Allocution de
L'honorable Lucienne Robillard
Présidente du Conseil du Trésor, Ministre responsable de l'Infrastructure
et députée de Westmount-Ville-Marie
Le 16 mars 2001
NAPLES, ITALIE
Mesdames et Messieurs, il me fait plaisir d'être parmi vous cet
après-midi et de vous entretenir sur les voies de l'avenir pour le
cybergouvernement.
J'aimerais remercier nos hôtes, le gouvernement de l'Italie et l'OCDE,
de nous avoir convoqués pour discuter dans un lieu si agréable d'une
question qui nous intéresse tous au plus haut point et qui intéresse
vivement nos citoyens. Je voudrais aussi féliciter nos hôtes de nous
avoir donné l'occasion d'échanger face à face, en personne. Comme
quoi, même à notre époque des communications virtuelles, où la
distance et le lieu ne sont plus des contraintes, le contact humain
demeure très important.
Puisque le Forum tire à sa fin, je voulais profiter de l'occasion de
ma présentation pour vous faire part de mes réflexions, à titre de
ministre responsable de l'initiative du Gouvernement en direct au
Canada, sur l'importance du cybergouvernement pour l'avenir des
administrations publiques, dans un contexte mondial des communications et
du savoir.
Comme nous avons pu le constater au cours des ateliers et des
conférences de nos experts, chacun de nos pays adopte une démarche à l'égard
du cybergouvernement en fonction des contextes social, culturel et
économique qui lui sont propres. Toutefois, en dépit de nos approches
différentes, nous pouvons apprendre les uns des autres et partager notre
expérience et notre expertise. Je vais donc, à partir de l'expérience
canadienne, vous faire part de nos conclusions quant à la façon d'entreprendre
et, souhaitons-le, réussir le cybergouvernement. J'aimerais aussi vous
indiquer comment nous entrevoyons les défis de cette importante
transformation de nos administrations publiques.
Pour le gouvernement du Canada, notre engagement auprès des citoyens
de compter parmi les pays les plus branchés au monde et d'offrir nos
services et informations en direct sur Internet d'ici 2004, s'inscrit
dans notre vision globale du rôle du gouvernement canadien dans notre
société.
Pour nous, cet objectif du gouvernement en direct d'ici 2004
représente beaucoup plus que la simple transposition sur Internet des
programmes et services gouvernementaux. Il s'agit d'une transformation
majeure de notre façon de servir nos citoyens en utilisant tout le
potentiel et la puissance des technologies de l'information et des
communications.
Pourquoi un gouvernement en direct?
Pour mieux servir les Canadiens et les Canadiennes - pour qu'ils
aient accès à leur gouvernement quand ils le veulent, où qu'ils
soient, et dans la langue officielle de leur choix. C'est aussi pour
renouer contact avec les citoyens - pour permettre une communication et
une interaction directe. Je suis convaincue que la pertinence même des
gouvernements repose sur notre capacité et notre volonté de rendre
disponibles sur Internet nos services, informations, et conseils. Pour
certains pays, déjà une génération entière communique presque
exclusivement par Internet. Au Canada, plus de 60 % des citoyens
utilisent Internet. Ils passent en moyenne 5 heures par semaine en ligne
- plus que tout autre pays. Comme gouvernements, nous n'avons donc pas
le choix - nous devons répondre à cette nouvelle façon d'interagir,
de communiquer, de transiger.
Nous devons aussi répondre aux transformations massives générées
par les technologies de l'information et des communications (TIC) -
nos économies sont de plus en plus mobilisées par ces technologies. Et
nous ne pouvons transformer nos économies et nos sociétés si
nous-mêmes, comme administrations publiques, ne sommes pas aussi partie
prenante de cette transformation.
Comme m'a dit un collègue récemment - qui dit cyberéconomie et
cybersociété dit cybergouvernement.
Au Canada, nous travaillons depuis un peu plus d'un an à notre
projet de Gouvernement en direct. Je me propose maintenant de vous faire
part de nos progrès et des leçons que nous avons apprises jusqu'ici.
Nous avons constaté que le succès du passage au cybergouvernement
repose sur sept éléments clés.
Tout d'abord, il est essentiel que le leadership provienne du plus
haut niveau et d'établir des objectifs clairs. Au Canada, le Premier
ministre est fermement résolu à atteindre l'objectif de la mise en
place du gouvernement en direct d'ici 2004, et il ne rate pas une seule
occasion de nous le rappeler. Il m'a d'ailleurs confié le dossier du
cybergouvernement et me demande de lui fournir des rapports d'étape
réguliers. Nous avons également un dirigeant principal de l'information
pour le gouvernement du Canada, qui a pour rôle de coordonner le projet
de Gouvernement en direct à l'échelle de l'administration
fédérale. Au-delà de cette coordination centrale, tous les ministères
et organismes doivent se préparer à offrir leurs activités et services
respectifs en direct.
C'est dire qu'il est extrêmement utile de fixer des objectifs
précis. Ils nous aident à bien nous concentrer et à cibler nos efforts.
Il n'y a rien de mieux que d'établir des objectifs pour faire bouger
rapidement les fonctionnaires (ou, mieux encore, de rattacher l'évaluation
de rendement et la rémunération à la réalisation de ces objectifs!).
Deuxièmement, tout repose sur l'accès. Nous déployons des efforts
soutenus au Canada pour veiller à ce que tous nos citoyens aient accès
à l'Internet; ceux qui n'en ont pas les moyens peuvent toujours se
rendre à l'un de nos 7 000 points d'accès public communautaires.
Depuis l'an dernier, toutes nos écoles et bibliothèques publiques sont
branchées à l'inforoute. Les principes de l'accès et des
connaissances de base de l'Internet se situent au coeur de notre
programme « Un Canada branché ».
En troisième lieu, il est essentiel d'instaurer les bonnes
conditions et le climat nécessaires au changement. Cela signifie établir
les cadres stratégiques et législatifs appropriés pour garantir la
sécurité des transactions avec les citoyens et les entreprises et la
protection des renseignements personnels qui les concernent, élaborer de
solides cadres de gestion de l'information pour assurer la
disponibilité, l'exactitude et la transparence des renseignements,
adopter une démarche coordonnée au chapitre des ressources humaines au
sein de la fonction publique pour assurer la transition vers un
gouvernement branché, et mettre en place de bonnes lignes directrices en
matière d'approvisionnement, assorties des cadres de gestion du risque
appropriés. Le Canada a déjà adopté des mesures législatives dans les
domaines de la protection des renseignements personnels et des signatures
numériques. Nous disposons également de lignes directrices sur la
protection des consommateurs internautes, sur le chiffrement permettant l'utilisation
de n'importe quel degré de cryptographie, de même que sur l'infrastructure
à clés publiques. Nous sommes sur le point de recourir à un consortium
du secteur privé pour mettre au point un canal protégé garantissant la
sécurité et la confidentialité des transactions en direct.
Quatrièmement, il faut tenir compte des besoins et des intérêts des
citoyens en présentant et en structurant l'information et les services
d'une manière intuitive et mettre progressivement en place une masse
critique de services intégrés. Le portail remanié du gouvernement du
Canada - Canada.gc.ca - a été inauguré en janvier dernier. Il
comporte trois passerelles principales permettant aux citoyens, aux
entreprises et aux étrangers d'avoir accès aux renseignements et
services qui répondent directement à leurs besoins. Nous avons
également structuré les renseignements en fonction de 35 thèmes et
groupes d'intérêts communs.
L'effort pangouvernemental suscité par la reconception du portail du
Canada commence déjà à se répercuter sur la façon dont nos
fonctionnaires travaillent ensemble, sans se limiter aux responsabilités
propres à chaque ministère ou organisme. Nous n'en sommes pas encore
au gouvernement « intégré », pour reprendre le mot de nos
collègues du Royaume-Uni, mais nous nous dirigeons résolument vers un
gouvernement « coordonné ».
Le cinquième élément prend la forme de l'élaboration et de la
coordination d'une infrastructure commune. La rentabilité et l'efficacité
des rouages administratifs commandent le partage des réseaux
gouvernementaux et des applications qui, une fois développée, peuvent
servir bien des fois aux divers ministères. Nous devons en effet nous
garder de reproduire nos structures actuelles sur l'Internet. Cependant,
il ne suffit pas de s'en remettre au partage de l'infrastructure et
des applications. En effet, nous avons constaté qu'il était essentiel
de subordonner la gestion de tous les modes de prestation de services à
un programme bien coordonné. C'est pourquoi il faut établir un lien et
une coordination entre les services en direct et les services offerts au
téléphone ou au comptoir. Ceux et celles qui offrent ces services ont
également besoin d'avoir accès à l'Internet pour offrir des
services uniformes, quel que soit le mode de prestation retenu.
Les investissements stratégiques représentent la sixième composante
de notre démarche. En créant un fonds central accessible aux divers
ministères et organismes, nous pouvons mettre à l'essai divers types
de services et de transactions et apprendre sur le tas. Je sais que les
administrations publiques hésitent à prendre des risques, mais, dans le
cas présent, et compte tenu de l'échéancier de 2004, nous devons
essayer de mettre ce principe à l'épreuve. Nous devons également
tirer les leçons appropriées de nos projets pilotes. Ainsi, nous avons
élaboré ce que nous appelons des « projets phares » qui nous
permettent de juger de notre capacité d'offrir des services qui
dépassent les responsabilités propres à chaque ministère et organisme
et qui permettent à tous les citoyens d'effectuer en direct certaines
transactions importantes. Par exemple, dans le cadre de projets pilotes,
les Canadiens pourront bientôt utiliser l'Internet pour obtenir des
prestations de revenu et d'assurance, présenter une demande de
passeport ou transmettre des documents aux tribunaux, etc.
Ces projets pilotes sont financés à même le budget du Gouvernement
en direct et les contributions financières des ministères. En outre,
chaque ministère doit nous remettre un plan que nous examinons pour
éliminer les dédoublements et assurer l'intégration des services dans
toute la mesure possible.
Les communications constituent le septième et dernier élément. Il
faut communiquer les changements que nous apportons, t et s'adresser aux
citoyens, à nos employés et aux autres paliers de gouvernement. Un
changement de cette ampleur ne peut s'opérer sans une interaction
constante et soutenue si nous voulons orienter le changement, gérer les
attentes, apprendre les uns des autres et, en définitive, atteindre notre
objectif.
Nous sommes donc sur la bonne voie avec nos sept grands facteurs de
succès. Mais nous partageons les mêmes défis que d'autres collègues
ont mentionnés dans le cadre des présentations et des ateliers
précédents :
- Tenir tous les intervenants mobilisés et orientés sur le
but d'un gouvernement branché et intégré; assurer la transition
graduelle, mais coordonnée, des services sur Internet, tout en
maintenant et assurant le lien aux mécanismes de prestation plus
traditionnels.
- Assurer l'intégration des services en dehors des cadres et
structures existantes de notre administration - mettre fin aux
chasses gardées et aux silos n'est pas facile.
- Créer et gérer le contenu : au Canada nous avons un double
défi de produire et assurer la diffusion d'un contenu en français
et en anglais - soit les deux langues officielles du pays. Nous
devons aussi relever le défi d'appuyer le développement de
logiciels qui permettent aux peuples autochtones du Canada de
communiquer sur Internet dans leur propre langue. Croyez-moi, il n'y
a pas beaucoup d'information disponible en Inuktitut; il n'existe
même pas un logiciel qui puisse traduire cette langue faite de
symboles.
- Assurer la transition de la fonction publique - les questions de
ressourcement, de formation, de recrutement sont très importantes
pour assurer la réussite du passage au cybergouvernement.
- Contrôler les coûts et les risques traditionnels associés à l'utilisation
complexe des technologies de l'information, qui sont quintuplés par
une initiative aussi vaste que le gouvernement en direct.
- Changer rapidement nos cadres stratégiques et juridiques pour
faciliter la transition au gouvernement en direct - même si les
administrations publiques ne sont pas habituées à travailler au
rythme et à la vitesse Internet. Qui plus est, plus nos citoyens se
branchent, plus ils nous demandent de répondre rapidement. Quand on s'attend
à une réponse immédiate à un courriel, mais que l'on prend une
semaine ou deux pour traiter une pièce de correspondance papier -
il y a là un écart important entre l'attente du citoyen et la
capacité d'une administration à y répondre.
- Finalement, et le plus important défi d'après moi : faire en
sorte qu'aucun citoyen ne soit laissé pour compte dans la foulée
de cette transformation.
Ceci dit, je suis convaincue que ces défis ne sont pas insurmontables.
Je crois que nos administrations publiques peuvent les relever - plus
encore, je crois que nous n'avons pas le choix.
Mais je suis tout aussi convaincue qu'il n'y a pas une seule
administration qui détienne toutes les réponses. C'est pourquoi la
coopération et les échanges internationaux comme ce Forum sont
absolument essentiels à la transformation à l'échelle mondiale des
administrations et des gouvernements.
Nous devons nous aider les uns les autres à relever les défis et à
répondre aux attentes de nos citoyens. Au XXIe siècle, nos
gouvernements ne pourront pas fonctionner comme ils l'ont fait au XXe
siècle.
Même si nous ne savons pas encore ce que seront les cybergouvernements
d'ici 10 ou 20 ans, nous pouvons déjà imaginer qu'il s'agira d'administrations
réseautées, intégrées, et différentes. Nous savons que les citoyens
auront trouvé d'autres façons d'utiliser Internet pour communiquer
avec nous; nous commençons à peine à entrevoir la nature du changement
dans la relation citoyen-gouvernement que peut amener le cybergouvernement.
Même si nous ignorons la forme que prendront les cybergouvernements
dans un proche avenir, nous savons pertinemment que la transformation que
bon nombre d'entre nous venons d'amorcer est incontournable. Le retour
en arrière est impossible. Une fois qu'ils ont goûté à l'Internet,
nos citoyens ne peuvent plus s'en passer. L'Internet peut également
rendre les gouvernements plus efficaces, ouverts et responsables. Nous y
trouvons donc notre compte nous aussi.
En plus, nous savons pertinemment que nous pouvons et devons partager
nos expériences, aider les autres et apprendre les uns des autres.
Les organismes comme l'OCDE et d'autres peuvent nous aider à
effectuer des études comparatives et partager nos pratiques exemplaires.
Des activités telles que le projet « dot.force » du G7
peuvent contribuer à la résorption du fossé numérique dans le monde
entier. Ensemble, nous pouvons inciter les institutions financières
internationales à reconnaître l'importance pour les pays d'investir
dans les technologies pour améliorer la qualité de vie et favoriser l'essor
économique.
Tout comme j'ai eu le plaisir d'avoir l'occasion de vous faire
part aujourd'hui des démarches que le Canada a entreprises pour relever
le défi de la transition au gouvernement en direct d'ici 2004, j'ai
beaucoup appris des expériences et des défis vécus par les autres pays.
J'ai la conviction que nos efforts collectifs pour améliorer nos
gouvernements en offrant de meilleurs services à nos citoyens à l'enseigne
du partage et du partenariat seront couronnés de succès. Telles sont les
voies de l'avenir qui s'offrent à nous. À cet égard, le mécanisme
que nous partageons, soit l'Internet, ne saurait être plus efficace.
Le réseautage mondial, telle est la voie de l'avenir.
Merci de votre attention.
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