Présentation à la Délégation chinoise par Michel Brazeau, Analyste
principal de politique, Bureau des valeurs et de l’éthique, Secrétariat du
Conseil du Trésor
Beijing, République populaire de Chine Mai
2001
J'aimerais tout d'abord remercier mes homologues du ministère de la
Supervision de m'avoir invité à présenter l'expérience de la fonction
publique du Canada en matière de valeurs et d'éthique. Il s'agit de ma deuxième
visite dans votre pays magnifique et je suis très heureux de pouvoir être à
nouveau parmis vous afin de poursuivre notre dialogue sur les valeurs et l'éthique.
Je sais que ce séjour sera tout aussi inoubliable que le précédent et j'espère
que nous pourrons faire en sorte que vous en tiriez parti.
Je représente aujourd'hui le Bureau des valeurs et de l'éthique du
gouvernement fédéral du Canada. Le rôle des valeurs et de l'éthique dans
la fonction publique canadienne a subi de profonds changements au fil du temps.
Ces changements sont l'aboutissement d'une évolution encore plus radicale
dans la prestation des services par la fonction publique.
Mon intention n'est pas de vous donner un cours sur l'évolution de la
fonction publique du Canada, mais plutôt de vous faire un exposé simple sur la
manière dont je perçois cette évolution.
Le gouvernement fédéral du Canada a traversé trois grandes périodes au
cours des dernières décennies.
La première période, les années 50 et 60, était une ère de gouvernement
traditionnel. La fonction publique canadienne était plus petite, tant par le
nombre de ses employés que par ses activités. Être fonctionnaire signifiait
occuper un poste de prestige assorti d'importants pouvoirs décisionnels. Tous
les employés devaient se conformer de façon stricte aux règles et procédures
en place. Dans ce contexte, les problèmes d'éthique étaient moins évidents
et moins complexes.
La deuxième période, les années 70 et 80, a été une ère de croissance.
Les programmes ont foisonné, le nombre des employés et des crédits affectés
à ces programmes a augmenté. L'application stricte des règles et procédures
n'était plus possible. Le concept de Canadiens en tant que clients du
gouvernement a commencé à s'implanter.
Durant cette période, les fonctionnaires devaient non seulement appliquer
les règles, mais aussi faire preuve de plus de discernement et de discrétion
dans l'exercice de leurs fonctions. Puis, les contestations d'ordre éthique
ont émergé lorsque les fonctionnaires ont été appelés à départager des
valeurs apparemment opposées. En situation de conflit de valeurs, il peut y
avoir différentes solutions à un problème donné. Par exemple, un conflit
peut surgir entre la valeur «liée aux personnes» tel que la solidarité à
l'égard des employés et la valeur « professionnelle » de
l'excellence du service aux citoyens.
La troisième période, les années 80 et 90, a été une ère de
restructuration. Il y a eu de profonds bouleversements dans tous les secteurs de
la fonction publique. Le Canada a accumulé un déficit budgétaire de taille.
Les Canadiens réclamaient avec de plus en plus d'insistance un gouvernement
responsable et efficace. Cela a amené à examiner de fond en comble tous les
programmes et à réduire considérablement l'effectif. Dans ce processus, on
a redéfini la raison d'être et l'objectif de la fonction publique. Le
service aux clients est devenu le point de mire et divers modèles nouveaux de
prestation de services ont vu le jour.
Tous ces changements ont suscité des tensions dans la fonction publique.
Certains employés se sentaient perdus ou déconcertés. Dans leur travail, les
fonctionnaires devaient se conformer aux valeurs professionnelles
traditionnelles telles l'excellence, l'efficacité et l'économie. En même
temps, ils devaient appliquer de nouvelles valeurs organisationnelles comme la
qualité, l'innovation et débrouillardise.
À cette époque, les nouvelles technologies des communications et de
l'information avaient un impact crucial sur le milieu de travail. Les
prestataires de services, les fonctionnaires de tous niveaux et le grand public
avaient désormais accès presque instantanément à des quantités
d'informations de plus en plus grandes. Les fonctionnaires étaient fortement
pressés de faire de bons choix dans un climat de surabondance d'information.
Dans le monde des affaires, les employés faisaient face à des pressions
semblables.
Devant cette situation, le gouvernement fédéral a réévalué la raison
d'être et l'objectif de la fonction publique. De nombreuses initiatives ont
été prises pour fournir un meilleur milieu de travail à ses employés et
combler les besoins nouveaux des Canadiens.
Et surtout, à l'égard de la gestion publique, le gouvernement a adopté
une approche nouvelle qui se dessinait également dans les administrations
publiques d'autres pays. Cette approche compte divers éléments distincts.
L'ensemble du gouvernement et les ministères doivent avoir une vision claire
de leurs rôles. L'aspect le plus important de ces rôles consiste à mettre
l'accent sur les clients et les résultats.
De plus, pour fournir des services de qualité supérieure au public, les
employés de première ligne doivent être habilités à prendre des décisions
favorisant l'intérêt supérieur de leurs clients. Pour que cette délégation
de pouvoirs soit efficace, ils doivent bien saisir les valeurs
organisationnelles fondamentales qui s'appliquent à leur travail. Et, bien sûr,
les règles et règlements fondamentaux de l'organisation continuent de
s'appliquer. La nouvelle gestion publique permet à l'ensemble de la
fonction publique de réagir avec plus de souplesse à l'évolution rapide de
notre environnement mondial.
Permettez-moi de résumer la situation quant aux valeurs et aux règles. Les
valeurs s'appliquent de deux façons. Des valeurs, telle l'intégrité,
servent de guide général du comportement en milieu de travail. Mettre
l'accent sur les valeurs facilite en outre la prise de décisions par les
fonctionnaires. Si certaines entrent en conflit, il est utile de déterminer
d'abord de quelles valeurs particulières il s'agit. La prochaine étape
consiste à apprendre à équilibrer ces valeurs opposées par le dialogue avec
les collègues.
Mais si l'on adopte une approche fondée sur les valeurs, il faut encore
des règles et règlements officiels pour se prémunir contre les comportements
illégaux ou nettement contraires à l'éthique, tels les conflits d'intérêts.
De tels règles et règlements s'imposent pour protéger la réputation et
l'intégrité de la fonction publique. Cette approche en matière de valeurs
et de règles est de plus en plus courante au sein des sociétés privées chefs
de file et des gouvernements.
Il serait illogique d'allier une infrastructure éthique stricte et
centralisée, fondée sur la conformité, aux systèmes délégués de gestion
axée sur les résultats. La tendance récente en gestion de l'éthique vise
à élaguer les règles au profit de directives générales, dont la définition
des valeurs de l'organisation, la diffusion d'études de cas sur les
dilemmes éthiques, le maintien d'un dialogue ouvert avec les employés et
l'incitation à une plus grande transparence.
Pour clarifier les valeurs communes et l'éthique dans la fonction
publique, le gouvernement a constitué un groupe de travail sur les valeurs et
l'éthique dans la fonction publique formée de hauts fonctionnaires.
L'objectif de ce groupe était de permettre à la fonction publique de redécouvrir
et de comprendre les valeurs fondamentales qui l'animaient et de l'aider à
les appliquer à tous les aspects de son travail. À la fin de 1996, après deux
années de labeur, le groupe de travail a présenté son rapport intitulé De
solides assises.
Le groupe de travail a constaté que le climat éthique de la fonction
publique était fondamentalement sain. Il a recommandé de faire du dialogue sur
les valeurs et l'éthique, auquel participent gestionnaires et employés, la
pierre angulaire du renouvellement de la fonction publique.
De solides assises présente un ensemble de valeurs fondamentales pour
la fonction publique, soit&npsp; :
- des valeurs démocratiques tels le gouvernement responsable, la primauté
du droit, l'imputabilité et l'application régulière de la loi;
- des valeurs professionnelles comme la neutralité, l'excellence,
l'efficacité, l'économie et le maintien de la confiance du public;
- des valeurs liées à l'éthique telles l'intégrité, l'honnêteté,
la probité et la prudence;
- des valeurs liées aux personnes comme le respect, la compassion, la
civilité, la tolérance, l'ouverture d'esprit, l'équité et la modération.
Ces valeurs sont au coeur même du rôle et des responsabilités des
fonctionnaires en qui le public met sa confiance. Il est manifeste qu'il faut
parfois trouver un moyen terme à ces valeurs. Par exemple, dans certains cas,
l'obligation de servir les ministres peut devoir être nuancée par celle de
la défense de l'intérêt public. La nouvelle fonction publique prend
conscience qu'elle fait partie d'un tout et qu'elle existe et exerce ses
activités dans le contexte très particulier de la société canadienne et de
ses valeurs.
En fait, les normes de conduite plus élevées de la fonction publique sont
devenues une question critique pour les gouvernements du monde entier. Le
gouvernement du Canada n'est pas le seul à restructurer ses services.
Les réformes de la gestion ont fait appel à de nouvelles formes de
prestation de services, assorties d'une délégation plus poussée des
responsabilités aux fonctionnaires de première ligne. Ceux-ci doivent faire
preuve d'un meilleur jugement. Une discrétion accrue dans la prestation des
services a remis en question de valeurs traditionnelles de la fonction publique,
telle la stricte conformité à une série unique de règles.
Les fonctionnaires oeuvrent dans un monde en évolution, notamment là où
des méthodes de gestion, telles que la gestion des risques, l'autonomie de
gestion et l'accent placé sur les résultats plutôt que sur les règles, ont
été empruntées au secteur privé. Ils sont soumis à un examen plus serré du
public et à des exigences plus grandes de la part des citoyens. Cela les oblige
à fournir aux Canadiens des services meilleurs et mieux adaptés à leurs
besoins, mais dans un contexte de limitation plus stricte des ressources.
Les fonctionnaires doivent en outre assumer de nouvelles fonctions et
responsabilités par suite du transfert de responsabilités et du pouvoir discrétionnaire
accru de la direction, de la commercialisation plus poussée du secteur public
et de la corrélation changeante entre celui-ci et le secteur privé, y compris
le problème du va-et-vient dans l'emploi. Bref, les fonctionnaires doivent
adopter de nouvelles façons de mener les affaires de l'État.
On commence à entrevoir des tensions possibles entre les notions
professionnelles de l'administration publique, la stricte application des règles
et de nouvelles formes de gestion publique, la recherche de résultats par
l'innovation et la gestion des risques. C'est peut-être dans le domaine de l'éthique
que ces tensions soint les plus manifestes. Si le contrôle est trop serré, les
choses se font, mais plus lentement; s'il ne l'est pas assez, il y a risque que
ce ne soit pas les bonnes choses qui se fassent.
C'est dans ce contexte de réforme que le gouvernement du Canada a accepté
les recommandations de l'Organisation de coopération et de développement économique
(OCDE), soit les Principes propres à favoriser la gestion de l'éthique
dans le service public. Ces recommandations couvrent un vaste éventail de
questions, dont l'engagement politique en faveur de l'éthique dans la
fonction publique, la responsabilité de la direction à faire la preuve et la
promotion d'une conduite morale, les sanctions pour prévarication, un guide
éthique pour les fonctionnaires (conseillers en éthique et protecteurs du
citoyen, par exemple) et des mécanismes de responsabilité. En décembre 1998,
le Parlement du Canada a aussi adopté la Loi sur la corruption d'agents
publics étrangers en vue de régler les problèmes de corruption
dans les transactions internationales.
Le Conseil du Trésor du Canada a créé le Bureau des valeurs et de l'éthique,
rouage important de ces réformes, en vue de promouvoir l'importance d'une
conduite morale et du respect des valeurs de la fonction publique. Il est
essentiel de conserver une fonction publique apolitique et professionnelle qui
soit guidée par l'équité, l'intégrité, l'impartialité et le service
aux Canadiens.
Comme je le mentionnais plus tôt, le rôle du Conseil du Trésor est
d'instaurer un cadre propre à réaliser l'objectif gouvernemental d'un régime
éthique. Mais comme tout autre jeu d'outils de gestion, l'efficacité de ce
régime dépend de sa mise en oeuvre, de sa compréhension et de son application
uniforme. Nous n'en sommes pas encore là, et ministères et organismes sont
responsables de leurs propres programmes de mise en oeuvre des valeurs de la
fonction publique. Certains ministères se sont montrés empressés sur ce plan.
Plusieurs ont lié aux principales réorganisations déjà en cours
l'initiative touchant les valeurs et l'éthique. D'autres ont été plus
lents. Dans son exposé, mon collègue, M. Steinberg, vous dira comment son
ministère a instauré son propre programme.
Deux sous-ministres ont été nommés cochampions des valeurs et de l'éthique
pour la fonction publique fédérale. Leur rôle consiste à promouvoir les
valeurs et l'éthique dans la fonction publique et à améliorer la
sensibilisation et le dialogue entre tous les fonctionnaires.
Le mandat du Bureau des valeurs et de l'éthique est le suivant :
- promouvoir les valeurs et l'éthique dans la fonction publique,
- être un centre d'expertise dans le domaine des valeurs et de l'éthique,
- appuyer les initiatives des ministères en matière de valeurs et d'éthique,
- assurer les services de secrétariat aux cochampions des valeurs et de
l'éthique.
Pour atteindre ces objectifs, le Bureau des valeurs et de l'éthique
fournit divers services et outils aux ministères :
- opinions et conseils concernant les conflits d'intérêts. Un guide a été
publié récemment sur l'application du Code régissant les conflits
d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique;
- opinions et conseils aussi offerts dans les domaines suivants :
- activités politiques des fonctionnaires,
- liberté d'expression,
- divulgation de la mauvaise gestion ou du mauvais usage de fonds publics.
Il faut aussi noter que le conseiller en éthique, M. Howard Wilson,
conseille les ministres du Cabinet et les hauts fonctionnaires relativement aux
questions de conflits d'intérêts et d'après-mandat.
Voici quelques-uns des autres services offerts par le Bureau des valeurs et
de l'éthique :
- un cours sur les valeurs et l'éthique a été élaboré à
l'intention des nouveaux employés,
- un site Web fournit un éventail d'informations sur les valeurs et l'éthique,
- en partenariat avec le Centre canadien de gestion, le Bureau a tenu des
discussions mensuelles sur des études de cas types concernant les valeurs
et l'éthique. Ces séances sont animées par des cadres supérieurs,
- les six premières études de cas et discussions ont été réunies dans
une reliure Bâtir sur de solides assises -- le dialogue continue -- une
approche par études de cas aux valeurs et à l'éthique dans la fonction
publique qui servira à la formation dans d'autres discussions au sein
des ministères.
En conclusion, j'aimerais préciser qu'il faut cesser de voir l'éthique
comme une activité distincte et la considérer davantage comme une partie intégrante
de tous les systèmes de gestion. J'aimerais en outre préciser que l'examen
des valeurs et de l'éthique dans la fonction publique canadienne se poursuit.
Ce sera pour nous un immense plaisir de partager notre expérience en ce domaine
avec votre gouvernement et de continuer d'échanger avec vous nos
constatations au fil de l'évolution de la fonction publique de nos pays
respectifs.
Merci.
|