pendant des siècles pour tenir les femmes à l'écart de la vie publique. Il devenait ainsi la nouvelle interprétation faisant autorité, grâce à laquelle les femmes étaient désormais reconnues comme des personnes dans la common law anglaise, et ce, à travers l'Empire.

La décision avait force obligatoire dans tous les pays de l'Empire, à l'exception, chose curieuse, de la Grande-Bretagne, puisque les appels au Conseil privé provenant de l'intérieur du royaume avaient été abolis au XVIIe siècle. Néanmoins, comme le greffier du Conseil privé me le faisait remarquer, la décision aurait eu un « pouvoir de persuasion immense » en Grande-Bretagne.

L'affaire « Personnes » a été la consécration d'une lutte de soixante ans qui avait commencé en 1867 et au cours de laquelle les femmes de Grande-Bretagne et du Canada ont vainement cherché à ce que les tribunaux déterminent qu'elles avaient le droit d'exercer des fonctions officielles, de fréquenter l'université et de pratiquer une profession libérale.

Virginia Woolf qualifiait de « grands combattants » les hommes de professions libérales qui rejetaient les revendications des femmes. Selon elle, il y avait eu la bataille de Westminster, la bataille des universités, la bataille de Whitehall, la bataille de Harley Street, la bataille de la Royal Academy... toutes semblaient avoir été livrées sensiblement pour la même raison et par les mêmes combattants, soit les hommes de professions libérales contre leurs sœurs et leurs filles.

Les sociétés professionnelles étaient du même avis que les tribunaux. En 1902, la Royal Society avait refusé la demande de bourse de recherche présentée par Hertha Ayrton, ingénieure en électricité et physicienne de grande renommée, parce qu'elle était une femme mariée et que, par conséquent, elle n'était pas une personne. En 1888, Mary Harris Smith, comptable et mathématicienne brillante, n'avait pu devenir membre de l'Institute of Chartered Accountants, parce que dans la charte de cette organisation, l'emploi du masculin ne comprenait pas le féminin.

Les universités refusèrent au début d'admettre les femmes, donnant comme raison que ces établissements avaient été créés pour les hommes seulement. En 1869, sept femmes réussirent à être admises à l'école de médecine de l'Université d'Édimbourg  -  les premières Britanniques à réaliser cet exploit  - , mais les professeurs et les gens de la ville manifestèrent si violemment que la direction de l'établissement revint sur sa décision et annula leurs cours. Les sept femmes d'Édimbourg intentèrent alors un procès à l'université, procès qu'elles perdirent.

Après la décision de l'affaire « Personnes », parmi tous les pays de l'Empire britannique, seules la Grande-Bretagne et l'Afrique du Sud n'acceptaient toujours pas les femmes à la Chambre haute. Le 15 novembre 1929, le journal des suffragettes britanniques, The Vote, a publié un article intitulé « Women in the House of Lords  -  the home country lags behind » (Les femmes à la Chambre des lords : la mère patrie accuse un retard).

La résistance à laquelle se sont heurtées les femmes en Grande-Bretagne était énorme. Lord Birkenhead, l'incarnation même de cette résistance, était le principal opposant au droit de vote des femmes au sein du Parti conservateur et occupait le poste de grand chancelier lorsque la vicomtesse Rhondda présenta une requête pour réclamer son siège héréditaire à la Chambre des lords, en 1922. La Commission compétente dans le domaine des privilèges parlementaires de la Chambre des lords s'était alors prononcée en faveur de lady Rhondda, mais lord Birkenhead avait infirmé la décision en renvoyant l'affaire devant une instance supérieure, dont la plupart des membres s'opposaient au droit de vote des femmes.

Lorsque le Conseil privé a entendu l'affaire « Personnes », il y avait en poste un nouveau grand chancelier, lord Sankey, nommé par le premier ministre Ramsay Macdonald dans le but de libéraliser l'appareil judiciaire. Même si lord Sankey n'avait pas été disposé à déclarer que les femmes étaient des personnes, il aurait difficilement pu trouver des raisons crédibles de refuser l'appel des plaignantes.

En 1929, les femmes pouvaient siéger à la Chambre des communes au Canada et au Royaume-Uni, et elles avaient obtenu le plein droit de vote. En mai de la même année, juste deux mois avant que le Conseil privé n'entende l'appel, quatorze femmes faisaient partie du deuxième gouvernement de Ramsay Macdonald (par rapport à quatre dans le premier). De plus, lord Sankey avait un nouveau collègue au Cabinet, Margaret Bondfield, la première Britannique nommée ministre du Cabinet et membre du Conseil privé.

Le jugement du Conseil privé combiné avec l'évolution de la situation politique rendait tout retour en arrière impossible. Plus personne ne pourrait affirmer que les femmes n'étaient pas des personnes ou qu'elles ne pouvaient pas participer pleinement à la vie publique de la Grande-Bretagne, du Canada ou de tout autre pays de l'Empire.

Lord Browne-Wilkinson, le premier lord d'appel du royaume, qui représentait le Comité judiciaire du Conseil privé à notre conférence en octobre dernier, a déclaré que pour une fois, le Conseil privé avait pris une bonne décision...

Il était cependant aisé pour les hommes qui dirigeaient le gouvernement et la fonction publique, administraient le droit et monopolisaient les professions libérales et les chaires universitaires de trouver des mesures réglementaires pour empêcher les femmes d'avoir accès à leurs clubs sélects. Et plus le club était fermé, plus la résistance était vive et longue.

Même si certaines sociétés professionnelles ont accepté les femmes dans leurs rangs dès le début des années 1920, il fallut attendre jusqu'en 1945 avant qu'une femme pût devenir membre de la Royal Society. Le service extérieur a refusé jusqu'en 1947 que les femmes se présentent aux examens donnant accès aux postes d'administration, et l'Université de Cambridge n'a pas décerné de diplômes aux femmes avant 1949. Ce n'est qu'en 1958 que les femmes ont pu être nommées à vie à la Chambre des lords et qu'en 1963 que les pairesses héréditaires ont pu y siéger. Pourtant, le site Web de la Chambre des lords encore aujourd'hui nous informe que le mot « peer » (pair) vient du mot latin qui signifie « égal »!

L'histoire des Cinq femmes célèbres a saisi l'imagination de nombreuses femmes en Grande-Bretagne et a incité certaines d'entre nous à en savoir davantage sur nos propres aïeules remarquables.

Elle a renforcé les campagnes pour l'érection de monuments en l'honneur des femmes en Grande-Bretagne. Dans le cadre de l'une de ces campagnes, on milite en faveur d'une statue pour rendre hommage à Sylvia Pankhurst, la fille benjamine d'Emmeline, qui a été ignorée jusqu'à tout récemment, parce qu'elle luttait pour les femmes de la classe ouvrière. Une autre campagne, qui semble de plus en plus acceptée, a trait à un monument pour marquer la contribution des femmes lors de la Seconde Guerre mondiale.

Le mois dernier, j'ai assisté au dévoilement d'une plaque dédiée à Millicent Fawcett et apposée sur la maison où elle est née à Aldeburgh, dans le comté de Suffolk. Millicent Fawcett est la figure de proue du féminisme britannique qui recourt aux mesures constitutionnelles pour faire avancer ses causes. Mme Fawcett est la féministe qui a le plus de liens avec les Cinq femmes célèbres. Comme elles, elle croyait à l'instauration du changement par les moyens constitutionnels. Elle et son mari Henry Fawcett, député, étaient des amis de John Stuart Mill, et Mme Fawcett était liée au groupe de femmes qui a rassemblé la première pétition revendiquant le droit de vote pour les femmes, que John Stuart Mill a présentée au Parlement en 1866. Comme Emily Murphy, Millicent Fawcett était une femme formidable et une excellente organisatrice, qui a travaillé inlassablement pour le droit de vote, soit de 1867 jusqu'à son obtention finalement en 1928. Elle a été l'une des premières femmes magistrats à être nommées en Grande-Bretagne en 1919; son décès est survenu en 1929, avant que le Conseil privé ne rende sa décision dans l'affaire « Personnes ».

Une amie et moi avons fait le voyage de Londres à Ottawa afin d'être ici pour l'inauguration du monument demain, car c'est grâce aux Cinq femmes célèbres si nous sommes des personnes aujourd'hui. De nombreuses autres femmes auraient aimé se joindre à nous.

Merci à vous tous qui avez rendu possible l'érection du monument et qui nous avez donné l'occasion, comme dirait Emily Murphy, de nous tenir la tête haute et de sentir que nous pouvons accomplir de grandes choses.

Vivien Hughes
Octobre 2000