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La musique au pays

La musique en feuilles canadienne à l'époque de la Première Guerre mondiale

On décrit souvent la Première Guerre mondiale comme le creuset dans lequel le Canada a atteint la majorité et dans lequel une colonie est devenue nation. Le comportement des troupes canadiennes, en particulier du corps d'armée canadien de sir Arthur Currie, une unité canadienne unifiée, opérant avec beaucoup d'efficacité sous un commandement canadien, a sans aucun doute contribué à accréditer aux yeux du monde l'idée d'une autonomie nationale canadienne.

On a beaucoup écrit sur cette période cruciale de notre histoire. Après une étude approfondie des questions militaires et politiques, les écrivains et les historiens canadiens ont de plus en plus tourné leur attention vers l'histoire sociale de ce Canada qui était entré en guerre et du pays qui en était sorti quatre ans plus tard. Les mémoires personnels, les journaux ainsi que les arts populaires font partie des sources qui aident à décrire la personnalité de la nation. La musique du temps de guerre est aussi une de ces sources.

Il s'est composé divers genres en musique du temps de guerre. Les militaires produisent de la musique officielle comme des marches et des chants de régiment ainsi que des appels de clairon utilitaires. Les soldats ont leur propre répertoire, formé en grande partie de vieux airs avec de nouvelles paroles souvent grivoises. On a entrepris quelques études sur ces chansons de soldats de la Première Guerre mondiale, dont beaucoup ont été recueillies par des personnes intéressées comme John Brophy. L'évidence qui ressort de lettres et d'écrits contemporains, ainsi que des souvenirs d'anciens combattants suggèrent que les chansons que chantaient les soldats alors provenaient en premier lieu de ce répertoire et reflétaient leurs privations et leurs frustrations quotidiennes, ainsi que quelques éléments populaires entendus par des soldats en permission à Londres ou apportés par les diverses troupes de spectacle itinérantes - des succès britanniques ou américains comme It's a Long Way to Tipperary et Pack Up Your Troubles.

Il existe, cependant, un genre habituellement moins connu de musique de l'époque de la Première Guerre mondiale -- un répertoire légèrement timide et plus raffiné, mais sincère. Il s'agit de la musique écrite pour le front intérieur.

À la fin du XIXe siècle, écrire des chansons était devenu une méthode très prisée d'expression personnelle. Dans une société où la plupart des familles de la classe moyenne possédaient un piano, et où l'éducation normale comprenait au moins les rudiments de la musique, lorsque la muse créatrice venait exciter la femme au foyer, le banquier ou encore le simple soldat, il en résultait souvent une chanson. Ce genre de réaction survenait fréquemment à la suite d'événements mémorables, et peu de ces derniers, locaux ou nationaux, pouvaient se produire sans provoquer quelque commentaire musical.

Le produit durable de ce répertoire a été la musique en feuilles - un format fragile, économique et vite produit qui permettait aux paroles et aux airs de circuler rapidement, engendrant des profits pour ceux qui les faisaient circuler (sinon pour les auteurs) et fournissant un excellent support publicitaire. Une infrastructure solide, faite d'imprimeurs de musique prêts à publier « pour le compositeur » et de musiciens professionnels prêts à polir et à arranger n'importe quelle œuvre brute, a mis ces créations à la disposition du public.

Avec le déclenchement des hostilités en Europe en 1914, la guerre est devenue un thème majeur dans la composition professionnelle et amateur. Aucune possibilité de propagande ou de collecte de fonds n'était négligée. Les chansons étaient essentiellement patriotiques, héroïques, chauvines ou pathétiques et, comme il fallait s'y attendre, nombre de chansons glorifiaient la marine, l'armée et les nouvelles forces aériennes. On reconnaissait souvent des unités particulières dans des chants officiels ou non. La Légion américaine, le 97e bataillon canadien composé de volontaires américains pressés de servir avant même que les États-Unis entrent dans le conflit, s'est distinguée et a reçu un encouragement particulier. L'Empire britannique, la Grande-Bretagne et la « courageuse petite Belgique » ont été comblés d'éloges. L'engagement initial de l'Irlande d'abandonner pour un temps sa lutte interne pour la « Home Rule » a reçu l'approbation générale. Des marches instrumentales, des chants de recrutement, des chants du drapeau, des chants du départ et même des chants du retour par anticipation ont retenti dans tout le répertoire. Des auteurs-compositeurs et même les soldats ont chanté les efforts des femmes sur le front intérieur. Jamais auparavant la simple action de tricoter avait été autant glorifiée.

Parmi les compositeurs et les paroliers, on trouvait aussi bien des amateurs que des professionnels, des femmes que des hommes, des civils que des militaires. Le Canada Weekly du 5 janvier 1918 rapportait que Mme Florence Ballantyne, fille du président de la Chambre des communes de l'Ontario et épouse d'un professeur d'université, a composé sa chanson The Call We Must Obey pour donner du courage à ses fils déjà en Europe, alors que le recrutement piétinait. Jean Munro Mulloy de Kingston, en Ontario, épouse du soldat Mulloy qui avait servi en Afrique du Sud, a recyclé sa chanson Trooper Mulloy March et a incorporé les activités de sa fille dans de nouvelles chansons pour encourager les Canadiens et les Canadiennes. Le pasteur à l'air batailleur J.D. Morrow (« le pasteur athlétique de Dale Church, à Toronto ») a déclaré You Bet Your Life We All Will Go et, fidèle à sa promesse, la couverture de sa troisième chanson, Memories of Home, le montrait en uniforme, l'identifiant comme aumônier des Forces canadiennes outre-mer. Malheureusement, il est décédé en 1921 à l'âge de 47 ans, peut-être à la suite de blessures de guerre www.vac-acc.gc.ca/general_f/. Son nom est enregistré dans le premier des Livres du Souvenir www.vac-acc.gc.ca/general_f/sub.cfm?source=collections/books que l'on peut voir dans la chambre du Souvenir de la Tour de la Paix, sur la Colline parlementaire.

Les auteurs-compositeurs professionnels ont certainement continué d'exercer leur métier. Les arrangeurs Jules Brazil et Arthur Wellesley Hughes ont fait leur part en peaufinant des douzaines de créations d'amateurs et en composant spontanément ou sur commande. Le lieutenant N. Fraser Allan était un musicien professionnel qui a fait partie de la célèbre troupe des Dumbells. Le lieutenant Gitz Rice, blessé en 1917 sur la crête de Vimy, a été chargé des divertissements pour l'armée. La mise en scène que Rice a faite de la vie du soldat sonne irrésistiblement juste. Bien qu'il n'ait pas écrit les paroles de son plus grand succès Dear Old Pal of Mine, il a été le parolier et le compositeur de He Will Always Remember the Little Things You Do (chanson encourageant les femmes dans leur effort de guerre) et de Keep Your Head Down Fritzie Boy.

Gordon V. Thompson, un des compositeurs les plus prolifiques des années de guerre, était aussi le propriétaire de Thompson Publishing Co. Avec un sens très aigu du goût populaire, il a changé rapidement les thèmes de ses compositions, passant de l'évangélique et du religieux au patriotique et au sentimental, chaque chanson comportant une couverture somptueusement illustrée. L'apparition fréquente de la chanson I Want to Kiss Daddy Good-night sur les listes de vente actuelles ainsi que la forte utilisation manifeste des copies restantes montrent à quel point cette ballade sentimentale a été l'une des plus vendues et des plus jouées du répertoire canadien.

Les chansons n'étaient pas toutes nouvelles. A Handful of Maple Leaves de William Westbrook, chanson très populaire issue de la guerre des Boërs (1898-1902), a été rajeunie en substituant la Belgique à l'Afrique du Sud, dans le second couplet, et en adaptant légèrement la musique.

Nous avons un autre exemple d'adaptation des paroles, bien qu'elle ait été faite pour des raisons différentes, dans la chanson extrêmement populaire de Herbert Ivey, Somewhere in France. D'après les copies de l'imprimeur provenant des dossiers de Whaley, Royce & Company et conservées à la Bibliothèque et Archives Canada, cette chanson a été réimprimée au moins neuf fois. Tandis que la guerre se poursuivait, on a inséré d'autres paroles dans le dernier couplet - « … for he doesn't advertise and God bless him where he lies Somewhere in France » a été remplacé par « for he doesn't make a fuss, pray God send him back to us from Somewhere in France ». Dans les dernières réimpressions, les paroles originales ont été complètement supprimées.

Le recrutement était un thème dominant qui reflétait la forte pression que le gouvernement et la société exerçaient pour s'engager dans l'armée. Ces chansons rendent bien le rôle puissant d'agent de recrutement que jouait la mère. On peut se rendre compte du stigmate qui marquait alors les jeunes hommes qui ne répondaient pas à l'appel dans la déclaration que le compositeur John C. McFadden a attachée à sa chanson Liberty : « Étant inapte au combat comme le montre mon certificat… ». Ceux qui ne s'engageaient pas étaient invités à contribuer financièrement -- dans les paroles de Walter St. J. Miller : « si nous ne pouvons pas combattre nous pouvons payer » (paroles extraites de He's Doing His Bit - Are You?). Dans quelques compositions, le service obligatoire est abordé de façon détournée, comme le fait O.P. Cochrane dans The Call for Soldiers : « Mes hommes, engagez-vous maintenant pour répondre à l'appel de votre Roi et de votre pays. N'attendez pas d'être forcés d'y répondre et faites tous un pas en avant. » Dans ses chansons, le Canada préférait les volontaires.

Lorsqu'on lit les comptes rendus sur la guerre, il est difficile de réconcilier le soldat cynique, irrespectueux et souvent débauché, présenté comme le soldat typique, avec le jeune homme patriotique, droit et fidèle dont les chansons font le portrait, certaines d'entre elles écrites par les soldats eux-mêmes. Dans son livre But This Is Our War, Grace Morris Craig cite un soldat canadien écrivant chez lui : « Il nous arrive de voir des choses plutôt atroces ici, qu'il est préférable d'oublier le plus rapidement possible et sur lesquelles il ne faut rien écrire du tout… » Les sensibilités de l'auditoire ont été respectées au pays, mais il semble qu'une élémentaire décence et peut-être même un peu de patriotisme aient survécu chez beaucoup de combattants. Rares sont les tentatives de se faire passer pour « un des gars »-- comme le fait Morris Manley dans sa précieuse chanson What the Deuce Do We Care for Kaiser Bill?.

La collection de Bibliothèque et Archives Canada comporte aussi quelques chansons contre la Grande Guerre. L'exemple canadien le plus célèbre de l'époque, I Didn't Raise My Boy to Be a Soldier (paroles d'Alfred Bryan), a été écrit non pas contre la guerre en Europe, mais pour s'opposer à la formation d'un corps de cadets dans les écoles de New York. Dans Song of Freedom de T.A. Simpson, le parolier Alex. W. Grant présente une politique de pardon, dans l'espoir d'un monde meilleur : « Réveillez-vous, les gars, l'aurore est proche, Oubliez la nuit de conflit et de peur, Élevez la voix dans un chant puissant, Oubliez le tort effroyable. » Le pacifisme a pu être présent, mais ne s'est pas souvent montré en public. En comparaison, même les femmes qui avaient déjà été des suffragettes pacifistes s'étaient unies autour du drapeau et poussaient leurs fils à s'engager.

Il y a une absence évidente de documents en français dans les quelque 500 pièces de musique en feuilles canadienne reliées à la Première Guerre mondiale, à Bibliothèque et Archives Canada. C'est un fait historique que la guerre n'a pas eu, au Québec, le soutien dont elle jouissait ailleurs au Canada, mais les soldats canadiens-français y ont participé et des compositeurs comme Alexis Contant ont écrit des marches qui glorifiaient les Alliés, tandis que d'autres chantaient la souffrance des petites amies, des épouses et des mères restées en arrière. Des périodiques comme Le Passe Temps ont publié plusieurs chansons sur la guerre qui ne sont donc pas dans cette base de données. En outre, un grand nombre ont été publiées au Québec sans avoir été datées, et tout ce qui ne se référait pas explicitement au temps de guerre peut avoir été ignoré. La plupart des chansons produites au Québec avaient les mêmes thèmes et reflétaient les mêmes préoccupations que les chansons venant du Canada anglais, avec peut-être un peu moins d'accent mis sur la défense de l'Empire britannique.

Dans un marché étendu, le faible prix de la musique en feuilles rendait cette dernière tout à fait appropriée pour la collecte de fonds. Des patriotes ont écrit et publié leurs compositions afin qu'elles soient vendues au profit de causes patriotiques. La mesure dans laquelle les sentiments exprimés dans ces compositions étaient pris au sérieux reste une question d'évaluation. Dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada, une musique en feuilles (dont le produit devait servir à des buts patriotiques) comprend une note écrite à la main : « Gordon, j'ai pris ça lors de la réunion d'hier soir; comme je n'en ai pas besoin, c'est pour toi. » De nombreuses publications précisent quelle œuvre de bienfaisance elles soutiennent -- il s'agit souvent de la Croix-Rouge ou d'un fonds de régiment -- mais beaucoup promettent simplement que le produit servira « à des buts patriotiques ». À en juger par le nombre de copies qui apparaissent dans des collections régulièrement mises en vente, elles ont dû se vendre plutôt bien. Plusieurs ont des étiquettes indiquant qu'elles étaient vendues par des soldats blessés et rapatriés pour subsister. Sur certaines étiquettes, on insiste sur le fait que le vendeur ne demandait pas la charité, mais on peut supposer que c'était un devoir de le soutenir.

Les couvertures de pièces de musique canadienne en feuilles représentent, en elles-mêmes, un sujet d'étude intéressant. Seulement un petit nombre d'illustrations sont signées et des indices laissent croire qu'un nombre encore plus restreint d'entre elles ont été réalisées par des artistes professionnels. Les artistes Lou Skuce (We'll Love You More When You Come Back Than When You Went Away de Harry Taylor) et J. Glynn (There's a Fight Going On, Are You In It? de Herbert Kohler) sont deux exceptions évidentes. Parmi les exemples non signés, le coup de crayon est souvent raide et quelquefois bizarre (Good Bye Lad composé par John Stewart, Will Daddy Come Home Tonight? d'Edwin J. Pull). Les uniformes et les équipements sont reproduits d'une manière originale avec peu de souci d'exactitude. Même l'un des meilleurs dessins, la couverture non signée de Kiss Your Soldier Boy Good Bye de Sam Marks, montre un fusil beaucoup trop court par rapport à l'arme réglementaire. L'effet visuel des magnifiques couleurs sur la couverture de Men o' the North de Harry R. Pearse est gâché par la position bizarre des yeux de l'orignal. D'autres dessins d'animaux sont de qualité très variable. Le cheval magnifiquement actif sur la couverture de Then We'll Sheath Our Sword of Justice d'Art Benet et les castors pas du tout intimidés d'avoir l'air de rongeurs sur la couverture de The Land of the Maple and Beaver de Chas. O'Neill contrastent violemment avec la ménagerie étrange de C.A. Yates sur son Forward the Union Jack.

On ne peut ni prétendre que la musique en feuilles canadienne a influencé la réaction des Canadiens et des Canadiennes face à la guerre, ni qu'elle a reflété avec exactitude la réalité dans laquelle la plupart des Canadiens et des Canadiennes vivaient. Cependant, cette collection donne une bonne idée de l'image d'elle-même que la société canadienne voulait projeter. Il s'agissait de la face publique du Canada. Peut-être que le Canada, à travers sa musique en feuilles écrite par des Canadiens et des Canadiennes ordinaires, faisait sa propre publicité!

Par Barbara Norman,
Division de la musique,
Bibliothèque et Archives Canada


Lectures suggérées

Brophy, John; Partridge, Eric, éds. The long trail : what the British soldier sang and said in the Great War of 1914-18. [London]: A. Deutsch, 1965 (une révision de : Songs and slang of the British soldier, 1914-1918. London : E. Partridge, 1931)

Craig, Grace Morris. But this is our war. Toronto : University of Toronto Press, c1981

Encyclopedia of music in Canada, 2e éd. Kallmann, Helmut; Miller, Mark; Potvin, Gilles; Winters, Kenneth, éds. Toronto : University of Toronto Press, c1992, « Wars, rebellions and uprisings », « Patriotic Songs » et d'autres articles.

Fussell, Paul. « The fate of chivalry and the assault upon Mother ». Thank God for the atom bomb, and other essays. New York: Ballantyne Books, c1988

Moogk, Edward B. En remontant les années : l'histoire et l'héritage de l'enregistrement sonore au Canada, des débuts à 1930, Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada, 1975.

Morton, Desmond. Album of the Great War. Toronto : Grolier, c1986

« The Pedlars Pack: The call we must obey ». Canada Weekly. Vol. XXIV, no 1 (5 janvier 1918), 11

Read, Daphne, ed.; Richardson, Gus, comp. The Great War and Canadian society : an oral history. Toronto : New Hogtown Press, c1978

Rutherford, John E. « Some Canadian sheet music of World War I (1914-1918) ». Antique Phonograph News. (mars - avril 1994), 6-7

Swettenham, John. Canada and the First World War. Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1969, 1973