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Plus qu’Un beau souvenir du Canada
par Joan M. Schwartz, Archives visuelles et sonores
Le 14 juillet 1855
fête nationale de la France le navire français La Capricieuse,
sous le commandement du capitaine Paul-Henri de Belvèze, fit son entrée dans le port
de Québec. C’était le premier navire de guerre à battre pavillon français sur le
Saint-Laurent depuis 1760. Lorsque Belvèze quitta Québec six semaines plus tard, il
remportait un daguerréotype, peint à la main, d’un homme posant avec quatre jeunes
garçons en costumes d’époque. Cent trente ans plus tard, ce daguerréotype revint au
Canada sous la forme d’un cadeau du général André L'Homme, descendant de
Belvèze, lors de la visite au Canada en 1984 du premier ministre de France,
Laurent Fabius1.
Le daguerréotype avait été placé à l’origine dans une seconde boîte, aujourd’hui
perdue, faite d’écorce de bouleau et richement brodée de piquants de porc-épic
dessinant un castor, une branche d’érable, une rose et des festons. Véritable objet
d’art en elle-même, cette boîte était l’œuvre d’une talentueuse Canadienne dont le nom
n’est pas révélé. Un feuillet manuscrit fixé à la doublure de velours vert à l’intérieur de
la boîte explique le contenu de l’image de même que le contexte de sa création :
Au Commandant de Belvèze
en Canada
Ces petits personnages qui figurent dans les
Fêtes nationales de Montréal rappellent tous les
souvenirs religieux et patriotiques des Canadiens
Français
St. Jean-Baptiste, Patron du Canada
Jacques Cartier, qui au XVIe siècle découvrit
le pays et y apporta l'Evangile
Le chef sauvage, qui accueillit les Francs à Hochelaga
Un jeune Canadien, portant les couleurs
de la France
Alfd Chalifoux
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Au Commandant de Belvèze
par Thomas Coffin Doane, 1855. Collection André L’Homme, Archives nationales du Canada,
PA-139248
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Une autre inscription plus élaborée, mais également perdue, paraissait sur une plaque
d’argent fixée à la boîte. Elle identifiait les personnages costumés et expliquait la
présence du monsieur décoré d’une médaille ainsi que le but visé par le
daguerréotype :
Celui qui les accompagne et a l'honneur de les présenter à S.M. l'Impératrice,
est son très humble et respectueux serviteur
Alfred Chalifoux
Canadien Français
Alfred Chalifoux était un tailleur montréalais. Quelques semaines seulement avant
l’arrivée de La Capricieuse, les jeunes garçons en costumes historiques confectionnés
par Chalifoux avaient figuré au premier plan des célébrations des fêtes nationales à
Montréal. Ces festivités furent largement décrites dans les journaux. Un compte rendu
détaillé des cérémonies publiées dans La Minerve rendit un hommage particulier aux
quatre garçons, dont on mentionnait les noms, décrivait les rôles et admirait les
costumes et l’apparence.
L'un (Charles Chaput) représentait la France, ayant entre autres insignes
remarquables un petit drapeau sur lequel brillaient les couleurs des trois
puissances alliées, la France, l'Angleterre et la Turquie [les puissances
alliées combattant à l’époque en Crimée]. Le deuxième (M. Loiselle)
représentait le patron de la fête, St. Jean-Baptiste. Un autre (Théodore
Deschambault) posait comme Jacques Cartier, et le quatrième (Jean
Damien Rolland) comme chef Sauvage. Chacun de ces petits
personnages était habillé, décoré et armé selon la vérité historique et se
faisait admirer par le bel effet de son costume et de sa mine gracieuse2.
Un compte rendu paru dans La Minerve une semaine après le départ de La
Capricieuse explique plus en profondeur les origines du daguerréotype :
Le séjour de Monsieur de Belvèze à Montréal à procuré à Monsieur Alfred
Chalifoux, si bien connu par ses quatre petits personnages historiques
que tout le monde a pu admirer dans nos dernières fêtes, l'occasion
d'adresser à S.M. l'Impératrice des Français, un beau souvenir du
Canada, et qui n'est autre qu'un petit tableau représentant ces
personnages exécuté au daguerréotype par M. Doane et contenu dans
une boite de velours et chagrin, également destinée, par le genre de son
ornementation et par le style particulier dans lequel elle est confectionnée,
à caractériser selon son titre le présent ainsi offert à S.M.I.
La Minerve a confirmé que ce « tableau canadien français » avait été créé par
Chalifoux et photographié à sa demande et à ses frais : « Cette heureuse idée »,
a-t-elle relaté, « est due entièrement au zèle et à l'intelligence de M. Chalifoux, qui en a
fait aussi à lui seul tous les frais. »
L’un des plus beaux daguerréotypes du fonds de photographies des Archives
nationales, il mérite notre attention en tant qu’objet d’art d’une qualité exceptionnelle et
en tant qu’œuvre de l’un des meilleurs daguerréotypistes du Canada à l’époque, sinon
de l’Amérique du Nord. Il demande un examen attentif à titre d’image qui contient et
transmet des renseignements détaillés au sujet de la fête de la Saint-Jean-Baptiste de
1855, mais aussi en tant que document visuel créé pour exprimer des souvenirs
patriotiques et religieux, des postulats culturels et des aspirations politiques. Il
s’agissait et il s’agit toujours de plus qu’un don commémoratif particulier, plus que
le rappel photographique d’un événement longtemps oublié, plus qu’« un beau
souvenir du Canada ». L’examen du contenu, du contexte et du texte de l’image révèle
les liens entre les faits visuels, la signification photographique et la valeur
archivistique. Replacé dans son contexte d’origine, considéré sous l’angle du
XIXe siècle, il devient la représentation visuelle d’une manifestation d’identité, d’une
part, et la preuve matérielle d’un acte de communication, d’autre part.
La phrase préliminaire de l’inscription traduit les contextes social, politique et
fonctionnel dans lesquels a été créé le daguerréotype. La mission de Belvèze
consistait à rétablir les relations économiques et culturelles entre la France et le
Canada alors que la politique de libre-échange de la Grande-Bretagne ouvrait de
nouveaux marchés dans ses colonies et que la Grande-Bretagne et la France étaient
alliées contre la Russie et la Crimée. Lors de sa tournée au Canada, Belvèze a visité
Québec, Montréal, Ottawa et Toronto et a eu des entretiens avec des personnages
éminents sur divers sujets. Son compte rendu de la mission de La Capricieuse portait
sur des questions économiques, culturelles et militaires et comprenait un chapitre sur
la lutte de « l'élément Franco-Canadien » pour conserver « sa langue, ses mœurs, ses
institutions, sa religion ». Belvèze concluait que : « [...] l'établissement d'un consulat et
de communications sont deux objets d'une importance majeure »3.
Ce daguerréotype était manifestement un hommage au talent de tailleur de Chalifoux
et une preuve de la compétence de Doane en tant que daguerréotypiste. Il présente un
intérêt historique en tant qu’image visuelle et objet physique, en tant que témoin des
costumes du défilé de la Saint-Jean-Baptiste de 1855 et en tant que reflet de la culture
prédominante et des aspirations nationalistes. Il illustre l’utilisation de la photographie
pour documenter un événement (défilé de la Saint-Jean-Baptiste) et pour en
commémorer un autre (la visite de La Capricieuse). Cependant, les faits visuels ne sont
jamais inertes; ils sont chargés de signification et en dégagent une à leur tour. La
signification des faits visuels préservés dans ce daguerréotype doit, par conséquent,
être interprétée dans le cadre de la vision personnelle de Chalifoux, de la participation
des jeunes garçons aux fêtes nationales (la célébration de la Saint-Jean-Baptiste) et
de la mission de Belvèze au Canada.
Notes :
1.
Je tiens à remercier Brian Carey, qui fut le premier à entreprendre des
recherches sur ce daguerréotype (« An Imperial Gift », History of Photography,
10, 2, avril-juin 1986, p. 147-149) et George Bolotenko, qui l’intégra par la suite
dans son exposition et son ouvrage A Future Defined: Canada from 1849 to
1873, Ottawa, Archives nationales du Canada, 1992, p. 82-85.
2.
La Minerve (Montréal), le 26 juin 1855.
3.
Un compte rendu des voyages et discussions de Belvèze a été déposé aux
Archives nationales du Canada, Archives nationales du Canada, Documents de
Paul-Henri de Belvèze / MG 24, F 42.
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