« Emballage discret en papier brun »
La publicité dans les romans en fascicules
Livré à votre porte dans un emballage discret en papier brun! Vendu uniquement à des adultes fiancés ou mariés! Ne tardez plus! Remplissez et signez ce coupon et postez-le dès aujourd'hui!
La publicité dans les romans en fascicules des années 1940 et 1950 révélait certaines particularités du public canadien de l'époque, des particularités qui n'auraient pourtant dû être révélées qu'en privé.
Comme en témoignait la popularité des romans en fascicules, le marché était très florissant pour les éditeurs disposés à assouvir les instincts du public porté sur la chose, et les commandes par correspondance étaient pour eux la façon idéale de vendre leurs produits. Si les lecteurs voulaient s'assurer de ne pas être vus en train d'acheter des publications au kiosque à journaux ou à la pharmacie du coin, ils pouvaient facilement se les procurer dans l'anonymat. Ils n'avaient qu'à placer une commande par correspondance et leur publication était livrée à leur porte dans un « emballage discret en papier brun ».
Des titres tels que Live, Love and Like It, How to Get Along with Girls et Natural Control of Contraception peuvent sembler banals de nos jours. Cependant, comme l'ont observé Carolyn Strange et Tina Loo (2004, p. 56) dans True Crime, True North, à une époque où l'information sur le contrôle des naissances était en principe illégale, les livres qui traitaient ouvertement de ce sujet explosif connaissaient un succès clandestin assuré.
La plupart des publicités annonçant ces livres invitaient les gens à envoyer leur argent à l'entreprise Alexander Sales Co. de Toronto, qui était de loin le plus important fournisseur de ce type de publications. Consciente qu'elle était la cible de censeurs vigilants, l'entreprise ajoutait à ses annonces la restriction « Vendu uniquement à des adultes fiancés ou mariés ». Cependant, comment l'entreprise déterminait l'état matrimonial de ses clients demeure à ce jour un mystère insoluble.
Mais l'annonce du livre How to Draw from the Nude, de Charles Hope Provost, comportait une affirmation encore plus douteuse. Cette annonce soutenait que le livre était « l'achat de l'année » et qu'il contenait « 34 photos de modèles dans le plus simple appareil ». Puis elle ajoutait que, en raison de son contenu, le livre ne pouvait être vendu « qu'aux adultes et aux étudiants en art » (Scoop Detective Cases, 1950, p. 80). Évidemment, quiconque avait envie de reluquer les modèles de How to Draw from the Nude pouvait se prétendre étudiant en beaux-arts, et ce, pourvu qu'il ait l'argent nécessaire pour obtenir son exemplaire.
L'examen de ces publicités permet de dresser le profil des lecteurs de romans en fascicules, du moins de celui que perçoivent les éditeurs. Les annonces révèlent en effet que, aux yeux des éditeurs, les amateurs de romans en fascicules constituaient un groupe bien distinct de celui que formaient les lecteurs de bandes dessinées, et considérablement plus âgé. Les éditeurs se fondaient sur cette conception pour cibler leurs produits. Les annonces de lunettes à rayon X et de poudre à gratter n'avaient pas leur place dans les fascicules, et les seuls albums de bandes dessinées susceptibles d'y être annoncés étaient ceux que l'on appelait euphémiquement les « livres pour hommes seulement », des publications regorgeant d'images émoustillantes et d'histoires grivoises.
De façon générale, le public intéressé aux romans en fascicules se composait d'hommes et de femmes adultes qui disposaient d'un revenu personnel de consommation. Ces lecteurs n'hésitaient pas à commander des objets usuels tels que des articles ménagers et des gadgets liés au travail ou aux loisirs. Les articles plus osés étaient annoncés dans le but implicite de servir à l'accomplissement du devoir conjugal, et les annonces indiquaient que les éditeurs le savaient. Outre les publications mentionnées plus haut, les publicités des fascicules annonçaient des produits qui s'adressaient tout spécialement aux lectrices, tels que le parfum sensuel « Sexational Perfume » (Sensational Love Experiences, 1950, p. 55), le chemisier « Great Date Blouse », une création originale de l'apparemment célèbre « Elizabeth of Hollywood » (Sensational Love Experiences, 1950, p. 49), ainsi qu'une mystérieuse « crème aux hormones » (Sensational Love Experiences, 1950, p. 58), qui aurait prétendument eu certaines propriétés aphrodisiaques.
Les annonces offraient aussi des articles moins libertins, comme des lampes de poche mains libres, des tournevis à quatre fonctions, des guides pour la fabrication du vin à domicile, des ensembles de coutellerie, des trousses de peinture luminescente, des manuels de secourisme, des télescopes de poche et des extincteurs. Pour les couples mariés ou fiancés qui désiraient se procurer des produits ménagers modernes (et garnir leur bibliothèque de publications modernes), les fascicules se révélaient une ressource inestimable.
Mais les fascicules en offraient encore davantage aux célibataires qui cherchaient à satisfaire leurs connaissances charnelles : les romans d'amour et les magazines pour hommes seulement étaient spécialement conçus à leur intention.
Références
Scoop Detective Cases, vol. 8, no 1 (avril 1950).
Sensational Love Experiences, vol. 9, no 1 (janvier 1950).
Strange, Carolyn, et Tina Loo. True Crime, True North: the Golden Age of Canadian Pulp Magazines, Vancouver, Raincoast Books, 2004.