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 Commissariat à l'information du Canada

Mémoire à la Commission d'enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires

Ottawa (Ontario)

[2005-10-14]

Monsieur le juge John Gomery,
222, rue Queen
Pièce 401
Ottawa (Ontario) K1P 5R4

Monsieur le Juge,

Je suis ravi de pouvoir vous faire part de mes observations sur certaines des questions qui relèvent de votre mandat.

Gestion professionnelle des documents

Premièrement, j’aimerais indiquer qu’une gouvernance saine et responsable n’est pas possible sans le principe fondamental d’un professionnalisme profondément enraciné en matière de gestion des documents gouvernementaux. Les principes de la gestion professionnelle des documents sont bien connus et requière: 1) création des documents appropriés 2) indexation et classement des documents de façon à permettre une récupération efficace et efficiente; 3) conservation des documents pour des périodes de temps appropriées au sujet, à la vérification et à l’exercice des droits d’accès; 4) élimination des documents en conformité avec les calendriers d’archives approuvés et, même alors, jamais de façon à contrevenir aux droits reconnus par la loi ou à entraver les vérifications proposées, les enquêtes judiciaires ou les enquêtes effectuées par des comités parlementaires.

Le Commissariat a toutefois été en mesure de vérifier que la gestion des documents gouvernementaux n’est pas effectuée de façon professionnelle selon cette norme. Une culture orale profondément enracinée existe; elle est tolérée, si ce n’est encouragée, aux échelons les plus élevés de la hiérarchie gouvernementale. La politique gouvernementale sur la gestion des renseignements détenus par le gouvernement (qui est une bonne politique) est, en pratique, en grande partie ignorée, et la responsabilité de son exécution et de sa mise en œuvre est à ce point floue qu’elle est non existante. Les vérificateurs généraux, les commissaires à l’information et les archivistes nationaux ont, au fil des ans, répété cet avertissement : la qualité de la prise de décisions au sein du gouvernement, l’efficacité des vérifications internes et externes, le caractère adéquat du dossier historique du pays et la vitalité du droit d’accès à l’information sont tous menacés par une gestion des documents médiocre au sein du gouvernement du Canada.

Au nombre des amendements que j’ai récemment proposés à la Loi sur l’accès à l’information (voir pièce jointe A), j’ai inclus l’obligation pour les fonctionnaires de conserver des documents et une sanction pour avoir omis de s’y conformer. Je vous incite à appuyer cette recommandation et d’aller plus loin, en recommandant que les obligations et les normes d’information professionnelles soient inscrites dans la loi. Dans mon rapport annuel au Parlement 2002 2003, j’ai suggéré qu’une nouvelle loi en matière de tenue des documents pourrait inclure les éléments suivants :

  • Identifier les principes, les valeurs et les objectifs fondamentaux de la gestion de l'information sur les plans de l'intégrité, de la sécurité, de l'efficacité, de l'imputabilité, de la gestion des biens, etc.;
  • Exiger que les ministres et les responsables d'organismes veillent à ce que des documents soient créés, obtenus et conservés pour étayer suffisamment les principales fonctions, activités, décisions, politiques et opérations de leur organisation;
  • Exiger l'instauration d'un programme de gestion des documents et de l'information dans chaque ministère et organisme et qu'il soit doté des ressources nécessaires;
  • Exiger qu'un cadre supérieur soit chargé, dans chaque ministère, de la responsabilité globale de la gestion de l'information;
  • Exiger que le programme comporte des normes, des procédures et une formation concernant la justification des activités opérationnelles par des documents, l'identification et l'organisation des documents, l'entreposage et la protection des documents, l'accès aux documents et la conservation et l'élimination des documents (le tout conformément aux autres lois et normes applicables);
  • Exiger que l'ensemble des programmes et opérations du gouvernement soit conforme aux normes et pratiques ci-dessus en matière de gestion de l'information enregistrée;
  • Exiger que certains types d'organisation ayant affaire au gouvernement fédéral ou recevant des fonds fédéraux substantiels disposent d'un système de gestion des documents valable;
  • Exiger que les documents électroniques restent accessibles pendant la durée de rétention exigible;
  • Prévoir le suivi, l'évaluation et le compte rendu du programme de gestion des documents et de l'information (et du rendement des fonctionnaires qui en sont responsables);
  • Formuler les conséquences du non-respect de la Loi (et circonscrire les circonstances auxquelles elles s'appliqueraient). [page 44]

Certains de ces éléments figurent dans la Politique sur la GIG (gestion de l’information gouvernementale) du Conseil du Trésor, disponible sur le site Web du SCT (www.tbs-sct.gc.ca).

Renforcement du droit d’accès

Deuxièmement, je voudrais souligner le fait que bon nombre de nos libertés démocratiques et de nos institutions présupposent des citoyens informés plutôt que soumis à une propagande. L’accès à l’information relative aux activités des gouvernements est le critère sine qua non d’une démocratie en santé dont les personnes qui exercent un pouvoir sont responsables de façon significative.

Par conséquent, je vous incite à réclamer un renforcement de la Loi sur l’accès à l’information du Canada et qu’elle inclue (en plus de l’obligation précédemment mentionnée de créer des documents) :

  • Champ d’application à un ensemble exhaustif d’organismes de gouvernance;
  • Examen indépendant des demandes de documents confidentiels du Cabinet;
  • Restriction des exceptions au droit d’accès en les rendant discrétionnaires, et fondées sur un critère de préjudice et l’intérêt public.

Transparence et protection des fonctionnaires dénonciateurs

La troisième question sur laquelle je souhaite vous faire part de mes commentaires est le projet de loi C 11 (Loi sur la protection des fonctionnaires dénonciateurs d’actes répréhensibles) adopté par la Chambre des communes le 4 octobre 2005, et qui est désormais devant le Sénat pour étude et approbation. Je suis grandement préoccupé de l’effet négatif que l’article 55 de ce projet aura sur la future divulgation publique d’actes répréhensibles. Malgré mes objections et celles des syndicats représentant la fonction publique, le gouvernement s’est donné, en amendant l’article 16 de la Loi sur l’accès à l’information, le pouvoir de maintenir au secret pour une période de cinq ans les détails de tout acte répréhensible signalé en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires dénonciateurs d’actes répréhensibles. (Originalement, la durée du secret proposée était de 20 ans, mais elle a été amendée à cinq ans en comité.) Mes préoccupations figuraient dans mon rapport annuel au Parlement 2004-2005 :

Projet de loi C 11

Rien n’illustre mieux la méfiance à l’égard des dispositions législatives sur l’accès et l’ignorance de ses effets que les modifications proposées dans le projet de loi sur la dénonciation.

Dans ce qu’il appelle avec véhémence un effort bien intentionné pour donner la garantie de confidentialité aux dénonciateurs potentiels, le gouvernement a décidé que tous les renseignements recueillis ou analysés à la suite du rapport d’un dénonciateur seraient gardés secrets pendant 20 ans. Pour ce faire, il propose de modifier la Loi sur l’accès à l’information pour y inclure la disposition suivante :

« 55. L’article 16 de la Loi sur l’accès à l’information est modifié par adjonction, après le paragraphe (1), de ce qui suit :

(1.1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant des renseignements obtenus ou établis par le président de la Commission de la fonction publique en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires dénonciateurs d’actes répréhensibles, par l’agent supérieur désigné en application du paragraphe 10(2) de cette loi ou par un supérieur hiérarchique auquel un fonctionnaire a dénoncé un acte répréhensible en vertu de l’article 12 de la même loi et ayant trait à la dénonciation d’actes répréhensibles ou à une enquête menée sous le régime de la même loi. »

Cette disposition permettrait au gouvernement de garder secrets pendant 20 ans de nombreux renseignements, notamment les suivants :

  • l’identité des dénonciateurs;
  • l’identité des personnes accusées;
  • les détails relatifs aux allégations de malversation;
  • les détails relatifs aux mesures prises pour faire enquête sur les allégations;
  • les détails relatifs aux mesures correctives prises pour prévenir d’autres malversations;
  • les détails relatifs aux mesures disciplinaires prises contre les auteurs de malversations;
  • les détails relatifs aux mesures disciplinaires prises contre les dénonciateurs;
  • les détails relatifs aux mesures de représailles ou sanctions prises contre les dénonciateurs.

Le gouvernement n’a pas expliqué pourquoi il lui fallait garder tous ces renseignements secrets pendant 20 ans. Intentionnel ou non, le seul objet d’une nouvelle disposition de cette ampleur est de donner au gouvernement les moyens juridiques de prendre des mesures de camouflage et de limitation des dégâts. Les syndicats de la fonction publique et les fonctionnaires qui ont rompu le silence ne veulent pas d’un système d’enquête sur les dénonciations marqué par le secret : ils veulent être protégés contre les représailles. Ils estiment que le renforcement du système d’accès à l’information représente une telle protection.

Pire encore, le gouvernement propose également, dans le projet de loi C-11, de modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels pour mettre fin (dans les situations de dénonciation) au droit ancien et quasi-institutionnel qui permet à toute personne d’avoir accès à ses propres renseignements personnels (sous réserve d’exceptions spécifiques et limitées), de demander qu’on corrige ceux-ci au besoin et de savoir ce que d’autres ont déclaré à son sujet. La disposition du projet de loi C-11 à cet égard se lit comme suit :

« 58. L’article 22 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est modifié par adjonction, après le paragraphe (1), de ce qui suit :

(1.1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant des renseignements contenus ou établis par le président de la Commission de la fonction publique en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires dénonciateurs d’actes répréhensibles, par l’agent supérieur désigné en application du paragraphe 10(2) de cette loi ou par un supérieur hiérarchique auquel un fonctionnaire a dénoncé un acte répréhensible en vertu de l’article 12 de la même loi et ayant trait à la dénonciation d’actes répréhensibles ou à une enquête menée sous le régime de la même loi. »

Cette disposition signifie que le dénonciateur et l’accusé perdront, pendant 20 ans, le droit de consulter et de faire corriger les renseignements recueillis ou analysés à leur sujet en vertu du projet de loi C-11.

Là encore, le gouvernement affirme que la seule raison pour laquelle il a introduit cette modification à la Loi sur la protection des renseignement personnels est la protection de l’identité des dénonciateurs. Bien entendu, cette explication suscite des questions : Pourquoi priver le dénonciateur de son droit d’accès et de correction des renseignements le concernant? En quoi cela sert-il à encourager les dénonciateurs à briser le silence? Comment les dénonciateurs obtiendront-ils la preuve que leur plainte a été prise au sérieux ou qu’ils ont été victimes de représailles?

Enfin, la caractéristique la plus étonnante de la modification proposée à la Loi sur la protection des renseignement personnels est qu’elle supprime, dans le cadre du projet sur la dénonciation, le droit fondamental de chacun de savoir qui formule des allégations contre soi et de connaître la nature de ces allégations. Jusqu’ici, ce principe n’a été abrogé que pour des informateurs de la police et des affaires de sécurité nationale. En fait, le gouvernement, pour formuler les articles 55, 57 et 58 du projet de loi C-11, s’est inspiré du pouvoir de conserver le secret pendant 20 ans que la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels confèrent aux services de police.

Cette règle de longue date contre les accusations anonymes est l’une des caractéristiques de notre société civilisée, fondée sur le respect de l’intégrité de chaque personne. En 1989, John Grace, ancien commissaire à la protection de la vie privée, a comparu devant le Comité des comptes publics pour s’opposer à la proposition du vérificateur général de l’époque, qui souhaitait créer une ligne ouverte sur la fraude et le gaspillage où l’anonymat serait garanti. Il a fait valoir que le fait de transformer la Fonction publique du Canada en société de dénonciation où des accusateurs anonymes seraient encouragés, minerait le droit fondamental à la vie privée et serait contraire aux valeurs canadiennes. Le Comité des comptes publics s’est dit d’accord avec lui, et le projet de ligne téléphonique n’a pas eu de suite.

Le successeur de M. Grace, Bruce Phillips a dû, lui aussi, lutter pour défendre le droit de chacun d’avoir accès aux opinions et points de vue formulés sur soi. Il s’est opposé au projet du gouvernement d’autoriser les employés à procéder à une évaluation anonyme du rendement de leurs supérieurs. Le gouvernement considérait que cette « évaluation inversée » garantirait que les employés auraient voix au chapitre dans l’évaluation de leurs gestionnaires. Le Commissaire a rappelé avec force qu’une initiative de type « la saveur du mois » de cet ordre ne devait pas avoir préséance sur le droit quasi-constitutionnel de chacun de savoir ce que les autres disent de soi (lorsque c’est consigné dans des documents gouvernementaux) et de savoir qui formule ces opinions.

Il faut rappeler que la protection du droit de savoir ce que les autres disent de soi ne signifie pas (aux termes de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels) qu’il n’y ait pas de circonstances où l’identité du dénonciateur puisse être gardée secrète. Par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels comme la Loi sur l’accès à l’information permettent de garder secrète l’identité de l’accusé et celle du dénonciateur si la communication de ces renseignements risque vraisemblablement de compromettre une enquête en cours. Par ailleurs, les deux Lois interdisent de communiquer l’identité du dénonciateur et de l’accusé à qui que ce soit d’autre. Autrement dit, les médias et la population en général ne peuvent pas obtenir de renseignements personnels sur ces personnes (notamment leur identité). Il n’est pas nécessaire d’apporter de modification à l’une ou l’autre de ces lois pour obtenir ce résultat.

Le projet de loi C-11 est une illustration « classique » de la profondeur de la conviction mal informée voulant que la Loi sur l’accès à l’information ne permet pas de protéger des renseignements confidentiels et de créer l’équilibre qui convient entre la nécessité d’une mesure de secret justifiable, une transparence que justifie l’intérêt public et le droit fondamental de chacun de consulter et de faire corriger ses propres renseignements personnels.

Je vous incite à recommander que la durée du secret de cinq ans figurant dans le projet de loi C 11 soit retirée. [La Cour d’appel fédérale a décidé que les accusateurs ne devraient pas être anonymes, dans l’affaire Le Commissaire à l’information du Canada c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (C.A.) [2003] 1 C.F. 29 aux par. 28 à 37.]

Je suis convaincu, comme dans le cas du dénonciateur dans l’affaire faisant l’objet de votre enquête (M. Cutler), que le scandale des commandites n’aurait pas été découvert si le gouvernement avait eu l’article 55 du projet de loi C 11 pour justifier son refus de donner accès aux premières vérifications des commandites.

Remarques finales

Durant ses 22 ans d’existence, le Commissariat à l’information du Canada a été aux premières loges pour observer la plupart des scandales, des actes répréhensibles, des excès et des bévues du gouvernement. Les luttes entre ceux qui veulent exposer les problèmes et les institutions gouvernementales qui souhaitent maintenir ces questions au secret ont lieu dans le cadre de ce forum. Cette expérience permet de tirer certaines leçons. Premièrement, la loyauté aux supérieurs est davantage valorisée et récompensée que le respect de la loi ou de l’intérêt public. Deuxièmement, la réponse de la haute direction aux actes répréhensibles vise trop souvent à renforcer la valeur de la loyauté en veillant à ce que les supérieurs restent en place et que les subordonnées subissent les conséquences. Troisièmement, dans la plupart des actes répréhensibles, les personnes responsables de régler le problème sont informées en temps opportun, mais n’agissent pas avant que la question ne devienne publique.

Tout cela nous ramène à ce que je disais précédemment, dans un système qui valorise la loyauté aux supérieurs, renforcé par les serments prêtés par les fonctionnaires, l’ouverture est un élément essentiel d’un régime pratique de reddition de comptes publique. Les complots ne peuvent facilement se tramer à la vue et au su de tous.

En terminant, permettez moi de vous offrir l’aide du Commissariat si vous souhaitez approfondir quelque point que ce soit. J’espère que vos délibérations seront couronnées de succès.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Juge, l’expression de mes sentiments respectueux.

L’honorable John M. Reid, C.P.

p.j.

 



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Mise à jour :2004-11-18

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