Discours par
L'honorable Lucienne Robillard
Présidente du Conseil du Trésor, Ministre responsable de l'Infrastructure
et députée de Westmount-Ville-Marie
Le 30 novembre 2001
Hôtel Delta
Sherbrooke (Québec)
Cher(e)s ami(e)s,
C'est avec un immense plaisir que j'ai accepté l'invitation du
Président du Conseil fédéral du Québec, monsieur André Gladu, à
participer à ce colloque de perfectionnement des gestionnaires 2001. J'en
étais d'autant plus heureuse que votre thème est tout à fait inspirant!
Il s'agit là d'un thème qui me touche tout particulièrement car "parler
de passion" fait nécessairement référence à l'être humain et
donc, à notre principale richesse comme organisation.
Je l'ai dit et je le réaffirme aujourd'hui: aucune organisation,
qu'elle soit privée ou publique, ne peut oublier qu'à sa base même, ce
sont ses ressources humaines qui en font la richesse et le succès.
J'aimerais donc aborder avec vous, dans un premier temps, ma perception
de la passion comme moteur de l'action, tant dans nos vies personnelles
que professionnelles et ensuite comment, dans le cadre de la modernisation
de la gestion des ressources humaines, je souhaite que nous nous dotions
des outils qui nous permettront, comme gestionnaires, de mieux entretenir
et de mieux canaliser cette passion au sein même de la fonction publique
du Canada.
La passion, moteur de l'action
De nombreux conférenciers se sont succédés depuis deux jours pour
vous entretenir de la passion, comment la découvrir et comment l'inspirer.
Sans prétendre être une experte sur le sujet, j'aimerais partager un peu
avec vous ma vision personnelle de la passion.
À mon avis, la passion est le moteur de l'action. C'est par passion,
qu'elle soit personnelle ou professionnelle, qu'on décide de s'investir
dans une relation, dans un travail, dans un organisme communautaire. C'est
par passion qu'on donne sans compter les heures, qu'on veut toujours faire
mieux. C'est ce qui nous anime, malgré les moments parfois difficiles.
C'est la passion qui fait que le matin, on se rend d'un pas décidé au
travail; c'est la passion qui fait que, malgré une semaine chargée, on
trouve du temps pour s'occuper de nos familles, de nos amis. C'est la
passion qui nous ramène, inlassablement, à se mettre à jour, à
continuer d'apprendre.
Je suis, vous vous en doutez, une femme passionnée. Et ma passion
première, c'est l'être humain. Avec du recul, force m'est de constater
qu'il s'agit là du fil conducteur de toute ma carrière. Au départ,
pendant mes études au baccalauréat ès arts, je pensais m'orienter en
mathématiques pures. J'avais une facilité pour les chiffres et l'idée
de jouer avec les concepts mathématiques m'attirait. Mais la vie nous
envoie parfois des signaux qu'il est difficile d'ignorer. Une expérience
de bénévolat dans le quartier St-Henri, auprès de familles démunies,
m'a allumée : j'avais envie dès lors de consacrer mes énergies à
travailler pour et avec les gens. J'ai donc réorienté mon choix de
carrière vers le travail social, non pas comme théoricienne, mais comme
clinicienne. Et j'ai adoré cette période de ma carrière: il n'y a rien
de plus satisfaisant que de se coucher, le soir, en ayant la certitude
personnelle que l'on a fait une différence réelle dans la vie des gens,
en les écoutant et en trouvant avec eux des solutions à leurs problèmes.
J'avais même tellement de plaisir dans ce travail que la première
fois qu'on m'a invitée à poser ma candidature pour un poste de gestion,
j'ai refusé, de peur de perdre le contact avec les individus. À mes yeux
à l'époque, devenir gestionnaire était incompatible avec mon besoin
profond d'être en contact avec le "vrai monde"…Ce sont mes
collègues et mes supérieurs qui m'ont convaincue que la gestion n'était
pas, loin de là, incompatible avec ma passion de l'humain. Et je suis
heureuse d'avoir accepté car j'ai découvert qu'au contraire, la gestion
n'était pas qu'un simple acte administratif. La dimension humaine est
tout aussi, sinon plus importante.
C'est cette même passion qui m'a guidée quand le ministre de la
Justice m'a demandée de devenir Curatrice publique du Québec. Ce poste,
traditionnellement, avait été occupé par des avocats ou des notaires,
plus préoccupés par l'aspect juridique de la curatelle. Le défi de
remettre l'humain au centre de nos préoccupations, comme organisation
publique, était de taille. Mais quel défi fascinant! J'ai adoré ce
poste.
C'est encore la passion qui m'a incitée, lorsqu'on m'a invitée, à
faire le saut en politique. J'avais le sentiment que cela pouvait être un
véhicule privilégié pour faire avancer mes valeurs, mes idées et ce,
en toute collégialité. Vous me permettrez de partager avec vous une
anecdote: décider de faire de la politique n'est pas un choix facile.
L'image des politiciens n'est pas des plus reluisantes, les heures sont
parfois longues, il faut souvent faire une difficile conciliation entre
notre vie familiale et notre travail. Alors que les gens de l'entourage du
Premier ministre du Québec ne me dépeignaient que les beaux côtés du
métier de politicien, la passionnée que je suis a quand même décidé
d'écouter son côté rationnel. J'ai donc rencontré monsieur Bourassa et
je lui ai demandé, naïvement me direz-vous, de me parler des aspects
moins agréables de la vie politique. Je n'oublierai jamais cette
conversation, où il m'a demandé si j'étais capable de vivre avec
l'ingratitude dans la vie. Tout le reste, m'a-t-il dit, s'accepte et se
gère si on a la passion, mais l'ingratitude, parce que c'est une
profession parfois ingrate vous vous en doutez bien, fait en sorte que, si
on ne l'accepte pas, on devient très vite malheureux. J'ai longuement
réfléchi et j'ai accepté de me joindre à son équipe, en toute
connaissance de cause.
J'ai été une privilégiée en politique et j'en suis consciente. J'ai
eu, tout au long de ma carrière de ministre au Québec, des portefeuilles
où j'ai pu assouvir ma passion de l'humain, particulièrement quand j'ai
eu le bonheur de me retrouver à la tête du ministère de l'Education et
de l'Enseignement supérieur. C'est fascinant et motivant de travailler
pour les jeunes et d'être entourée d'une équipe de hauts fonctionnaires
eux-mêmes passionnés par la jeunesse. Ce fut un plaisir professionnel
inoubliable.
Mais nous sommes en démocratie et à l'élection de 1994, les
Québécois ont fait un choix différent. J'étais convaincue, à ce
moment-là, que ma carrière politique était terminée. Pour moi, la
politique n'est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen de faire avancer
les choses. Je n'avais donc aucune amertume, puisque la démocratie et
l'expression de celle-ci demeurent au coeur de nos valeurs fondamentales
comme citoyens du Canada.
Puis, le Premier ministre du Canada m'a invitée à me joindre à son
équipe, dans le contexte référendaire. Je n'ai jamais caché mes
convictions: je suis une fière québécoise et canadienne. J'ai donc pu
également aller au bout d'une autre passion: celle de mon pays.
Rappelez-vous 1995: que de débats passionnés à cette époque!
Je crois également que monsieur Chrétien soupçonnait ma passion pour
l'être humain, puisqu'il m'a ensuite confié le portefeuille de
l'Immigration et de la Citoyenneté. C'est un ministère captivant pour le
contact avec ceux et celles qui choisissent notre pays comme terre
d'accueil et pour le contact avec nos employés de première ligne, qui
gèrent quotidiennement des situations parfois difficiles. J'y ai vécu
l'expérience professionnelle la plus émouvante de toute ma carrière
professionnelle, l'accueil au Canada des réfugiés du Kosovo et je crois
sincèrement que tous les employés du ministère partagent ce sentiment
d'avoir vécu quelque chose d'exceptionnel. Il est malheureux que ce genre
de crise arrive, mais elle nous aura permis de vivre tout l'aspect positif
de la mission d'un ministère plus souvent qu'autrement identifié à des
éléments négatifs, comme l'immigration illégale.
A la faveur d'un remaniement subséquent, le Premier ministre m'a
ensuite demandé de prendre les rênes du Conseil du Trésor. Un poste, je
croyais, dans les hautes sphères de la gestion financière du
gouvernement qui m'éloignerait de l'humain. Comme beaucoup de gens,
j'oubliais qu'au-delà de l'aspect administratif, le Conseil du Trésor
est également l'employeur... Et que je pourrais consacrer mes énergies
à faire en sorte que nos employés se sentent heureux et fiers
d'appartenir à la fonction publique du Canada.
Comme vous le constatez, il faut une bonne dose de passion pour exercer
le métier de politicien et y être heureux. J'adore ce travail car il me
permet d'influer sur les conditions de l'environnement social et
économique de notre pays et ainsi, permettre à l'être humain de
développer son plein potentiel.
Dans les différents portefeuilles qui m'ont été confiés, depuis mon
entrée en politique, il y a 12 ans, j'ai eu la chance de travailler avec
des gens compétents et passionnés et d'entreprendre, avec eux, des
réformes majeures. Pas pour le plaisir de faire des réformes,
rassurez-vous! Mais parce que je considère essentiel que nos
organisations et nos façons de faire correspondent aux nouvelles
réalités. Ce n'est qu'à ce prix que nous pouvons, comme gouvernement,
répondre à notre mission première qui est de servir les citoyens et les
citoyennes de ce pays.
La fonction publique canadienne encore passionnée par sa mission
La dernière décennie n'a pas été facile: les multiples changements,
économiques, sociaux et technologiques, se sont enchaînés à un rythme
peu commun dans l'histoire.
Comme gouvernement, nous nous étions engagés à faire un grand virage
dans les finances publiques et nous l'avons fait. Nous voulions léguer à
nos enfants et à nos petits enfants un pays économiquement sain et
grâce aux efforts de tous les Canadiens, nous y sommes arrivés. Et au
premier chef, ce sont nos employés, les fonctionnaires, qui ont vu la
nature même de leur travail profondément bouleversée.
Mais ces changements, admettons-le, ont joué un rôle sur le moral de
nos employés. Je vous disais tout à l'heure que l'image des politiciens
n'est guère réjouissante. Celle des employés de la fonction publique ne
l'est pas plus, mais, je dois dire, à un moindre niveau. On véhicule, à
tort, l'image d'une fonction publique désabusée. Or, et j'ai été à
même de le constater de près, il n'en est rien!
Les inondations au Saguenay ou au Manitoba, la tempête de verglas, la
crise du Kosovo et l'accueil des réfugiés, la tragédie de la Swiss Air
ou plus récemment, les attentats du 11 septembre sont autant d'occasion
où les employés de la fonction publique du Canada se sont dévoués,
corps et âme, pour répondre à la situation d'urgence. Ils étaient
confrontés au besoin de réagir et ils ont répondu à l'appel de façon
admirable.
Et pourquoi l'ont-ils fait? Pas parce qu'ils devaient le faire, mais
parce qu'ils se sont sentis interpellés. Parce qu'ils ont encore à coeur
d'être au service, eux aussi, de leurs concitoyens. Et parce qu'ils ont
la passion de faire leur travail au meilleur de leurs connaissances, au
meilleur de leurs capacités. Parce que, j'ose le croire, ils ont encore
une passion pour leur travail.
Les défis qui nous attendent, comme organisation publique, et bien
qu'ils ne soient pas de l'ordre de la catastrophe naturelle, ne sont pas
moins exigeants. Nous faisons face à une population canadienne
vieillissante et à une fonction publique qui l'est également. Nous
sommes encore une fois confrontés à de nouvelles réalités économiques,
depuis septembre dernier. Nous nous devons de répondre à nos obligations
internationales, nous devons gérer nos frontières et assurer la
sécurité sur notre territoire, tout en conservant nos valeurs
fondamentales d'accueil, de tolérance et d'ouverture. Nous sommes aussi
confrontés aux besoins de la jeune génération, qui veut sa place dans
notre société et à qui nous devons donner de bons outils de départ.
Bref, ces défis n'ont pas le caractère d'urgence d'une crise majeure,
mais ils sont à mon sens tout aussi fondamentaux.
Pour gérer ces nouveaux défis, il nous faut appliquer la même ardeur
et la même méthode que lorsqu'une catastrophe nous frappe. Nous devons
d'abord reconnaître l'urgence d'agir et identifier nos besoins. Il nous
faut ensuite travailler ensemble aux solutions, en simplifiant au maximum
les processus, tout en s'assurant de l'imputabilité des décideurs.
Une gestion modernisée de nos ressources humaines
Ce sont ces mêmes principes qui me guident dans le dossier de la
modernisation de la gestion des ressources humaines. Pour répondre aux
défis qui nous attendent, nous devons doter nos gestionnaires d'outils
souples, adaptés aux besoins. Le gouvernement s'est engagé, depuis
plusieurs années, dans la modernisation de sa gestion, d'abord
financière. Il est donc normal et plus que temps, j'ajouterais, que nous
nous attaquions maintenant, en priorité, à nos pratiques de gestion à
l'égard de ce qui est notre plus grande richesse, nos employés. Notre
système de gestion des ressources humaines est archaïque, dépassé et
ne nous permet pas de répondre adéquatement à nos propres besoins en
cette matière. Il est plus que temps que ce dossier redevienne la
priorité de gestion numéro un.
La fonction publique du Canada doit redevenir non seulement un
employeur de choix pour nos jeunes, mais surtout un milieu de travail
exemplaire. Un milieu de travail où nos employés comprendront et
partageront la signification de ce qu'ils font et où ils sentiront
pleinement que leur contribution est positive, puisqu'ils s'y sentiront
valorisés. Il s'agit là, à mon point de vue, d'un préalable
fondamental pour assurer de bons services publics, tant pour nos employés
actuels que pour ceux que nous souhaitons recruter.
Nous devons par ailleurs simplifier nos processus de recrutement, en
favorisant l'innovation et la souplesse, tout en dotant les gestionnaires
d'outils leur permettant de bien faire leur travail. Il ne doit plus
jamais être plus facile de contourner le système, parce que celui-ci est
trop complexe, trop lent et trop lourd! Vous êtes gestionnaires et par
conséquent, vous devez être prêts, avec l'aide de nos directeurs en
ressources humaines qui deviendront de véritables conseillers
stratégiques en la matière, à pleinement assumer ces nouvelles
responsabilités, pourvu que l'on vous donne les moyens de le faire.
Nous devons parallèlement redéfinir nos relations de travail avec nos
employés et établir de meilleurs rapports avec nos partenaires syndicaux.
Qu'on se le dise: la fonction publique du Canada s'est façonnée dans un
environnement syndiqué et elle le restera. Le rapport Fryer, dont vous
avez certainement pris connaissance, nous proposait des pistes de
solutions intéressantes et nous avons l'intention d'en tenir compte dans
la modernisation de la gestion des ressources humaines. D'ailleurs, lors
de mes tournées de consultations cet été, j'ai été à même de
constater qu'au niveau local, bon nombre de nos gestionnaires
entretiennent des rapports de partenariat harmonieux avec les syndicats.
Il faut que cela devienne une pratique généralisée.
Ce ne sont là que quelques-unes des facettes de la modernisation de la
gestion des ressources humaines. Le groupe de travail, présidé par
Ranald Quail, après avoir consulté abondamment cet été, a encore du
pain sur la planche, mais je suis très confiante. Nous respectons nos
objectifs en terme d'échéancier et le groupe devrait déposer d'ici peu
ses recommandations de changements législatifs. Et j'ai l'intention
avouée et répétée de déposer, à l'été 2002, un projet de loi à
la mesure de nos ambitions, qui nous permettra d'atteindre nos objectifs.
Des changements législatifs s'imposent donc, mais plus profondément,
c'est à un changement de culture organisationnelle auquel je vous convie.
Nous avons, depuis un an, actualisé plusieurs de nos politiques et
continuons de le faire de concert avec nos partenaires. Se doter d'outils
adaptés, donner à nos employés le goût d'être toujours à la fine
pointe de leurs connaissances et de les partager, voilà ce qui devrait
nous guider quotidiennement.
*****
Vous l'aurez deviné, la modernisation de la gestion des ressources
humaines est un dossier qui me passionne! Mais c'est également un dossier
qui vous passionne, comme gestionnaires, puisque vous avez été nombreux
à participer aux consultations ou à nous faire part de vos commentaires
par l'entremise de notre ligne téléphonique ou de notre site web. Et il
est bien qu'il en soit ainsi: vous avez l'expertise terrain dans ce
domaine et ce sont à vos besoins que nous voulons répondre.
L'exercice que nous faisons actuellement nous permettra, je le souhaite
ardemment, de se doter d'un cadre suffisamment souple pour permettre
l'évolution et s'ouvrir au changement, puisqu'il s'agit d'un cadre qui
nous servira pour les décennies à venir. Il se doit par conséquent
d'être adapté aux besoins, mais également visionnaire.
Permettez-moi enfin un dernier souhait: que toute cette énergie que je
vois ici aujourd'hui, toute cette passion qui vous anime et que je vous
sens prêts à retransmettre à nos équipes, soit contagieuse. La passion
ne s'éteint jamais complètement et il suffit de bien peu de choses pour
l'allumer ou la rallumer. Soyez ces agents de changement et partagez votre
passion!
Merci de votre attention.
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