Saguenay: une pêche en sursis
Journaliste: Gilbert Bégin
Réalisateur: Bernard Laroche
9 mai 2004

Mi-avril, sur la baie des Ha! Ha!, au Saguenay. Sur la berge, l'équipage du Calanus 2 s'apprête à lever l'ancre. La fonte des glaces a sonné le départ, il y a quelques jours, d'une autre mission de pêche au poisson de fond. Le bateau de Pêches et Océans Canada sillonne chaque printemps le fjord du Saguenay, entre Saint-Fulgence et l'Anse-Saint-Jean. Sa mission: suivre les stocks de poissons de ce cours d'eau unique au pays.

Les premiers filets sont bien en vue, la journée peut commencer. Jean Denis Lambert est le chef de cette mission. Depuis 10 ans, il suit les stocks de ce fjord. Mais depuis quelques années, le chercheur n'a jamais été aussi inquiet. Le poisson de fond n'en finit plus de décliner.

Dès janvier, la grande banquise immaculée change radicalement de visage. En quelques jours, on érige sur la baie des Ha! Ha! un village temporaire de 1500 abris. Avec une telle concentration, cette baie est devenue, au fil des ans, le cœur de la pêche blanche au Saguenay. Les pêcheurs capturent ici des dizaines de tonnes de sébastes, mais aussi de morues et de turbots. Ce sport a doublé de popularité en seulement 15 ans. Devant cette croissance, le gouvernement fédéral a réagi. En 1995, il a instauré le suivi obligatoire des captures, afin d'estimer l'abondance de chacune des espèces.

Rapidement, on a constaté un déclin. Par exemple, l'espèce la plus pêchée sur le fjord, le sébaste, a diminué de 50 % depuis 1999. Le flétan du Groenland, qu'on appelle aussi le turbot, est en chute libre depuis 1995. Quant à la morue franche, on frôle la catastrophe. Les faibles captures, année après année, font craindre le pire pour cette espèce. Devant cet essoufflement, on en est presque arrivé à ordonner la fermeture de cette pêche.

Mais, l'an dernier, les biologistes du Calanus 2 ont sauvé la mise. Contre toute attente, en 2003, les chercheurs ont capturé beaucoup plus de poissons qu'à l'habitude. Pour la première fois, la pêche scientifique contredisait les résultats de la pêche sportive. Dans ce contexte, la mission de cette année est cruciale. Elle déterminera si 2003 était un coup du hasard, ou le début d'un véritable redressement.

 

Mission 2004

Pendant cinq jours, l'équipage a répété les mêmes gestes. Ils ont relevé une vingtaine de filets, dispersés un peu partout sur le Saguenay. Chaque levée, Jean Denis Lambert espérait des signes d'un rétablissement. Mais, encore une fois, la récolte a été décevante. Au premier filet, la seule prise était une morue franche. Au deuxième filet, le sébaste était au rendez-vous, mais en quantité restreinte. On est très loin de la pêche miraculeuse de l'an dernier.

Les biologistes ont imposé de nouvelles limites de captures dès les premiers signes de déclin. En 3 ans, les quotas sont passés de 25 à 15 poissons de fond, puis à seulement 5 l'an dernier. À ce rythme, plusieurs se demandent s'il y aura une pêche blanche l'an prochain.

Les pourvoyeurs sont aussi inquiets de la baisse dramatique des quotas. De plus, cette baisse a provoqué une crise de confiance envers les scientifiques. Comme beaucoup d'autres, Luc Lavoie, président de l'Association des pêcheurs de Grande-Baie, met en doute les conclusions des chercheurs. «Il n'y en a pas plus, mais il n'y en a pas moins non plus», précise M. Lavoie.

Jean Denis Lambert s'accroche à ses données. «Les calculs et les graphiques que nous construisons, à mon avis, reflètent ce qui se passe vraiment», se défend le biologiste. Le chercheur compte effectuer l'analyse complète de ses données avant de statuer sur le sort de la pêche l'an prochain.



 

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